La morsure vive du froid avait de quoi en faire trembler plus d’un. Là, dans les terres de l’ouest, la simple apparition du givre sur les feuilles devenait un grand évènement et les températures, basses, mettaient à rude épreuve les pauvres habitants plus habitués à la chaleur du soleil sur leur peau qu’à la caresse d’un vent glacial. Au milieu des villageois tremblants, bien emmitouflés dans leurs vêtements épais, tu semblais être une anomalie, insensible au froid. Silhouette fluette, dénuée de ces couches superflues. Une enfant de Seizan, taillée dans les montagnes gelées, polie par l’altitude. Qu’est-ce qui t’avait entrainé si loin de chez toi à l’origine ? Oh, une rencontre. Une discussion, à l’abris des regards, avec un éclat du passé qui avait ressurgis. Un premier indice dans tes recherches. Un pion sur l’échiquier, consentant et mue par une curiosité insatiable semblable à la tienne. Et maintenant, quoi de plus ? En avance sur ton programme, tu l’étais et quant bien même tu aimais à la folie ton village natal, le voyage avait ce petit gout d’aventure agréable qui te donnait envie de trainer la patte, encore un peu. De profiter des paysages. De la mélodie particulière de l’endroit. De ses parfums. Quel meilleur perchoir pour ça qu’un arbre, pas vrai ?

Petit coin de paradis paisible, loin des tumultes de la vie, tu profitais de ses larges branches pour t’allonger de tout ton long, ton dos contre le tronc pour dévorer ton dernier roman en cours, sans un mot. Un simple sourire aux lèvres. Une lecture bercée par le bruit de l’eau. Des quelques rares poissons qui, emballés par un élan de courage, s’amusaient à bondir hors de l’eau pour atterrir un peu plus loin. Et la douce musique du feuillage au-dessus de ta tête, secoué par le vent.

Ce moment aurait pu être parfait en tout point, si une perturbation n’était pas entrée dans le tableau, balayant tout sur son passage. Chevelure rosée et visage illuminé de motivation, il n'avait même pas remarqué ta présence, le regard fixé sur son objectif, s’encourageant même de petites claques ... avant de plonger ses jambes dans l’eau gelée, les manches remontées. Une vision si surprenante qu’elle parvint à t’arracher un frisson qui secoue ton échine avant de totalement accaparer ton attention, bien plus que le chapitre que tu avais entamé. Te redressant dans ta cachette tout en rangeant le petit livre dans la besace qui tomber le long de ta hanche, tu observas ses gestes.

C’était une nouvelle peinture qui se dessinait là sous ton regard d’opal. Le géant à la musculature conséquente barbotait dans l’eau, le dos courbé, les mains tâtonnant la surface avec une délicatesse en contraste avec son apparence. Avant d’être la victime d’une terrible attaque lorsque ses gestes croisèrent par mégarde un petit banc de poisson qui passait par là paisiblement. Ce fut comme regarder s’écrouler un château de carte. Une erreur et les conséquences étaient ... catastrophiques. Paniquées, les créatures aquatiques se mirent à bondir, fouettant de leurs nageoires les joues du pauvre inconnu avec violence et réveillant les terribles bêtes qui avaient élu domiciles dans l’arbre où tu t’étais toi-même cachée avant son arrivée.

Le turluttement sonnait comme une terrible chorale annonciatrice de malheur et l’armée de volatiles, jusque-là paisible, s’enragea, déployant ses ailes avec pour cible de banquet de poissons qui lui était offert comme sur un plateau, avec en assaisonnement un peu de sang humain sur leurs serres. C’était du moins ce qui se serait passé si tu ne t’étais pas décidé à porter secours à l’étranger. Fluide, habile, tu pris une impulsion depuis ton perchoir, t’envolant dans les airs, ta tresse immaculée dansant dans ton dos tandis que tes mains formaient pieusement les précieux mudra.


Les poumons qui s’enflent avant de recracher brutalement tout cet air, repoussant les oiseaux dans une autre direction, loin du rosé et ce, au moins pour quelques instants avant que tes pieds ne touchent enfin la surface de l’eau, sans s’y enfoncer. Comme si tu étais légère comme une plume, tu flottais au-dessus, dans une grâce délicate et douce ... Avant que ta voix ne gronde, comme l’orage au cœur de la tempête. Ferme. Claire. Saisissante.

