Si l'aveugle avait bien appris une chose, au fil des ans, c'était que la vie ne lui laissait que rarement le temps de poser ses valises, le temps de s'adapter à une situation avant que son monde ne soit secoué à nouveau. Le temps était la chose dont tout le monde manquait, la chose après laquelle on ne cessait de courir, jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard. Kyoshiro revenait à peine de sa mission catastrophique lorsqu'il avait appris que, bientôt, sa présence serait requise pour parler certainement de la mission de laquelle il revenait. Était-il prêt à en parler ? Absolument pas, d'autant plus que sa vie personnelle était un chaos impossible, en ce moment, mais malheureusement la vie n'attendrait pas qu'il se stabilise.

La vie demandait à ce qu'il aille de l'avant, qu'il continue de pousser encore et encore, car le monde ne s'arrêterait jamais de tourner pour lui. Alors, quand il reçut la convocation, le jeune homme se frappa les joues deux fois de suite, pour mettre de l'ordre dans ses idées, avant de se vêtir simplement, modestement, d'une fine veste noire faisant ressortir sa crinière immaculée, avant de se diriger sur le lieu du rendez-vous. Il savait que ce jour finirait par arriver, qu'il devrait rendre des comptes et répondre à des questions, alors pourquoi avait-il la nausée rien qu'à y penser ? Pourquoi son corps ne voulait-il que rebrousser chemin ? Sans doute parce que cette mission, avec Toge, avait été son premier échec retentissant comme guerrier. La première déviation sur la voie qu'il avait décidé d'emprunter, depuis de nombreuses années.

Kyoshiro n'était pas d'humeur à parler, il arrivait à peine à maintenir les morceaux de sa vie ensemble, mais il n'avait pas le choix. Ainsi, il monta les escaliers silencieusement, ayant laissé ses armes derrière lui, pour une fois, avant de se diriger vers la salle allouée à cette...entrevue.

En arrivant sur place, les yeux toujours cachés derrière son sombre bandeau, le jeune homme sentit l'énergie se dégageant de l'homme en face de lui, conscient qu'il s'agissait sans doute d'un gros poisson dans son village. L'aveugle s'en souciait-il ? Pas le moins du monde mais, au moins, il pourrait plus le prendre au sérieux que les deux clowns avec qui il avait effectué cette catastrophique mission.

S'approchant du centre, où il était supposé s'installer, le jeune homme écouta le dénommé Seichiro se présenter, expliquer pourquoi il était ici, avant d'inviter le forgeron à s'asseoir. Ce fut sur un ton neutre, sans substance, sans sa chaleur habituelle, que le colosse perça le silence d'un :





Autant aller à l'essentiel, non ? Seichiro avait d'autres endroits où il préférerait être, sans doute, et Kyoshiro...avait des morceaux d'une vie à ramasser avec des baguettes. Il n'était pas impoli ou rustre, dans le ton de sa voix, mais plutôt direct. C'était au moins la seule chose que ces derniers jours ne lui avaient pas enlevé. S'avançant doucement, l'enfant de l'hiver vint s'asseoir à l'endroit qui lui fut indiqué, reniflant les effluves du thé devant lui, avant d'inviter le Doji à commencer d'un :

En général Kyoshiro n'avait aucun problème à parler, surtout lorsque c'était pour vanter ses talents et étaler sa supériorité face au monde entier mais ici, quand il reçut sa convocation, il sut immédiatement que cela allait être différent. Il pénétra donc silencieusement dans la pièce, essayant d'ignorer l'énergie évidente se dégageant de l'homme face à lui, pour se concentrer uniquement sur la raison de sa présence en ce lieu. Ainsi, allant droit au but, il invita l'homme à oublier les convenances et à lui balancer ses questions, sans ménagement. Ils avaient tous les deux un autre endroit où ils préféreraient être, en ce moment-même, non ?

Ainsi Kyoshiro vint s'asseoir, le visage toujours figé dans une expression d'une extrême neutralité, jusqu'à ce que le Doji ne prenne la parole pour poser un nom sur la table : oni. Faisant de son mieux pour ne pas serrer sa mâchoire à la mention de ce nom, le jeune homme sentit déjà son esprit remuer, remontant le temps vers le moment de la mission, et de sa rencontre avec l'une des impressionnantes bêtes. Ainsi, sans ménager, il constat donc l'évidence :





Il était difficile de parler de ces deux clowns sans utiliser de terme négatif, mais l'aveugle fit de son mieux pour rester neutre, et se concentrer sur l'écoute du speech de l'homme en face de lui. La tête toujours abaissée vers le sol, n'ayant pas besoin de contact visuel pour poursuivre une conversation, Kyoshiro écouta l'homme lui poser question sur question, concernant l'oni qu'il avait rencontré ainsi que ses forces et faiblesses. La rencontre n'avait duré que quelques secondes avec ce monstre, quel genre d'information le Doji espérait-il obtenir d'un si court entretien ? N'avait-il pas lu le rapport de ses collègues, quant à ce qu'il s'était passé ? Retenant un soupirant, l'enfant de l'hiver releva alors la tête, expliquant :





Autant dire qu'il n'avait rien apporté sur la table, mais il n'avait jamais prétendu le contraire. Essayant de ne pas laisser sa frustration prendre le dessus, de chasser les souvenirs de cette mission et de la mort ayant suivi cette entrevue, Kyoshiro brisa à nouveau le silence, en demandant directement :





Il n'aimait pas rester dans le flou mais, à l'heure actuelle, il n'avait aucune certitude quant à la façon de battre un tel monstre. Il ne voulait pas essayer de deviner, de supposer dans le vide alors qu'il ne savait rien. Rien d'utile, en tout cas, quant à la façon de s'opposer à un si formidable adversaire.

