Je contemplais dans le reflet de l’eau ce médaillon accroché à ma ceinture en tissu. Lui qui démontre mon appartenance au sein de l’armée de village et l’officialisation de mon premier grade militaire, signifie bien plus encore. Loin des richesses de ce monde, ma famille retrouvera une vie décente grâce à l’argent que je recevrais dans l’exercice de mes fonctions. Sans haïr la vie que je mène, mon combat ne concerne pas que les Yokais, ni même les Septs Épéistes des Monts de Fer, mais bien la protection de ma famille. Derrière mon visage efféminé, je n’ignore pas le chemin qu’il me reste à parcourir.

Entouré de montagnes, je finis par rejoindre le centre du village où le vent ne foudroie plus mon visage. Les rues sont bondées en ce début d’après-midi et j’ai hâte de découvrir ce que nos forgerons ont de précieux et puissant à me proposer. Cette lame qui m’a accompagné tout au long de ma formation ne me sera plus d’aucune utilité et la conserver mettrait ma sécurité en jeu. Sa pointe est abîmée et le garde main en cuivre est fendu en deux. Sans parler de la poignée qui se détériore à chaque prise en main. Néanmoins, sa solidité n’est plus à prouver puisqu’elle a su traverser ces mois entiers à l’académie militaire. Véritable relique, elle me rappelera pourquoi j’ai parcouru tout ce chemin. Dans le quartier des commerces, les différents tours d’horizon me permettent de découvrir des arbres aussi bien farfelus qu’éfficaces. La quasi-totalité des forgerons me prodiguent des conseils avisés et font preuve de générosité pour faire de moi leur client. Leur bienveillance ne réussit malheureusement pas à me convaincre et ne permet pas de ressentir cette sensation qui me liera indéfiniment à cette arme.

Alors que j’envisage de quitter cette partie des forges, un homme à la capuche attire mon attention. Sa petite étable présente de magnifiques pièces dont l’un des wakizashi m’oblige à venir jusqu’à lui. Lors de notre long échange sur ces petits katanas aux caractéristiques intéressantes, l’homme à la capuche m’indique une personne dont la description ne donne clairement pas envie d’aller à sa rencontre. Sans hésitation, il affirme qu’un seul homme est capable de trouver la lame qui me correspond. Notre transaction commerciale terminée, je décide de sonder les autres forgerons quant à cet étrange fabricant.

Aveugle et peu connu, ce mystérieux forgeron ne fait pas l'unanimité de ceux qui le connaissent. Leur scepticisme à propos de ses fabrications sont à peine cachés. Le mot “ camelote “ s’est parfois échappé, mais chacun reconnaît en lui un samouraï de grande envergure et effroyable au point que rares sont les apprentis désireux de s’entraîner avec. Voilà un détail qui a le don d’attiser ma curiosité autant que son infirmité. C’est donc sans hésitation et sans perdre une minute de plus que je me dirige vers sa localisation : les galeries souterraines. C’est sans rencontrer de problème que je retrouve le forgeron aveugle.

Face à lui, sans un mot, je suis incapable de déceler la moindre expression sur son visage. Le bandeau noir sur ses yeux ne laisse aucun doute quant à son incapacité à voir. Je ne sais pas comment agir et ce n’est pas ma révérence qui y changera quelque chose… alors je finis par indiquer verbalement les raisons de ma présence. Il fallait aller à l’essentiel.



Demandais-je en insistant sur le mot unique.

