Il existe bien des cavaliers étranges dans tout l'Onogoro, et depuis peu, on pouvait percevoir des soldats de Toge galoper à dos de cerf, noble animal aux bois majestueux, pour gagner ne serait-ce qu'une journée de plus pour des voyages interne à la région. Cette prouesse était permise grâce à ceux qui avaient choisi de se tourner vers le kuchiyose et de nouer les liens avec des créatures extraordinaires. De cette association, les shinobis semblaient bien plus en profiter que leurs homologues Kaminotsukai, de quoi en venir à se poser quelques questions sur la réalité des rapports que le village de l'épine entretenait avec les yokaïs. Cependant, point de philosophie, car ces journées-là, ce n'était pas porté par un cervidé que l'on put apercevoir la prêtresse de Tsukuyomi traverser les terres de l'Onogoro, mais sur le dos d'un loup massif, au poil aussi noir que la chevelure de la noble dame qui paraissait étonnamment à l'aise sur son compagnon lupin.

Jeido était un loup qui pourtant n'aimait pas les Hommes, mais il avait fait une exception pour celle qui était à présent sa Maîtresse, la reconnaissant comme si elle eut été une Alpha. C'était pour cette seule raison qu'il acceptait de se soumettre et de la porter. Le cas échéant, le fier animal aurait perçu cela comme une humiliation. Grâce à lui, la mystérieuse avait atteint Neppu no Kuni et avait commencé à enquêter depuis plusieurs jours près des berges du lac. Sa mission ? Rien qui ne fut officiel, mais bel et bien personnel et tout en rapport avec la mort de Kaïto. Jamais elle n'avait cédé à découvrir le nom du responsable, sans aucune relâche, nourrissant toujours un peu plus sa rancune.

Après avoir bénéficié de l'aide de Jeido, Yuriko avait requis les talents de Komugi, la louve qui la secondait généralement dans tout ce qui concernait la traque. Cette dernière avait un odorat plus fin que son sombre aîné et était capable de mieux voir ce qui se tapissait dans l'ombre. L'animal avait aussi un autre avantage : il était moins massif et son pelage plus clair le rendait moins effrayant. Si Yuriko venait à croiser quelqu'un, Komugi pouvait même se faire passer pour un gros chien croisé, même si cela blessait son égo de loup.

" Nous cherchons une aiguille dans une botte de foin, Yuriko-sama. Il y a beaucoup trop d'odeurs dans la zone, c'est un étonnant endroit de passage. Et je dois dire que cela pue le poisson. "

La jeune femme se tenait près des berges du lac Kousou, et ne put retenir un soupir lascif. Elle savait que son chemin serait empli d'embûche, d'autant plus que l'affaire remontait déjà à près de deux ans. Trouver des pistes, des témoins, cela paraissait presque impossible.

" Je comprends. Il nous faudra reprendre nos recherches plus au Nord. Tu peux rentrer, Komugi. Je te remercie pour ton aide. "

Les yeux bleus de la belle se tournèrent vers la louve.

" Ce n'est rien, Yuriko-sama. Si vous avez besoin d'autres choses, n'hésitez pas à m'invoquer. "

La Sugimoto salua alors son amie lupine d'un simple mouvement de tête, avant que cette dernière ne disparut dans un épais nuage de fumée, se révoquant elle-même pour s'en retourner chez elle. Présentement seule, la chunin finit par baisser son attention vers un bout de tissu qu'elle tenait dans la main. Cela appartenait à la tunique de Kaïto, celle-là même qu'il portait le jour de sa mort. Puisqu'elle avait noté des marques de défenses sur lui, elle avait imaginé que son agresseur s'en était pris au corps à corps, et que peut-être, il avait laissé son odeur. Ses loups lui avaient effectivement confirmé qu'il y avait quelque chose, sans pour autant être capable d'identifier la trace olfactive.

Rangeant le précieux bout de tissus, Yuriko se mura dans son silence, celui-là même dont elle avait fait le vœu en entrant dans les ordres. Et à partir de cet instant, elle n'adresserait plus un mot à quiconque et se contenterait de geste ou bien d'une toute petite ardoise pour inscrire ses messages qu'elle emportait généralement dans son sac pour améliorer sa communication avec les autres. Elle gagna ainsi le village de Higoi, et se décida à s'arrêter dans une taverne locale afin de reprendre un peu son courage. Et dans celle dans laquelle elle pénétra, il n'y avait presque aucune âme qui vive, si ce n'était la tavernière elle-même et un étrange jeune garçon à la chevelure blanche.

