La neige recouvrait tout. Un épais manteau blanc à l’apparence duveteux qui poussait la plupart des habitants à rester chez eux, bien au chaud, auprès de la cheminée et du crépitement du bois enflammé. Le paysage qui s’offrait sous tes yeux était ce qui t’avait poussé à sortir malgré la température plus que frisquée de cette fin d’année. Tu aimais voir les roches sombres glacées s’élever vers le ciel comme pour toucher celui-ci. Les quelques fleurs, assez résistantes, qui poussaient à flanc de montagne pour raviver cette vision noir et blanche de quelques couleurs. L’odeur de la mousse contre les arbres.

Perchée en hauteur d’un massif rocheux, le regard se perdant sur l’horizon, un sourire aux lèvres, tu observais ce paysage qui t’apportait une forme de paix intérieure dont tu te languissais dans un quotidien qui était bouleversé jour après jour en ce moment. La sensation de la brise, légère, jouant avec ta chevelure te sembla comme une libération. Une journée paisible. Au déroulement prévisible, comme le flot d’un ruisseau, à moins que ... ?

Un cri, à la tonalité terrifiée, transperçant le silence, réduisant la paix de ton esprit à son ébullition perpétuelle et t’arrachant un léger grognement. N’avais-tu pas le droit à une seule journée sans rien ? Les muscles contractés, les sens aiguisés, tu te redressas d’un bon, descendant de ton perchoir pour courir, en direction de ce fameux cri.

Tu t’attendais à une scène d’horreur. Des bêtes sauvages, incontrôlables, et leur pauvre victime tentant de survivre comme elle pouvait. Tu t’attendais à du danger. Alors oui, tu fus surprise de découvrir ... Des vaches. Paisiblement, une partie des bovidés broutait les quelques brins d’herbes qui dépassaient de la couche de neige. L’autre, elle, formait un cercle, autour de celui qui avait l’air de passer le pire moment de sa vie. Blanc comme un linge, allongé au sol en se tenant la cheville, à moitié entre neige et ... Quelque chose à l’odeur bien plus dérangeante.



Relevant un sourcil face à cette étrange scène, l’observant de longues secondes, sans un mot, tentant de comprendre ce à quoi tu assistais réellement. Une blague ? Une troupe d’artiste de comédie ? Non, rien que cet étrange homme à la jambe couverte de bouse, terrorisés par les reines des lieux dans leur petit enclot.

« Est-ce que ... ça va ? »

T’approchant, sourcil haussé, chassant les bovidés d’un petit geste de main bien assez suffisant pour les faire déguerpir, tu l’observas encore, un peu dubitative avant de lui tendre cette fameuse main salvatrice qui avait fait fuir les démons tachetés de noir et de blanc.

« Tu sais qu’elles ne vont rien te faire, pas vrai ? C’est pas carnivores ces bêtes-là. Au pire, elles te mâchouillent les cheveux ... »

Bon, ok, ça c’était chiant, tu devais bien l’avouer. Mais de là à se rouler au sol, à crier ... Comme quoi, il y avait vraiment tout type de peur. Même les plus étranges. Sa main glissée dans la sienne, contractant le biceps, tu aidas le brun à se redresser d’un geste fluide. Un geste durant lequel ton regard se posa sur son bandeau, placé au niveau de sa ceinture et indiquant son appartenance à la cité du désert, mais également l’état de sa cheville qui ne vint lui apporter un soutien à peine notable.

« Sakyuu ? Ça fait un sacré chemin à parcourir ... Surtout avec une cheville légèrement foulée. J’peux y jeter un coup d’œil ? »

Entre soldats, il fallait bien s’entrainer ! Quoi que ... Tu aurais fait de même pour un civil. Mais ça, pas besoin de lui dire.

Tu ne t’attendais pas à croiser un bovinophobe, ici, à Seizan, où les vaches étaient légions. De braves bêtes, assez résistantes au froid mordant , qui fournissaient lait et viande aux habitants des montagnes bleues depuis de longues années. L’homme du désert ne semblait jamais avoir croisé de vaches dans sa vie et face à leur carrure imposante, s’était senti menacé. Finalement, sa réaction avait peut-être de quoi être qualifiée de banale ? Il était facile de ressentir de la peur face à l’inconnu et finalement, c’est aussi en partie ce qui avait permis à l’être humain de survivre jusque-là. La peur, dans un usage modéré, était l’outil de la survie. Une arme à double tranchant qui pouvait rapidement se retourner contre quiconque la maniait et devenir une véritable prison.

