J’étais quelque peu frustré par la situation. Au-delà de la déception de ne pas avoir pu obtenir ce que je désirais réellement, l’intervention de La Paresse du Mugen venant confirmer l’intérêt tout particulier du corps symbiotique que nous avions vaincu, la « généreuse » donation dont ce Yuuda Teiseichou avait quelque peu parlée. Comme je m’y attendait, ce n’était pas de simples cellules. C’était des cellules humaines comme beaucoup d’autres mais elles avaient une particularité certaines, celles qui, au-delà d’être parfaitement conservées, dataient d’une centaine d’année. Plongé dans de nombreux ouvrages, je passais à côté d’une information jusqu’à qu’une lueur dans mon esprit jaillisse. Dans mon antre, je délaissais mon laboratoire pour rejoindre la bibliothèque familiale où nombreux étaient les ouvrages du passé, des pans d’histoire que chacun de nous se doit de connaitre, d’une part, pour ne pas oublier, et dans un second temps pour ne pas répéter les erreurs du passé. Feuilletant quelques ouvrages, mon regard s’arrêtant sur une période pas si lointaine que cela. Mon esprit divaguait légèrement, mais une pensée toute simple fit son chemin jusqu’à moi. Se pouvait-il que … Non ? Impossible ? Ou peut-être que si justement … Mais dans ce cas, pourquoi avoir délaissé un tel objet ?

Malgré l’étendue de mes connaissances et de mes talents actuels, je savais que je n’arriverais à rien de plus en l’état. J’étais sur un puzzle dont j’avais certaines pièces, un puzzle que j’essayais de reconstituer sans savoir à quoi il devait ressembler à la fin et pire, sans savoir le nombre de pièces qu’il me manquait pour finaliser tout cela. Mais une question me taraudait. Pourquoi le Mugen nous avait mis sur cette voie ? Fatalement, plus je réfléchissais à la situation, plus j’avais de question et moins les réponses se faisaient miennes. De quoi me frustrer davantage. Pour autant, pour l’heure, à mon grand regret, je n’avais nul autre choix que de chercher une certaine aide. Mais à qui me fier pour l’heure ? Je Le servait et Ses desseins étaient les miens. Les ressources de la Cathédrale Noire seraient-elles suffisantes ? Si elle devait regorger de connaissances diverses et variées, j’avais peur que dans le cas présent ce ne soit pas suffisant. Je devrais y retourner pour y accomplir quelques œuvres prochainement, mais dans l’immédiat, je ne pouvais m’orienter que vers Seizan. Trop peu intégré, je m’en rendais compte désormais, je n’avais que peu de personnes vers qui me tourner et la première qui me vint en tête était Kyoshiro. Il avait été là, c’était un gradé du village, il aurait peut-être accès à un flot d’information qui n’était actuellement pas à ma portée.

A l’hôpital pour soignée ses blessures, le sabreur était encore en soin. Au moins il était vivant et pourrait peut-être me servir une seconde fois. Déambulant au sein de l’hôpital qui accueillait également le jeune Kitai, j’arrivais finalement à destination, après avoir appris des personnes en charge des soins que ses jours n’étaient pas en danger. Frappant à la porte de la chambrée, j’entrais sans attendre de réponse et prenais une chaise posée dans le coin de la pièce pour m’asseoir à proximité du blessé qui recouvrait ses forces et déposer un petit panier garni de fruits sur le rebord du lit.

Les grandes pontes devaient voir cette mission comme un grand succès. L'objectif était accompli et l'équipe était revenue à la maison, à peu près dans un seul morceau. Alors pourquoi le chef d'équipe gardait-il un goût de déception au fond de la gorge ? Pourquoi se répétait-il chaque détail de cette mission, dans sa tête, encore et encore, depuis qu'il avait cloué dans ce fichu lit d'hôpital ? Certes il agissait toujours aussi, c'était sa façon à lui de tout analyser, de tout contrôler pour tirer des leçons de ses rares échecs. Mais ici...ici la réflexion était remplie d'amertume et d'une certaine frustration, frustration qu'il avait pu partager avec Saki mais qui ne l'avait pas fait se sentir mieux pour autant.

Les blessures du jeune homme avaient été résorbées et, si la douleur était toujours présente, elle se faisait moindre. Kyoshiro pouvait respirer sans avoir mal, bouger sans souffrir le martyr et, bientôt, même contre avis médical, il pourrait sans doute commencer à refaire quelques exercices dans sa chambre, histoire de ne pas laisser la machine rouiller trop longtemps. Il savait que si Hotaru le voyait ainsi  il se mangerait une claque derrière la tête mais, heureusement, elle n'était pas là aujourd'hui.