Kyoshiro était un homme plein de contradictions. Il appréciait la stabilité de la routine qu'il avait su mettre en place, au fil des ans, mais il reconnaissait la nécessité du changement qui allait avec l'ambition qui était la sienne. Il se fichait éperdument de la façon avec laquelle le monde le voyait mais, en même temps, il était dévoré par un évident désir de reconnaissance. Il n'arrivait pas toujours à se comprendre lui-même, ou à comprendre comment il en était arrivé là mais, dans des moments tels que celui-ci, il trouvait la chaleur étouffante de sa forge quelque peu...réconfortante.
Ce lieu portait un tripe intérêt. Tout d'abord c'était son premier commerce, sa première réussite dans un autre domaine que celui du maniement du sabre. C'était ensuite un autre moyen de se faire connaître, de se lier aux samouraïs désireux de réparer leurs armes, comme cela arrivait si souvent dans ce village. Et, enfin, ce lieu était son sanctuaire de solitude, dans lequel il était bercé par le sol de son marteau sur son enclume. Il pourrait y rester des jours entiers, comme celui lui était déjà arrivé, et aujourd'hui n'était en rien différent des autres journées. Il venait de finir un tanto, une commande assez rapide et, à présent, il était occupé à aiguiser une autre de ses plus récentes créations, jusqu'à ce qu'il ne sente une énergie à la porte de sa la forge.

Il la sentit avant que le garçon, l'homme inconnu ne vienne briser le silence en allant à l'essentiel. Pas de rond de jambe ou de compliments déplacés, il allait droit au but et le Tadake ne pouvait que respecter cela...à ceci près que sa demande était bien trop vague à son goût. Unique ? Tous les sabreurs voulaient une arme unique et qui sorte de l'ordinaire, pour se sentir spécial, mais ce fut sur la première partie du speech, sur les autres forgerons, que Kyoshiro répondit sur un ton neutre :



La plupart, mais pas tous, fort heureusement. Il ne cachait pas son aversion pour les autres forgerons, car les autres ne se gênaient nullement pour traîner son propre nom dans la boue. Une fois cette clarification établie, le jeune homme put s'écarter de la pierre à aiguiser, tournant son visage vers celui qui venait d'entrer dans sa forge, avant de lui demander le plus simplement du monde :



Si l'inconnu voulait aller à l'essentiel, alors autant le faire sans perdre de temps, non ? Se redressant légèrement, Kyoshiro montra d'un simple mouvement de la main les râteliers d'armes alignés sur l'un des mûrs de sa forge. Des lames de tous types et de toutes formes. Puisqu'il ne savait pas ce que cherchait son nouveau client – et qui se fichait pas mal de savoir pourquoi il l'avait choisi, lui, plutôt qu'un autre – alors autant lui montrer un échantillon de ses créations, en espérant que l'une d'entre elles fasse mouche. Explication la raison de son geste, in conclut alors d'un :

L’animosité entre ces forgerons faisait froid dans le dos. Peut-être est-ce la difficulté de la concurrence qui rend ces hommes irritables. Pour autant, je conçois que de nombreuses personnes soient suspicieuses quant à sa capacité à forger des armes. Je me laisse guider sans hésitation par l’aveugle, imaginant chaque partie à chacune de ses interrogations. Sans connaître mes réponses, le forgeron aux cheveux blancs s'attèle à me montrer toutes ses créations. Une nouvelle fois, je m’étonne de le voir agir comme si son infirmité était inexistante. Peut-être développe-t-il d’autres sens pour s’aiguiller, je l’ignore.

D’un pas léger et lent, je contemplais les différentes armes qui se trouvaient sous mes yeux marquant des arrêts sur des outils qui pourraient me servir à l’avenir ou encore des modèles atypiques. D’une voix douce et calme, je me décide à en dire plus au forgeron.



Laissant un temps d’arrêt dans mon monologue, je me voyais rêver à devenir la foudre que je déploie grâce à mon chakra. Un homme de foudre dans son intégralité et capable de trancher d’une main ou d’un coup de pied tout ce qui m’entoure. Une grande puissance se cache dans ce mélange et j’y travaillerais avec toute mon âme.



Je me retourne finalement vers l’aveugle pour rejoindre une petite table à ma hauteur. Sans un geste brusque, je décroche mon katana dans son fourreau de ma ceinture.



Nous échangeons très rapidement sur les autres parties du sabre. C’est lui qui me donne la majorité des idées. Je lui fais confiance et cela malgré l’éternelle question qui taraude mon esprit : Comment fait-il ? La beauté de ses armes et leurs apparences solides poussent à vouloir découvrir son secret.



Finalement, ma curiosité dépasse mes principes.



