La vie suce. Toute suce.

Faut que j’aille chercher Shingen, faut que je trouve l’énergie pour pleurer ma sœur qu’est peut-être morte ou peut-être pas, faut je crève de chaud dans le désert sans pouvoir me faire bronzer ou me rafraîchir en faisant ma grosse toute-nue pis j’ai du sable plein les seins.

Pis le voyage va être long longtemps, je le sais déjà. Au moins j’ai mon voilier des sables (Hokakebune) breveté par Sakyuu pour que ça soit tolérable. J’suis pas la meilleure pilote pis j’connais foutrement rien en ergonomie (même pas sûre que ça soit le bon mot, t’sais), mais au moins j’aurai pas les pieds en feu tout de suite.

Ou peut-être que oui, parce qu’après quelques heures à rouler plein gaz dans le sable, j’vois une enfant au loin. C’est pas la meilleure vision à cause du sable, admettons, mais soit c’est une enfant soit c’est une naine. Elle, j’y fonce pas dessus.

PAR CONTRE LA SALOPERIE.

J’ai vu un loup en feu s’approcher de l’enfant, il était un peu plus loin. J’suis peut-être conne, mais je sais reconnaître des enfants sur le point de se faire violer par la vie quand j’en vois, pis la chose la regarde comme si c’était un méchoui.

J’va lui en faire, moi, un méchoui.

«FILLE, TASSE-TOÉ DE D’LA T’ES EN DANGER!!!»

J’ai arrêté de penser – parce que oui des fois ça m’arrive de penser – pis j’ai enligné le chien stupide avec mon char à voile super rapide; si ça a besoin de plus de propulsion, je vais même pas me gêner à faire des explosions derrière moi pour accélérer.

La petite enfant est conne de jouer dans le désert toute seule, mais moi aussi j’ai été une enfant conne pis j’ai joué dans le désert toute seule. J’ai été chanceuse par contre, j’ai jamais vraiment été attaquée; elle, oui. J’va pas courir le risque qu’elle se fasse manger, elle va rentrer chez elle certain; je sais ça fait quoi quand ton frère ou ta sœur ou ton fils ou ta fille rentre pas à maison le soir. Ça n’arrivera pas à elle pis sa famille.

Lui par contre, ça va lui arriver. J’va le happer, pis j’va pas le manquer.

Instructions:

«T’as eu ce que tu méritais, espèce de p’tite marde.»

Je me suis mangé une bouffée de sable, j’ai ruiné mon moyen de transport, mais c’est mort et enterré. Ça m’a pris un moment pour sortir moi-même des débris, j’ai à peine eu le temps de regarder sa carcasse évachée et agonisante que j’entends des grognements.

Faque je grogne aussi. D’habitude j’aime pas ça la cruauté animale, mais aujourd’hui oui. «C’est ça, faites l’erreur.»

Je m’attache les cheveux – pas question de me pogner moi-même dedans – et je ne quitte pas les bêtes des yeux; moi, je ne ferai pas cette erreur. Je tâtonne ensuite en me penchant un peu sur le côté jusqu’à sentir une cuisse encore chaude, puis une patte. Ça va faire une bonne arme démoniaque, ça, j’suis certaine.

«J’EN AI DÉJÀ SAIGNÉ UN DE VOUS, J’PEUX RECOMMENCER.»

… Malheureusement, l’intimidation ne marche pas contre des bêtes en quête de vengeance. C’est correct, j’comprends; on m’appelle pas La Bête pour rien d’où je viens. J’pensais que ça marcherait, mais j’ai trouvé aussi déraisonnable que moi, donc il me reste une seule solution : la violence. La vraie. «C’EST BON. J’VA UTILISER UN POUR FESSER SUR LES AUTRES, J’AI COMPRIS.»

D’une main, je tiens les deux pattes arrières du cadavre. De l’autre, je ramasse un de mes explosifs qui sont encore intacts malgré le bingbang de mon Hokakebune. En tout cas j’essaie; j’ai juste pas eu le temps.

J’ai détourné mon attention deux secondes, c’est tout ce que ça a pris pour qu’une de ces petites chiennes me garoche une boule de feu en pleine face. Malheureusement pour elle, j’suis faite solide pis j’me fais plus mal que ça moi-même. Par contre, ça m’a enragé.

«ÇA VA ÊTRE TOI LE DERNIER, JE PEUX TE LE JURER.»

En attendant, j’ai inventé un sport particulièrement apaisant.