Si le Tadake devait bien trouver quelque chose de positif à cette immobilisation forcée, c'était que cela lui avait au moins permis de rattraper une fraction de son sommeil en retard. Après tout, à part dormir, qu'avait-il à faire dans ce mouroir ? Ce n'était pas comme s'il pouvait profiter de la vue, de toute façon, ou bien faire quelques pompes sans que ses bras et sa poitrine ne commencent à le lancer terriblement. Il devait donc faire ce pour quoi il était si peu doué : être patient.

Il avait quelques visites. Très peu, certes, mais il ne s'était clairement pas attendu à ce que l'une de ces visites soit celle du dernier membre de son équipe. Que Kitai soit là n'était pas une surprise, il était aussi un patient, mais Kasumi ? Le Tadake se doutait bien qu'il n'était pas là pour sociabiliser, déjà parce que les deux n'avaient rien en commun, et parce qu'il n'avait pas l'air du genre très sociable, en général. Alors, quand il rentra dans la pièce et proposa une pomme, Kyoshiro déclina l'offre généreuse d'un balayage de la tête, avant de se redresser sur son lit, non sans une certaine douleur à la poitrine.

Reprenant son souffle, se rappelant qu'il n'avait actuellement plus son bandeau autour des yeux, l'aveugle ramena l'une de ses jambes pliées contre sa poitrine, avant d'aller à l'essentiel en demandant :



Peut-être était-ce son côté cynique, mais Kyoshiro estimait que, quand quelqu'un venait vers lui, c'était toujours pour une très bonne raison. Que chaque action comportait un intérêt, même secret et, ici, ce n'était en rien différent. Soit il se trompait, soit Kasumi était venu lui parler de la mission car, au fond, n'était-ce pas la seule chose qu'ils avaient en commun, à part leur affiliation à Seizan ?

La réponse était aussi froide qu’elle était franche et simpliste. Kyoshiro malgré sa cécité avait quelques clairvoyances certaines. Dommage que ce soit maintenant et pas lors de notre mission. En attendant, il avait bien compris que ma visite n’avait rien d’amical. Ne portant nul intérêt à l’offrande que je venais d’apporter, je lâchais le panier d’osier sans la moindre délicatesse, les pommes à l’intérieur virevoltant, l’une d’elle, projetée à l’extérieur roula sur le sol de la pièce jusqu’à se nicher sous le lit du patient solitaire.



A partir de là, il n’y avait nul besoin de se lancer dans un long résumé de la situation. Les choses étaient encore fraîches et lui comme moi savions exactement de quoi il en retournait. Et si je voulais avancer dans mes recherches et mes projets, il me fallait distiller un minimum les informations et donner du grain à moudre pour avoir quelque chose en retour.



Des cellules humaines oui, mais datant de plus d’un siècle et dans un état de conservation extraordinaire, même sans avoir recours aux techniques médicales. En sommes des cellules d’un homme qui devait en quelque sort avoir su transcender sa condition humaine ou su évoluer dans l’ordre du monde.



Et vu la tournure de ma phrase, c’est en cet instant il était indéniable que ma demande d’aide n’allait pas tarder à éclore au doux son de ma voix décharnée et morne comme le néant.



Le regard serein, froid, figé pourraient penser certains, j’attendais une réaction de la part de mon ancien partenaire.

Kyoshiro n'était aucunement stratège ou érudit. Il connaissait les grands principes de l'art de la guerre, où viser pour infliger le maximum de dégâts à un adversaire mais, en dehors de l'aspect guerrier de sa profession, ses connaissances du monde qui l'entourait étaient assez limitées. Cela ne le gênait pas vraiment, il n'avait pas besoin d'être un érudit ou un scientifique pour être le meilleur, sans parler du fait que, pour consommer un ouvrage, cécité oblige, quelqu'un devait toujours lui faire la lecture. Amusant par moments, surtout en bonne compagnie, mais ennuyeux à la longue.

L'aveugle n'appréciait pas réellement le fait d'être coincé dans un lit d'hôpital, quelle qu'en soit la raison, et appréciait encore moins que quelqu'un vienne lui rendre visite, car le voir ainsi n'était pas réellement l'image de force et de sérieux qu'il voulait donner au reste du monde. Il préférait ronger son frein, en silence, jusqu'à ce qu'on l'autorise enfin à sortir et, si possible, reprendre un semblant de vie à peu près normale. Mais il n'était pas encore prêt, aussi devrait-il souffrir en silence de la visite de Kasumi, dont il se serait bien passé. Cela n'avait rien de personnel, le Tadake n'appréciait pas grand monde, et il était simplement trop franc pour vouloir prétendre le contraire.

