Le soleil était à son zénith ce jour-là, et chauffait le ciel autant que la terre. Pour cette raison, de nombreux jeunes shinobis avaient été exceptionnellement exemptés d'entrainements, à moins de vouloir faire du zèle et mettre leur corps à l'épreuve de la chaleur. Du haut de sa treizième année, Yuriko, jeune genin à l'époque, aurait aisément pu s'y adonner, du moment que cela pouvait l'éloigner du nid familial dans lequel elle étouffait. Son frère n'était pas là, il était parti accomplir une brève mission à la capitale, laissant ainsi sa cadette, seule, à la merci d'une mère castratrice et d'une toute jeune demi-sœur avec laquelle elle ne désirait n'avoir aucun lien. Pourtant, elle ne pouvait y échapper. Son père était mort trop jeune, sa mère s'était vite remariée et l'avait obligé à passer une partie de sa vie à grandir à la fois au sein du clan Oda, sa belle-famille, mais aussi au sein du domaine Sugimoto dont elle était l'héritière avec son aîné Yuudaï. Jamais elle ne fut adoptée par les Oda, et jamais elle n'aurait accepté de renier son nom, aussi jeune avait-elle été à cette période charnière de sa vie.

Yuriko, jeune adolescente, portait déjà sur elle tout ce que l'on attendait d'une fille accomplie : les manières, l'intelligence, le sens de la conversation. Toutefois, elle avait aussi hérité d'un petit caractère aux limites de l'impudence, sans doute exacerbé par sa jeunesse et dont elle gagnerait en tempérance avec les années. Bien vite, elle avait voulu se soutirer de l'autorité maternelle et passait bien plus de temps à vivre dans sa maison légitime, le domaine de feu son père. Tout y était plus serein, tranquille et emplie de beaux souvenirs qu'elle refusait de perdre. Mais c'était aussi un antre de salut, surtout lorsqu'elle se disputait avec sa matriarche pour des raisons ridicules. Jamais mère et fille ne s'étaient jamais autant si peu comprises ou entendues. Jamais elles ne le pourraient.

C'était avec un esprit contrarié que l'adolescente était partie, le pas particulièrement décidé malgré la chaleur étouffante de l'air. Ses longs cheveux dansaient au rythme de son allure rapide, s'éloignant des habitations de Toge pour tenter de trouver un lieu où elle ne s'imaginait pas que l'on la trouva... notamment sa mère.

" Elle ne cessera donc jamais... Horrible femme... "

Elle fuyait, mais cherchait de l'ombre et du calme avant toute chose. La jeune genin trouva son bonheur dans un petit parc boisé du village, si on pouvait réellement parler de "parc". Il s'agissait plutôt d'une zone naturellement boisée, que l'on pouvait traverser avec facilité pour s'y promener sans que les autorités eurent quoique ce fut à aménager.

Maugréant entre ses mâchoires serrées, elle s'enfonça dans cette zone pour se "cacher", elle n'était pas à l'abri que sa mère lui courut après pour chercher à lui donner une leçon ou bien l'obliger à faire quelque chose qu'elle ne désirait pas. Misako ne l'avait jamais exactement traité comme sa fille, mais plutôt comme un pion et un avantage qu'elle voulait modeler pour ses desseins personnels. Sa malchance était d'avoir mis au monde une fille peu influençable et surtout à l'esprit aussi éclairé que son premier époux qu'elle méprisait.

" Pourquoi a-t-il fallu que Yuudaï parte pour Teïto... "

Son frère, son bouclier, son protecteur. Le fils chéri de sa mère, mais qui ne vivait pas d'illusion. Il savait qu'elle souffrait de ses situations familiales tendues, et Yuudaï faisait souvent en sorte d'être toujours présent avec Yuriko quand leur mère était là, jouant un rôle de tampon et de médiateur. Mais il ne pouvait pas toujours être présent et l'adolescente se devait d'être pleine d'imagination pour s'échapper, mais essentiellement occuper ses pensées.

Yuriko s'était naturellement enfoncée dans la zone boisée, l'esprit bien trop encombrée par son irritation adolescente pour se rendre compte qu'elle n'était pas seule en ces lieux. Ce ne fut que quelques minutes plus tard qu'elle fut rattrapée, par une grande silhouette sous les traits d'un grand jeune homme aux cheveux noirs corbeaux. Le garçon devait être un peu plus âgé qu'elle, peut-être environ l'âge de son frère, mais elle se montra très surprise lorsqu'il l'eut interpelé, la poussant à sortir de ses sombres pensées.

Lorsqu'elle porta ses yeux bleus sur sa grande silhouette, elle eut une étrange impression de familiairité, comme si elle eut déjà vu, ce qui était à vrai dire... plutôt vrai. Il était un ami de son aîné. Elle se souvenait de son nom, parce qu'il n'était pas anondin pour qui connaissait l'histoire de la lignée impériale, mais bien peu de sa personne en tant que telle puisqu'elle n'avait jamais eu l'occasion de discuter avec les camarades de Yuudaï.

" Oh. Vous êtes... Kamisuki Ryujin, n'est-ce pas ? Je me souviens de vous. Je vous ai déjà vu en compagnie de Yuudaï. "

L'adolescente salua alors avec respect son pair, avant de rougir un peu de honte à l'idée qu'elle eut été aperçue sous un jour contrarié. Yuriko n'aimait pas faire de scène, elle était en réalité même plutôt pudique. Etre surprise et prise à défaut n'était pas dans ses moeurs habituelles.

