Cela faisait plusieurs jours, maintenant, que le jeune homme était revenu de cette mission catastrophique. Plusieurs jours depuis que son couple avait commencé à se déchirer, lentement mais sûrement. Il peinait à rassembler les morceaux de sa vie ou de ce qu'il en restait mais, au bout d'un moment, l'enfant de l'hiver avait cru que cette existence retrouverait un semblant de stabilité, et qu'il pourrait respirer correctement à nouveau. Alors il avait essayé de retourner à sa routine habituelle, enchaînant entraînement sur entraînement, mais ce ne fut que très récemment qu'il osa enfin retourner dans sa forge, restée jusque là bien silencieuse.
Pourquoi pas avant ? Parce que cet art, cette capacité à donner vie au métal demandait passion, dévouement et concentration : tout ce dont il se sentait dépourvu, depuis qu'il était rentré de cette mission avec une mort sur la conscience. Alors il avait repoussé l'échéance, fait comme si cela n'avait pas d'importance, fait comme si l'entraînement lui suffisait, mais il savait bien au fond de lui que c'était faux. Il était perdu à plus d'un titre, et savait que la forge, ce moment privilégié était ce dont il avait besoin pour se recentrer.

Alors il avait rouvert les portes de sa forge après des semaines de silence. Il avait rallumé le feu et était resté là, devant lui, à sentir cette chaleur lui caresser le visage, silencieusement. Aucune commande, aucun client, rien d'autre que le silence et le crépitement des flammes : exactement ce dont il avait besoin. Il avait cru être prêt mais les premières heures ici furent...désastreuses. Il lâcha son marteau sur son pied deux fois, manqua de se brûler avec ses flammes autant de fois : il avait un long chemin à faire, avant d'être de nouveau à l'aise sur ce terrain.

Sekitsui, sa lame démoniaque, posée sur une table non-loin de lui, toujours à portée, alors qu'il attrapait une autre lame pour venir l'aiguisée sur la pierre prévue à cette effet. L'esprit toujours embrouillé, rongé par la frustration, ce ne fut que lorsqu'une voix se fit entendre derrière lui qu'il réalisa qu'il n'était pas seul. Posant la lame, le visage de marbre, il arqua un sourcil de surprise lorsque la demoiselle lui demanda ce qu'il faisait ici, comme si ce lieu appartenait à un autre.





Jadis il aurait ri mais pas aujourd'hui. Sa vie était trop troublée, trop bordélique pour apprécier qu'on vienne questionner sa capacité à forger le métal. Pourquoi serait-il ici, si telle n'était pas sa place ? Il aurait voulu continuer mais la demoiselle enchaîna, lui coupant la parole en dévoilant la raison de sa présence ici : commander une nouvelle lame digne de son supposé talent. La demande était simple, certes, mais il allait devoir recadrer la situation avant de commencer. Soupirant, le jeune aveugle se racla la gorge, tournant son visage bandé vers la demoiselle avant d'expliquer :





Autant mettre les points sur les i, histoire de bien commencer les choses, non ? Elle pourrait ne pas le croire, douter comme tous les autres de la possibilité qu'un aveugle puisse donner vie au métal, mais ce n'était pas important. Le forgeron savait ce qu'il pouvait faire, c'était bien tout ce qui comptait, en ce moment. Laissant à la Tomoe le temps d'assimiler l'information, et peut-être de s'excuser pour cette méprise si courante, le jeune homme lui fit signe de pénétrer dans sa forge, avant de lui demander :





Oh il n'était pas d'humeur sociable aujourd'hui et cela transparaissait dans le ton de sa voix, mais le travail n'allait pas attendre qu'il soit dans de meilleures dispositions. Elle voulait une lame ? Alors elle allait en avoir une, pour peu que l'aveugle soit capable de se concentrer à nouveau. Rester à savoir si elle avait déjà une lame qu'il pouvait analyser et toucher, pour deviner sa taille, son poids et sa forme, ou s'il allait devoir repartir de zéro.

Quand il passait le plus clair de son temps ici, Kyoshiro en avait vu passer des curieux. Des idiots juste venus ici pour voir le spectacle de l'aveugle capable de donner vie au métal et, en entendant la nouvelle venue commencer à le bombarder de questions, le Tadake n'avait pas réalisé à quel point ce genre de visite ne l'avait pas du tout manqué. Il avait déjà du mal à retrouver ses vieilles habitudes, et maintenant il devait satisfaire la curiosité d'inconnus ? Très peu pour lui. Alors il préféré garder ses réponses aussi directes que possible, afin d'aller à l'essentiel, afin de voir s'il pouvait raccourcir cette conversation pour profiter à nouveau de la solitude que lui conférait ce lieu.

Vint alors la première question, sans doute la plus stupide qu'on ait pu lui poser jusqu'à maintenant. Est-ce que cela le dérangeait d'être aveugle...sérieusement ? Et elle, est-ce que cela la dérangeait d'avoir une aussi grande bouche ? Retenant un soupir de lassitude, regrettant déjà d'avoir engagé la conversation, Kyoshiro haussa les épaules, ouvrant la bouche pour formuler une réponse froide et piquante avant de se raviser. Il ne fallait pas qu'il aille sur ce terrain-là, il n'était pas d'humeur à avoir ce genre de conversation, aussi tourna t-il le dos à la demoiselle avant de retourner à son travail. Quand elle voudrait dire quelque chose de réellement pertinent, elle saurait où trouver le forgeron.

Ce dernier fit un geste de la main, signifiant à la demoiselle qu'elle était libre d'aller regarder ses créations, si cela pouvait lui permettre de se décider sur ce qu'elle voulait réellement. Pis vint encore une autre question sur ce cécité, à croire que ce sujet était le seul qui justifiait la présence de Tomoe, ici. Maintenant Kyoshiro était las, il posa donc l'instrument qu'il avait entre les mains et, toujours le dos tourné, demanda :





Car si elle allait passer les minutes qui venaient à poser des questions sur sa cécité, autant qu'elle trouve un autre forgeron dés maintenant car Kyoshiro n'en aurait pas la patience. Prenant quelques secondes pour passer ses mains sur le métal de l'arme de son interlocutrice, pour en deviner les formes, le poids, l'équilibre et la longueur, le jeune homme tourna son visage lorsqu'on l'interrogea sur son épée démoniaque. Y avait-il une limite à la curiosité de cette femme ? Apparemment non.





Il n'avait pas besoin d'en dire plus, pour le moment. Une arme donnée par le Seizankage, voilà tout ce qu'elle avait besoin de savoir, pour le moment. Le reste ? Qu'elle garde ses mains dans ses poches, si elle voulait pouvoir les utiliser à nouveau, un jour. Bien entendu, le fait de repenser à cette lame fit immédiatement penser au cavalier d'argent à la mission et à tout le reste, ce qui n'aidait pas Kyoshiro à sortir de la tempête qui saturait son esprit. Il devait repousser cette pensée loin, très loin, ou sinon elle risquerait de l'infecter et le détruire de l'intérieur.





Il ne rebondit pas sur la question sur son arme, se concentrant uniquement sur celle qu'il avait entre ses mains. Une lame brisée ne pouvait être réparée, il fallait la fondre et forger à nouveau pour qu'elle soit de nouveau au top de sa forme.