Le jeune homme avait une routine bien rodée qui, depuis quelques jours, s'en était trouvée légèrement transformée, pour le meilleur ou pour le pire. Oh les choses évoluaient dans le bon sens avec sa nouvelle camarade, Hotaru, mais ce n'était pas de cela dont il s'agissait. Alors qu'il avait enfin de finir de forger pour aujourd'hui, conscient que la journée touchait à sa fin, le jeune aveugle se rappelait des mots qu'il avait pu avoir, envers le chef de son équipe, quelques jours plus tôt, à la suite d'une  mission souterraine. L'argenté était resté en arrière et, quand Kyoshiro avait décidé de contourner quelques règles pour sauver les fesses de son supérieur, on avait invoqué la moral et le respect dû aux prisonniers pour l'empêcher de faire ce qu'il souhaitait.
Il n'était pas homme à s’appesantir sur le passé, et aurait pu mettre ces souvenirs en arrière plan, mais quelque chose l'empêchait de le faire. En effet, à sa grande surprise, Kyoshiro avait attiré l'attention du géant des montagnes et, ce dernier, reconnaissant enfin le travail acharné de la taupe, avait décidé de lui remettre une épée démoniaque. Fantastique nouvelle, non ? Probablement, oui, si cette lame n'avait pas appartenu au père du cavalier d'argent envers qui il était toujours fâché. Comment faire pour se montrer digne du geste du géant, lorsque ce cadeau l’emplissait d'une telle rancœur ? Il espérait qu'avec un peu de pratique il pourrait se vider la tête, raison pour laquelle il attrapa son sabre habituel, avant de se diriger vers le terrain d'entraînement.

Certains samouraïs s'arrêtèrent un instant, en voyant le colosse privé de lumière arriver, avant de reprendre leurs entraînements respectifs. Par habitude Kyoshiro ignora les regards qu'il put sentir tournés vers lui, avant de débuter des katas qu'il connaissait par cœur, avec une force et une vitesse qui transpiraient une évidente détermination. Il resta là, à répéter les mêmes mouvements, pendant ce qui lui sembla être une éternité jusqu'à ce que, à mesure que le temps passait, les autres samouraïs décidèrent un à un de rentrer chez eux, car l'astre lunaire était en train de voler sa place au soleil. Soupirant, sentant enfin qu'il n'y avait plus âme qui vive sur ce terrain, mis à part lui, le colosse s'approcha du banc où il avait laissé ses affaires, et surtout la lame – et son fourreau – entourée d'un fin tissu, qu'il n'avait pas osé sortir, depuis qu'il l'avait reçu du géant des montagnes.
Laissant sa main courir sur le tissu, sentant les courbes du fourreau par en-dessous, se pensant seul, le Tadake laissa quelques unes de ses pensées filtrer, à voix haute.



Peut-être était-il fou mais, forgeron de son état, il savait qu'un katana était bien plus qu'un instrument de mort. Le forgeron y mettait une partie de son âme, de son énergie vitale et de son chakra à la création, ce qui expliquait que certains décident de baptiser des lames, pour rappeler leur caractère unique. Cette lame était imprégnée de l'énergie du démon, ou du moins était-ce ce que son titre impliquait, alors Kyoshiro ne pouvait pas la considérer comme un simple outil, surtout vus les illustres mains entre lesquelles elle avait été, avant les siennes.
Il resta là, un moment, à dessiner les courbes du fourreau de ses doigts jusqu'à ce que enfin, dans un soupir, il ne retire le tissu qui entourait l'arme, pour révéler la beauté de sa garde au grand jour. Par réflexe il referma la main autour du manche de cette lame et, immédiatement, ressentit la différence de sensation par rapport à un katana. Cette lame était probablement plus courte que son katana, plus légère, et n'aurait donc pas besoin de ses deux mains pour être maniées : une information qu'il garda dans un coin de sa tête, se demandant si développer un style à deux lames, avec Sekitsui et une autre lame serait judicieux, ou non. Oh il n'en était pas là, il allait devoir s'habituer à son maniement avant de vouloir aller plus loin mais, connaissant son acharnement légendaire, connaissant le génie de l'effort qu'il était, cela ne lui prendrait guère longtemps.



