Cela ne faisait que quelques jours que Kyoshiro était sorti de l'hopital, après cette douloureuse mission qui lui avait tout de même valu une délicieuse récompense. Son corps semblait s'être à peu près reposé et, enfin, ce matin il avait rallumé les feux de sa forge pour la première fois depuis...ce qui lui semblait être une éternité. Retourner à sa routine avait quelque chose de confortable et d'apaisant, de familier, mais cela aurait été un mensonge que Kyoshiro était le même qu'avant son départ pour sa mission.

Cette expédition avait réussi à blesser l'ego de l'aveugle autant que son corps, bien sûr, mais elle avait surtout réussi à soulever beaucoup de questions dont le Tadake ignorait jusqu'à présent l'existence. A moins qu'il n'ait que volontairement ignoré leur existence, jusqu'à présent. Mais cela ne faisait aucune différence, le principale était de se rendre compte que, suite à la conversation avec Saki, il ne semblait plus sûr de grand chose. Jadis il avait estimé qu'être fort était le seul objectif qui méritait son attention, la seule voie qui valait vraiment le coup mais, à présent, une seule question subsistait. Devenir fort, oui, et après ?

Il avait passé le reste de son séjour hospitalier à se poser la question sous diverses formes, sans jamais trouver de question satisfaisante. Alors, une fois libéré, il s'était dit qu'une bonne journée de dur labeur était exactement ce dont il avait besoin, afin de se vider la tête. Une fois les souterrains enfin vides et le calme relatif revenu sur le village, Kyoshir avait attrapa son katana dans une main, et Sekitsui dans l'autre, avant de se diriger sur le terrain d'entraînement où, à cette heure tardive, il était assuré d'être seul.

Au moins dés les premiers instants eut-il la confirmation que son  corps n'était pas totalement rouillé. Il répondait correctement aux ordres de l'aveugle et, bientôt, le colosse à la blanche crinière se laissa emporter par les mouvements de sa lame,tranchant l'air seconde après seconde, jusqu'à ce qu'une voix inconnue ne vienne perturber sa méditation en mouvement. Un autre combattant tardif ? Curieux, l'aveugle s'arrêta un instant et, tournant ses yeux bandés dans la direction de la voix, répondit à la question d'un simple :



Il n'avait pas besoin de montrer sa détermination à quiconque autre que lui-même, cela au moins il l'avait compris et, quand au sommeil...ce n'était pas qu'il ne trouvait pas le sommeil, mais plus qu'il l'évitait parce qu'il avait trop à faire. Surtout après avoir été cloué au lit pendant quelques jours. Ainsi, soupesant sa lame pour voir combien de force il lui restait encore dans les bras après ce repos imposé, l'aveugle expliqua sobrement :



Cela pourrait être pris pour une attaque, ou non, cela n'avait aucune importance pour lui. On lui posait une question ,il répondait sans filtre : ainsi était l'aveugle. Effectuant un moulinet de sa lame, comme si son corps avait oublié son poids, Kyoshiro laissa sa curiosité filtrer par un franc :

Officiellement Kyoshiro venait ici, le soir, car son rythme de vie était ainsi mais aussi parce qu'il n'avait aucune envie d'attirer tous les curieux à la recherche d'un partenaire compétent. Il avait son propre rythme, sa propre façon de s'entraîner, sa propre façon de faire les choses et rares étaient les personnes à même de le suivre dans son délire. Ne pas vouloir se ralentir pour les autres, maximiser l'efficacité de ses sessions même si cela le poussait à être seul, voilà la raison que l'aveugle donnait aux curieux qui venaient à lui, le soir, comme c'était le cas aujourd'hui.

Cette réponse était valable, certes, mais n'était surtout qu'une partie de la vérité car, à dire vrai, le Tadake ne voulait surtout pas d'audience pour le voir galérer. Il ne voyait pas au sens propre du terme, il ressentait les choses à sa manière mais, parfois, même les gestes les plus basiques lui demandaient une concentration de tous les instants. Alors oui cela lui arrivait de se rater, de galérer sur des mouvements simples quand sa concentration n'était pas au rendez-vous et, s'il devait réussir, ce genre de bévue n'était pas tolérable. Alors il préférait limiter son audience mais, de toute évidence, aujourd'hui cela ne semblait pas être une option.