Au fond de moi, je savais pertinent qu’il risquait de ne jamais me répondre.

Kyoshiro n'avait pas réellement besoin d'être forgeron. Il pouvait très bien vivre avec son seul salaire de samouraï et très bien s'en sortir, mais il avait toujours l'envie, le besoin de faire plus et de toucher le plus de monde possible, pour gravir les échelons jusqu'au sommet. Il avait donc deux emplois, mais cela n'avait rien d'inhabituel dans une société comme celle-ci. Après tout, la borgne n'était-elle pas dans la même situation que lui ? Hotaru n'était-elle pas samouraï, en plus de s'occuper, seule, de ses deux frères ? Si on voulait atteindre un objectif il fallait savoir s'en donner les moyens, alors travailler le minimum requis n'était clairement pas la bonne méthode. Voilà pourquoi il travaillait de jour comme de nuit car il savait que, cécité oblige, il devait travailler cinq fois plus dur que tous les autres, pour sortir du lot. Voilà la seule chose qu'il avait retenu, des leçons de son géniteur honni, après toutes ces années.
S'arrêterait-il un jour ? Quand il serait mort, oui, mais certainement pas avant. Il aurait pu aller s'entraîner, mais le travail n'attendait pas, surtout quand quelqu'un venait lui faire une commande un peu particulière. Ce quelqu'un était un samouraï, un guerrier qui ne s'était toujours pas présenté et qui, bien que suivant le code du bushido, voulait pouvoir manier une lame en y infusant son propre chakra. C'était l'idée que Kyoshiro avait également, car être un samouraï de feu...cela sonnait plutôt bien.



Cette phrase semblait tout droit issue d'un cliché, mais elle avait un sens tout particulier pour Kyoshiro. Il ne voulait pas être puissant pour répondre à une quelconque soif de pouvoir, mais pour donner tort à tous ceux qui ne le voyaient que comme un monstre, un abomination, un boulet pour sa famille, une bouche de trop à nourrir. Il devait prouver qu'il valait bien mieux que ce que la société attendait de lui, voilà pourquoi il voulait devenir le meilleur guerrier de cette Terre.Il laissa donc le jeune homme s'exprimer, pour enfin avoir une idée plus précise de ce qu'il voulait. Une lame de foudre, en somme, ou du moins qui en avait la couleur. D'instinct, Kyoshiro se dirigea vers le fond de sa forge, où étaient alignées plusieurs caisses. Une caisse, deux caisses, trois caisses et il s'arrêta devant celle-ci, l'ouvrant t plongeant sa main dedans pour y récupérer un morceau de minerai bien particulier, avant de le lancer en direction de l'inconnu pour qu'il l'attrape. C''était de la sodalite, une pierre bleue aux reflets métalliques vibrants, qui pourrait sans doute convenir à la couleur qu'il voulait.



C'était à lui de le dire, car Kyoshiro et les couleurs...il n'était pas de très bon conseil en la matière. Le procédé était assez simple. Il n'aurait qu'à fondre ce minerai avec le métal de la lame, pour lui donner la couleur désirée, en espérant que le résultat final convienne au client. Ce dernier promettait gratitude et, si le Tadake n'avait que faire de cela, c'était toujours bon à prendre. Il rebondit alors, d'un :



En vérité elle pouvait être prête pour aujourd'hui, s'il s'y mettait dés à présent, mais il préférait se laisser une marge de manœuvre, pour peaufiner une commande qui sortait de l'ordinaire. Commençant déjà à rassembler ses outils, son marteau, ses pinces et le métal dont il aurait besoin pour créer le cœur de la lame, il ne put retenir un sourire, quand une nouvelle question vague lui fut posée. Comment faisait-il cela ? Il connaissait très bien le sujet principal de la question mais, tout vantard et joueur qu'il était, il ne put s'empêcher de demander un peu plus de précision, sur un ton léger qui lui allait si bien.