" Je... Je vais bien. J'espère qu'il en est de même pour vous, Ryujin-san. "

Repoussant une mèche de cheveux derrière son oreille, elle se demanda alors ce que pouvait faire ce garçon dans les parages. Sans doute la même chose que cette dernière, ou tout du moins, dans l'idée de trouver un lieu à l'ombre et à l'écart.

" Vous... vous promenez dans les environs ? Je ne m'attendais pas à croiser quelqu'un dans cet environnement sauvage. Je croyais que cette zone avait été laissée à l'abandon. J'espère ne pas vous déranger à mon tour par ma présence ici. "

S'il était l'ami de son frère, elle n'avait aucune raison de se méfier de lui, ni de le craindre. A vrai dire, Yuriko faisait une totale confiance en son aîné et ses connaissances, et si tentait qu'il eut été méfiant ou inquiet de quelqu'un, elle savait pertinamment que Yuudaï l'aurait prévenu. Ainsi, il lui semblait tout à fait naturel de traiter celui qu'elle ne connaissait que de vue comme n'importe qui de son entourage proche, tout en montrant son respect par ses manières et sa politesse habituelle.

L'esprit encore un peu encombré par la frustration, Yuriko tentait tant bien que mal de ne rien laisser paraître, et se montra soulagée lorsque son camarade lui affirma qu'elle ne le dérangeait en rien. Voilà qui aurait été mal avisée si cela avait été le contraire. Peut-être en aurait-il parlé à Yuudaï et qu'aurait-il dit alors ? Que sa cadette se cachait dans les fourrées ? Quelle était une jeune demoiselle qui manquait d'assiduité pour flâner ? Bien qu'en soit, elle ne portait que peu d'attention à ce que l'on pouvait imaginer d'elle, les conditions bourgeoises dans lesquelles elle avait grandi l'obligeaient à veiller malgré tout sur les possibles quand dira-t-on. Un poids dont elle aurait aimé être libre, mais elle demeurait fière d'être une Sugimoto. Elle ne devait voir cela que comme un maigre sacrifice.

" Oh je comprends. Il est vrai que cette situation peut être gênante pour qui se trouve en pleine formation ou apprentissage. Et, en effet, peut-être que ce lieu pourrait se prêter à quelques entraînements, bien que la densité de cette zone forestière doive être légèrement handicapante, au-delà de l'air étouffant. "

Yuriko était une élève très consciencieuse, tout comme son frère, et elle mettait un point d'honneur à se montrer exemplaire en tant que shinobi. Généralement, elle ne ratait jamais le moindre entraînement et parfois s'y adonnait elle-même comme autodidacte quand elle désirait se perfectionner. En conséquence, elle comprenait parfaitement le souhait de Ryujin dont elle venait, sans le vouloir, se retrouver sur le chemin.

Ce fut alors que le Kamisuki avoua ne pas connaître son prénom et elle se sentit soudainement gênée. Il était juste qu'elle y aurait dû y penser et ressentit sa maladresse comme un affront à ses propres manières. Immédiatement, elle se mordit un peu les lèvres face à son erreur, avant d'à nouveau saluer convenablement son aîné.

" Veuillez m'excuser. Je manque à tous mes devoirs. Je me nomme Yuriko. "

Quant à la raison de sa présence en ces lieux, la jeune genin se sentit un peu bête, mais surtout, terriblement puérile, bien que si l'on connaissait sa mère et ses intentions véritables, nul reproche n'aurait pu lui être fait.

" Ho, je...  et bien... nous dirons que j'ai eu un différent avec ma mère. Pour ne pas envenimer la situation, j'ai préféré m'éloigner et prendre un peu l'air mais... comme vous l'avez vous-même remarqué, cette chaleur est terrible à supporter. Je désirais trouver un endroit un peu reculé et à l'ombre. "

Yuriko laissa échapper un petit soupir.

" Je dois vous paraître bien sotte maintenant, et vous ne me dérangez pas du tout. J'ai bien peur que ce soit moi qui sois de trop, notamment si vous avez l'habitude de vous entraîner ici. Si quelqu'un doit s'en aller, cela doit être moi… à moins que vous m'autorisiez à vous regarder vous entraîner. "

L'adolescente avait l'habitude d'observer son frère, et parfois son regard lui permettait de voir les défauts de ce dernier pour les lui rapporter si elle venait à en noter quelqu'un. D'ailleurs, il en faisait exactement de même avec elle.

Toujours un peu sur la réserve, Yuriko ne savait que trop comment se comporter face à son aîné, mais elle écoutait tout de même avec beaucoup d'attention, notamment quand il évoqua le fait d'être spécialisé en arts martiaux. Surprise, elle l'observa avec de grands yeux, car elle-même avait choisi cette discipline, malgré les apparences qui étaient les siennes.

" Je vois. Je n'avais pas vu les choses sous cet angle. "

Encore jeune et novice, la Sugimoto reconnaissait bien volontiers son côté un peu trop scolaire concernant son apprentissage shinobi. Habituée au terrain d'entrainement "classique" et que l'académie leur mettait à porter, Yuriko n'avait jamais réellement chercher à aller au-delà du chemin que l'on lui avait tracé. D'une part parce qu'elle faisait confiance en ses senseïs, d'autre part parce qu'elle supposait qu'il ne lui était pas nécessaire d'aller trop vite. Mais peut-être que cela trahissait également ses doutes. Que cela fut sur son avenir ou bien ses compétences.