Si une partie de l'aveugle semblait intéressée par le fait de hausser le ton, pour chasser ce curieux, ce fut la curiosité du colosse qui fut la plus forte. Un noctambule, hein ? Hum, pourquoi pas. Quand le commentaire de l'homme parvint aux oreilles de l'aveugle, quant au fait de ne pas avoir de compagnie aussi tardive, Kyoshiro se fendit d'un sourire amusé.



Pour ne pas dire tout le temps, si on en croyait son expérience. Il avait été assez absent ces derniers temps mais, de toute évidence, l'aveugle allait rapidement reprendre son rythme habituel. Bientôt ce terrain résonnerait, à nouveau, au rythme des coups de sa lame. Mais pour l'heure il avait une discussion à mener, le sujet abordé le prenant assez au dépourvu. Parler de bushido avec lui ? Sérieusement ? L'inconnu n'avait pas mesuré ou identité son audience, de toute évidence.

Ricanant légèrement alors qu'il se dirigeait vers le fourreau, pour rengainer son arme, ce fut sur un ton sec et sans aucune forme d'empathie que le Tadake évoqua clairement ce qu'il pensait des préceptes du Bushido.





Au diable l'honneur et la vertu. L'honneur n'avait jamais rempli son estomac. La vertu n'avait jamais empêché ses congénères de le traiter comme la merde écrasée qu'il devrait être. Il voulait gagner sa place par sa force et non pas la fermeté de ses principes moraux.



Il grossissait le trait, évidemment, mais c'était l'idée principale. Attrapant enfin le fourreau, il y rangea sa lame avant de finir par un :

Pendant longtemps Kyoshiro avait cru qu'il pourrait être comme tous ces héros, ces guerriers de jadis dont on contait les exploits dans les livres d'histoire. Ces guerriers qui inspiraient des générations entières de combattant, ces dernier aspirant à leur ressembler ou, à défaut, à égaler leurs exploits légendaires. Pendant longtemps l'aveugle avait cru que, par la force des choses et suffisamment de détermination il pourrait leur ressembler car, ainsi, plus personne ne pourrait jamais douter de l'intensité avec laquelle son existence pourrait briller. Plus personne ne pourrait détourner le regard, et ignorer sa flamboyante présence en ce monde.

C'était un rêve d'enfant. Le rêve d'un enfant forcé de grandir trop vite, forcé de sacrifier tout ce qu'il avait et tout ce qu'il était, forcé de se réinventer pour survivre. Le rêve d'un enfant qui ne souhaiterait cette existence à personne d'autre, pas même à lui si c'était à refaire. Aujourd'hui, si son objectif de grandeur et de gloire restait inchangé, une seule question demeurait en suspend : pourquoi ? Pour faire du bruit ? Pour prouver à ses géniteurs qu'ils s'étaient trompés sur son compte ? Pour prouver qu'il valait mieux que sa différence ? Ou simplement pour qu'on se souvienne de lui, une fois que son heure serait venue ? A moins que ce soit un mélange de tout à ma fois ?

Possiblement, probablement, certainement.

Mais il avait encore beaucoup de chemin à faire. Il n'était peut-être pas le plus fort de son village mais, assurément, il était le plus déterminé d'entre eux. De cela, au moins, jamais il n'en avait douté. Et aujourd'hui on venait l'interroger sur la voie du bushido, un guide dont les préceptes étaient à l'opposé du genre de vie qu'il voulait mener. Vivre honorablement...pour quoi faire ? En quoi était-ce amusant, d'essayer d'être la meilleure version de soi-même, dans le but d'être...vertueux ? Cette seule idée faisait toujours sourire l'aveugle, car elle était simplement ridicule à ses yeux.

Il écouta donc son invité du soir expliquer qu'il n'était pas adepte de cette voie non plus, ce qui le rendait déjà de meilleure compagnie que beaucoup d'autres à Seizan. Il semblait vouloir faire table rase du passé et repartir à zéro, avec des concepts nouveaux et plus au goût du jour. Ce n'était pas une mauvaise idée en soi, Kyoshiro en comprenait l'attrait, cependant il tempéra sa réponse d'un :





Lui ? Oh lui était un sanglant guerrier et n'avait aucune intention de prétendre le contraire. L'aveugle était un guerrier et non un samouraï, la distinction était peut-être mince pour d'autres mais pas pour lui. Perdu dans ses pensées à présent, l'homme se concentra sur le fourreau qu'il sentait dans sa main droite. Repensant à ce code de conduite qu'on avait essayé de lui inculquer, jadis, il en évoqua les préceptes sans vraiment s'en rendre compte, au départ.



