Les jours ont passé depuis ton passage dans la demeure de Lee Yen. Tu as attendu, un peu, pour tâter le terrain. Voir s’il y aurait une réaction de l’autre côté, mais rien. Non, il attendait que tu viennes à lui. Pas surprenant. Ça allait avec le personnage : Toujours franc et direct, vous laissant cette autonomie que d’autres dirigeants pouvaient voir d’un mauvais œil. Mais Heizen avait confiance en ses choix. En ses hommes. Peut-être qu’un jour, ça lui jouerait des tours. Mais ce jour-là, tu seras là pour réagir. Prévoir ce genre de chose, c’est ton travail.

Trois jours sans un mot, et puis, tu t’es mise en route pour le mont Atlas ou, plus précisément, son sommet. Prendre rendez-vous ? Non, pas cette fois. Parce qu’il te recevrait. Il n’attendait que ça, à n’en pas douter, dès le moment où Lee Yen lui a dit pour ton petit passage.

Les marques de pierres, le bruit de tes semelles contre celles-ci, le vent se faisant de plus en plus frais dans ta chevelure. Plus le temps passait et plus tu voyais le sommet se dessiner sous tes yeux. L’architecture était purement Seizanjin. Mélange de bois et de roche. De vert et de rouge. Un bâtiment imposant qui servait de bureau au géant des montagnes, lui donnant une vue imprenable sur tout le village. Tu l’imaginais déjà, le regard à se fenêtre, admirant le paysage qu’il aime tant tout en te parlant.

Les minutes passent, lentement, sûrement et enfin, tu fais face à l’immense porte de bois qui, à chaque fois, chamboule ta vie. Il y a d’abord eu cette mission à Toge, qui n’a laissé que doute et honte, puis, dans un tout autre ton, ta promotion et celle de ton équipe. Et aujourd’hui ... Une nouvelle page allait se tourner. Un moment important, à n’en pas douter. Prenant une large inspiration, tu te lanças, laissant sur le bois tes phalanges danser.

« Seizankage, Kara Saki au rapport. Je souhaiterais m’entretenir avec vous, si vous êtes d’accord. »

S’il avait un rendez-vous, tu attendrais. Des heures durant. Mais tu ne partirais pas d’ici sans une conversation en tête à tête avec lui. Parce que faisait partie de ton devoir. De tout ce que tu étais.

« Lee Yen a dû vous prévenir de ma venue. »

Ils sont proches. Copains comme cochons comme on dit. Aucune chance que le maître martial ait passé tes recherches sous silence.

Il y eu quelques secondes de silence. Quelques secondes qui te semblèrent longues. Infinie. Mille questions sur la réponse que tu aurais. Des suppositions endiablées. Pourtant, aucune d’entre elles ne s’avéra juste quand la voix de Kage résonna juste derrière toi, pleine de sympathie et d’amusement. C’était ... bien lui ça. De surprendre, toujours, et d’être aussi tendre envers ses soldats, comme une figure paternelle inébranlable. C’était fou comme il représentait à merveilles les montagnes bleues. Grandes, solides, féroces et pourtant chaleureuses. Une arrivée qui te fit sourire, doucement, tant l’image du kage les mains chargées de pâtisseries était banale ici.

« Vous savez bien que je ne peux pas dire non à une sucrerie, n’est-ce pas ? »

Là où beaucoup s’imaginaient une demoiselle aux goûts forcément très raffinés, toi, tu préférais le sucré et l’épicé. Tu étais gourmande. Dès que tu t’éloignais un peu de Seizan, tu ne pouvais pas t’empêcher d’aller fouiner dans quelques échoppes et restaurant, à la recherche d’un bon plat. Venant écraser une de ses mains sur ta chevelure, mettant la pagaille dans celle-ci, il ricana un peu plus avant de t’offrir un des petites délices qui portaient fièrement son nom. Un délice que tu ne refusas pas, remerciant d’un geste de tête léger l’homme avant de le récupérer.

