Il y avait des habitudes qui se corrélaient familièrement avec celles des autres, et celle qui consistait à admirer la floraison des cerisiers en était une. Bien qu'étrangère au culte des Edénistes, et présentement prêtresse du Kamissuhei, Yuriko n'en appréciait pas moins la fête du Hanami qui mettait à l'honneur l'arbre annonciateur du Printemps. Il était aussi le porteur de ses bons souvenirs, tout comme de sa mélancolie. C'était donc toujours partagé par ces émotions contraires que la jeune femme se berçait au gré de ses pas dans les allées fleuries des cerisiers. Si généralement, elle se contentait des parcs de la Capitale ou bien des vastes plaines de Daichi no kuni, cette fois-ci, elle choisit de se rendre au village Sakura pour leur célèbre fête.

Il fallait dire que son voyage à Jujou ne fut guère de tout repos. En omettant les longs jours de trajets, elle n'oubliait pas ce qu'elle avait pu apprendre au sein même de la réunion tenue par les grandes puissances de ce monde. Cela l'avait amené à se poser beaucoup de questions, cependant chacune de ses réflexions se retrouvait figées dans un coin de son esprit, sans aucune réponse. Mais, voilà, la chunin ne courrait qu'après cela, des réponses... qui ne venaient jamais. Alors, la fête du Hanami était tombée à point nommé. Si elle s'en tenait au discours d'ouverture de la doyenne des " cinq pétales ", cette journée se devait d'être sous l'étendard de la paix et la quiétude, et Yuriko y aspirait sincèrement.

Mais pouvait-elle se le permettre ? Sa quête personnelle était dans une impasse qui ne faisait que renforcer son amertume et lui donnait l'impression de n'avancer en rien. Elle en était au point de se demander si elle avait fait les bons choix. Cependant, que faire lorsque l'on avait que des murs devant soi ? Les briser jusqu'à l'épuisement ? Cela ne pouvait ne durer qu'un temps, le temps de reprendre quelques respirations et de regagner en force et en courage.

La Sugimoto était venue seule ce jour-là. Elle n'avait osé demander à son frère de l'accompagner et avait imaginé que cela était peut-être déplacé d'en faire de même auprès de son ami Byakuren. Ce fut donc la raison qui l'emporta, et inconsciemment le besoin de se retrouver un peu, elle et l'intimité de ses souvenirs. Ainsi, sous les arbres éclos, elle se remémorait l'image de son père bien-aimé. Elle se rappelait de lui, la mine fatiguée, mais souriante, qui portait sur ses genoux sa petite fille en admirant le cerisier de leur cour. Il lui contait des histoires tournant autour de cet arbre vénéré, jusqu'à ce qu'elle s'endormît dans le creux de ses bras chaleureux. Elle se remémorait aussi l'image de Kaïto et de la fois où ce dernier l'avait suivi jusque dans les plaines. Elle se souvenait de lui avoir raconté une histoire inventée où il était question d'attraper un pétale de fleur et que la réussite de cette manœuvre était le signe d'un amour partagé. Elle le trouvait alors assez idiot pour tenter d'en attraper des dizaines, jusqu'à ce que des mois plus tard, il finisse par la demander en mariage sous ses mêmes arbres, avec l'impudence qui était la sienne. Oui... Le Hanami était une saison de douce mélancolie.

Ce fut alors qu'au détour de ses pérégrinations, la Sugimoto finit par se retrouver devant un stand où des jeunes gens appelaient les passants à faire un vœu. Certains s'arrêtaient, rêveurs et crédules, d'autres passaient leur chemin avec dédain. Pourtant, les yeux de Yuriko s'attardèrent devant l'étale, songeuse.


" ... "

Devait-elle se laisser tenter par le rêve ou bien rester éternellement au pied de l'aube de ses promesses ?