Sortant de ses pensées, il leva ensuite son visage bandé vers le ciel, repensant aux dernières épreuves avant de se fendre d'un :



Le courage, par exemple, était la flamme qui jaillissait dans le cœur de chaque guerrier n'ayant pas peur de  mourir et, cela, c'était une flamme qui devait être conservée précieusement. Souriant à cette idée, le visage de Kyoshiro s'abaissa à nouveau et, une dernière fois, il s'adressa à son nouvel interlocuteur d'un étrangement humble :



Il n'était personne. Pas encore, en tout cas.

Mais qu'est-ce qui lui avait pris, de rentrer dans le jeu de cet homme dont il ne savait rien, pas même le nom ? Était-il proprement incapable de fermer sa grande bouche, et couper court à un dialogue qui ne l'intéressait pas ? C'était à croire que, par moment, il ne faisait que parler que pour se délecter du son de sa propre voix. Lui qui était à peine sorti de l'hôpital, peinait à reprendre sa vie d'avant et, ce soir, le seul moment de la journée où il avait la paix, il se trouvait pris dans une bataille d'idée concernant les valeurs du bushido. Si son adversaire était tombé sur  Hotaru il aurait sans doute eu une interlocutrice plus réceptive, mais là...Kyoshiro n'avait jamais essayé d'adhérer aux valeurs du bushido, sans doute parce qu'il se retrouvait dans trop peu de leurs préceptes.

Pendant quelques temps, durant les premiers instants de sa formation, il s'était dirigé vers plusieurs épéistes à la recherche de réponses, de conseils, et d'une autre voie à parcourir, mais en vain. Alors il avait abandonné l'idée de suivre une voie déjà tracée depuis des siècles, comprenant bien que, tout atypique et unique qu'il était, son chemin devrait l'être tout autant. Après tout, avait-on déjà vu un épéiste tel que lui ? Un être tel que lui ? Probablement pas, alors il devait arrêter d'essayer de rentrer dans les mêmes cases que tous les autres combattants qui l'avaient précédé.

Kyoshiro était connu comma la grande gueule du village, comme un individu profondément arrogant et brutalement direct, mais il n'en restait pas moins un homme capable de réflexion, car une telle chose était nécessaire pour quiconque souhaitant apprendre de ses erreurs. Alors oui, il avait quelques avis sur la question du bushido mais, en général, ces avis restaient privés...jusqu'à aujourd'hui en tout cas. Que risquait-il, après tout ? Vint alors la fameuse question sur son héritage, la trace qu'il laisserait dans les fondations même de ce monde et, si jadis la réponse du Tadake était claire comme de l'eau de roche, depuis le début de son questionnement elle se devait d'être plus...nuancée. Se frottant l'arrière de sa tête de sa main libre, signe de réflexion, il avoua :



Une réflexion un peu trop profonde, pour quiconque connaissait Kyoshiro l'arrogant, mais l'introspection avait parfois du bon. Il était bien différent de l'homme qu'il était, ne serait-ce qu'un an  plus tôt. L'ancienne version de lui aurait envoyer promener cet inconnu. La nouvelle était plus...curieuse.



En était-il un, lui-même ? Il avait la volonté de l'être, mais les récentes expériences avaient su lui montrer qu'il avait encore un long chemin devant lui, avant de devenir le genre de guerrier qu'il souhaitait être. Mais il devait bien avouer que son camarade soulevait un point intéressant. Que faire, lorsque le bushido ne suffirait plus ? Il n'y adhérait pas, ses réponses ne pouvaient donc qu'être hypothétique, mais l'aveugle commençait à deviner où son camarade voulait en venir. Curieux, il demanda confirmation par un :

Pour être parfaitement franc, Kyoshiro avait toujours eu du mal à comprendre pourquoi ses congénères accordaient autant d'importance à ces guides moraux qu'étaient les réligions et, d'une certaine façon, le bushido également. Enfin non, il comprenait que certaines personnes pouvaient en avoir besoin, mais il n'avait jamais compris pourquoi ses instructeurs avaient eu du mal à accepter qu'il n'adhère pas au bushido aussi aisément que ses petits camarades. Certes ces valeurs étaient louables et honorables, à n'en pas douter, mais qu'y avait-il de si difficile à comprendre dans le fait qu'il ne souhaite rentrer dans aucune case ? Était-ce si inconcevable qu'il souhaite créer sa propre voie, son propre chemin et n'ait aucunement l'intention d'embrigader ou convaincre qui que ce soit ?

