C’est une journée étranger qui avait commencé pour toi à Seizan. Habituellement, c’est à l’aurore que tu te levais, pour aller t’entraîner dans les montagnes, aux côtés de ton père. Pourtant, aujourd’hui, il avait décidé d’annuler, et c’était bien la première fois. Même quand tu avais été malade, tu avais au moins dû faire une dizaine de fois le tour du grand jardin familiale. En digne fille de ton père, cela avait éveillé ta suspicion. Assez pour que tu ailles coller ton oreille contre la porte de la chambre de tes parents, et ce, malgré les risques d’entendre quelque chose que tu ne voulais pas.

Ton paternel devait être sur ses gardes, malheureusement. Tu avais à peine collé ta joue contre le bois que sa voix avait résonné dans le silence de la demeure, calmement mais fermement.

« Saki, il faudra revoir ta discrétion. Entre maintenant. »

Malaise. Longues secondes sans un mot, avant qu’un soupire ne passe la barrière de tes lèvres et que tu te glisses dans leur chambre, tentant d’user d’un regard de biche pour amadouer le chef de clan, au cœur parfois bien trop tendre face à sa fille. Ton regard croisa le sien. Deux paires d’iris colorées, scintillantes et vives. Sa tête est posée, confortablement, sur les genoux de ta mère, la main de celle-ci dans ses cheveux. Ta sublime mère, aux longs cheveux blancs, qui esquive ton regard, avec le comportement d’une coupable. Préférant ne pas la mettre au cœur de ce qui pouvait s’annoncer être le début d’une dispute, tu concentras ton attention sur son époux.

« C’est dur de surprendre un jonin tu sais ... Et puis, si tu es autant sur tes gardes, c’est bien que tu me caches un truc, non ? »

Tu n'allais pas le lâcher, et il le savait. Pourquoi ? Parce que c’est lui qui t’avait enseigné à être déterminée dans ta recherche de vérité. Il se pinça les lèvres, avant de se redresser, remettant en place sa chevelure bleutée d’un geste rapide.

« T’es bien ma fille, je suis à la fois fier et embêté. »

« Tatsuo, je peux m’en occuper si tu veux ... »

Regard inquiet de ta mère à ton père. C’est fou comme ils font la paire. Ça a été le coup de foudre entre eux, et ils sont encore amoureux comme au premier jour. C’est peut-être ça qui rends la nouvelle encore plus dure à annoncer.

« Non Nanaka, je m’en occupe. C’est ma faute après tout. Viens, approche Saki. »

Le ton était plus sérieux, alors qu’il tapotait la place à côté de lui, sur le matelas. Visiblement, il voulait que tu t’assoies pour entendre la nouvelle. Un nouveau silence, et tu vins poser ton postérieur à ses côtés. Il chercha ses mots, de longues secondes, ses lèvres se mouvèrent, sans laisser échapper un mot, et puis, le gong. La phrase retentit.

« J’ai un vieil ami qui vient avec son fils demain, pour te le présenter dans l’idée de vous fiancer. »

Tes yeux s’écarquillent. Surprise. Incompréhension passagère. Colère. Et puis, tout redescend pour laisser place à la confiance. Tu sais que ton père voudrait que tu trouves l’amour, il a certainement une raison. Ton regard se fait plus doux. Tu n’es qu’une adolescente, pourtant, tu es mature. En tout cas, pour ton âge.

« Raconte-moi papa »

- lendemain -

La caravane arriva, avec à son bord, les deux nobles en voyage. Luxueuse, elle l’était. La demeure Kara, en comparaison, paraissait bien modeste avec son jardin de sable et ses camélias, entretenus par la maitresse de maison. Seule la porte gravée de l’emblème familiale attirait réellement l’œil, encadré par deux tresses écarlates accrochées au bord du toit. Les traditions familiales prônaient la délicatesse, et non l’exposition des richesses. Peut-être est-ce pour cette raison qu’à son arrivée, le chef Midô cru parler à un domestique ? Lorsqu’il prononça ses paroles, l’homme se tourna dans sa direction, dévoilant deux iris opales hypnotisantes, ainsi qu’un large sourire. Sous son haori, des liens carmin enserraient son poitrail, fermement. Comment ne l’avait-il pas reconnu ? Le grand dragon et son amie la carpe, brodée sur son vêtement, aurait dû le mettre sur la piste.