Nos actions définissent ce que nous sommes et ce que nous deviendrons. Les propos de Kyoshiro ne me convainquent pas, persuadé que n’importe quel pouvoir peut anéantir la plus sainte des personnes. Soyez bien entouré et peut-être que vous aurez une chance de ne pas vous laisser submerger. Je me souviens encore de cette effroyable légende que me contait régulièrement mon père. Celle d’un homme à la destinée toute tracée, mais qui, face à l’acquisition d’un grand pouvoir, c’était laissé enivré au point de venir l'ennemi qu’il combattait. Une légende sans doute tout aussi cliché que la phrase du forgeron. Qui a raison ? Peut-être s’agit-il d’une question de choix et de personnalité, je n’en suis pas certain. L’heure n’était pas au débat et loin de moi l’idée de me définir comme un homme aux capacités extraordinaires.

Sitôt mes remarques prises en compte, l’aveugle aux yeux bandés fouille l’une de ses caisses de rangement. Sans réelle difficulté, il me jette une  sorte de pierre bleuâtre que je rattrape de volet. Le minerai au niveau de mes yeux, je la contemple sous tous ses angles.



Dis-je d’une voix faible.

L’homme que l’on me décrivait comme quelqu’un tantôt incompétent, tantôt doué avait su répondre à ce que je recherchais d’un claquement de doigt. Là où les autres ont échoué, il réussissait et il faisait taire ses détracteurs. Il ne restait plus qu’à voir le résultat final.



S’il ne présentait aucune expression sur son visage ou par ses gestes, je reste persuadé qu’il se plaît à entendre ce genre de compliment. Un passionné ne se contente jamais de l’argent. Je n’ai aucune idée du temps de travail que prend une telle commande, c’est confiant que je répond à sa demande d’un signe de tête. La patience est une vertu et à quoi bon obtenir une lame inachevée qui se briserait à la première confrontation.

Alors qu'il ne me répond pas d’autres questions, je me retrouve confus et désolé d’avoir montré autant de curiosité sans même me présenter, bien que je préférais m’assurer de son sérieux.



Mais puisque le sujet était définitivement posé sur la table à quoi bon l’ignorer.



Incroyablement doué, avait-il dit aussi. Etait-ce là une façon vantarde de se rassurer ou de faire peur à son interlocuteur ? Il est fort probable que non et je ne le sous-estimerais pas.

Kyoshiro connaissait bien son métier. Certes, vis à vis des minerais et de leurs couleurs il avait eu besoin d'aide, au départ, mais à présent sa forge était suffisamment organisée pour qu'il s'y retrouve. Chaque chose était à sa place et il y avait de la place pour chaque chose. Voilà ce qui lui permit de trouver le bon minerai, de la bonne couleur, pour l'aspect électrique que le nouveau client voulait pour sa nouvelle commande. Le Tadake ne put s'empêcher de sourire en entendant le garçon confirmer qu'il appréciait la couleur de cette pierre, avant de demander au forgeron de faire preuve d'imagination.
Décidément, il était comme tous les autres manieurs d'épées. Chacun voulait sortir du lot, faire la différencier par ses faits d'armes, évidemment, mais aussi avoir la plus belle ou la plus formidable des armes. Celle dont tous les enfants entendraient parler, dans les histoires, pour les générations à venir. Il ne jugeait pas, il comprenait ce désir et le respectait mais, lorsque le jeune homme lui demanda de faire preuve d'imagination, l'aveugle ne put que répondre :



Il ne se vantait pas de la qualité de ses créations parce qu'il voulait se mettre en avant, mais parce qu'il avait gagné le droit de le faire et qu'il n'avait aucune honte à ressentir, en ce moment. Son approche était différente, son travail était différent du reste des autres forgerons, ce qui expliquait sans doute que, si certains venaient ici par simple curiosité, ils restaient parce qu'ils appréciaient la qualité de ce qui leur était forgé. C'était sans doute mieux ainsi, car combattre le scepticisme par du travail acharné était un peu la façon de faire de l'enfant de l'hiver. Ainsi le jeune homme décida enfin de se présenter, ce à quoi le colosse répondit sobrement d'un :