Un sourire aux lèvres, observant doucement la cheville blessée du soldat, qui semblait à peine plus âgé que toi, tu en profitas pour répondre à toutes les questions qui lui brûlaient les lèvres face aux créatures ruminantes.

« On appelle ça des vaches. Bien moins dangereux qu’un ver des sables. Enfin, je n’en ai jamais vu moi-même mais ils ont un sacrée réputation. »

Il faut dire que les paisibles usines laitières, face aux gigantesques yokai, ne représentaient pas de réelle menace. Tout cet incident finalement, prenait sa source non pas dans les actes de ces bêtes mais bien de la réaction disproportionnée de l’homme à la chevelure quelque peu hirsute. Entre tes mains, tu examinais toujours l’articulation enflée et les réactions de celui qui se présenta comme un voyageur en quête de forgeron à chacune des pressions assénées par tes doigts.

« Bon choix, il n’y a pas meilleur endroit pour trouver une bonne arme ! On est plutôt fiers de ça dans le coin. »

Oui, la cheville était belle et bien foulée. Une journée, deux grand max de repos, et il serait comme neuf. Mais rester ici ? Non, le pauvre allait mourir de froid. Encore plus au milieu de toute cette neige et sans réel logement où s’abriter. Tranquillement, tu te redressas, te caressant le menton à la recherche d’une solution.

« Tu vas devoir attendre une journée au moins que ta cheville dégonfle. Enfin, je ne suis pas une spécialiste mais c’est le genre de blessure classique. »

Le genre qu’on repérait aisément à force de se les faire soi-même, après moult entraînement. Avec tout ça, tu aurais presque oublié de te présenter. Sans Shiro, qui te donna son nom avant de te demander le tien, sans doute n’y aurais-tu même pas pensé ! Sympathique, ouverte à cet échange improbable, tu exposas le bandeau à ta taille pour prouver ton identité.

« Kara Saki, chunin de Seizan. Quant à ce que je faisais ... »

Ramenant d’une main ta chevelure en arrière, embêtée, tu avouas dans un soupire.

« J’étais entrain de me balader, pour profiter d’une petite journée de repos, en tête à tête avec la nature. Enfin jusqu’à ce que je t’entende crier. »

Un nouveau beuglement, soudain et fort, fit sursauter le pauvre bovinophobe et t’arracha un petit rire par la même occasion. Visiblement, tes paroles n’avaient pas réussi à le rassurer. Pas le moins du monde.

« Je te promets que tu ne crains rien, elles sont herbivores et c’est plutôt les humains qui finissent pas les manges, pas l’inverse ~ »

Tu aurais presque eu envie de le taquiner, s’il n’était pas ainsi blessé. Il te fallait maintenant trouver une véritable solution aux problèmes. Laissant ton regard opalescent se poser sur tout les éléments qui t’entouraient, tu restas quelques secondes silencieuse avant qu’une idée ne te frappe alors que tu repérais les restes d’une vieux tonneaux en miette dont le couvercle, lui, était en parfait état et dont le bois semblait bien solide.

« Je peux pas te laisser mourir de froid et remonter à Seizan serait contre-productif alors ... Qu’est-ce que tu en penses si je t’aidais à descendre rapidement jusqu’au prochain village ? Tu pourras reposer ta cheville dans une auberge et repartir dès que ça ira mieux. »

C’était la solution la plus simple et pratique. Ce que tu oubliais de dire, c’est que pour traverser cette distance, tu ne comptais pas t’y prendre d’une manière très ... traditionnelle. Ce qui expliquait sans doute l’air malin qui s’était dessiné sur ton visage et cette étincelle de malice dans tes iris.

Shiro venait de s’embarquer dans une sacrée histoire. De quoi raconter à son retour à la maison.

« Et oui, même au milieu des montagnes glacées on sait être chaleureux »

Un petit rire t’échappa, alors que tu déclarais cela après avoir entendu que l’artisan qu’avait engagé le soldat lui avait laissé le luxe d’un toit pour la nuit, avant de repartir. Une générosité qui n’avait malheureusement pas pu le protéger de cet incident un peu idiot, né de la peur des paisibles bovidés. Bovidés qui lui faisaient si peur que quand l’un d’entre eux poussa un beuglement, le pauvre jeune homme sursauta de peur, criant par réflexe, bougeant sa cheville et se provoquant à lui-même une vive douleur qui le ramena bien vite à la raison : rester ici, dans le froid, ne pouvait pas l’aider à se remettre, et ce, encore moins parmi celles qui le terrorisait au moindre son.