Si son regard croisa celui de l'adolescent, elle finit par tourner son attention sur la propriétaire des lieux. Là, elle s'assit sur un tabouret près du comptoir et désigna du doigt ce qu'elle désirait boire. Elle glissa aussitôt l'argent sans un mot bien entendu. On ne pouvait n'entendre qu'un vague soupir s'échapper de ses fines lèvres.

Ne pas prononcer un mot était en soi plus simple lorsque l'on n'était que seul avec soi-même, mais dès que l'on retombait dans les fastes de la civilisation, de ces gens vivants et bavards, le silence pouvait être perçu comme un dédain involontaire. Ne rien dire, si ce n'était pas le regard, pouvait souvent causer un grand nombre de quiproquos en raison des susceptibilités de chacun. Yuriko avait appris de cela, avec le temps, bien qu'elle ne pouvait nier que les raisons premières de son mutisme avaient un but moins honorable que celui affiché.

Lorsque la tenancière s'exécuta, apportant verre et bouteille à la prêtresse, la Sugimoto se contenta de secouer négativement la tête en guise de réponse. Elle n'avait besoin de rien d'autres qu'un peu d'eau-de-vie pour se donner le courage de continuer sa quête. Rien en excès cependant, juste un verre pour se sustenter un peu.

Mais c'est alors que la brave tenancière se mit à interpeller l'adolescent, l'invectivant à consommer quelque chose et à cesser de regarder Yuriko. Naturellement, cette dernière arqua un sourcil en se retournant vers le jeune Akari dont elle s'étonnait de lui causer le moindre trouble. Il finit toutefois par se décider à prendre un verre de lait et la rejoindre au comptoir. Mais bien vite, la prêtresse s'était déjà détournée de lui pour regarder le fond de son verre, toujours emprise à de multiples questionnements… jusqu'à... l'insulte ?  

L'élégante Sugimoto n'irait pas jusqu'à dire qu'elle pouvait se sentir humilier pour aussi peu, néanmoins, nier sa vexation serait difficile. Elle tourna sa figure en direction de l'adolescent, posant sur lui un regard sombre, sans pour autant froncer des sourcils. Sentir le chien mouillé ? Quelle ignominie ! Voilà une raison supplémentaire pour elle de ne pas prêter attention à ce qu'elle imaginait n'être un garnement grossier. D'un mouvement, elle détourna vite son attention, visiblement irritée d'une telle remarque... non sans se demander si toutefois, elle ne sentait pas un peu le loup ? Il lui faudrait prendre un bain, qu'importait si cela eut été vrai ou non.

En attendant, dédaignant Akari, la prêtresse se mit à fouiller dans ses affaires pour en tirer une ardoise, se décidant finalement à questionner la tenancière, en écrivant du bout d'une craie.

" Veuillez m'excuser. Je ne peux pas parler. "

Lorsque l'aubergiste lut ces mots avec difficulté, montrant qu'elle ne devait pas lire énormément, elle se montra dès plus étonnée.

" Et bah ma p'tite dame ! Je n'aurais pas imaginé avoir affaire à une muette ! Vo'te vie doit pô être facile tous les jours. "

Secouant la tête négativement pour lui montrer qu'il n'y avait pas à s'en faire, Yuriko ne chercha pas à s'étaler pour préciser que son mutisme était volontaire. Elle ne s'attendait pas à être comprise et elle n'avait guère le cœur de s'étendre en explication. Reprenant tout simplement son ardoise, elle effaça ses mots précédents de la paume de sa main.

" Votre établissement est-il très fréquenté ?  "

Montrant son ardoise à la tenancière, elle ne put s'empêcher de légèrement porter son regard sur Akari. Si c'était la fréquentation des lieux... quel mal poli !

Curieux fut le moment entrecoupé de silence et de réponse sans échos à la voix de Yuriko. Pour un regard extérieur, sans nul doute que cela donnait l'impression que chacun parlait dans le vide... jusqu'à ce que l'on put entendre le bruit de la craie caresser le plat de l'ardoise de la prêtresse. Mais viendrait le jour où la jeune femme pourrait se défaire de ses artifices, encore lui faudrait-il beaucoup étudier pour parfaire ses talents dans l'art du genjutsu. Elle devrait jusque-là se contenter de ses crayons ou bien du langage de ses mains pour qui savaient les comprendre.