La célébration du Hanami s'annonçait pleine de surprise, et celle qui arriva remplit une nouvelle fois Yuriko d'une nostalgique heureuse, celle d'une rencontre d'autrefois, d'un ami perdu de vue depuis plusieurs années et qui en cette saison arriva telle une brise de printemps. Sabaku Kiseki, une charmante tête blonde dont le visage s'illuminait sous un sourire presque enfantin et de grands yeux pétillants. Il fut particulièrement difficile à la jeune femme de ne pas céder une esquisse, même si ses traits semblaient animés par la mélancolie. Il avait toujours été un être rafraîchissant et lumineux, ou tout du moins, quand elle avait eu la chance de profiter de sa compagnie. Mais tant de chose s'était produite depuis leur dernière retrouvaille.

À l'époque, elle ne s'était pas encore tournée vers la prêtrise et surtout, elle n'avait ni perdu Kaïto, ni sa parole.  Voilà bien des sujets qu'il lui serait difficile d'aborder de but en blanc alors que le doux Kiseki la complimenta avec sa tendresse bien connue. La jeune femme se contenta dans un premier temps par le saluer aussi élégamment qu'il le fit lui-même, avant de lui faire un signe des mains, ainsi qu'un bref mudra. Naturellement, il devait savoir qu'elle ne lui ferait aucun mal et si cela put paraître bien mystérieux au début, la voix de la douce Sugimoto résonna dans l'esprit du sakyuujin (Genjutsu - C2.2 Intrusion).

" Pardonne-moi cette intrusion, mais je ne peux parler de vive voix, mon ami. Je t'expliquerais tout cela en temps voulu, mais en attendant, sache que je suis très heureuse de noter que tu te portes bien. Les années t'ont rendu plus charmant encore qu'à notre dernière rencontre. "

Un compliment contre un autre, cela lui semblait bien normal, tout en étant sincère. De plus, Kiseki était son cadet de quelques années et elle lui pardonnait bien volontiers les excentricités de ses humeurs joviales, comme s'il eut été un petit frère.

Lorsque ce dernier évoqua le stand devant lequel ils se trouvaient, Yuriko tourna machinalement la tête. Quand bien même la demoiselle était prêtresse aujourd'hui, sa foi demeurait étonnamment pragmatique. Elle ne saurait que penser d'un tel étale, l'espoir un peu fou que l'on pouvait placer dans la croyance de la réalisation d'une aspiration cachée. D'un autre côté, cela pouvait être associé à une simple prière.

" Je suppose que nous n'avons rien à perdre à nous laisser tenter. Il est important de garder notre capacité à rêver. "

Je me tournais vers mon ami, un petit sourire retrouvé, comme pour l'engager à se lancer dans cette expérience en sa compagnie.

" Je serais très heureuse de partager ce moment avec toi, Kiseki-san. "

D'un geste de la main, Yuriko invita le garçon à se placer dans la file d'attente. Ils étaient précédés de deux ou trois personnes, et quand arriva leur tour, on leur présenta alors de petits bouts de papier ainsi que de l'encre rouge pour écrire.

" Qu'un charmant petit couple que voilà !! Haha ! Alors ? Venus faire un vœu auprès de la grande déesse ? Tenez que je vous explique ! "

Celui qui semblait tenir le stand désigna alors leur papier et posa juste à côté de curieux objet : une clochette sur laquelle pendait un petit cylindre fermé.

" Il vous faut inscrire vos souhaits sur ce petit bout de papier et une fois cela fait, vous l'enrouler pour le glisser dans ce petit cylindre en bambou. C'est tout ce que vous avez à faire ! Nous nous chargerons par la suite à accrocher vos vœux sur les cerisiers sacrés pour que la Déesse puisse les exaucer...  Enfin, c'est ce que nous pouvons vous souhaiter ! Haha ! "

Tout sourire, le villageois laissa les deux shinobis se décider et s'occupa de nouveaux rêveurs, tout en leur expliquant exactement les mêmes règles.