Une bombe à shrapnel se retrouve en l’air, couverte du sang de ma nouvelle arme du jour. D’un mudra et d’un mot très clair, «Katsu!», la bombe explose au dessus des chiens et font pleuvoir moult petites lames et autres joyeusetés.

Ça crie, ça braille, ça chigne et ça grogne encore plus fort.

Pas grave. Je me lance sur les petits chiots et je suis prête à les détruire. Deux me sautent dessus, un à la suite de l’autre; le premier se mange un coup de gourdin bord en bord du museau et se retrouve sonné.

L’autre, par contre, me saute en pleine face et me fait tomber.

Les gens qui regardent ne doivent pas bien voir à cause du vent et du sable, mais ils entendent distinctement deux explosions en rapide succession après ale crépitement d’une nouvelle boule de feu. Je me relève, j’ai du sang sur les cuisses et cette carcasse-là, on dirait plus un chien.

PS : le chien m’a brûlé le devant de ma veste, j’ai presque les seins à l’air libre et j’aime pas ça. Par contre j’ai pas le temps pour ça.

J’achève l’autre toutou qui est dans le coma avec un kunai. J’ai été gentille.

Le dernier, par contre. Le petit esti de mange-marde qui m’a craché dessus, là… «TOI PAR CONTRE T’ES FINI.»

Je l’ai poursuivi, je l’ai taclé à terre et je l’ai battu avec mes poings jusqu’à ce que mort s’en suive. Aucun respect. Il me griffe, il me mord, et ça prend du temps avant qu’il rende l’âme.

Mon bakuton serait une trop belle mort pour lui.

Quand j’ai fini, je me relève. Je lui crache dessus.

Et pour bonne mesure, je lui mets trois coups de pied dans sa gueule ouverte. Parce que je peux. On m’a souvent dit que j’ai un problème pour contrôler ma violence. Je me trouve relativement saine. Par contre, j’suis maganée. Je boite un peu, mais j’essaie d’aller jusqu’à l’enfant… sauf qu’il y a du monde qui me regarde.

Je ne me suis jamais couverte les seins aussi vite que ça de ma vie. «PARDON! SI VOUS AVEZ DE QUOI M’AIDER JE DIRAIS PAS NON! ME SUIS FAIT MAL À LA CUISSE ET JE SUIS BRÛLÉE.»

Ça faisait longtemps que je m’étais pas déchaînée comme ça; c’est rare qu’on m’en laisse la chance, surtout. On me fait signe de venir les rejoindre, et un homme s’en vient vers moi. Je lui dis que «j’m’excuse pour tout ça, j’suis allée un peu fort je l’sais… c’est tenace ces p’tites bêtes-là mine de rien.»

Avant qu’on se mette à marcher, je récupère mon gros sac avec mes affaires. J’ai d’autre linge, j’peux juste pas le mettre maintenant. Une sangle reste sur mon épaule pendant que j’avance avec l’aide du monsieur, tenant mes obus du mieux que je peux. Il a du respect, lui. Je me dis que soit tout ce que je viens de faire l’a dégoûté, soit il préfère le kenjutsu. Aucun mal à ça, hein; moi j’aime rien d’t’façon.

Il m’amène à une grosse tente dans un espèce de camp-village. Des nomades; moi j’aurais pas le courage de vivre comme ça. Des fois j’ai le goût, des fois tout le monde me fait chier pis le désert a l’air d’une bonne option, mais c’est quelque chose qui me fait trop peur.

M’asseoir sur le tabouret a été un défi à cause de ma cuisse qui chauffe et qui veut pas m’écouter, mais je fais ce qu’elle me demande en disant «oui m’dame! Je vais faire attention pour pas trop bouger.»

Ma jambe se fait soulever, examiner. Ça pince mais j’ai fait pire… genre me casser les poings quand j’ai appris que ma sœur est peut-être morte, t’sais. «Akamine, Otohime.» La princesse du son des chaines de montagnes rouges. Considérant ce qui vient de se passer, je porte très bien mon nom. Mes montagnes sont rouges et j’ai crié comme une perdue; t’as pas plus fidèle à la réalité que ça!

On me met dequoi entre les lèvres et je mâche. D’habitude, les gens ont peur de faire ça avec moi parce que je mords et que je suis une grosse sauvage sans délicatesse aucune. Mais quand quelqu’un nous aide on ne rouspète pas. «Ch’é ph’é ch’ke ch’pouvé!» J’ai fait ce que j’pouvais.