« Votre entrainement s’est bien passé ? »

Comment tu le savais ? C’était plus facile à deviner qu’on le croyait. Surtout quand on connaissait assez bien l’homme, encore plus après avoir enquêté à son sujet. Tu les voyais, ces nombreuses et petites coupures sur tout son corps. Fines, certes, mais bien présente. C’était les marques d’une matinée passée à travailler ses forces. D’ailleurs, les muscles de l’homme te semblaient légèrement plus bombé qu’à l’accoutumée. Une illusion d’optique ou bien le chef militaire état préoccupé au point de se remettre dans le bain ? Curieuse, tu l’étais. Tu avais des questions, mais ça allait devoir attendre un peu pour ça. C’est un autre sujet, tout aussi sensible, que tu étais venue aborder.

Passant les larges portes d’un pas calme et maîtrisé, tu tiquas quand Heizen t’annonça que son vieil ami ne lui avait rien dit. Tu t’étais encore fait avoir ... Le vieux singe avait encore vu clair en toi. Il savait que tu allais parler à Heizen. Parce que tu as confiance en lui, au fond de toi. Que tu crois en une raison bien plus nuancée pour toutes ces informations dissimulées.

« J’aurais dû m’en douter ... Il est vraiment comme vous, c’est assez perturbant, je dois bien l’avouer ! »

Mais lui n’avait pas un passé trouble, contrairement à la montagne grise. Derrière toi, les portes se refermèrent et sans doute, ton destin se scella. Tu ne pouvais plus faire demi-tour maintenant. Ta confiance serait récompensée ou bien punie. La vie, ou la mort. C’était un pari risqué. Un jet de dé sur lequel tu n’avais finalement aucun contrôle.




« Je ne vais pas tourner autour du pot et plutôt jouer la franchise. »

Même si tu t’en sortais en vie, tu risquais sans doute de lourdes sanctions. Peut-être même que tu perdrais ton statut de Jonin. Mais tu étais décidée.

« J’ai enquêté sur votre ancienne équipe et le décès de l’ancien Kage, votre maître. J’ai découvert qu’il manquait un nom dans votre équipe, mais ce n’est pas le plus étrange. »

Une inspiration, profonde. C’était le moment décisif. La question qui ferait tout bousculer. Ton regard s’ancra dans celui de l’homme. Tes iris, colorées, comme des joyaux, semblèrent presque luire en face du rayon de soleil qui venait les chatouiller. Tu ne fuiras pas. Ta garde reste baissée, volontairement. Un signe de confiance.



« Il n’y avait presque rien sur vous à part votre nom. Comme si vous étiez apparu du jour au lendemain. Alors voilà ce que je voudrais Seizankage : Qui êtes-vous ? Est-ce que l’homme que j’ai toujours admiré est un simple masque ? »

Ses informations sur l’arbre d’Eden, son calme olympien, sa stature, sa force écrasante. Tout ça te rappelait un être que tu avais croisé. Une créature non-humaine et dotée d’intelligence qui avait marqué ta vie, il y a plusieurs mois de cela. Mais était-ce possible ? Finalement, vous ne saviez rien sur ce monde. Encore une fois, tu secouais tes certitudes. Tu marchais en équilibre en illusion, croyance et réalité, cherchant à ne pas tomber. Effrayant exercice de remise en question et de confiance. À contre cœur, tu avais remis en question l’existence d’un modèle. Il le savait. C'était ta force. Cette capacité à déterrer la vérité, même enfouie. C'était aussi ce qui te mettait le plus en danger, à n'en pas douter.

« Je ne ferais absolument pas le poids mais si un jour vous vous ennuyez vraiment, ce serait un honneur de pouvoir vous divertir un peu. Vous savez, nous ne sommes pas en sucre. »

Faire face à l’homme et réussir à représenter un défi était pour l’instant impensable. Tu n’étais pas encore assez forte. Au contraire, tu étais loin d’effleurer son niveau. Mais tu voulais apprendre justement et observer un tel maître en action ne pouvait qu’être une source d’apprentissage. Il devait aussi prendre au sérieux ses enfants. Les traiter comme des soldats parfois. Le sujet n’était néanmoins pas celui-ci. Ce n’était pas pour participer à ses entrainements que tu étais venue déranger le Kage et, rapidement, l’ambiance joyeuse et sympathique de la pièce changea. Une atmosphère pesante, comme une pression sur la gorge. Ton souffle se fit plus lent, tes sens plus aiguisés alors qu’à la suite de ta question, les traits du Seizankage se faisait encore un peu plus fermes. Sans te répondre, il te contourna pour aller s’adresser aux gardes qui, devant la porte, se dressaient et leur demander de partir. De laisser le champs libre pour une réunion importante. Et ça, ça voulait dire que tu avais mis dans le mille, et qu’il était d’accord pour en parler avec toi. C’était un bon signe. Une chance de garder ta tête bien attachée à tes épaules. Un poids se retira de ta poitrine alors que tes prédictions se réalisaient, sans encombre pour le moment. Tu avais bien jaugé la montagne après tout.