La voix froide et neutre du jeune homme vint briser le silence qui s'était installé sur ce terrain, alors qu'il venait de sentir l'arrivée de l'énergie de son chef d'équipe. Coïncidence, ou voulait-il vraiment le voir ? Cela n'avait que peu d'importance car, de toute façon, le sujet de cette lame allait venir sur le tapis, à un moment ou à un autre. Peut-être que le cavalier d'argent était peut-être au courant de la nouvelle acquisition du colosse, ou peut-être que cela serait une totale surprise, mais le Tadake supposait que c'était mieux qu'il soit au courant, maintenant, plutôt qu'en plein milieu d'un combat.

Quelques jours de repos comme il n’en avait que trop rarement eu ces derniers temps, dont il profita pour remettre d’aplomb la tombe de ses parents. Un peu d’eau, de quoi faire scintiller la pierre tombale des Takayanagis, défunts, et le Jonin se mit au travail sans plus tarder. Il faisait froid en cette fin de journée, le crépuscule laissant apparaître aux Seizanjins les plus attentifs ce ciel d’une teinte écarlate similaire au tapis de feuillages s’étendant à même le sol dans une grande partie du village, là où les arbres poussaient librement. Un brin de désherbage et quelques fleurs déposées, Hikaru se tint là, devant ses parents et joignant ses mains en s’agenouillant doucement, il porta d’abord son regard sur la pierre tombale avant de le porter plus loin, vers les sommets où les nuages épousaient parfaitement les contours des plus hauts pics.

Ils reposaient bien plus haut encore que ces sommets atteignables à l’œil nu, et continuaient de veiller sur lui autant qu’il pensait à eux chaque jour que les déités offraient au Cavalier d’Argent pour vivre sa propre vie, construire son propre chemin. Toutes ses pensées allèrent en leur direction, quelle que fut leur endroit, il savait au fond de lui que la mort n’était qu’une étape sur le chemin de la vie, inéluctable et pourtant transitoire, menant à ces images de divinités immortelles et trônant dans les cieux. Siégeaient-ils là, ou ailleurs ? Le pauvre mortel conservait la Foi, sans n’avoir lumière aucune, et se releva après une bonne demi-heure, figé dans sa prière.

Doucement, à mesure que le Seizanjin marchait, les premières étoiles s’illuminèrent dans le ciel qui se toisait d’un voile sombre qui gommait peu à peu la voûte rougeâtre, laissant les couleurs chaudes être remplacées par le sombre décor, propice aux crocs de cette saison rude, propice au froid. Ayant vocation à rentrer par une météo aussi peu clémente pour de si légers habits, c’est en survolant les terrains d’entraînement que le Jonin aperçut l’un de ses élèves.

Oh, il se souvenait bien de cette représentation de l’électron libre qui n’avait pas vu du bon œil ses décisions. Cependant, sa manière de raisonner dans ce genre de situation était éternellement calme et imperturbable. Représenter Seizan, l’Empire même aux yeux du Monde entier, Hikaru n’avait pas le luxe de céder à ses propres caprices et suivait l’étiquette, cette marque de performance qu’il s’efforçait de suivre à la lettre, quitte à paraître rigide aux yeux des plus tempêtueux Soldats.

D’une marche silencieuse, sans pour autant chercher à se cacher, Hikaru s’approcha d’une manière intéressée, ayant laissé derrière lui tout ce qui avait pu créer un quelconque sentiment de malaise. La mission dans les Souterrains avait reçu une conclusion acceptable et tous étaient en vie, c’était bien suffisant pour le jeune homme qui avait refermé son compte-rendu, adressé au Kage en même temps qu’il avait arrêté de ressasser cette histoire, classée.