J’allais pas laisser un enfant se faire manger par des yokai, j’suis pas sans-coeur. Je protège ce que je peux en détruisant ce qu’il faut. J’ai gagné, pis c’est ça l’essentiel; ça veut dire que la petite fille va vivre au moins un jour de plus. Pis j’ai été assez forte pour que moi aussi, je vive un jour de plus.

L’odeur de la crème me dérange pas, j’suis même habituée à ce qui sent fort. Par contre aussi collant que Shiro avec l’autre, là. Naoko.

Si elle pouvait me voir en ce moment, j’suis sûre qu’elle trouverait ça drôle.

J’enlève ce qui reste de ma veste pour m’essuyer vite-fait le décolleté pis je prends dans mon sac un autre quelque chose pour couvrir le haut de mon corps. Pour laisser la crème en place sur mon ventre encore grillé, je replie le tissu sous mes seins. Juste de quoi me cacher un peu; je veux pas discuter avec quelqu’un qui a vue sur mes boules, encore moins si elle les voit d’en bas.

«Ça m’a fait plaisir, m’dame Gooduro. C’est mon travail! Par contre une chance que je l’ai vue en passant, ça aurait pu être dangereux… j’ai jamais vu des bêtes comme ça avant.»

D’habitude j’suis un peu vantarde, mais là je me trouve vraiment chanceuse vu que j’avais aucune idée de ce que c’était, les chiens de Suzaku. Ça aurait pu être pire, mais vraiment pire; le désert est fait pour faire que tu te chies dessus. «J’pensais j’étais habituée au désert, mais y’a un paquet de chose que j’sais pas…»

Shiranui, ça me dit dequoi. De tête, la seule chose que je me souviens c’est qu’elle gradait moins que moi, mais qu’elle était plus rousse que moi. Ma jambe arrête finalement d’être conne et de me faire mal, pendant que j’écoute je l’étire un peu.

«Je connaissais pas vraiment sa vie, mais je l’ai déjà rencontrée. J’suis pas nomade, je connais pas vraiment d’autres cultures, mais je sais c’que ça fait de perdre des gens chers pis de voir un descendance se finir…» Ça fait mal. Ça fait mal en sacrament.

J’aime mon frère, pis j’aime ma sœur. Mes parents sont encore vivants, mais deux de leurs trois enfants sont morts; ça s’explique pas, ça, ça se vit pas non plus. Pis notre seule chance, pour les Akamine, de continuer, c’est moi.

J’me suis battue longtemps. J’en ai faite, des affaires dans ma vie. Comme ça demême j’ai l’air d’être en un seul morceau, mais écoute. J’ai pas de chance avec l’amour, pis pas de chance avec la famille non plus. Quand une femme ça vieillit, ça peut plus faire d’enfant.

Moi, j’ai juste jamais pu. Faque quoiqu’il arrive, à moins que j’adopte pis que j’ouvre ma famille pis mon nom, j’en aurai pas moi une descendance. J’ai pu d’utérus, quasiment. J’suis une femme sans être une femme, pis faut j’fasse avec.

C’est pour ça que j’apprends aux petites puces des sables comment se battre. Comment tenir un kunai pis frapper aux bonnes places. C’est la seule façon que j’ai trouvé d’avoir une descendance. Par ma culture – ouin je sais on peut pas appeler ça de la culture – je laisse des traces.

Mais les nomades, eux-autres, ils peuvent pas. Ils ont personne de nouveau, pis leurs petits vivent soit dans le danger, soit ils partent. Comme Shiranui.

«J’suis pas nomade, j’suis pas la plus brillante non plus. J’comprends pas toujours tout, mais j’veux bin essayer d’apprendre. J’suis certaine que Noutenki va apprendre aussi, pis j’va faire mon possible pour que vos tribus pis leurs valeurs se perdent pas.» Que ça soit pour moi, pour les enfants nomades et pour Shiranui. Si on me donne la chance de connaître le désert pis d’aider les tribus qui commencent à être en danger, j’va la prendre.

Gooduro m’offre une expérience que je pourrai pas vivre deux fois. C’est certain que «ca me ferait plaisir; j’accepte.»

Sauf que j’y connais rien, j’suis un peu cruche, il va falloir me dire quoi faire, pis comment ça marche.

Ça sentait pis goûtait tellement la marde, c’est certain que j’allais le vomir. J’pensais juste pas que ça allait essayer de me tuer tellement fort que je sens mes poumons me ressortir par la yeule. Matriarche me met sur le côté, pis heureusement qu’elle l’a fait parce que c’est certain que j’me serais étouffé.