« Eh, tu comptes te laisser faire ? Sors de là si c’est pour te laisser maltraiter par les poissons ! »

Refuser du tuer gratuitement, tu comprenais. Si ce n’était pas essentiel, éviter était la meilleure chose à faire. Mais tu avais repéré ce bandeau au tissu bleuté noué à son biceps alors, il devait au moins pouvoir se défendre, non ? À moins que les soldats de Toge étaient du genre à trembler devant quelques nageoires ?

Des missions pourries au possible, tu en avais eu des tas. Vraiment. C’était le quotidien de tout genin débutant, noble ou pas. Et à l’époque, ton père avait adoré faire en sorte de te confier les pires, pour mettre à l’épreuve ta détermination à aider ton prochain. S’assénant dans un premier temps lui-même quelques claques aux joues, signant le début de sa contre-attaque, il modifia sa posture, passant de la pauvre proie au chasseur. Le dos courbé se redressa. Les muscles se contractèrent et le chakra dans son corps se malaxa, pour se transformer. Prendre forme, gracieusement, sous la forme de ces énormes bulles, entrainées dans une danse sauvage qui entraîna la friture dans son sillage, sans pitié. Un spectacle qui dessina un petit sourire sur ton minois, rassurée de voir que les soldats de Toge n’étaient pas devenus, comme tu le craignais, de petites choses trop sensibles au point même de se défendre face à une armée aquatique. Fier, habile, le rosé dirigea avec aisance son nouveau butin sur la terre ferme, en signant dès lors le destin. Une mort inévitable.

Il y eu un moment de silence pendant lequel ton regard alterna de la berge au visage souriant et fier de l’inconnu. Un moment pendant lequel tes iris aux multiples couleurs semblèrent essayer de mire a situation. De définir la bonne chose à dire, avant que tu ne choisisses la voie habituelle : le franchise.

« C’est très gentil, mais je vais être incapable de manger tout ça avant que ça ne pourrisse. »

Et puis, tu n’en avais pas vraiment besoin. Tu avais déjà bien assez à dévorer dans ton sac et tu avais même déjà défini les villages où tu allais t’arrêter pour refaire ton stock lors de ton aller, depuis Seizan. Sans doute y-avait-il une meilleure solution pour se débarrasser des cadavres de l’armée de poissons et ce, sans gâchis. Et comme si Omoikane avait entendu tes pensées, le genin se présenta enfin à toi, avant de se considérer tout seul comme redevable, là où finalement, tu n’avais fait que ton travail. Tu n’étais néanmoins pas du genre à cracher sur la main qui t’étais tendue ! Redressant légèrement le bandeau au tissu noir attaché à ta taille, pour signifier ton grade de chunin au dénommé Koka.

« Kara Saki, mais appelle moi Saki, ce sera plus simple. »

Vous n’étiez pas dans un échange réglementé, et étrangement, tu n’étais pas forcément à l’aise qu’on t’appelle par ton nom de famille. Tu avais l’impression que cela bâtissait un mur entre toi et ton interlocuteur, là où tu préférais uné change fluide et libre.

« Vu que tu te proposes de m’aider ... Tu veux bien me prêter un coup de main pour emporter ta prise jusqu’au village le plus proche ? Je préfère donner cette nourriture à quelqu’un qui en a vraiment besoin, et t’as fait une sacrée prise, je dois l’avouer. »

Est-ce que tu avais déjà fait ça avec ton Suiton ? Non, j’avais. Il fallait avouer qu’à travers les montagnes bleues, on ne trouvait pas vraiment de grands lacs comme celui-ci. Les habitants vivaient plutôt de la chasse et des quelques cultures qui avec le temps, avaient appris à résister au froid. La pèche, ce n’était pas du tout dans vos habitudes, et c’était peut-être mieux comme ça. Tu imaginais déjà plusieurs brutes utiliser leur sabre comme une canne à pêche, tout ça dans l’espoir de rigoler un peu.