Il voulait être un guerrier à sa façon, avec ses propre valeurs et sa propre version de ce qui était bien ou juste, il n'avait aucunement la volonté de devenir une figure publique autrement qu'au travers des récits de ses exploits futurs. Certains de ses collègues étaient bien plus sages et charismatiques que lui, plus à même d'être suivis dans le cœur de la bataille et, si jadis l'aveugle avait souhaité aussi pouvoir inspirer les foules, il n'était plus certain que cela puisse arriver, un jour. Le feu qui brûlait dans son cœur était une arme, plus qu'un outil capable d'inspirer les masses. Il le savait depuis longtemps, mais il lui avait fallu une discussion avec une très chère amie pour arrêter d'essayer d'être ce qu'il n'était pas.

Et aujourd'hui, une fois encore, il était tiraillé entre le fait d'agir pour servir ses désirs de gloire et faire ce qui était juste, pour lui. Ainsi, quand son camarade mentionna la trace qu'il laisserait dans ce monde, l'idée d'être connu comme l'instrument d'une nouvelle vision vers un futur radieux, l'aveugle se perdit dans ses pensées, quelques instants. Tentant ? Cela l'était, oui, mais...



Mais qu'en savait-il, cet homme, de ses prouesses après tout ? Pour autant qu'il le sache, il ne savait même pas qui était l'aveugle, alors pourquoi perdre son temps à lui expliquer ses motivations profondes ? Il était préférable d'aller au plus simple et plus direct, car le meilleur moyen de montrer qu'il était le plus grand des guerriers c'était encore de se battre pour le prouver. La force, après tout, n'était-elle pas la première chose que les guerriers reconnaissaient ?

Le colosse à la pâle crinière resta donc silencieux en entendant l'inconnu mentionner des réformes du bushido, insistant sur le fait d'accepter plus aisément les utilisateurs du chakra, en mettant l'accent sur la maîtrise de cette énergie. Il était vrai que les épéistes hybrides – ceux qui maniaient le katana et le chakra à égale mesure – étaient vus d'un regard méprisant par les plus conservateurs, comme si le chakra pouvait entacher la voie du sabre, raison pour laquelle Kyoshiro expliquait toujours qu'il voulait être le meilleur combattant, et pas uniquement le plus grand samouraï car, à ses yeux, il n'en était pas un.

Il était un épéiste talentueux. Détenteur de l'épéiste démoniaque Sekitsui et maître du feu blanc. Il était chacune de ces choses et toutes à la fois : il n'en avait et n'en aurait jamais honte. Mais lui venait maintenant une question : était-ce bien nécessaire de créer un nouveau courant de pensées, juste pour y inclure les manieurs de chakra ? Les ninjas avaient leur propre code, leur propre façon de percevoir le monde et leur recherche de perfectionnement constant. Ainsi, sceptique, l'aveugle remarqua :



Certains des meilleurs épéistes de Seizan l'étaient même dépourvus de chakra. Cette énergie n'était qu'un outil, mais pas le seul à disposition de tous ceux qui voulaient tracer leur chemin sur la voie du guerrier.



Si les gens étaient incapables d'accepter qu'un épéiste utilise aussi du chakra, et bien tant pis. La volonté de faire avancer les choses était louable, à n'en pas douter, mais Kyoshiro ne pouvait décemment pas être l'instrument d'un changement qu'il ne pensait pas absolument nécessaire. Après tout :



Et n'était-ce pas le plus important des codes, au fond ? Les valeurs n'étaient qu'un guide et rien d'autre, selon l'aveugle. Il comprenait très bien où son interlocuteur voulait en venir mais, avant qu'il n'aille plus loin, Kyoshiro essaya de clarifier la situation d'un franc :



Et cela lui convenait bien. On ne parlerait pas de ses valeurs ou ses croyances, dans les livres d'Histoire, mais de ses victoires triomphantes et c'était bien suffisant pour lui.