« Cela faisait bien longtemps mon cher ami, je pensais néanmoins que tu me reconnaitrais. Ai-je tant changé que ça ? Ou est-ce que c’est ta vue qui baisse avec l’âge ? »

Tatsuo Kara était un homme sympathique. Un bon vivant, qui n’aimait pas jouer de sa noblesse. Pourtant, lui aussi n’était pas là pour jouer. Il ne comptait pas se laisser marcher dessus par celui auprès duquel il était endetté. Il était en effet un parfait opposé de son invité. Il porta rapidement son attention sur le jeune garçon de treize ans, avec son bouquet de rose.

« Tu dois être Tsukuyomi, n’est-ce pas mon garçon ? Je suis heureux de te rencontrer. Ma fille Saki est à l’intérieur, je suppose que ces fleurs ne sont pas pour toi, n’est-ce pas ? »

Un petit rire, un geste, les invitant à le suivre, et le trio entra dans la demeure, sans plus de cérémonie. L’intérieur était délicat. Des meubles en bois anciens, particulièrement bien entretenus, l’odeur de l’encre qui se mêle à l’odeur du thé entrain d’infuser, les rayons de soleil s’infiltrant par les fenêtres, pour s’écraser sur l’autel d’Omoikane, le calme.


Et puis, le bruit de pas. Ta chevelure blanche qui entre dans le champ de vision des invité. Ta démarche assurée, alors que tu t’approches, calmement. Un, deux, trois pas, et tu te stoppes, à un mètre du jeune garçon. Une tenue particulière ? Non, tu étais toi-même. Ta tenue était-celle que tu portais au quotidien, qui te représentait le mieux. Un éclat de lune perdu sur la terre.

« Enchantée, je suis Kara Saki. C’est un honneur de vous rencontrer, Mido-dono, Mido-san. »

Léger geste de tête, politesse rituelle. La rencontre d’un jeune homme au nom du dieu lunaire, et d’une demoiselle à l’apparence sélénite.
   

La tête du clan Kara ne semblait pas tenir compte de la remarque de son vieil ami. Son apparence lui importait peu. Il était une force calme. Des cheveux bleutés, rappelant la menthe fraiche des montagnes, des iris opales, symbole d’une lignée noble, une large boucle d’oreille du côté gauche. Une fois qu’on portait le regard sur l’homme, on se retrouvait comme hypnotisé par sa beauté irréelle.

« Et pourtant, en ressemblant à un paysan, comme tu dis, j’ai quand même réussi à séduire Nanaka ! Comme quoi, je dois quand même avoir un certain charme espèce de vieux jaloux ! »

L’histoire était pourtant bien connue. C’était lui qui était tombé fou amoureux de l’ancienne commerçante, au premier regard. Et depuis, jamais, au grand jamais, son amour n’avait faibli. Le jonin était connu pour être faible face à son épouse, qui pouvait le mener par le bout du nez avec une facilité déconcertante. Il fallait avouer que son charisme n’avait rien à envié avec les nobles de naissance, et que beaucoup d’entre-eux se sont cassés le nez en essayant de conquérir la belle. C’est bien que Tatsuo devait avoir un petit truc de spécial.

« Nanaka est en pleine forme, comme d’habitude ! Elle nous attend à l’intérieur, tu pourras la saluer toi-même, vieille branche ! »

Le jeune garçon salué, le petit groupe était entré dans la demeure familiale, puis tu avais fait ton entrée, dans cet échange si inconfortable et étrange. Tout ça n’était qu’une large farce à tes yeux. La seule raison qui poussait ton père à accepter cet entretient était une vieille faveur qu’il avait envers le chef du clan Mido, de l’époque où ceux-ci étaient encore camarades. Pourquoi était-ce à toi de payer les pots cassés ? Tatsuo avait invoqué la responsabilité familiale, pour préserver l’honneur mais cette excuse sentait le réchauffé à plein nez. Et pourtant, tu avais tout de même décidé de te prêter au jeu, au moins pour la journée.