Ryujin ne sembla accepter les excuses de l'adolescente qu'à la condition qu'elle en fit de même avec les siennes. Pour la première fois depuis le début de leur conversation, un sourire finit par apparaître enfin sur le visage de porcelaine de la jeune aristocrate.

" Si cela peut vous rassurer, rien dans vos manières ne m'ont semblé grossiers. "

La jeune demoiselle rougit un peu, mais conserva son esquisse, aimable époque où elle était encore capable de se montrer aussi aisément joviale, quand bien même quelques horribles faits se produisaient dans l'ombre de sa maison. Mais voilà, ce dernier s'effaça aussitôt que l'ami de son frère évoqua les relations familiales. Immédiatement, elle détourna la tête comme pour ne pas à avoir à croiser son regard.

" J'ai bien peur que vous ne puissiez rien faire, à moins de pouvoir changer ma mère... "

Terrible aveu, mais avec un goût amer. Jamais O grand jamais la jeune femme n'avait eu autant de mépris pour un membre de sa famille, et cette réalité ne changerait pas dans les années qui viendraient. Laissant alors ce sujet de conversation de côté, elle préférait ne pas sombrer dans la morosité en évoquant les raisons de sa fuite outre mesure. Yuriko préféra proposer un compromis afin de leur permettre de rester en ces lieux sans se marcher dessus.

La jeune femme se mit alors un peu en retrait, s'adossant à un arbre, avant que Ryujin déposa ses affaires à ses côtés, comme pour faire d'elle sa gardienne. Mais plus surprenant encore pour elle, voilà que le jeune homme ôta quelques-uns de ses vêtements, sans pudeur, ni sans se soucier de la gêne que cela pouvait occasionner sur une demoiselle de son âge. Immédiatement, elle détourna les yeux alors que le rose empourpra ses joues. Même si elle saisissait les raisons de ce délestage, Yuriko ne s'y faisait pas encore. Question d'éducation.

Tandis que le lointain cousin de l'empereur s'entraina, il fallut à la douce Sugimoto plusieurs minutes avant de pouvoir retrouver ses aises, laissant alors ses émotions s'éteindre lentement pour afin oser observer son aîné. Silencieuse, elle se contenta d'être assise et d'étudier chacune de ses postures, donnant lieu ainsi à un apprentissage indirect à quelques techniques de taijutsu. Yuudaï n'ayant pas choisi cette voie, Yuriko ne pouvait s'entrainer qu'auprès de compagnons à l'académie, alors il fallait saisir cette opportunité.

Malgré son esprit vif, la jeunesse de Yuriko lui faisait défaut à cette époque. Quand bien même elle nota l'amabilité de Ryujin dans ses propos, elle n'y décela en rien les potentiels sous-entendus. À ces yeux, il était uniquement l'ami de son frère et elle supposait banalement que c'était pour cette raison qu'il montrait un aspect un peu protecteur à son encontre. Néanmoins, même s'il ne pouvait en rien corriger le mauvais caractère de sa mère, elle demeurait toucher par l'attention.

" C'est très aimable de votre part, Ryujin-san. "

Et elle le pensait. Toutefois, l'adolescente ne rajouta rien sur les capacités de son frère à affronter leur matriarche, notamment parce que leur rapport était très différent. Yuudaï avait la chance ou le malheur d'avoir les faveurs les plus hautes de leur mère. Elle l'appuyait dans la plupart de ses décisions, voyait en lui un être exceptionnel, une pression et un étouffement constant qui épuisait le jeune homme. C'était pour ces raisons qu'il tentait de conserver ses distances, pour ne plus à avoir à suffoquer, mais... il y avait Yuriko. Il savait que sa mère était tout à fait injuste avec elle et il n'osait l'abandonner. Elle était sa petite sœur et il demeurait un garçon protecteur. Comment pouvait-il prendre la tête du clan Sugimoto s'il n'était pas apte à soutenir sa cadette ?

Laissant alors l'objet de cette conversation de côté, la jeune fille se contenta de demeurer dans l'observation des évènements qui suivirent. Du haut de ses seize ans, Ryujin se révéla être un aîné étonnant. Alors qu'elle étudiait en silence ses postures, elle était impressionnée par la précision de chacun de ses mouvements. Il n'y avait rien de superflus. Mais alors qu'il effectua une courte pause, il s'en tourna vers Yuriko, se saisissant de sa gourde pour résister aux fortes chaleurs et le poids de ses efforts.

Levant la tête, légèrement intimidée par la surprenante gentillesse de l'ami de Yuudaï, elle se saisit néanmoins de l'eau tendue.

" Merci beaucoup. Je dois avouer que je suis partie précipitamment, je n'ai pris aucune de mes affaires. Je vous le revaudrai. "

Yuriko se permit alors de boire une maigre gorgée, avant de rendre l'objet à son propriétaire. Cependant, elle ne manqua pas de marquer une nouvelle fois sa surprise face à la proposition de son aîné.

" Cela ne me dérange pas de regarder. J'en apprends beaucoup. "

La jeune Sugimoto savait se montrer raisonnable dans ses apprentissages, elle étudiait autant la théorie que la pratique.

" Contrairement à Yuudaï, j'ai choisi la voie martiale, un peu comme vous, Ryujin-san, mais je n'en suis qu'à son balbutiement. Je serais une bien piètre adversaire ou même équipière d'entrainement. Je n'ai pas du tout votre niveau. Aussi, pour ne pas vous gêner, je peux me contenter de parler et d'apprendre en vous observant. "

Il fallait dire que la demoiselle n'était pas non plus très apprêtée pour se battre en plein milieu forestier.