" Mmmm... très fréquenté ? Et ben... le soir, on peut dire qu'on manque pas d'monde, mais à cette heure-ci... le calme plat. "

Voilà une réponse à laquelle s'attendait Yuriko. La plupart des établissements dans lesquels elle s'était rendu donnait tous la même réponse. Leur activité battait leur plein à la nuit tombée et ils ne voyaient que peu de voyageur en journée, si ce n'était pour boire un peu avant de repartir immédiatement. Et lorsqu'elle demandait s'ils avaient déjà remarqué des personnes aux comportements suspects ou étranges, c'était aussi le même retour : rien de plus étranges que d'ordinaire et que les gens originaux ne manquaient pas dans la région. Et puis, tant que personne ne faisait de vague, ce n'était pas dans leurs intérêts commerciaux de faire spécialement attention. Il ne lui fallait donc rien attendre de plus de la part de la tenancière, et bien moins encore de ses souvenirs.

Bien que consciente qu'elle courrait après des fantômes du passé, la Sugimoto n'arrivait pas à se résoudre à abandonner. Même si son regard affichait une légère déception, cela n'entacherait en rien sa détermination, il lui fallait simplement prendre son problème sous de nouveaux angles. C'était à cet instant que l'adolescent impoli tenta de rattraper ses mots malheureux, mais avec sans nul doute plus de maladresse encore. Voilà qu'il insistait encore sur le parfum canin dont elle serait soi-disant imprégnée ! Il ne fallait pas s'attendre à ce que la jeune femme se montra plus douce, malgré les excuses. Mais alors qu'elle s'apprêtait à écrire, la tenancière ne put s'empêcher de rouler des yeux et de gronder le sakyuujin.

" Hey gamin! T'es pas un peu nouille ? Comment tu peux dire à une dame qu'elle sent mauvais ! ça s'dit pas ce genre de chose et en plus, c'est pô vrai ! Moi, j'taurais mis une baffe si tu m'avais dit ça ! T'as d'la chance ! "

L'aubergiste nettoyait ses verres derrière son comptoir et n'avait pu s'empêcher de se mêler à la conversation. Cela donnait néanmoins le temps à Yuriko d'écrire quelques mots à l'attention de l'adolescent.

"  Je ne suis pas propriétaire d'un chenil et votre insistance à ce sujet est fort déplaisant. Si vous prêtiez un peu plus attention à mon allure, vous auriez pu vous rendre compte que je ne suis pas de ce métier. "

La jeune femme se tourna alors un peu plus vers Akari, et montrait en effet qu'elle était sans nul doute un peu trop noblement habillé pour une profession telle que celle citée. Ainsi, elle arborait un chemisier blanc, agrémenté d'une broche sur son col représentant une lune et deux carpes koï, symbolisant à la fois Tsukuyomi et l'emblème de son clan. Ses jupes étaient cousues dans un trop luxueux tissu bleu roi pour laisser croire qu'elle travaillait directement avec des animaux.


Mais alors que Akari s'excusa une nouvelle fois, affichant un air sincère, la chunin se mit à soupirer avec désolation. Il fallait qu'elle se rendit à l'évidence, il n'avait pas souhaité à mal, il était juste... un peu bênet. De son point de vue, à ce moment-là, il n'était qu'un enfant qui ne savait ni comment se tenir, ni comment parler convenablement. Peut-être s'était-elle montrée trop prompt à la sévérité et au jugement ? Voilà bien une chose qui ne lui ressemblait pas, cette susceptibilité. Calmement, elle reprit son ardoise et effaça son message pour en écrire un nouveau.

"  S'il s'agit d'un souhait réel à réparer l'offense, alors j'accepte votre proposition. Nous serons quittes à ce moment-là. "

Une fois qu'elle lui permit le temps de lire, elle enchaina avec un autre texte.

" Toutefois, j'ai déjà payé ma consommation. Il vous faudra trouver une nouvelle offre. "

Présentant les choses ainsi, la prêtresse expliquait indirectement qu'elle ne désirait pas un autre verre, celui qu'elle avait lui été amplement suffisant. Il faudrait alors à Akari trouver une autre façon de présenter ses excuses… et le regard qu'elle lui lança montrait qu'elle attendait.

Le jeune garçon avait un air un peu absent lorsque son attention était tournée vers la tenancière, mais un peu plus présent quand il commença à lire les mots de Yuriko. Ce fut à cet instant qu'il renouvela ses excuses, bien qu'il se justifiait encore pour ses propos. Les apparences ne voulaient rien dire ? Son métier ? La prêtresse ne put qu'arquer un sourcil et conclut que pour afficher autant de "certitudes" à un âge aussi jeune, il devait être employé par l'armée. Cette pensée n'était toutefois qu'une conjecture des évènements, et non une vérité brute sur laquelle elle reposerait son opinion. Par ailleurs, cela ne retirait rien à sa vexation et la petite arrogance qu'elle notait dans les dires d'apparence naïve d'Akari.