« Ce n’est pas loin, environ un petit kilomètre. »

Cela pouvait néanmoins encore attendre. Sans bouger de ta position, toujours debout sur la surface redevenue paisible du lac, comme s’il s’agissait là de la chose la plus naturelle du monde, tu précisas rapidement.

« Enfin tu peux finir ce que tu faisais avant bien sûr. Je suppose que tu ne pataugeais pas pour le plaisir non ? Je peux aider ? »

Et ça, ça allait te permettre de saisir un peu mieux l’étrange shinobi aux multiples tatouages et à la langue bien pendue. Tu voulais savoir. Savoir ce qui l’avait poussé à se geler les jambes, oubliant même qu’il pouvait tout simplement flotter au lieu de plonger dans l’eau et de réveiller la furie des poissons et des oiseaux en un seul faux pas.

C’était un étrange personnage, ce koka. Massif, impressionnant de carrure, il dévoilait un caractère plus docile, comme un gros chien qui, au moindre compliment ou à la moindre remontrance, voyait son monde s’écrouler. Au moment exact où tu avais avoué ne pas pouvoir te repaître de tout les poissons qu’il avait fièrement attrapés, tu avais vu sa mine se refermer légèrement et se dissimuler derrière un sourire plat. Fade. C’était presque touchant. Assez pour t’arracher un rire, très léger, alors que tu remontais tes manches pour t’approcher de la surface paisible du lac.

« Mais je dois bien avouer que la technique de pêche était très intéressante. C’était un premier essai ? »

Pour apprendre plus sur le chakra et ses utilisations, il fallait expérimenter. Encore et encore, malgré les échecs. C’était là la base de toutes les recherches au fond. L’échec, lui, n’en était jamais réellement un, tant il apprenait à celui qui le vivait. Combien de fois avais-tu échoué avant de mettre au point certaine de techniques ? Beaucoup. Ça, c’était certain. Mais aujourd’hui, tu pouvais être fière de tes progrès Saki. Alors, tu pouvais bien essayer de rassurer, ne serait-ce qu’un petit peu sur le bien fondé de son action. Ça ne te coutait rien.

« Les villageois seront heureux de ce cadeau, à n’en pas douter. Tu as bien fait. »

Mais avant tout ça, il fallait bien que le rosé termine ce qu’il était venu faire ici. Une cueillette bien précise qui l’avait poussé à sortir de la forêt des pins et à traverser toute la région ouest d’Onogoro, du sud au nord. Un sujet qui piqua bien plus ton intérêt que celui de la pêche alors que tu t’aventurais à ton tour dans le lac à la recherche de la fameuse plantes aux pétales immaculées et aux effets boostant dans la direction qu’il t’avait indiqué.

« Tu es herboriste ? Intéressant ! C’est quel genre de pilule que tu produits ? »

Te répondre, il n’était pas vraiment obligé, mais c’était quand même bien plus sympa pour faire la conversation que de se taire, non ? Et puis, Koka te semblait être du genre passionné par le sujet. Comment tu le savais ? Parce que dès que tu avais posé ta question, il n’avait pas pu se retenir et avait déversé le début d’un discours sur la raison de sa venue. Il suffisait juste de l’inviter un peu à la discussion pour en savoir plus.

Les mains s’afférant entre les roseaux, remuant doucement l’eau paisible, tu cherchais la fameuse plante à la source de toute cette histoire. Celle même qui l’avait poussé à voyager pendant des journées entières. D’ailleurs ...

« Dis-moi, ce n’est pas possible de les faire importer jusqu’à Toge ? Est-ce que tu dois te déplacer jusqu’ici à chaque fois car tu dois les utiliser quand elles sont fraiches ? »

Si c’était le cas, ça ne devait pas être bien pratique. Pas du tout même. Peut-être que tu trouverais là une nouvelle idée à tester ? Si tu arrivais à mettre en place un système permettant de plus aisément se fournir en plante de toute part ... Tu pourrais aider le village.

