Chaque guerrier avait sa propre raison de prendre les armes, de s'élever au-dessus de sa condition. Pour certain c'était une raison pure, comme le patriotisme, l'appel du devoir, ou encore le fait d'offrir une vie paisible et sécuritaire aux membres de sa famille. Ceux-là étaient les guerriers les plus respectés et révérés, car ils faisaient passer leur famille ou leur patrie avant leur propre sécurité. Mais il existait une catégorie de guerriers bien moins nobles, de ceux qui se battaient pour des objectifs personnels et, dans cette catégorie, l'aveugle était un concurrent de poids. Pourquoi ? Peut-être parce qu'il était un homme privé de lumière, s'étant élevé au-dessus de son handicap, ou peut-être était-ce parce que son objectif était de devenir le meilleur combattant de ce monde, tout simplement.

Il n'avait pas de désirs de pouvoir ou de volonté d'étendre son influence, il souhaitait tout simplement être le meilleur pour que l'on reconnaisse enfin son existence, son talent, sa détermination, et afin de prouver au monde qu'un handicap ne signifiait pas que la vie d'un individu était maudite à tout jamais. S'il était arrivé à devenir chuunin, pourquoi les autres guerriers, plus médiocres, ne pourraient-ils pas aspirer à un peu de réussite, eux-mêmes ? Le Tadake ne le voyait pas comme cela, ou bien s'en fichait, mais les faits étaient là.

Cependant, une telle réussite demandait des sacrifices, de la rigueur et de la dévotion. Il ne pouvait pas atteindre le sommet dans des efforts colossaux et, si récemment le parcours de la lame de l'hiver avait été...chaotique, il n'avait perdu de vue son but pour autant. Un échec n'était que cela, un gribouillis sur une feuille blanche, un nom sur une liste et rien d'autres. Il ne voulait pas et ne devait pas s'arrêter à cela, raison pour laquelle il continuait à s'entraîner, de jour comme de nuit, pour polir ses talents, repousser ses limites comme lui seul savait le faire.

Le problème était que l'aveugle ne connaissait pas les limites de son propre corps. Il se poussait bien au-delà de raisonnable, et aujourd'hui ne fut nullement l'exception à la règle. Il avait commencé à s'entraîner depuis la fin de l'après-midi, privilégiant pour une fois un katana traditionnel à sa fidèle Sekitsui. Combien de temps répéta t-il les mêmes enchaînés passionnés, encore et toujours ? Il ne le sut, préférant se concentrer sur la douleur et la fatigue qui ralentissaient son corps, un peu plus à chaque seconde, jusqu'à ce que ses sens ne captent une présence.

Le bandeau retiré, la sueur perlant sur son front et le souffle court, le colosse peina à se redresser, restant là quelques secondes de plus pour reprendre son souffle, incapable de deviner que le soleil était déjà en train de se lever. Il était rare que quelqu'un vienne aussi de son bonne heure. Un guerrier tombé du lit, ou simplement un curieux . Passant sa main dans sa crinière couleur de neige, le jeune homme perça le silence d'un :





Il n'était pas connu comme le diplomate des hommes, mais il faisait de son mieux pour changer cela, car l'image comptait beaucoup quand il s'agissait de créer sa propre légende dans les cieux. D'ordinaire il aurait envoyé bouler la curieux – ou la curieuse, dans le cas présent – mais aujourd'hui il se retenait, peut-être à cause de la fatigue. Attendant une réponse de l'inconnue, ou plutôt de la personne qu'il n'avait pas encore reconnue, peinait à retrouver le contrôle de ses quatre sens fonctionnels, le colosse de Seizan s'approcha du banc où étaient ses affaires, afin de boire un peu avant de se remettre à l'ouvrage...si son corps arrivait à suivre le rythme.

Le cycle de sommeil du jeune aveugle avait toujours été décalé et chaotique, bien avant qu'il ne commence à prendre les armes pour se forger sa légende. En même temps était-ce vraiment étonnant, de la part d'un homme qui n'était pas contrôlé par la danse de la lune et du soleil ? Si, au départ, ce cycle décalé avait rendu fous ses parents, Kyoshiro avait fini par y voir un intérêt tout particulier, lorsqu'il fut venu le temps de s'installer à Seizan. Pourquoi ? Parce que Kyoshiro ne tolérait ses congénères que pour ce qu'ils pouvaient lui apporter et, le reste du temps, il se satisfaisait très bien de sa seule présence. C'était pour cela qu'il avait choisi de forger le jour et s'entraîner de nuit plutôt que l'inverse car, ainsi, il évitait toutes les discussions inutiles.

Il lui était, bien sûr, arrivé de faire quelques exceptions, pour s'entraîner avec des collègues d'un certain calibre mais, en général, le Tadake préférait arriver sur un terrain d'entraînement complètement vide car, au moins, il pourrait garder ses évolutions et découvertes pour lui et lui seul. Ce terrain était son foyer, son fief, son domaine.

Cependant, ce cycle décalé présentait un problème majeur que le colosse n'avait pas réussi à régler. Il n'avait aucune notion du temps et, malheureusement, pour un commerçant comme lui cela pouvait poser problème, mais aussi lorsqu'il s'agissait de partir en mission, raison pour laquelle il ne partait jamais seul. Car, quoi qu'il puisse dire ou faire, certaines choses finiraient toujours par échapper à son regard.

Kyoshiro était quelqu'un d'acharné et de très dur, autant envers lui que les autres. Il ne tolérait pas l'échec ou l'hésitation et, bien sûr, était conscient que la course à la perfection ne pourrait se faire que par des efforts acharnés et constants. Pas de raccourci vers là où il se rendait. Alors il éprouvait son corps au-delà du raisonnable, s'épuisant un peu plus chaque jour, car lever le pied reviendrait, pour lui, à abandonner, et cela n'était pas une option.

Quand il se lançait dans une danse des lames, comme aujourd'hui, il oubliait tout le reste. C'était pour cela que, généralement, il ne sentait pas les curieux arriver, ou du moins pas tout de suite. Captant la présence de la demoiselle alors qu'elle prenait déjà ses aises, Kyoshiro lâcha un soupir de lassitude à son égard, en commentant :





A commencer par cette fatigue plus importante que d'habitude. Il ne connaissait pas Shion aussi bien que Hotaru par exemple, il devait bien l'avouer, mais celle-ci avait toujours été gentille envers lui, il pouvait au moins reconnaître cela. Kyoshiro était assez avare en compliments, car il estimait que rares étaient les personnes à être à sa hauteur mais Shion, elle, en plus de sa douceur avait un certain potentiel dans le maniement des armes. Lorsqu'elle était venue le voir, pour s'entraîner ensemble la toute première fois, l'aveugle avait été très sceptique mais, avec le temps, il savait que la demoiselle allait faire de grandes choses.





La question était légitime et teintée de surprise, car Kyoshiro savait qu'il était un connard envers beaucoup de  monde et, de ce fait, il ne s'attendait à aucune petite attention, exception faite de la demoiselle avec qui il partageait sa vie. De ce fait, il n'était jamais à l'aise avec les attentions comme celle-ci. Alors, passant sa main dans sa crinière blanche, il commenta :





Au moins il ne se faisait pas d'illusions là-dessus.