Il était passé devant plusieurs forgerons, en venant ici, et pourtant s'était arrêté chez l'aveugle. Il devait savoir où il mettait les pieds avant de venir, autant expédier les présentations aussi rapidement que possible. Alors que le colosse finissait de rassembler les matériaux, commençant à chauffer le métal, avant d'y incorporer la sodalite quelques instants plus tard, il écouta son client préciser sa question. Comment faisait-il pour forger ? Il ne se mit à repenser à ses premiers mois de formation, dans la forge du père de son seul ami d'enfant. Oh qu'il était maladroit à l'époque, mais maintenant...maintenant il était vraiment dans son élément. Mais comment pouvait-il expliquer, logiquement, alors que c'était si indescriptible ? Se saisissant des pinces, pour attraper le bloc de métal hybride, prêt à être modelé, il répondit :



Il n'était jamais bon pour expliquer ce genre de chose, car seul un aveugle pouvait comprendre un autre aveugle. Enfin bon, le bla bla était terminé et, à présent, le forgeron pouvait commencer son œuvre. Faisant craquer sa nuque, il retira l'amas de métal du brasier, le posant sur l'enclume, avant de se saisir de son puissant marteau dans sa main droite. Prenant une profonde inspiration, se concentrant sur les quatre sens qui lui restaient, il leva son marteau et, avant de l'abattre sur le métal, annonça :

Je suis fasciné par une telle maîtrise. Les pinces attrapent le bloc de métal, laissant ignorer pendant une fraction de seconde la cécité du forgeron. Finalement, aucun secret ne se trouvait derrière ces impressionnantes créations et, s’il y en avait réellement un, qui suis-je pour en connaître les détails ? Ce qui compte, c’est d’obtenir cette nouvelle lame, signe d’une renaissance et d’une nouvelle page qui se tourne. Derrière mon corps maigrichon, j’esquissais pour la première fois un sourire sur mes lèvres. Je me sentais excité à l’idée de la tenir entre mes mains.



Je contemplais le travail de l’aveugle, fasciné par un tel travail. Le jeune garçon que je suis n’est pas vraiment difficile à impressionner tant ce monde m’est encore inconnu. Je n’en connais qu’à travers les conteurs d’histoires et de légendes ainsi que des rares livres qui existent. L’homme qui se trouvait devant moi se considère comme un être doué de talents innés et peut-être qu’il n’était pas le simple forgeron qu’il paraissait être sous son tablier blanc. Entre deux coups de marteaux, je tente de me faire entendre d’une voix audible sans l’empêcher de continuer son travail.



Je reconnais que mes questions sont légèrement intrusives et pourtant, je me laissais guider par mes émotions, ravi de découvrir de nouvelles personnes aux atouts extraordinaires.



Je remercie le forgeron d’une légère révérence. Si le client est roi, mon éducation me force à respecter ces hommes qui travaillent dur pour gagner leur vie.

Oh oui il rendait chacun de ses gestes si aisé et si simple, qu'on en oubliait parfois tout le travail nécessaire, en amont. Il n'avait pas toujours été aussi leste et habile de ses doigts, non, mais cette période de sa vie était loin derrière lui, à présent. Désormais il pouvait assumer pleinement le fruit de ses durs efforts et, lorsque son client du jour le compliment, comme à son habitude l'aveugle laissa sa modestie au placard, répondant en souriant, d'un :



Bon était un euphémisme, mais varier son vocabulaire ne faisait pas de mal, de temps à autres. Maintenant que le constat de son talent était établi, il pouvait se permettre de commencer à préparer ce qui allait lui être nécessaire, afin de préparer la commande «  unique » de son nouveau client qui, l'aveugle l'espérait, reviendrait peut-être régulièrement le voir. Le but n'était-il pas de fidéliser la clientèle, après tout ? Vint alors la question qu'il attendait. Quid de son talent au maniement du katana, pour lui qui se disait aussi samouraï ? La poitrine gonflée de fierté, ce fut sans aucune honte qu'il déclara alors :