« Raison de plus pour ne pas rester ici cette nuit. Si tu restes, elles vont vraiment finir par croire que tu es là pour les transformer en ragoût, et je ne serais pas là pour te sauver. »

Un sourire gentiment moqueur aux lèvres, tu fis fuir d’un geste de main la vache qui, poussée par sa curiosité, s’était approchée de nouveau pour observer de plus près l’homme aux iris d’or.

« Et tu peux me tutoyer. Nous avons sans doute le même âge, tu sembles même un peu plus âgé. »

Une manière d’être plus à l’aise avec toi, lui qui, pour l’instant, ne faisait que dire merci, encore traumatisé de son échange avec les ruminantes.

« Te faire descendre jusqu’au prochain village ne sera pas long, et je te promets que je ne te ferais pas rouler sur le sol. Mais si je puis me permettre, je suis plus solide qu’il n’y paraît ! »

Contractant le biceps, par fierté seizanjin, un rire secouant ta cage thoracique, tu tentas de le rassurer sur son avenir, avant de te diriger vers le fameux couvercle de tonneau que tu avais repéré un peu plus tôt. De tes mains, tu tâtas la solidité du bois, à quelques reprises, t’assurant que celui-ci ne se briserait pas au moindre à-coups. Et il était solide ! Assez pour résister aux animaux sauvages qui, parfois, tentaient d’ouvrir les tonneaux, affamés après une longue hibernation.

« Bon, ça a l’air bon ! Prêt ? »

De toutes manières, il n’avait pas trop le choix s’il en voulait pas mourir de froid, ici, quand bien même la vision de ta personne plaçant l’épais couvercle au bord d’une descente à l’angle effrayant pouvait le rebuter. Et avec quelques pas de plus, tu t’agenouilles, dos à lui, lui faisant signe de grimper sur ton dos, musclé par de longues heures d’entraînement.

« Grimpe. »

Pas une proposition, mais bien un ordre. Et une fois qu’il commença à grimper, tu vins sécuriser la prise de ses jambes à l’aide de tes bras, sautillant à quelques reprises pour être sûre de bien le tenir, avant de te lancer dans ton loufoque plan, un air amusé et surtout, terriblement intrigué de voir si ton idée se montrerait à la hauteur de la réalité.

« Bien, ça devrait marcher. Accroche-toi bien, ok ? Je ne pourrais pas m’arrêter une fois lancée »

Face à vous, la pente offrait une vue imprenable sur toute la province, couverte de son sublime et duveteux manteau de neige, tandis que tu déposais un premier pied sur ta planche de glisse improvisée, laissant une dernière seconde au Sakyuujin pour paniquer avant le grand saut, un grand sourire aux lèvres.



« C'est parti ~ »

« Ta confiance m’honore ! »

Déclaras-tu en ricanant, trouvant l’idée d’être admirée pour avoir chassé quelques gentilles vaches assez drôle. Même très drôle ! Qui aurait cru que cela arriverait un jour ? Même si les vaches n’étaient visiblement pas présentes en Sakyuu, tu pensais tout de même que leurs soldats en avaient déjà croisé. Visiblement, pas tous.

Shiro était un étrange personnage. Assez peureux pour fuir des bovidés et pourtant, assez courageux pour monter sur le dos d’une presque inconnue avec un plan mystérieux pour lui faire redescendre une montagne enneigée. Il n’avait pas hésité lorsque tu lui avais présenté ton dos, enroulant ses jambes autour de ta taille tandis que tu sécurisais sa prise de tes bras, contractant tes biceps, assez pour être sûre de ne pas l’échapper. Sa seule peur, ça restait les vaches, encore et encore. Elles lui avaient fait forte impression et il n’était pas compliqué de deviner que le pauvre soldat des sables continuerait d’en faire quelques cauchemars les jours suivants.