Koka était du genre bavard. Une simple question sur la pêche, et voilà qu’il en révélait bien plus sur lui qu’il ne le pensait. Juste avec sa simple réponse, tu comprends bien rapidement les bases de son enfance. Du moins en partie. Une enfance différente de la tienne, à bien des égards. Lui était une exception, l’unique membre à posséder cette force incroyable qu’était le chakra. Toi, tu descendais d’une lignée qui, depuis 100 ans, produisait des soldats pour les rangs de Seizan. Tu ne pouvais pas lui dire quoi que ce soit qui pouvait le rassurer. Ça aurait été mentir, gratuitement. Il y avait peu de chance que ses rapports avec son père s’améliorent, comme ça, du jour au lendemain. Quand l’un avait la puissance, le second finissait toujours pas être envieux. Mal à l’aise. Effrayé. C’était comme devenir une arme, plus qu’un être humain, aux yeux de beaucoup. C’était ça, la vie d’un soldat à Onogoro. Parfois, lors de tes missions, tu la voyais, cette petite étincelle de peur, au fond du regard des civils que tu avais pourtant décidé de protéger de ta vie. On finissait par s’habituer, ça faisait partie du fardeau.

Ainsi, tu restas silencieuse, continuant de rechercher le fameux lotus immaculé tandis que le jeune genin t’expliquait alors un peu plus les bienfaits de celui-ci, mais également la raison pour laquelle il avait fait le chemin jusqu’ici et ce, depuis Toge. Les mains dans l’eau décalaient délicatement algues d’eau douce et plante du chemin, dans l’espoir de révéler les pétales blancs à ta vue.

« Je vois ce que tu veux dire. Peu d’offre, beaucoup de demande, ça explique des prix faramineux. Ce serait bien que le commerce s’élargisse, ça ferait chuter le coût de production ... »

Mais ça voulait dire aussi que la nature environnante serait plus aisément dépouillée de ses richesses. La recherche d’un parfait équilibre entre humain et sauvage était toujours difficile à atteindre. Un jeu de funambule complexe dans lequel la chute ne se résumait pas à un simple bras cassé. Et tandis que tu te laissais absorber par toute cette réflexion, intéressante, le jeune homme te ramena sur terre en tombant le premier sur un des lotus.

Te redressant, portant le regard sur sa trouvaille avec curiosité et détaillant toute la beauté de cette fleur blanche comme neige sur la surface paisible du lac, une idée te frappa, plus marquée que les autres.

« Dis-moi, tu as pensé à tenter de les cultiver ? Tu économiserais en tant de trajet, en coût, et tu n’aurais pas à impacter l’écosystème »

Du moins, cette solution te semblait lui correspondre. Il avait l’air d’avoir beaucoup de respect pour la nature. La beauté sauvage de chaque petit élément que bien d’autre aimaient piétiner sans vergogne. De nouveau, tu plias les genoux, te rebaissant au niveau de l’eau, pour à ton tour découvrir deux lotus qui s’étaient cachés dans les plantes.

« Ah ! Trouvé ! Je te laisse les prélever, je risquerais de les abîmer. »

Les sciences médicales, les plantes et tout ce qui s’y rapportait, tu n’y connaissais pas grand-chose. Peut-être qu’un jour, tu prendrais le temps d’étudier ce passionnant sujet, mais tu avais trop à faire pour l’instant. Il valait parfois mieux se concentrer sur quelques spécialités plutôt que de se laisser aller à l’envie de tout faire. Un défi, toi qui aimais découvrir ...

« Bon, maintenant que tu as tout ce que tu voulais, on peut aller livrer ton butin de pêche au village avoisinant et on sera quitte. »

Il fallait que tu reprennes la route dans peu de temps, si tu voulais éviter de voyager en pleine nuit et Seizan, ce n’était pas la porte à côté quoi qu’on en dise. Un long trajet au bout duquel une nouvelle vague de travail t’attendait, bien sagement.

Pour suivre tes paroles, tu te dirigeas vers la berge, laissant le togejin prendre la charge de la récolte des lotus, retrouvant rapidement la terre ferme et retirant la couche de chakra sous tes semelles avant de récupérer ton livre que tu avais posé à la base d’un arbre, sur les larges racines de celui-ci.

« Tu as un sac pour transporter tout ça ? Je me vois mal arriver les bras chargés de poisson, et je ne pense pas pouvoir supporter l’odeur sur mes vêtements jusqu’à Seizan. »

Non, clairement pas. Tu as le nez trop sensible. Une bénédiction parfois, une malédiction d’autres.