Yuriko n'aimait guère le sentiment d'être redevable, et cela était bien au-delà de son éducation. Il lui était donc naturel de ne pas oublier l'aide que l'on lui tendait et de pouvoir le rendre aussitôt que possible. Cela pesait sur sa conscience, telle une dette qui lui était nécessaire de rembourser le plus rapidement, même si l'attention était petite. Alors, même si Ryujin se montra assez aimable pour préciser que son geste n'attendait aucun retour, l'adolescente savait qu'elle n'oublierait pas.

" Vous êtes bien courtois. "

Une fois qu'elle eut bu et qu'elle rendit la gourde à son propriétaire, Yuriko expliqua qu'elle ne se sentait pas à la hauteur d'être adversaire pour son camarade, faute d'être encore bien trop novice dans les arts martiaux. Toutefois, Ryujin semblait faire preuve d'autant de modestie que la Sugimoto.

" Vous savez, je ne cherche pas à vous faire de compliment superflu, mais vous me paraissez doué dans votre domaine. J'ai eu l'occasion d'observer d'autres de mes pairs, et vos gestes, vos attitudes, semblent étonnamment plus précis et rapide que les autres togejins que j'ai pu regarder. Vous ne devriez pas avoir une si basse opinion de vous-même, Ryujin-san. "

D'autant que la jeune demoiselle, déjà à ce temps-là, n'était pas d'un caractère à offrir des amabilités sans raison. Elle n'aimait que peu l'hypocrisie, et savait apprécier les gens honnêtes, même si ses traits de caractères étaient des raretés dans le monde aristocrate. Paradoxalement, pouvait-elle, elle-même, prétendre être aussi juste que ses exigences ? Rien n'en était moins sûr. Dans son monde, on ne cessait de lui répéter qu'elle devait prendre garde à ne pas froisser n'importe qui, et qu'un pieu mensonge était acceptable. Peut-être était-ce aussi pour cette raison qu'elle appréciait bien plus encore ceux capables de déroger à ces règles.

" Discuter me convient tout à fait... tant que cela ne vous dérange pas. "

Elle n'était après tout pas ici pour devenir le fardeau de quelqu'un d'autre, elle n'était qu'une adolescente en fuite.

" Ma famille ? En réalité, je n'ai aucun mal à parler de mon père, mon frère ou même le clan Sugimoto. Il n'y a qu'une personne qui me dérange... et mon beau-père. "

La jeune fille prit garde à ne pas citer leurs noms, comme si cela lui brûlait les lèvres. D'ailleurs, elle ne mentionna nullement l'existence de sa demi-sœur, fruit de ces deux êtres qu'elle ne supportait pas.

" Mais je suppose que vous avez déjà eu l'occasion de discuter un peu avec Yuudaï de tout ceci. Cela vous serait parfaitement ennuyeux si je devais recommencer, et puis, ce n'est sans nul doute que peu intéressant. "

Yuriko avait conscience des futilités de ses irritations, mais elle était incapable d'y aller à l'encontre. Sa jeunesse et les colères qui l'accompagnaient la dominaient un peu, ou en tout cas, bien plus qu'elle ne l'aurait voulu. Il lui faudrait attendre de devenir plus mature pour parvenir à avoir un peu plus de recul, et seul le temps ferait son office.

Regardant d'un œil un peu curieux Ryujin subitement s'allonger, la demoiselle, par un apparent mimétisme, s'adossa sur l'arbre qui se situa derrière elle. Elle leva à son tour ses yeux bleus vers le ciel, réfléchissant à la question de son aîné.

" Je ne sais pas trop ce qu'il me faudrait penser des habitants de l'Océan, mais l'Océan lui-même m'inspire... la liberté. Il semble grand, lointain, infini. Un peu comme le ciel. Observer les oiseaux me fait un peu la même impression. À la seule différence que je peux observer le ciel d'où je le souhaite, alors que l'océan, je n'en ai jamais eu beaucoup l'occasion. Je ne suis même jamais montée sur un bateau. "

Ce fut à cet instant que Yuriko baissa la tête et la tourna vers Ryujin.

" vous avez déjà eu l'occasion de naviguer ? "

Yuriko ne saurait contredire son aîné et l'explication qui lui fournit lui était alors paru d'une maturité qui semblait lui manquer. Peut-être avait-elle parlé trop vite, trop vite et sans comprendre Ryujin. Elle se sentit presque gênée à l'idée que son discours put paraître moralisateur alors qu'elle n'était en rien capable de le soutenir. C'était une preuve flagrante de son inexpérience, mais elle tira de cet échange une leçon.

" Je me suis montrée trop présomptueuse, en prenant vos paroles comme une mauvaise opinion de vous-même, alors qu'il s'agissait simplement d'une modestie honnête. Je m'en rends compte maintenant que vous vous exprimez. "

L'adolescente glissa alors un petit sourire à l'ami de son frère, marquant aussi qu'elle pensait comprendre le cheminement de pensée de ce dernier. Il n'avait que faire des regards, il connaissait sa route et la nécessité de sa progression. Il désirait faire face aux meilleurs pour finir par le devenir lui-même.