« Gurhg!… C’correct, j’sus prête... »

On m’en redonne, jusqu’à ce que ça finisse par passer. C’est pas trop long, j’me sens partir comme j’suis jamais partie. J’ai déjà été comateuse – des fois tu fesses la mauvaise personne pis tu te manges une volée, t’sais, c’est des choses qui arrivent – mais j’ai jamais été pétée rare demême.

J’savais pas que Gooduro pouvait faire des kage bunshin. Maintenant, je le sais. Mais j’pense pas que j’vais pouvoir m’en rappeler longtemps.

J’ai froid, j’me sens comme à moitié morte. Je l’écoute, j’essaie de suivre les instructions, mais c’est pas facile. C’est comme si j’suis en train d’apprendre à marcher pis que je me plante la face dans un poteau.

Faut pas que j’parte; c’est compris. Le hochement de tête le plus tapette de toute l’humanité. Faut que j’reste normale.

J’ai eu plusieurs vies; je le savais pas, mais j’suis prête à voir ça. J’suis prête à voir toutes les variantes de ma médiocrité. Je me dirige vers le couloir, le décompte se fait. Les mots commencent à revenir. «Oui...» je le vois, le couloir.

J’ouvre une porte. Je lis. Je décris.

«La première fois… Anori Todoroki…» Verbatim, je lui décris ce que je vois.

Un monsieur qui tient un bébé dans ses mains. Y’a l’air content, de se sentir heureux d’vivre. J’suis de l’autre côté d’une genre de fenêtre, mais quelque chose de dur et de transparent m’empêche de rentrer. J’ai cogné par accident, est-ce que c’est grave?

… Il me fait un gros sourire. Il a les mêmes yeux que moi. J’pensais qu’il regardait juste dehors, mais on dirait qu’il sent que je suis là. Il me salue de la main, pis sa bouche forme des mots, y’en a un que je connais pas. C’est comme s’il attendait que je vienne le voir.

«Merci beaucoup, Tenshi…»

«Je connais pas ce mot là… C’est comme si ça vient pas d’ici…»

Le poids sur mes épaules s’en va de plus en plus. Oui, je l’écoute et oui, j’arrive encore une fois dans le couloir blanc, mais… c’est bin plus que ça. Elle me souffle dans la face encore une fois, je peux le sentir ce coup-ci, mais c’est pas ça qui me calme.

Je me sens mieux. J’ai plus de raison de douter.

Mon frère a ces portes-là, lui aussi. Ma sœur a ces portes-là, elle aussi. Ils sont morts, peut-être. J’va peut-être retrouver ma petite sœur vivante un jour, ça se peut… mais en attendant que ça arrive, j’va pouvoir arrêter de brailler. Elle est pas morte; elle est juste partie quelque part d’autre pis elle refait une autre vie pour elle-même.

J’ai pu mal.

C’est comme si j’avais l’droit d’vivre encore, pis de pu jamais avoir peur d’échouer. Quelque part, dans une autre vie, j’sais pas où encore, ils vont être là. Pis j’va les revoir. Ça, ça me suffit. J’ai pas besoin de plus. Les larmes me viennent aux yeux, mais j’souris pareil. J’ai perdu la force d’être malheureuse.

«… Oui, ‘xcuse-moi. J’me suis perdue dans ma tête deux secondes.» Ça aurait pu être dangereux, mais ça a pas duré bin longtemps. Finalement, j’ouvre une autre porte, bin plus loin dans le corridor.

«Seconde rencontre… y’a pas de nom sur la porte.»

Ça me prend pas de temps pour comprendre pourquoi, même que ça me vient assez vite. J’suis à terre dans d’la bouette pis d’la garnotte. J’ai des grosses cuisses sales, foncées par le soleil, pis j’porte une genre de jupe en feuilles pour cacher mes parties.

J’suis en train de dépecer un genre de cerf avec une roche pointue. Pis j’te fais ça comme une pro, en plus. Je fais griller des bouts de viande sur le feu pis… j’pense que j’attends. J’suis certaine que j’attends.

J’ai pris le temps d’expliquer tout à Gooduro, avec le plus de détails possibles pis j’arrête pas. Moi aussi dans une autre vie j’pense j’étais une nomade. J’raconte toute c’que j’peux, jusqu’à ce que…

Bin non.

