Les plus grands secrets de ces lieux sont morts, redevenus poussière et rendus à la terre. Il ne reste rien du domaine familial et le terrain est inhabité; à dire vrai je n’en suis même pas surpris.

Si le peuple peut bien se souvenir de ceux qui vivaient ici, nul ne pourrait connaître la dure réalité de ce qui se passait. Pour eux, il n’y a que des noms creux attachés à un prestige dont ils se targuaient, rien de plus, peut-être bien moins.

Je pourrais arrêter n’importe quel passant et je suis certain que personne ne saurait qui je suis. Sous les nombreuses coutures de mon kimono, sous toutes les couleurs qui me portent, personne ne crierait au petit dernier de la famille Yamanaka.

Yamanaka, ceux qui vivent au coeur des montagnes.

Qu’importe, maintenant que la vie nous a emmenés loin. Personne ne voudrait se rappeler de nous; une famille hantée par l’esprit malin d’un renard cruel. C’est dailleurs pour ça qu’on a été rasés.

Je remonte le chemin du petit bois, qui mène au grand jardin.

Arrivé, je suis surpris par deux fois.

C’est ici que notre ancêtre a rencontré le Kitsune, offrant à la créature une porte grande ouverte pour le monde matériel. Si je n’avais pas vu l’endroit brûler de mes propres yeux, je ne l’aurais pas cru; la nature n’abandonne pas ses droit, et le jardin – certes moins épanoui – est encore là.

Non seulement ça, mais quelqu’un s’y trouve.

Je n’aurais jamais pensé voir quelqu’un ici. D’où je suis, on dirait qu’il cherche quelque chose au sol. Je l’appelle en m’approchant tranquillement, prenant soin de ne rien piétiner. «Vous avez perdu quelque chose?»

Allant à la rencontre de l’homme, j’ajoute que «j’ai entendu dire qu’un esprit se cache ici depuis des décennies. Est-ce que vous êtes ici pour voir la légende, vous aussi? »

Je me doute que non, mais on ne sait jamais. À le voir, je pense qu’il cherche des plantes rares; je ne serais pas surpris, je peux confirmer qu’il aurait raison de fouiller ici. «On dit que la famille qui vivait ici a laissé une stèle sous un champ de Napel pour honorer l’esprit. C’est vrai?»

Bien sûr que ça l’est. "Nous avons peint ces lieux d’aconit en l’honneur de l’esprit des montagnes bleues. Qu’il marche à jamais à nos côtés, que l’on puisse tous jouir des richesses de la nature." Napel, c’est l’aconit; une plante vénéneuse capable de tuer un humain même à faible dose. On se sert des pétales pour teindre, des racines pour empoisonner et des tiges pour faire des remèdes… si on sait comment ne pas se tuer avec.

«Je vous avoue, on m’a averti de ne pas venir ici sans personne pour m’accompagner. Pourtant, j’avais besoin de venir voir par moi-même et de savoir ce qui s’est passé ici... »