Si les maladresses du jeune garçon pouvaient s'arrêter là, l'histoire aurait pu être vite oublié... s'il ne cumulait pas une nouvelle faute au niveau de ses bonnes manières. Quelle drôle d'idée de vouloir lui donner directement la somme déjà versée ! Paraissait-elle donc sans le sous ? Cela en devenait presque une atteinte à sa noblesse. Le regard froid, le visage fermé, on ne pouvait pas dire que le sakyujin savait faire mouche avec la jeune femme. Heureusement que l'adolescent avait pour lui cette capacité à tenter de rattraper ces défauts, bien qu'il semblait avoir du mal à saisir véritablement le fond de ses erreurs.

Dépassant son irritation, Yuriko fit appel à la sagesse qui était généralement la sienne, luttant pour ne pas se laisser gouverner par sa fatigue émotionnelle. Le garçon n'était en vérité responsable de rien, elle était frustrée et en colère contre elle-même de rester dans une impasse.

" Je n'ai pas faim. "

Tel était le message qu'elle venait de lui écrire pour répondre à sa proposition. Sa halte dans l'auberge n'était que temporaire, un simple moment pour souffler un peu et chasser les ombres de son esprit. Nulle nourriture, nulle boisson ne seraient capables de couvrir le trou béant de son âme.

Tandis qu'il tentait une nouvelle fois d'ouvrir le dialogue, la craie de Yuriko reprit de plus belle sur son ardoise. Et puisqu'aucune des propositions du shinobi ne sied à ce dont elle avait besoin, elle préféra tenter autre chose.

" Connaissez-vous bien la région et ses dangers ? "

Dès qu'elle présenta son message, elle reprit.

" Je serai bientôt amenée à voyager, par ici ou ailleurs. Mais je n'ai que peu d'informations sur les dangers actuels. Il y a beaucoup de rumeurs. "

Laissant le temps de la lecture au garçon, elle effaça à nouveau son texte pour en écrire un nouveau.

" Si vous pouvez me confier des informations sur les dangers qui rôdent, je considèrerai votre offense comme pardonnée. "

Peut-être pourrait-elle apprendre ainsi des choses intéressantes, et ne rentreraient pas sur Toge sans rien. De plus, elle pourrait ainsi mieux savoir ce qui se passait de l'autre côté de la frontière, elle qui passait que trop de temps dans le temple de Tsukuyomi.

Si le silence était présentement une grande partie du monde de Yuriko, la nature, elle, n'hésitait pas à pousser ses cris et son mécontentement. Alors qu'elle écrivait sur son ardoise, le ciel avait décidé de gronder brutalement. Pendant un instant, la chunin avait même levé la tête vers la fenêtre pour observer l'extérieur. Un grand éclair avait zébré le ciel. Un imprévu fâcheux. Il ne lui semblait guère enviable de reprendre la route vers Toge sous un temps pareil.

Laissant de côté les questionnements sur son projet de retour, elle s'en retourna vers l'adolescent pour quémander des informations en échange de sa grossièreté. Toutefois, il paraissait désireux de faire preuve d'honnêteté, et eut le courage de ne pas prétendre connaître ce qu'il se passait du côté de cette frontière. C'était fort dommage, car c'était naturellement ce qui l'intéressait le plus. Néanmoins, tout était bon à prendre.

Ainsi, le jeune shinobi avait noté une recrudescence des activités de yokaïs, plus agressifs et plus présents qu'à l'accoutumer. Voilà un fait qui n'était pas de bons augures et qui laissaient imaginer un avenir incertain et amer. L'histoire n'avait pas oublié l'affrontement des Hommes et des Démons. Cela n'avait rien donné de bons. Quant au culte de Jashin, il était vrai qu'elle en avait entendu les longues dérives, sans oublier que l'Empereur avait émis un édit officiel à leur encontre. C'était à se demander qui était le plus grand fléau de l'Onogoro : l'homme ou le démon ? Yuriko aurait pu aisément dire que la frontière entre les deux était assez fine.

" Je vous remercie. Les nouvelles que vous me rapportez m'appellent donc à la prudence. "

Les bruits de craie avaient repris, et continuaient le temps que la jeune femme écrivit ses brefs messages.