Tout le sang-froid du Soldat pourtant en pleine maîtrise, se volatilisa aussitôt, lorsqu’il toisa de ses prunelles un sabre bien particulier. Cette aura, cette forme, immanquables pour le Cavalier d’Argent, lui fit écarquiller les yeux un instant devant cette silhouette qui tenait la lame qu’il ne connaissait que trop bien. Un mince filet d’espoir, celui qui parfois amenait à voir les morts que l’on ne voulait jamais considérer comme tels, ceux que l’on voulait auprès de soi pour toujours, un espoir qui s’envola aussitôt, arrachant un maigre sourire sur le visage du Shinobi, qui s’approcha doucement, pas après pas, lorsque Kyoshiro l’interpella avant qu’il ne puisse s’introduire lui-même.



Un simple mot, empli de sentiments et d’émotions qui emplissaient l’esprit du jeune homme qui s’arrêta, à quelques pas de son élève. Son regard se posa sur cette arme, avant de se reporter vers son nouveau manieur. Une voix froide l’avait accueilli, un sentiment persistant que Hikaru comprit rapidement, mais qu’il ne partageait pas pour autant, répondant d’une voix plus posée, emprunte de contentement.



Souriant, il ne perdit pas de temps. Surpris, il sût garder son calme après l’étonnement pour poser là une requête originale mais qui semblait lui tenir à cœur.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, Kyoshiro n'était finalement qu'un enfant perdu dans le noir, avançant à tâtons, attendant de pouvoir trouver la sortie, de pouvoir se trouver soi-même. Impétueux et fier, il ne pouvait accepter d'aide de quiconque, comprenant que sa victoire n'aurait aucune valeur s'il devait la partager avec quelqu'un d'autre. Certes il savait qu'il faisait partie de quelque chose de plus grand que lui, depuis qu'il était devenu samouraï, qu'il était un maillon d'une chaîne s'étendait à tout un domaine, à tout un Empire, mais il n'avait jamais souhaité perdre son individualité jusqu'à présent.
Oh oui il enviait les plus patriotes de ses frères d'armes, ceux qui mettaient Seizan avant leurs propres désirs alors que lui, très franchement, n'était capable de l'inverse. Cette existence était la sienne et il en goûterait tout le nectar, sans partage, jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Voilà pourquoi il travaillait bien mieux en solitaire, voilà pourquoi il s'entraînait de nuit, quand il était le moins susceptible d'être dérangé ou sollicité par ceux qui ne feraient que retarder son ascension. Il n'avait pas la patience de se traîner des boulets avec lui, surtout maintenant que le géant des montagnes avait posé son regard sur lui et que, de toute évidence, il attendait de très grandes choses de l'aveugle, à l'avenir.

Il ne pouvait pas ralentir, surtout maintenant, même lorsque son corps lui criait de prendre un repos dont il avait cruellement besoin. Il se reposerait quand il serait mort, pas avant et, ce soir, il consacrerait les heures à venir à la découverte et maîtrise du formidable cadeau qui lui avait été fait. Enfin c'était l'idée de départ, jusqu'à ce qu'il sente arriver le fils de l'ancien propriétaire de la lame qu'il tenait dans sa main. L'homme qu'il avait probablement le moins envie de voir, aujourd'hui, car maintenant qu'il s'était saisi de Sekitsui Kyoshiro pouvait sentir le poids de cette arme et, surtout, le poids de l'héritage qui était à présent le sien.

Il avait sa fierté et ne pouvait pas répéter ce qu'il avait dit au géant des montagnes, pas mot pour mot, pas au cavalier en tout cas alors, une fois le silence brisé, il resta muet, écoutant son chef d'équipe plonger dans les souvenirs d'une vie passée, quand cette lame appartenait encore à un autre. Kyoshiro, incarner des valeurs dignes d'un samouraï ? Connaissait-il aussi mal l'aveugle, pour se permettre une telle affirmation ? Cela aurait été presque amusant, ou ridicule, en d'autres circonstances mais, pour l'heure, l'homme privé de lumière précisa :