Rejetant sa tête en ailleurs, contre les oreillers derrière lui, l'aveugle resta silencieux quand cet homme dont il ne connaissait rien commença son petit discours. Le corps de l'aveugle frissonna légèrement à la mention de l'homme arrivé après la bataille, ne réagissant pas réellement face au résultat de l'analyse des cellules fournies par ce dernier. Cet inconnu n'avait-il pas lui-même confirmé que ces cellules étaient humaines ? Alors pourquoi être surpris ?
Retenant un haussement d'épaule, pas réellement intéressé par le sujet, Kyoshiro resta tout de même attentif...parce qu'il n'avait rien de mieux à faire, et parce que l'homme en face de lui était bien plus calé sur le sujet qu'il ne le serait jamais. Puis enfin les pièces du puzzle commencèrent à s'assembler et, alors qu'il comprenait enfin la raison de la présence du Watari dans sa chambre, l'aveugle laissa un sourire amusé se dessiner sur un coin de ses lèvres. Alors ainsi, il était là pour lui demander un service ? Et pourquoi ? Pour le bien du village, sans doute, ou bien pour sa curiosité scientifique ?

Réfléchissant à cette demande, Kyoshiro commença à s'interroger sur la façon de procéder, avant de se rappeler que, effectivement, tous les rapports n'étaient pas accessibles à tous. Ainsi, sa réponse fut clairement :



Rien de personnel, l'aveugle n'était pas fan de la paperasse et n'avait aucunement l'intention de demander à quelqu'un d'éplucher tous ces rapports, parce que lui ne le pouvait pas. Cécité oblige. Il n'avait pas non plus l'intention de se mouiller pour qui que ce soit, quitte à enfreindre des règles, surtout pour un sujet qui lui passait largement au-dessus de la tête. Curieux, cela dit, il s'interrogea sur la raison de cet intérêt pour les rapports de  mission, en demandant :



L'imagineriez-vous, à rester dans les archives pendant des heures et des heures, à écouter d'autres lui faire la lecture de rapports de missions vieilles de plusieurs mois voire années ? Il s'arracherait les cheveux avant la fin de la journée. Restait à déterminer, maintenant, l'ampleur de la tâche...et ce que le Watari pourrait bien en retirer.

Assis sur cette chaise d’hôpital dénué du moindre confort, j’observais le Tadake. Jusqu’à présent, il avait gardé silence. Il n’était déjà pas du genre expansif du peu que j’avais pu en juger mais dans le cas présent, il se faisait un expert du mutisme, attendant sagement que mon flot de parole se tarisse pour prendre la relève et ainsi répondre à mes demandes.

Je dois avouer que d’une manière générale, j’appréciais bien plus ce genre de personnage que ceux doté d’une exubérance pleine de vie et de joie qui dégoulinait sur les autres. Au moins dans le cas présent, j’étais certain que la réponse serait aussi directe que l’était la question et que ni lui ni moi ne nous perdrions à tergiverser inutilement.



Pas vraiment une surprise cette réponse. Une certaine déception se frayait un chemin au fond de moi, une frustration qu’il me faudrait évacuer d’une manière ou d’une autre, un noble sacrifice à Lui offrir pour avoir succombé à cette vaine émotion, mais pour autant au fond de moi, m’attendais-je à autre chose.

Le jonin avait démontré être l’archétype même du bon petit soldat obéissant et du petit chef décisionnaire quand un minimum de pouvoir lui était offert. Pourquoi mettre en péril cette infime sensation de puissance sur les autres au lieu de faire quelque chose de juste et légitime ? J’espère que sa laisse n’est pas trop serrée …

Face à ce refus, je me levais sans un mot, me baissais pour ramasser le panier d’osier garni de pommes, délaissant celle perdu sous le lit et me dirigeais vers la porte lorsqu’une seconde salve de question se fraya un chemin jusqu’à moi. Me retournant vers Kyoshiro, je lâchais mon colis dans la poubelle à l’entrée de la chambrée.



Quittant la pièce, sur le pas de la porte, je tournais une dernière fois la tête avant de me retirer et cherche un autre moyen d’accomplir l’objectif que je venais de me fixer.