" J'ai beaucoup entendu parler de bandits de grands chemins. Je m'intéresse aux groupuscules qui pourraient se révéler dangereux, comprendre leurs motifs. "

Pour s'en prévenir ou bien les débusquer. Yuriko était nourrie par ces deux sentiments, mais cela revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin. Toutefois, elle essayait de procéder par élimination. Il était déjà peu probable que Kaïto eut été tué par des Jashinistes. Il n'y avait eu nulle mutilation, nul signe religieux ou ostentatoires sur son corps. Il n'y avait eu également aucun objet ou message laissé sur place. Il en était de même pour ses coéquipiers qui avaient péri avec lui. C'était en vérité à ne rien comprendre.

" Vous avez néanmoins répondu à ma question. Nous sommes quittes à partir de cet instant. "

Un nouvel éclair apparut et le tonnerre se mit à gronder bruyamment, marquant que le mauvais temps était très proche. Visiblement, la pluie n'allait pas tarder à arriver et les sombres nuages qui commençaient à recouvrir le ciel ne permettaient pas de savoir pour combien de temps cela allait durer.

" Puis-je me permettre de vous demander ce qu'un jeune homme sakyuujin fait ici ? "

Puisqu'elle demeurait coincer ici et que les malentendus avaient été apaisés, elle pouvait s'adonner à un peu de "conversation".

Il serait difficile de prétendre qu'il s'agissait d'une véritable curiosité de la part de Yuriko. La jeune femme respectait le silence de chacun à ne pas forcément se vouloir être interrogé, et elle n'était pas d'un esprit assez malsain pour désirer passer outre les limites du mal placé. Cependant, puisqu'elle était vouée à rester le temps qui le faudrait dans la taverne, elle préférait s'enquérir des raisons de l'adolescent à se trouver ici. Et bien qu'il eut été libre de ne rien dire, il se montra plutôt ouvert à la question.

Ainsi, il avoua de but en blanc qu'il était présent dans la région pour retrouver un soldat de Toge avec qui il devait travailler conjointement. Voilà un fait qu'il lui parut rare. Même en tant que shinobi dans son autre vie, elle n'avait jamais eu le loisir de croiser les armes avec quelqu'un d'un autre village. Un tort, sans doute. Même elle le déplorait un peu. Le jeune homme se montra plus précis encore en indiquant qu'il s'agissait d'une enquête sur la prétendue présence d'un yokaï, et c'était cela qu'il devait étudier.

Yuriko fit un léger mouvement de tête pour montrer qu'elle comprenait, tout en ayant un air un peu grave. Dans la foulée, elle reprit sa craie et son ardoise.

" Puis-je connaître le nom de celui qui vous accompagne ? "

Peut-être le connaissait-elle ? Mais à vrai dire, la Sugimoto ne pouvait nier qu'elle s'était un peu coupée socialement du monde. Les amis d'autrefois n'étaient plus, mais pouvait-elle seulement prétendre en avoir eu ? Yuriko avait toujours été une femme solitaire, et hormis son frère, ou le clan Igarashi, elle ne fréquentait que peu de gens. Son choix de vivre dans la prêtrise n'avait fait que l'isoler un peu plus. Elle en avait néanmoins en partie le désir, raison pour laquelle elle ne vivait pas mal la situation. Seulement, à ne pas en douter que cela pouvait avoir quelques inconvénients, surtout dans le cadre des travaux que pouvaient exiger son métier. La coopération était primordiale.

" Ne vous sentez pas obliger de me répondre. Simple curiosité.  "

Yuriko préférait se montrer honnête et ne placer aucune pression sur cet étrange jeune garçon.  Et puis, la probabilité qu'elle connut le shinobi qui accompagnerait le sakyuujin était finalement assez maigre. Mais qu'importait la réponse, il fallait supposer que la sienne serait plus importante quand Akari l'interrogea à son tour.

" Le hasard. "

Elle montra simplement son ardoise, avant de la reprendre pour offrir à l'adolescent plus d'explication.

" Je me promenais près du lac Kousou, une envie de voir un autre paysage que le temple de Toge. "

Elle présenta par la suite un nouveau message supplémentaire.

" Je me suis rendue dans le village le plus proche pour me reposer un peu, avant le voyage de retour. "

La vérité épurée était parfois bien mieux qu'un mensonge.