« Tu n’as pas de soucis à te faire, elles ne sont pas vraiment friandes des grands voyages impromptue ... Et elles ne seront pas assez rapide pour nous suivre ! »

Il était temps d’y aller et dans tes veines, tu sentais l’adrénaline pulser. Tour était ... parfait. Le paysage enneigé, silencieux, doux. L’air frais croquant tes joues. Comme si les montagnes bleues s’offraient entièrement à toi, pour un instant unique. Un instant entre elles et toi ... Et Shiro, sur ton dos.

« C'est parti ~ »

Ton pied s’écrase lourdement sur le couvercle de bois, dans un bruit sourd, et tout bascule.

C’était comme se libérer de tout. Tu étais libre, le temps d’une descente ! Pas de responsabilités, de titre, de morts, de vie. Il y avait juste vous et l’action. Le vent dans vos chevelures. La sensation de glissade sous tes pieds. Le paysage défilait à toute vitesse, vous offrant toute sa magnificence et soudain, tu t’étais mise à rire aux éclats.

« Youhouu ! »

Un cri de joie. Bon sang, que tu aimais ça ! Cette sensation était grisante et tu te sentais complètement à ta place. Comme si tout cela était naturel pour toi. La neige. La glisse. Le vent dans ta longue chevelure immaculée. Sans difficultés, tu slalomes entre les arbres. Ralentir ? Hors de question. Tu veux continuer, encore un peu. Tu n’es pas la seule. Ton partenaire d’un jour aussi adore. Tu le vois à son sourire. À la manière dont ses yeux scintillent, tout comme les tiens. À cette symbiose qui s’est installée entre vous, le temps d’une descente. Et aussi à son commentaire, glissé à ton oreille, alors que la fin de votre trajet approche, doucement mais sûrement.

« Franchement ? Non ! Mais je vais le faire plus souvent ! »

Tu espérais que la neige tiendrait, encore quelques semaines, pour réitérer l’expérience, autant de fois que tes congés te le permettront.

Repérant d’un œil une bonne dans la couche duveteuse de flocons, ton sourire se fit plus grand. Resserrant ta prise sur les jambes du sabreur et pliant les genoux, tu décidas de foncer droit dessus et ce, sans la moindre hésitation.

« Accroche toi ! »

L’excitation qui grimpe. Une question de timing. Le tremplin s’approche. Et trois, deux, un ...


Comme si vous ne pesiez rien, vous vous envolez dans les airs, quelques secondes. Tu te sens légère. Enfin, presque, en raison de ton sac à dos humain. Et puis, vous atterrissez à nouveau, comme si de rien n’était. Une envolée qui a joué avec ton cœur. Fais encore un peu grimper ton adrénaline. C’est cette même sensation que tu ressens lors d’un combat. Quand tu laisses parler tes instincts. Que tu es concentrée sur un but précis.

« Alors, tu profites de la descente ? ~ »

Bien sûr qu’il profite. Mais toute bonne chose à une fin et à une centaine de mètres, tu vois la silhouette du village qui se dessine. Le terminus de votre petite balade impromptue à travers les montagnes Honnêtement ? Oh, tu aimerais continuer Saki. Juste encore un peu. Mais ce n’est pas raisonnable et tu ne dois pas oublier la raison de ta descente : la cheville blessée de Shiro. Alors, tu te prépares à te stopper. Tu anticipes la distance, plie les yeux, et d’un coup, tu piles de ta planche, envoyant une floppée de neige droit devant toi par ta vitesse. Une floppée de neige qui, comme une vague, ensevelie un pauvre homme qui n’avait rien demandé à personne et qui se retrouvait maintenant trempé et gelé.


Ah, il n’a pas fallu longtemps pour qu’il se mette à hurler sur vous ! Une sacrée rouste que vous vous êtes pris, sur les jeunes et leur manque de respect des ainés ! Un discours classique, pendant lequel tu as dû t’excuser, encore et encore, le sakyuujin encore sur le dos, et ce, jusqu’au départ de l’homme ... Avant d’éclater de rire, à nouveau, les cheveux en pagaille, s'enfuyant de ta tresse pour retomber sur ton doux visage

« Oh par Omoikane ! Je ne maîtrise pas encore l’arrêt visiblement ... ! »

Calmement, tu commenças à reposer ton nouvel ami, veillant à lui laisser le temps pour atterrir sur sa cheville indemne et éviter ainsi toutes complication.

« C’est vraiment pas de bol qu’il soit passé juste à ce moment tout de même ! Tu ne trouves pas ? »

« C'est parti ~ »