" Mmm... je sais que m'affronter de vous aiderait guère à vous améliorer. Je suis assez lucide pour reconnaître que j'ai encore un long chemin à faire. Je ne ferais que vous faire perdre votre temps, mais je suis heureuse de pouvoir discuter avec vous. "

Ce fut alors que les deux nobles se laissèrent porter par quelques digressions. Quand Ryujin lui avait parlé de l'Océan, elle s'attendait à ce que ce dernier lui souffla avoir déjà été en mer, mais il n'en était rien. Il semblait que cela fut l'une de ses aspirations, voir un souhait à l'étendu de ses propos. Yuriko ne put cacher qu'elle trouvait cela amusant venant de la part d'un noble. Non pas que les nobles ne pouvaient aimer à rêver de voyage, mais il avait dans ce désir quelque chose de si simple qu'elle se rendit compte que dans sa famille, on ne lui aurait guère permis d'avoir ce genre d'inclination, du moins, par la faute de sa mère.

" Il est vrai que l'on entend beaucoup d'histoires concernant les dangers de l'océan. Nombreux sont les marins qui s'y perdent, que cela fut faute de tempêtes ou de créatures inconnues. Je suppose qu'il faut beaucoup de courage et de confiance pour se laisser tenter. "

La Sugimoto laissa alors échapper un soupir tandis qu'elle ramena ses jambes vers elle. Elle les entoura de ses bras et posa son menton sur ses genoux. Son regard céruléen se perdit dans le vague, alors qu'elle cherchait que répondre.

" Mes projets ? Mmmm... Cela peut vous paraître étrange, mais je ne sais que vous répondre. Outre le fait que je ne veux déshonorer le nom que je porte, je n'en ai pas à moi. On m'a élevé en attendant de moi que je fis un bon mariage, mais comme je suis née avec la capacité à manier le chakra, il me faut être une bonne guerrière. Je suppose qu'idéalement, il me faudrait les deux choses pour combler ma famille. "

Bien évidemment, ne pas salir le nom des Sugimoto était réellement une chose importante aux yeux de Yuriko, tant qu'elle avait porté d'affection à son père. Elle ne voulait pas non plus porter honte à Yuudaï. Sa position de jeune noble lui donnait l'impression de limiter son horizon, mais elle supposait aussi que peut-être, elle n'avait tout simplement pas encore découvert ce qui pourrait l'animer avec passion.

Silencieusement, l'adolescente écoutait les propos de son aîné avec un grand intérêt. Bien qu'involontaire, ce dernier lui inspirait une leçon de sagesse évidente. Peu de monde était apte à tenir ce genre de discours. Ne pas dénigrer les plus faibles ou ne jurer que par la seule excellence, voilà quelque chose que Yuriko n'entendait que peu dans son cercle familial, hormis de la part de Yuudaï qui avait du respect envers quiconque faisait des efforts. Mais l'échec, la médiocrité, et tout ce qui pouvait en être l'attrait, voilà bien une chose que sa propre mère avait en horreur. C'était peut-être pour cela qu'elle n'avait jamais réussi à aimer sa propre fille. À ses yeux, elle était trop comme son père et son père était un incapable aux regards de sa matriarche.

" Vous seriez un bon professeur, Ryujin-san. Je tâcherai de me souvenir de vos paroles lorsque je m'entrainerai. "

Et l'avenir le prouverait. Yuriko s'appliquerait à ne jamais baisser des bras, ni même à se dénigrer lorsqu'elle aurait l'impression d'atteindre ses limites. Elle mettrait à l'épreuve son sens de l'observation et son intelligence pour trouver une façon ou une autre de compenser ses défauts. Les paroles de Ryujin résonneraient ainsi encore de belles années dans l'esprit de la jeune femme. Il fallait dire que cet ami providentiel finirait par devenir le sien, et naturellement se lier à sa famille.

Dans la continuité de leur conversation, la jeune Sugimoto finit par porter son regard sur la silhouette du grand Kamisuki, allongé là, alors qu'il parlait avec un grand naturel de ses ambitions. Elle ne put retenir un petit sourire en l'observant quand il parlait de l'océan et tous les secrets qui n'attendaient qu'à être découvert.

" Il y a en effet beaucoup de chose à faire de ce côté-là. Je suis certaine que vous parviendriez à faire évoluer les choses. "

Une pensée naïve de la part d'une adolescente qui se voulait encourageante, car quand bien même elle ne semblait n'avoir aucune aspiration propre, elle n'était pas de ceux qui voulaient éteindre la flamme de l'ambition honnête de ses proches. "Honnête", car tout était dans le mot. Yuriko se montrerait bien moins scrupuleuses envers ceux qui ne l'étaient pas.

En attendant, son aîné la plaçait dans une étrange et inconfortable situation. Même si elle se doutait que ce dernier ne souhaitait que lui dire qu'elle ne devait pas s'oublier malgré son devoir, elle se sentait un peu bête de n'avoir aucune réponse à apporter, comme si elle ne s'était jamais permise de réellement rêver pour elle.

" Apprécier des choses ? Et bien... je suppose que oui. Il me semble convenable de dire que je sais apprécier les choses simples mais je ne suis pas certaine que cela est un rapport avec ce que vous aimeriez entendre. Quant à mes rêves... je ne sais pas. Est-ce si étrange de ne pas avoir de rêve propre à soi ? "

La jeune fille tourna la tête vers Ryujin, le visage exprimant une forme de désemparement face à la question.