Alors qu'il pensait avoir réglé tous les détails de la commande, un ajout lui fut demandé. Ajouter un anneau à la garde ou au pommeau n'était en rien compliqué mais, pour un aveugle, ajouter des inscriptions, des lettres à la base de la lame...c'était un exercice qui allait lui demander plus de temps, car il n'aurait pas le droit à l'erreur, au risque de devoir tout refondre et tout refaire. Avec le toucher il avait appris à reconnaître la texture et la forme des différentes lettres, il ne partait donc pas de rien, mais il y avait un monde entre le fait de connaître quelque chose et savoir le reproduire. Curieux, il demanda donc :



Son nouveau client ne tarda pas à lui donner sa réponse et, lorsque le nouveau venu lui demanda s'il devait laisser le forger seul, ce dernier hocha la tête, conscient qu'il allait avoir besoin de toute sa concentration, avant d'estimer une heure approximative, quant à la fin de son travail.



Enfin il pouvait commencer, enfin il pouvait se fermer au monde extérieur, et ne se focaliser que sur la lame qu'il allait devoir faire. Fondre l'alliage de métal et de minerai était simple, il ne lui fallut pas bien longtemps pour extirper ce bloc métallique du brasier, mais le martelage intensif lui prit plus longtemps qu'il ne l'avait estimé. Sans doute parce qu'il y avait un petit quelque chose en plus, ou simplement parce que la demande était spéciale. Les minutes se transformèrent en heures et, au bout d'un moment, la lame finale entre ses mains, Kyoshiro termina de graver les initiales à la base de la lame, avant de sentir son client revenir vers lui.
Un sourire vainqueur aux lèvres, bombant le torse de fierté, il lui tendit alors sa création, d'un :

Notre échange me rendait de plus en plus curieux face à cet étrange personnage. L’aveugle ou encore le forgeron s’avérait être un samouraï. Il cachait bel et bien des secrets et je suis encore loin d’avoir tout découvert. Sans même réfléchir, je lui avoue mon intérêt.



La création du katana s’avérait lente. Pas à cause de sa cécité, mais bien parce que la forge est un métier qui demande beaucoup de travail et de concentration. Malgré cela, il réussissait à prendre en compte mes indications tardives à mon grand plaisir.



Expliquais-je sans plus de détail.

L’inscription de ces initiales est à la fois une marque d’affection et une façon de ne jamais oublier pourquoi je me bats. Rien d’original, je ne dois pas être le premier à faire cette démarche. Je m’apprête à parcourir le monde seul et le moindre signe ou symbole qui me rappelleront ma famille me sortiront d’une tourmente inévitable. Sur les directives de l’aveugle, je quitte sa forge gardant en mémoire l’heure de rendez-vous.

Hors des galeries souterraines, je préférais rester près des collines des portes du village. Je suis si excité à l’idée de toucher cette nouvelle arme que je refuse de perdre une minute de plus. Tantôt faisant les cent pas, tantôt en pleine méditation, je patiente jusqu’à ce que le soleil se couche. La tombée de la nuit est un spectacle extraordinaire auquel j’aime assister. La nuit tombée, je me dépêche de retrouver le forgeron, qui, en ressentant ma présence, tendait déjà sa nouvelle création. Quelle beauté !



La lame bleue, la foudre qui la marque, l’anneau et les initiales. Tout y était. Le garde-main représentait également la foudre et j’en étais ravi. Sur l’anneau, un autre élément y était accroché et ajoutait une pointe raffiné. Je saisis délicatement l’arme par son manche de ma main gauche puis son fourreau de ma main droite. Une fois attaché à ma ceinture, je dégaine délicatement le katana laissant entendre ce satisfaisant bruit métallique. Mon visage parlait pour moi, je contemplais avec bonheur son élégance. Puis, dos au forgeron, j’effectue des coups de haut en bas, de gauche à droite et des attaques de pointe. Sa maîtrise se fera rapidement tant sa légèreté est impressionnante. De nouveau dans son fourreur, je me tourne vers l’aveugle, sourire aux lèvres.



Tout service mérite paiement et, malgré mes faibles revenus, je m’acquitte de ma dette sans aucun goût amer.