La prudence. C'était peut-être la première fois qu'elle percevait cela chez le jeune adolescent. Si jusque-là, il avait laissé libre-court à ses maladresses, il semblait tout à fait capable de faire preuve de raison dans le cadre de sa fonction de shinobi. En un sens, cela était plutôt rassurant, bien que Yuriko n'était pas concernée par la nation qu'il servait. Ne pas lui répondre était de l'ordre du bon jugement, et la prêtresse ne s'en offusqua pas le moins du monde. Elle se contenta alors d'un simple mouvement de tête, signe qu'elle comprenait tout à fait son choix. Il n'y avait rien à redire et elle ne comptait pas insister.

Toutefois, la chunin ne put s'empêcher de trouver étonnamment la franchise de l'adolescent. Être un shinobi et mauvais menteur ? La combinaison était plutôt étrange, ou laissait à suggérer que l'on pourrait difficilement faire carrière... ou restreindre tout au plus son champ d'action. Le mensonge était après tout un jeu des ombres, il fallait savoir disparaître tout comme se faire passer pour qui l'on n'était pas. Il fallait être capable d'exécuter des ordres que nous n'aurions jamais faits en temps normal, devenir quelqu'un d'autres. On ne mentait pas uniquement au monde, on se mentait un peu à soi-même.

Quoiqu'il en était, ce fut à son tour de se voir interroger, et la réponse que fournit la prêtresse ne paraissait pas convaincre le sakyuujin. Elle ne pouvait guère lui en vouloir, il fallait dire qu'elle s'était montrée très sommaires dans ces propos. Mais quand le garçon mentionna que cela avait dû être rude pour elle, elle laissa échapper un très léger sourire en coin. Malgré son élégance apparence, Yuriko était plus endurante que l'on ne pouvait l'imaginer. À dessein, elle avait d'ailleurs préféré se tourner vers les arts du combat rapproché plutôt qu'à l'épée ou avec toute autre arme contondante. Ce n'était que pour mieux tromper l'adversaire et pousser à baisser sa garde. Néanmoins, cela pouvait tout à fait avoir ces inconvénients, car cela réclamait de développer des stratégies d'approches appropriées.

" Je n'ai pas fait tout ce chemin à pied. J'ai eu une monture. "

La prêtresse présenta son ardoise avec un nouveau message, avant d'apporter une nouvelle fois des informations complémentaires.

" Je n'ai marché qu'autour du Lac Kousou jusqu'à ce village. "

Et il n'y avait pas autant de kilomètres que l'on pouvait s'imaginer, d'autant que la jeune femme était soutenue par sa louve pour tenter de repérer des traces, des indices, des odeurs étranges... Cela faisait déjà plusieurs mois qu'elle essayait d'étudier la région, tout au long du lac, jusqu'au Nord, là où on avait retrouvé Kaïto... en vain. Toutefois, Yuriko pensait que la mort de son fiancé avait un lien avec l'objet même de sa mission. Tout le problème était de savoir ce dont il était question.

Tandis que les deux soldats échangeaient calmement, ce fut à ce moment-là qu'un groupe d'hommes firent leur entrée, non sans se faire remarquer par leur manque de discrétion. Cependant, nul tumulte si ce n'était leur ricanement et le bruit de leur botte sur le plancher. Ils se trouvèrent une place au fond de la salle, tandis qu'un autre prit commande. Yuriko fut alors un bref objet de curiosité, sentant le poids des regards sur sa personne alors qu'elle n'avait pas scié un seul instant. Tant qu'ils ne l'abordaient pas ou bien eurent un geste déplacé, elle se contenterait de les ignorer. D'ailleurs, elle fit cela sans mal alors qu'elle reporta son attention sur le jeune Akari.

" J'ai bien peur que cet endroit soit subitement devenu déplaisant. "

Effaçant son message pour en adresser un autre, elle expliqua simplement ses intentions, quand bien même la pluie tombait toujours.

" Je vais donc me retirer et reprendre ma route. Je vous souhaite bonne chance pour votre mission. "

Lentement, Yuriko quitta son siège et salua l'adolescent d'un mouvement de tête élégant, montrant par ce simple geste son respect. Elle ne gardait nulle rancune du quiproquo de leur début de bavardage et ce qu'elle lui souhaitait demeurait sincère. La prêtresse eut une attention pour la tavernière qu'elle salua à son tour, puis, toujours enfermée dans son silence cérémonieux, quitta l'établissement sous la pluie avec une relative indifférence. L'avantage des larmes du ciel était de pouvoir couvrir celle qui ruisselait toujours sur son âme.