" Je ne sais pas à quoi aspirer les jeunes filles de mon âge, ni même à quoi aspirer tout simplement. "

La paix dans le monde ? Un beau mariage ? Avoir de multiples enfants ? Devenir une redoutable guerrière ou une héroïne connue ? Y avait-il une norme aux rêves ? Devaient-ils être grands ou modestes ? Devaient-ils pouvoir s'accomplir ou n'être qu'une utopie ? Voilà comme une si simple question ramenait l'adolescente à se rendre compte qu'elle n'avait jusque-là que simplement suivi la route que l'on lui avait tracé sans se poser la moindre question, tuant dans l'œuf ce qu'elle aurait pu apprendre d'elle-même : découvrir ses véritables désirs.

Le regard céruléen de l'adolescente observait son aîné avec une grande attention, comme si elle était à l'écoute d'une leçon académique. Si elle était encore jeune, il était aisé de constater que Yuriko n'avait pas la maturité des jeunes filles de son âge. Plus adulte ou peut-être plus morne, mais on devinait aisément qu'il ne lui était plus permis de rêver à des choses que sa caste sociale considèrerait comme superficielle. Rêver… Son père le lui aurait sans nul doute permis, probablement lui aurait-il même offert une meilleure vie. Cependant, elle était aux griffes de sa mère, et il n'y avait que ces pathétiques objectifs qui semblaient compter à ses yeux.

" Aider à nous surpasser ? Vraiment ? "

La jeune Sugimoto tourna la tête au-devant, se perdant quelques instants dans ces pensées. Imaginer que se fixer un but qui lui fût propre et choisie pourrait l'aider la surprenait un peu. Elle n'avait jamais vu les choses ainsi, ou tout du moins, elle ne s'était jamais fixée un objectif qui n'était pas en dehors de l'intérêt du clan de son père. Devenir plus forte faisait sens à son métier. Devenir plus éduquée faisait sens à son niveau social. À quoi pouvait-elle tendre ?

" Je suppose qu'il me faudra réfléchir un peu plus profondément à la question. "

Le mépris qu'elle portait à l'égard de sa mère et l'attachement qu'elle portait à bien faire pour son clan l'avait rendu aveugle à tout autre intérêt. Toutefois, elle ne pouvait éternellement se dissimuler derrière ses colères et ses obligations, car elle ne savait que trop que cela finirait par ne faire d'elle qu'une coquille vide. Mais elle n'était encore qu'une jeune enfant qui ne connaissait pas toute l'étendue du chemin qu'elle arpentait et elle n'imaginait pas encore à quel point elle s'y perdrait un peu plus.

Tandis que son esprit flânait, la voix de Ryujin et sa proposition la surprit, assez pour sentir ses joues rougir et trahir, peut-être, une envie soudaine de sucrerie. Elle le regardait alors, s'étonnant qu'un grand jeune homme comme lui put désirer partager un peu de son temps de cette façon avec une adolescente comme elle.

" Je vous ai coupé dans votre entrainement, je ne voudrais pas accaparer votre temps. Néanmoins, il serait malpoli de ma part de refuser votre invitation, mais à la seule condition que cela ne vous occasionne aucune gêne, ou bien que vous vous sentiez obligée de me le proposer. "

Elle supposait que l'ami de son frère voulait bien faire, surtout envers la cadette de son camarade. D'un autre côté, Yuriko n'avait pas le cœur à retourner auprès de sa mère, elle voulait bien prolonger un peu plus longtemps sa fuite, pouvoir continuer à respirer sans se sentir oppresser.

" Nous pourrions couper la poire en deux, et profiter de quelques sucreries autour d'un thé. "

La chaleur était toujours aussi étouffante, bien que les deux jeunes gens profitaient de l'ombre des arbres. La proposition de Ryujin ne pouvait pas mieux tomber. Ce fut avec légèreté que la jeune fille se redressa, époussetant les pans de tissus de sa robe, avant de prêter son attention à son aîné. Elle ne savait où il désirait l'emmener, mais elle le suivait en toute confiance.

L'adolescente qu'était Yuriko, pouvait parfois se montrer farouche, et si ce n'était pas les mots, cela se traduisait par le poids de son regard. Pourtant, ici, et en cette compagnie-là, la jeune fille semblait se contenir avec une étonnante facilité. Parce qu'il était un ami de son frère ? Oui. Cela la rassurait considérablement et elle se concédait plus facilement à emprunter un chemin détourné pour fuir les pénibles remontrances maternelles aux côtés de Ryujin.

Elle fut rassurée, une fois de plus, par la gentillesse manifeste de son aîné. Elle ne l'ennuyait pas et il ne paraissait pas s'accabler de politesse forcée. C'était peut-être cette honnêteté-là qui le rendait sympathique à ses yeux.  

" Si c'est de bon cœur, je ne peux aller à l'encontre de votre générosité. "

Tandis que la demoiselle proposa une solution intermédiaire à leur pause, leur permettant de quitter l'endroit feuillu, elle ne put retenir un léger rougissement de ses joues face aux compliments. Il fallait dire que ce n'étaient pas des mots qu'elle entendait bien souvent dans son cercle familial.

" Oh... je... merci.  Je ne sais pas si cela est vraiment une forme de créativité qui mérite d'être portée aux louanges… mais simplement... un aveu de gourmandise. "

Repoussant ses cheveux sombres derrière son oreille, elle se racla la gorge, légèrement gênée de la situation. Il ne fallait pas oublier qu'elle n'avait que treize ans et que Ryujin lui paraissait fort impressionnant - même si la demoiselle était déjà dotée d'un certain caractère. Cherchant à étouffer son embarras, elle ne se laissa guère prier quand le jeune homme lui désigna le chemin à prendre pour retourner en ville.