C’est sans surprise qu’il ne répondit pas directement à ta question. Sous ses airs de brute, Heizen avait toujours été un homme très sage. Le genre de personne capable de voir derrière les apparences. À reconnaître les choses à leur valeur et à vouloir comprendre celles-ci. Oui, il aurait fait un très bon Kara, à n’en pas douter. Il en avait le cœur. Aujourd’hui, il voulait savoir à quoi tu pensais. Avais-tu maintenant des doutes par rapport à lui ? Le voyais-tu comme un ennemi ? Pensais-tu que le meurtre, qu’importe son but, restait un meurtre ?

Ton regard resta ancré dans celui du chef militaire tout du long. Tu ne cherchas pas à fuir. Non, tu étais confiance. Ces questions, tu avais dû te les poser à de multiples reprises tout au long de ta carrière. Tu avais dû apprendre à voir les nuances de couleurs qui composent le monde, comme les éclats de tes yeux empêchant de leur attribuer une couleur. Rien n’était jamais tout noir ou blanc, ni même gris. Finalement, est-ce que vos iris n’étaient pas un rappel de cette réalité ? Comme un cadeau pour toujours vous permettre de voir à travers les illusions d’une monde bichrome ... Un sourire paisible aux lèvres, tu avais répondu. Expliqué ta vision des choses.


« Cet assassinat serait un sacrifice pour le bien de tous. Ça serait sans doute un poids à porter tout au long d’une vie, mais un poids nécessaire. Parce que malheureusement, parfois, il n’y a pas de bonne solution. On fait de son mieux. Mais ... »

Qu’il soit à l’origine du meurtre de son prédécesseur ou non, il y avait un secret derrière tout ça. Une histoire que le Seizankage portait sur ses épaules, sans jamais se plaindre. Et finalement, qu’est-ce qui était sorti de tout ça ? Heizen était un bien meilleur kage que son maître, en de nombreux points. Personne ne pouvait dire le contraire.

« Si je devais tout de même m’exprimer, je pense que je remercierais cette personne. Parce qu’elle aura sauvé de nombreuses vies en mettant un terme à la tyrannie de la force brute. »

Tant de vies avaient été fauchées par l’égoïste politique de Renchoku Kousei. Des soldats qui avaient un potentiel précieux et qui furent envoyer à des morts certaines. Des talents autre que le combat jugés inutiles par le sombre tyran, qui sombrèrent dans l’ombre. Ton grand-père avait ainsi disparu, tout comme ton oncle, alors qu’il n’était encore qu’un jeune adolescent.

« Quand je vous regarde, je vois un homme qui aime profondément Seizan. Quelqu’un pour qui j’ai un respect sans limite. Mais vous savez aussi que c’est important de toujours remettre tout en question. Si je ne l’avais pas fait, je n’aurais jamais découvert tout ça. »

C’était bien lui qui t’avait poussé à une plus grande indépendance de décision et il en récoltait aujourd’hui les fruits : Une Jonin qui avait évolué, grandit et qui, aujourd’hui, testait sa propre fidélité à travers cette discussion.

« Il est de ma responsabilité de savoir pour toujours agir au mieux pour Seizan. C’est mon devoir en tant que Jonin. En tant que cheffe du clan Kara. Et en tant qu’habitante de ce village. »

Et tu ne ferais pas demi-tour.

« Vous n’êtes pas forcés de répondre à mes questions. »

Mais tu n’arrêterais pas de chercher pour autant. Tout ce que tu voulais finalement, c’était être transparente envers cette figure paternelle qu’était Heizen. Tu savais au fond de toi que le passé sombre d’une personne ne la définissait pas forcément. Tu avais confiance. Sans doute plus que tu ne le devrais mais ... Si on doute réellement de tout, tout le temps, on finit par sombrer, n‘est-ce pas ? C’est une route solitaire et périlleuse sur laquelle tu es engagée.