" Voilà quelque chose de très poétique... le vent qui soufflera dans les branches des cerisiers fera tinter les vœux de tous. Il n'y a plus qu'à espérer que cette déesse soit une entité généreuse. Sais-tu déjà ce que tu vas pouvoir écrire ? "

Pour Yuriko, le choix était déjà fait, elle en était même prisonnière depuis des années : retrouver ceux qui avaient causé la mort de Kaïto.

Si la générosité de Kiseki la toucha sincèrement, les propos qui lui tint au sujet de son vœu "modeste", assombrirent son regard. A jamais inexplicable.  Cela était peut-être le terme qui la terrifiait le plus, considérer qu'elle n'aurait peut-être jamais une raison à la mort de Kaïto, jamais un coupable vers lequel tourner son amertume. Malgré les apparences, Yuriko n'était pas aussi miséricordieuse que son ami, elle ne saurait pardonner, ni même oublier. Elle n'acceptait pas de ne pas avoir d'explication sur son trépas. Sans nul doute l'avait-elle trop aimé, car même avec le temps, cela n'avait jamais eu de cesse de la hanter.

Mais les nuages furent vite chassés pour le moment, surtout après l'intervention du marchand itinérant qui leur expliqua se refuser à demeurer immobile. La Sugimoto fit un simple geste de tête pour montrer qu'elle acceptait de suivre l'intriguant, se laissant emporter par la bonne humeur du sakyuujin. Ils furent ainsi conduit vers l'inconnu au travers du festival, jusqu'à ce que l'homme au masque se décida à leur proposer un rafraîchissement.

Surprise, la chunin qui était naturellement méfiante, ne put retenir de porter un regard un peu suspicieux sur le commerçant. Sa proposition était soudaine - quand bien même elle fut appropriée à la vue de la chaleur qu'il nomma fort bien. Peut-être trouva-t-elle plus étrange encore le fait qu'il précisa que le thé offert était "spécial". Pourtant, elle n'avait en réalité aucune raison de refuser. Toyama était un village de montagne dont elle ne connaissait que le nom. Elle supposait alors que l'originalité de la boisson devait en effet tenir des herbes cueillies là-bas… ou bien n'était-ce qu'une question de goût.

Cependant, Kiseki ne se fit pas prier et accepta immédiatement. Ne désirant en rien faire affront au marchand et accompagner son amie, Yuriko finit par accepter la tasse de thé à son tour, probablement aussi pour satisfaire sa curiosité. Se saisissant avec délicatesse de la boisson, la jeune femme se contenta d'un salut gracieux et emplie de gratitude, préférant ne pas s'immiscer dans les pensées de celui qu'elle ne connaissait pas. Puisqu'elle avait les mains prises, elle n'avait pas le loisir non plus de lui écrire ses remerciements. Néanmoins, son attitude s'assurait de lui faire comprendre.

Profitant alors de l'instant, la Sugimoto but à petite gorgée son breuvage tandis que l'homme masqué fit la conversation. Il prétendit alors que l'idée de son propre commerce lui venait de ce qu'il avait pu découvrir à Jujou lors de la grande Réunion des kages. Son ami avoua directement qu'il n'avait pas eu le plaisir de s'y rendre, chose qui n'était pas le cas pour Yuriko. Non seulement elle fut présente, mais elle avait accompagné Daïchi. Toutefois, son vœu de silence ne lui permettait pas de répondre plus que nécessaire, et elle se contenta d'un simple oui de la tête.

L'avantage de la situation était qu'elle n'avait pas besoin d'en dire plus. Bien vite, les deux jeunes gens furent ramenés à la réalité et le jeu, bien évidemment. Ce qui fut proposé à Kiseki fut un jeu d'argent et de hasard. Les règles étaient... curieuses, mais que pouvait-elle dire à ce sujet ? Elle se contenta alors de soutenir son ami et espérer pour lui que la chance soit de son côté.