Si elle demeura silencieuse dans un premier temps, essayant de conserver un peu de contenance malgré la chaleur. Elle sentait sa peau devenir un peu moite et l'air lui paraissait brûlant. Toutefois, elle savait qu'il était contreproductif de presser son allure car cela ne ferait qu'empirer les choses. Curieusement, elle se sentit un peu délivrée quand Ryujin embraya sur un nouveau sujet de conversation.

" Me fascine ? Mmmm... "

Yuriko se mit à réfléchir un peu. Elle n'était qu'aux prémices de son éducation shinobi, elle n'avait pas encore fait de choix définitif sur la voie à emprunter.

" Je ne sais pas si on peut parler de fascination, mais je m'intéresse un peu aux yokaïs et les animaux en général. Ils me semblent parfois de meilleures compagnies que certains humains. "

Une bien terrible pensée pour une enfant à l'aube de sa vie, mais aisément compréhensible quand on connaissait le milieu dans lequel elle baignait.

Les joues de la jeune fille s'empourprèrent à nouveau, bien peu habituée à devoir accepter les compliments sincères. Oh, bien entendue, elle eut déjà à faire face à quelques langues acérées qui aimaient à souligner la légèreté de ses traits, le clair de ses yeux ou bien le port noble de sa tête, mais il n'y avait rien sans arrière-pensée. Soit cela faisait partie des jeux insidieux de sa mère qui la préparait à être un parti à marier pour ses propres aspirations, soit on attendait tout autre chose d'elle qui pourrait avoir un autre lien avec son clan ou sa caste. Il y avait toujours des âmes avides qui rêvaient de se créer des relations, et quoi de mieux que d'essayer de les atteindre par le biais d'une jeune fille que l'on pensait malléable. Un tort, mais cela permettait au moins à Yuriko de mieux sonder ce qui l'approchait, tout en nuisant à la confiance qu'elle ne saurait accorder qu'à si peu de monde.

Quoiqu'il en fût, Ryujin était un être à part, notamment parce qu'il était l'ami de son frère en qui elle avait toute confiance dans ces jugements. Et aujourd'hui, elle pouvait peut-être prétendre qu'il faisait aussi partie de son cercle d'ami. C'était pour cette raison qu'elle était sensible à ses mots, il n'était pas doté d'un mauvais esprit.

" Loin de moi l'idée de vous blesser d'une quelconque façon. Nous dirons... nous dirons que je n'ai guère l'habitude de la sincérité et probablement aussi, qu'ici, mon humilité m'engage à ne pas aisément accepter les compliments. Ou peut-être une éternelle insatisfaction. Mais je les prends à cœur. "

Tentant de rattraper cette maladresse, Yuriko désirait que cela ne jeta pas un voile sur le lien qu'il créait aujourd'hui. Certes, elle avait pris très tôt à placer une certaine distance entre elle et les autres, mais cela n'avait jamais été son désir profond. Bien qu'un certain silence s'installa, tandis que l'adolescente cherchait une réponse convenable à donner face à la dernière interrogation de son aîné, un sourire finit par apparaître sur son visage.

" Vos encouragements sont une bénédiction, Ryujin-san. J'aimerais sincèrement que vos mots soient vrais et que je puisse être utile en apportant un peu de lumière sur ce que l'on ne comprend pas. Même si cela ne doit être que modeste. Quand je serai une adulte accomplie, je travaillerai dur. "

Petit à petit, la jeune Sugimoto s'ouvrait à son camarade, se montrant plus naturelle, un peu moins dans la retenue, des petits efforts que ne pouvait que remarquer le Kamisuki. Dans le même temps, il aurait pu percevoir au travers de son regard cette étincelle de détermination, étincelle qui l'animerait même des années plus tard. Bien faire et résoudre quelques énigmes. Cela serait ses chevaux de bataille.

Arrivant enfin à destination, les deux nobles se retrouvèrent devant un établissement modeste, mais élégant. L'enthousiasme de Yuriko était perceptible, car elle n'hésita pas à y entrer avec un léger empressement. Le bleu de ses yeux s'illumina une fois à l'intérieur, respirant le doux parfum aromatisé des boissons servies, mais aussi l'odeur sucrée des pâtisseries. Ryuijin choisit les places et aida la demoiselle à s'installer avant que rapidement, on leur apportât la carte.

" Je vous prendrai un thé à la fleur de cerisier et un mochi au yuzu, s'il vous plaît. "

Yuriko n'eut que peu d'hésitations. Visiblement, elle savait ce qu'elle voulait dès qu'il s'agissait de gourmandises.

" Venez-vous souvent ici, Ryujin-san ? C'est un endroit charmant. "

Assise en face du jeune homme, elle porait ses yeux clairs vers lui, un léger sourire sur le visage.

Ryujin semblait avoir réussi en partie à faire oublier les raisons de la fuite de l'adolescente. La conduire en un lieu si apaisant et délicat lui apportait du baume au cœur. Quelque part, il agissait un peu comme son propre frère et elle ne s'inquiétait pas des décisions qu'il prenait. Cela démontrait aussi que Yuudaï savait bien s'entourer, car, contrairement aux apparences, bien qu'elle fut la cadette, elle s'inquiétait aussi pour son aîné. Quand bien même sa mère le louait de bien des manières, elle savait que cela avait aussi son lot de conséquence.