J’pu capable de parler. Mes yeux s’ouvrent, mais j’m’en rends même pas compte. J’ai la yeule grande ouverte comme si j’allais crier au meurtre. Y’a aucun son qui sort.

J’pense je l’aurais jamais cru si j’l’avais pas vu. Je l’jure. Si c’est pas mon frère que j’ai vu, que Jashin m’emporte drête-là. Je l’sais que c’est lui. J’le sens à un point que j’pense c’est même pas possible. «Bin maudit… Ça arrive-tu des fois de revoir du monde que tu connais? Mettons tu vois ta petite fille de cette vie-ici dans une autre. Elle se ressemble pas, t’sais, mais t’es certaine que c’est elle pareil?» J’ai besoin qu’elle me dise non.

J’ai besoin qu’elle me dise oui.

J’peux mourir en paix. Drette-là.

C’est cent fois mieux qu’aller chercher l’autre épais de Shingen à Toge, c’est certain. Manger du cerveau, avaler de la drogue dure pis se faire souffler en pleine face, j’y aurais jamais pensé mais ça te change une vie. Ça peut te calmer, pis dans mon cas ça donne juste assez pour compenser les bouts de cervelle qu’il me manque. Quand j’va sortir d’ici, j’va être refaite, pis j’va pouvoir rapprendre à vivre.

Kiseki est peut-être une lopette. Kiseki est peut-être bizarre comme ça se peut pas.

Mais il avait raison. Pis aujourd’hui j’suis prête à croire n’importe quoi.

J’ouvre la grande porte, pis «… c’est en feu, partout. Tout est chaud, tout est orange. J’suis certaine que c’était LA porte. Y’a un gros, GROOOOOS oiseau dedans, il me regarde.» Si c’est à cause de lui que je pourrai repartir et recommencer ma vie, j’suis contente.

Faut je le touche, mais il vole, il flotte quasiment. Aucune idée comment faire… jusqu’à ce que je me mette à flotter moi aussi. J’en ai pris des drogues dans ma vie, j’en ai fumé des affaires.

Jamais j’ai plané dans ma tête-âme avec un oiseau en feu.

On le rejoint, pis on essaie de pas se chier spirituellement dessus. Pis on gratte doucement entre ses deux yeux, pour l’apprivoiser. Il a l’air d’aimer ça un peu, faque je fais ce que je suis là pour faire. Mes mains se posent dans son cou, mes bras aussi. J’essaie de faire un câlin à un oiseau de feu super gros.

Tsé, un jeudi après-midi classique.

«Merci…» Il doit pas savoir pourquoi je dis ça, ou au mieux il doit s’en foutre, mais je le dis pareil. «Merci beauc-!!!»

«AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA»

MANGE TA MARDE! C’EST QUOI ÇA C’TE NIAISERIE-LÀ AYOYE MAIS ÇA BRÛLE ÇA BRÛÛÛÛÛÛÛÛÛÛÛÛÛÛLE AAAAAAAAAAAAA FAUT M’ÉTEINDRE ESTI J’VA BRÛLER VIVANTE. N’IMPORTE QUOI, PISSEZ-MOI D’SUS S’IL FAUT MAIS ÉTEIGNEZ-MOI CETTE COCHONNERIE-!

Ça a fait mal comme le tabarnaque, pendant une seconde j’pensais j’venais d’me faire atomiser comme la dégénérée que je suis. Laisse faire ça, je l’hais l’esti d’oiseau mange-marde! Pu jamais. PU. JAMAIS.

J’tendue d’partout. J’ai encore mal à l’âme pis j’ai l’air d’avoir vu genre trois fantômes en même temps. Tous nu. J’ai jamais eu les yeux équarquillés demême j’pense ils pourraient me sortir par les trous.  J'préfère encore la réalité pis être couverte de glue médicale qui pue!

Mais c’pas grave; la mort est pas v’nue m’chercher. C'est correct.

Gooduro. Toi pis moi, faut qu’on jase. Hier. «C’était quoi ça? Il m’a-tu brûlée vive, ton Suzaku? J’ai-tu fait dequoi de mal? J’y ai fait un câlin, j’pensais être gentille…» Elle m’a dit de le toucher.

J’l’ai touché. Il est peut-être prude son wézo, j’sais pas.

Oooooooooooh okaaaaay!

Ça excuse tout, debord! L’oiseau voulait pas me tuer!