Avant qu'elle le choisisse, voilà la tournure de phrase souhaitée. Il aurait pu en choisir l'une des deux autres, mais non, son instinct et son corps lui crièrent que c'était celle-ci qu'il lui fallait, et pas une autre. Il ne saurait expliquer comment il avait su mais...il avait été sûr, dés que ses doigts coururent le long de cette lame serpentine. Bien sûr qu'il était curieux d'en savoir plus sur cette arme, sur tous ses détenteurs précédents mais, pour l'heure, il ne put rester insensible à la demande du cavalier, même si une certaine rancœur subsistait à son égard.
Kyoshiro était peut-être un salopard égoïste, mais son cœur n'était pas glacé pour autant. Se redressant donc, il extirpa la lame éclatante d'un teint bleu-métallique de son fourreau, avant de répondre doucement :



Ce n'était pas habituel de le voir faire autre chose que se vanter de ses propres prouesses, mais un peu de franchise ne faisait pas de mal, de temps en temps. Il lui faudrait un moment pour se changer, pour retrouver ses réflexes et son rythme mais, quand cela serait fait, sa courbe de progression serait bluffante, comme d'habitude. Il devait apprendre à découvrir Sekitsui, à la dompter mais, pour cela, il devait revenir dans la transe guerrière qui était la sienne. Ainsi il se leva, s'écarta pour avoir de la place et laissa courir ses doigts le long de la lame, sentant les démarcations entre chacun de ses crocs, pour deviner sa lame et sa forme finale.
Levant la main à son visage, il se débarrassa du bandeau couvrant ses yeux, le fourrant dans sa poche avant d'ouvrir les yeux, dévoilant ses orbites lactées à l'astre solaire, avant de commencer à trancher l'air, par quelques katas qu'il aurait pu réaliser les yeux fermés, enfin...vous m'avez compris. Le rythme était bon, la prise en main était bonne notamment grâce à la légèreté de la lame, mais ce fut lorsqu'il comprit le pouvoir de la lame, lorsqu'il réalisa ce qu'il avait en main, que l'aveugle s'autorisa un sourire et, en un mouvement de poignet, la lame s'allongea pour s'étaler pleinement, à la manière d'un fouet muni de crocs. Enfin, enfin la véritable danse pouvait commencer.

Les yeux ouverts, comme s'il était capable de voir quelque chose de bien plus lointain que le pouvoir entre ses mains, le Tadake laissa les katas de côté, choisissant de laisser son corps s'exprimer. Il bondit en avant et les lames vinrent claquet dans l'air, le premier croc venant caresser le sol avant qu'il ne donne un autre coup, puis un autre, puis encore un autre et, ainsi, ce ne fut plus un kata mais une véritable danse guerrière qui prit place, sur ce terrain d'entraînement.
C'était beau et évident, chaque seconde permettant à l'aveugle d'être plus en symbiose avec son arme. Chaque coup était plus rapide mais, par moment, il sentait les crocs de son arme venir caresser son visage de près, parfois un peu trop près, alors qu'il ramenait le fouet à lui pour préparer son prochain pas de danse. Il avait beau se vanter d'être le meilleur, de s'être forgé à partir de rien mais, en cet instant, quiconque le regardant pourrait deviner que cette maîtrise des armes, cette maîtrise de son environnement : personne ne pourrait jamais les lui enlever. Combien de temps cette première danse dura ? Il ne se le sut pas mais il se stoppa au bout d'un moment, faisant reprendre à Sekitsui sa forme originelle, avant de repenser aux propos lancés au géant des montagnes, ce jour-là.



Se battre avec l'une de ses créations était une chose mais cette épée démoniaque...elle était définitivement d'un tout autre calibre. Il le savait, il le sentait et, maintenant qu'il le comprenait, il souhaitait obtenir plus d'informations sur ses précédents détenteurs. Ainsi, toujours debout, effectivement quelques mouvements lents pour continuer à s'habituer au poids de la lame, il demanda alors au cavalier :