La voix timide de ton prétendant résonna dans la pièce, sous le regard de vos pères. Un bouquet de roses fonça directement dans ta direction, au bout de bras peu assurés. Le jeune garçon était petit et fin, normal à son âge, mais il fallait avouer qu’il était peu impressionnant. Politesse oblige, tu récupéras le bouquet, délicatement.

« Merci pour les roses, elles sont magnifiques. »

L’envie de fuir était forte, et ne fit que doubler lorsque le jeune garçon attrapa ta main pour y déposer un galant baiser. Lançant un regard vers ton père, celui-ci préféra t’esquiver et te laisser ... dans la merde. Oui, y’a pas d’autre moyen de le dire ! Et ça, tu lui ferais payer plus tard, à n’en pas douter. Prenant sur toi, tu esquissas un sourire maladroit en direction de Tsukuyomi.

On les invitait déjà à sortir de la pièce pour apprendre à se connaître, plus personnellement, tout en laissant les adultes négocier. Ce fait était à la fois une bonne et une mauvaise chose : Une fois hors de leur champ de vision, tu pourrais laisser tomber le comédie, mais tu serais également en incapacité de défendre ton point de vue dans la discussion des chefs de famille. Heureusement, maline petite fouine que tu étais, tu avais déjà préparé un cheval de Troie ...

Te tournant en direction du lion après avoir déposé les fleurs dans un vase préparé à l'avance, sans y prêter attention plus longtemps, une étincelle de défi dans le regard, un sourire aux lèvres, tu te décidas donc à répondre.

« Je vous souhaite un agréable moment. J’espère que notre humble demeure vous siéra. »

Tu faisais là référence à son affichage constant de richesse. Pouvait-il supporter la discrétion des Karas ? Tu ne comptais pas renoncer à ton héritage, ni à ta liberté pour un mariage, et un jour, tu prendrais la tête de ta famille. Et ça, ce n’était pas négociable. Ainsi, le Mido devrait s’habituer à ce mode de vie, ou faire demi-tour immédiatement. Sans lui laisser le temps de répondre, tu invitas ton camarade adolescent à te suivre à l’extérieur de la demeure, pour un petit tour de Seizan et de ses environs.

Vous aviez à peine mis les pieds dehors que les compliments pleurèrent à nouveau. Des paroles mielleuses, qui tombaient malheureusement dans l’oreille d’un sourd. Perçantes, tes iris se posèrent sur le visage du jeune homme, et tu présentas la paume de ta main à son visage pour l’arrêter.



« Pas besoin de gâcher des louanges superficielles, je ne suis pas intéressée, et je ne compte pas me fiancer avec vous. »

Tu avais au moins le mérite d’être claire avec cet avertissement. Rebaissant ta main, tu continuas.

« Je ne sais pas comment ça se passe à la capitale, mais ici, on est à Seizan, le village des montagnes bleues. Je ne compte pas me fiancer une seule seconde. Sois vous jouer la comédie avec moi, sois je vous laisse tomber ici même »

Tu ne voyais pas l’âme d’un rebelle chez lui, mais la peur de la réaction de son père te laissait croire qu’il te suivrait sans discuter pour sauver les apparences.


Autour de la table en bois massif, Tatsuo et son vieil ami attendaient patiemment le thé préparé pour l’occasion, avec des feuilles de la collection de Nanaka. Le silence régna, une bonne minute après le départ des jeunes adolescents. Un silence que le maître Kara se décida à briser en premier.

« Ma fille a un sacré caractère, j’espère que ton fils est bien préparé. Je lui ai appris à ne jamais se laisser faire. »