«J’comprends mieux. Tout le monde a plusieurs vies, mais leur nature change jamais vraiment.» C’est assez clair; la porte du fond avec la bebitte reste toujours la même, pis on garde un morceau au fond de nous. D’une façon, Suzaku va toujours rester drette ici, direct entre mes deux obus.

Par contre c’est triste, j’peux juste pas faire tous les liens; la religion c’est pour les bizarres pis ceux qui ont besoin d’une raison de vivre – c’est ce que je croyais au moins avant là là – faque me demander d’expliquer c’est qui Kagutsuchi… on va être assis ici longtemps.

«Oui okay je vois ce que tu veux dire par là. Ça veut-tu dire que y’a d’autres dieux qui sont liés aux autres éléments pour vous? Si Suzaku est le feu, c’est qui les autres?» J’va poser encore plus de questions, elle est mieux d’être prête. «Est-ce que tu sais c’est quoi la nuit du grand feu?»

J’peux comprendre que les torches humaines pour eux ça a une autre signification, mais pour nous autres c’est pas quelque chose de bon, j’veux essayer de voir si y’a pas quelque chose que l’armée comprend pas bien. Dans tous les cas, elle est chanceuse que ça soit moi qui soit venue.

Ça aurait été Naoko, tout le monde se serait chié dessus (Naoko aussi). Moi écoute j’ai tellement vécu de marde qu’au point où j’en suis… j’suis ouverte. Même, j’trouve que c’t’une belle culture, pis ce que j’ai vu aujourd’hui peut vraiment rendre le monde meilleur.

Mais peut-être pire en même temps.

Si tu meurs pu vraiment, ça fait que tu pourrais plus vite accepter de mourir. Ou tuer plus de monde. J’en ai déjà tué plein, ça va pas changer, c’est pas dequoi que je peux empêcher ou réparer. J’suis certaine que c’est pas ça qu’elle elle veut dire par la disparition des siens.

J’me rajuste mes vêtements maintenant que la glue a commencée à sécher, pis je me penche pour m’approcher un peu. «Qu’est-ce que tu veux dire, disparition des tiens? Est-ce que c’est le désert qui est trop dangereux? J’suis pas la meilleure, mais si j’peux vous aider j’va le faire.»

J’en apprends beaucoup, pis c’est pas mal toute des choses nouvelles. Pour Gooduro les torches humaines récentes n’ont rien à voir avec les naturelles. J’ai toujours assumé que ça avait été provoqué et que c’était pas naturel. J’me sens moins folle.

Par rapport à l’enfant, j’dis pareil que «c’est normal, moi aussi j’étais demême quand j’étais p’tite. J’va quand même voir ce que j’peux faire, peut-être voir si Sakyuu aurait pas un moyen de sécuriser une place au cas où.» De ce que j’ai compris, plusieurs nomades s’en vont à Sakyuu pour devenir ninja pis toute.

Y’a peut-être moyen qu’ils aient un terrain pour eux, j’voudrais pas que leurs traditions se perdent. Sinon, j’va voir si je peux pas leur obtenir des ressources de plus pour rendre leurs camps qui bougent un peu plus faciles à surveiller. «En tout cas, j’te promets de m’en souvenir!»

Je finis par me lever; mon dos craque comme pas permis, mais j’me penche pour tendre la main à la shaman, pour l’aider à se lever aussi. «Tu m’en as déjà beaucoup dit, pis franchement c’est quelque chose que je m’imaginais. J’vais me dire ça pour l’instant; y’a des torches naturelles, et d’autres qui se sont faites transformées de force. C’est ce qui fait le plus de sens pour moi maintenant.»

C’est le temps que je parte, mais avant je lui dis que «ça va me faire plaisir de revenir si j’ai besoin d’aider! Là, ouin… fallait que j’aille à l’ouest chercher un de mes soldats mais on va dire que j’ai eu un accident!» Elle sourit et je ris avec elle, ajoutant que «j’ai aucun regret, on fait notre travail jusqu’au bout ou on le fait pas!»

Avant de partir vers dehors et sortir de la tente, je remercie Gooduro encore une fois. «Toi aussi, Gooduro! On se revoit bientôt!» En tant que l’une des leurs, une nouvelle représentante du clan des Scorpions – ouioui, Sasori veut dire scorpion –, j’repense à ça pendant qu’on me donne de quoi finir mon voyage.

Le déclin par l’évolution, c’est ça? Moi j’pense pas. L’évolution va finir comme les chiens de ce matin, ça j’peux l’jurer.