Attendant alors qu'on leur apporta commande, la jeune Sugimoto se surprit à vouloir en savoir un peu plus sur le Kamisuki. La première question qui lui vint à l'esprit concernait cet endroit, mais malheureusement pour elle, elle se demanda si elle n'avait pas commis une faute. Ainsi, lui aussi avait quelques problèmes familiaux ? Oh bien entendu, à la vue de son statut social, elle se doutait que ses ennuis étaient d'un tout autre niveau, néanmoins, cela l'attristait à imaginer que par sa faute, elle le plongeait dans de mauvais souvenirs pour le seul besoin égoïste de chasser ses propres noires pensées.

" Je suis navrée, Ryujin-san. J'espère qu'être ici ne vous incommode pas trop. Nous pouvons toujours demander à emporter notre commande pour nous rendre ailleurs si cela vous met mal à l'aise. "

C'était une solution comme une autre, mais faudrait-il encore trouver un lieu agréable et à l'ombre pour pouvoir profiter de tous leurs mets délicieux. Mais quand son aîné lui renvoya la question, elle agita la tête négativement en laissant échapper un léger éclat de rire.

" Oh, c'est la première fois que je viens ici. Pardonnez-moi si je vous en ai donné une impression contraire. Mon empressement ne tient qu'au fait que j'ai peur de souffrir de quelques péchés de gourmandises. Ce n'est pas une chose dont j'ai souvent... l'occasion de pouvoir faire chez moi Il n'a que Yuudaï, qui parfois me ramène des douceurs. "

L'éducation que lui offrait sa mère était stricte sur bien des plans, et si cette dernière venait à être surprise en train de manger quelques gourmandises, ces dernières lui seraient ôtées, tout en la couvrant de quelques insultes sur son manque de volonté et un mépris profond pour sa santé, ou sa ligne.

" En ce qui concerne le thé, je dois avouer que je ne suis pas très aventureuse, car il s'agit d'un classique de notre beau village. Pour les mochis, c'est ceux que mon frère à l'habitude de m'offrir. "

Sur ces mots, le serveur vint à déposer délicatement leurs tasses et théières fumantes, ainsi qu'une petite assiette avec deux mochis pour l'adolescente.

" Avez-vous quelques plats préférés, Ryujin-san ? Si vous aimez quelques gâteaux, je pourrai peut-être m'entrainer à vous en faire. Je le fais déjà pour Yuudaï de temps à autre. "

Cela faisait aussi partie de l'éducation imposée par la matriarche. Être une shinobi, peut-être, mais elle était avant tout un pion à vendre à un beau parti.

Les mots de Ryujin semblaient faire plaisir à la jeune fille, les joues roses, le sourire éclatant, alors que l'on voyait le bonheur sincère qu'elle éprouvait à pouvoir être elle-même dans un moment aussi banal que celui qu'il partageait. Une simple gourmandise prenait alors des airs de bouffées d'oxygène, elle qui paraissait ne plus pouvoir respirer dès qu'elle posait le pied dans sa propre maison. Viendrait pourtant le jour où elle pourrait à nouveau revenir chez elle sans une boule au ventre, viendrait le jour où elle tiendrait tête à cette mère acariâtre pour reprendre la main sur sa vie. Mais le prix finirait par être lourd.

" Merci Ryujin-san. Je comprends de mieux en mieux pourquoi mon frère vous apprécie. Vous êtes un homme généreux. "

Sur ces mots, la demoiselle se rabattit tout aussi vite sur son thé avant qu'il ne vînt à se refroidir. Et quand bien même elle se délectait, elle écoutait avec attention la réponse du noble géant. Ce fut en reposant sa tasse qu'elle semblait commencer à réfléchir à ce qu'elle pourrait faire pour lui. Et bien que cela n'était en rien très académique, Yuriko avait toujours aimé faire plaisir à ses proches, même avec des choses aussi superflues qu'une attention culinaire.

" Mmmm... et bien, avec de tels indices, je pense que la solution est toute trouvée. Cependant, je vous ferai la surprise lorsque je vous reverrai. Cela sera un gage de notre nouvelle amitié, et un remerciement sincère pour cette journée. "

L'adolescente glissa alors un nouveau sourire, avant que ses joues s'empourprèrent à nouveau lorsque Ryujin lui indiqua que tout lui ferait plaisir. La seule personne qui n'hésitait à lui dire de telles délicatesses n'était autre que Yuudaï. Peut-être était-ce pour cette raison qui lui avait paru alors si facile de s'entendre avec lui, parce qu'il lui ressemblait un peu, tout en étant si différent. Avec ses yeux d'adolescente, elle ne pouvait tout comprendre, tout analyser par le simple manque d'expérience, mais elle avait cru desceller en lui quelques fêlures, un peu comme elle.

" Je vous confirme, Ryujin-san... je trouve cela très bon. Je suis heureuse que vous m'ayez emmené ici... et vous savez, vous n'avez pas besoin de me rendre cela d'une quelconque façon. Je suis déjà pleinement satisfaite... ou sinon... "

Alors que la jeune fille se tenait assise face à lui, elle leva alors sa frêle main dans sa direction, ses doigts pâles vers lui.

" ... acceptez simplement d'être mon ami, comme avec Yuudaï. "

Et il deviendrait alors le premier, le premier à qui elle accorderait sa confiance et dont elle admirerait le courage.