Aveugle et incapable d'écrire, c'était oralement que le jeune forgeron avait fait son rapport, aussi complet que possible, dés son retour de la mission. Il avait donné tous les détails et, alors que la conversation se rouvrait sur le sujet, Kyoshiro avait supposé que l'homme en face de lui avait lu son rapport avant de l'interroger. Pourquoi, alors, poser des questions dont l'aveugle était incapable de donner la réponse ? Pourquoi le pousser à faire des suppositions et à deviner, lorsqu'aucun élément de réponse n'avait de pied dans la réalité ? Il n'avait pas combattu le oni, il l'avait juste vu trancher un corps en un seul coup de cette énorme hache, et c'était à peu près tout ce qu'il était capable d'expliquer. C'était déjà assez humiliant comme cela de vocaliser son impuissance, son manque d'information, aussi préféra t-il aller à l'essentiel pour en finir avec cette entrevue, aussi rapidement que possible.

Il n'avait pas envie de penser à cet adversaire qu'il n'avait pas pu battre, ou à cette vie qu'il n'avait pas pu sauver, tout cela à cause des deux idiots qui servaient de collègues à l'homme en face de lui. Alors il resta succin et direct, aussi clair qu'il pouvait l'être en restant sur des certitudes, et non pas de stupides suppositions. Ils allaient avoir des onis à affronter ? Eh bien qu'ils fassent leurs propres recherches.

Mais cette réponse ne semblait pas suffisante, comme le fit rapidement comprendre le Doji, en insistant sur les questions restées sans réponse, sur la façon dont on pouvait battre un formidable adversaire. Il était  un guerrier, tout comme Kyoshiro, ne préférait-il donc pas travailler sur des certitudes plutôt que des suppositions ? La réponse, neutre et sèche du forgeron, ne se fit pas attendre.





Puis le Doji expliqua sa rencontre avec un wendigo, la perte qui suivit cet affrontement et les leçons qu'il avait pu tirer de cette terrible rencontre. Certes leurs situations étaient similaires en ce sens, une rencontre ayant mené à la perte d'une âme innocente, mais au moins le Doji s'était-il battu, au moins s'était-il opposé à cette bête, alors que tout ce que le Tadake avait fait était d'ouvrir sa grande gueule. Cependant, si l'homme était venu ici c'était pour avoir des réponses, alors l'aveugle pouvait au moins prendre quelques secondes pour repenser à tout cela, pour revoir la scène et réfléchir, supposer. Restant silencieux un moment, remontant le temps dans sa tête, l'enfant de l'hiver perça à nouveau le silence d'un :





Il avait vu ce que cette hache pouvait faire à un corps humain, c'était donc aisé de deviner l'ampleur de la force de l'oni. Cependant ce n'était qu'une partie du puzzle, qu'un morceau de la réponse car, le reste, était inconnu aux yeux de l'aveugle. Ainsi, après cette courte explication, il précisa :

Kyoshiro avait rapidement appris l'importance d'analyser son opposant, de déterminer ses forces et ses faiblesses, afin de le combattre au mieux et de mettre toutes les chances de son côté. Certes, compte tenu de son évidente différentes certains détails physiques pouvaient ne pas être perçus par l'aveugle, bien évidemment, mais il comptait sur ses quatre autres sens et sa perception du chakra pour faire la différence. Toute sa vie il s'était entraîné dans le but d'être le meilleur, d'être reconnu par tous et toutes mais, quand il fut enfin en face d'un puissant adversaire représentant un challenge à sa hauteur, le jeune homme n'avait rien fait. Pourquoi ? Parce que, face à ce monstre, il avait réalisé le gouffre qui le séparait de cette bête et avait été mis face à l'inutilité de sa course à l'excellence.

Il avait essayé et fait de son mieux mais ce n'était pas suffisant. Il n'était pas suffisant. Et maintenant il était face à un homme qui voulait supposer, lui arracher la moindre parcelle d'information qu'il avait, au cas où il en vienne à croiser un être monstre du même acabit. Alors certes, Kyoshiro n'aimait pas appesantir sur ses échecs mais, au-delà de tout ceci, il n'avait absolument rien à apporter à cette quête d'informations. Mais l'homme voulait savoir, voulait pousser l'aveugle à se souvenir, à supposer, à deviner, à retirer des éléments de cette rencontre qui n'avait pas duré plus de trente secondes. Que pouvait-il apporter, en si peu de temps ? Le Tadake aurait voulu continuer d'argumenter sur l'aspect ridicule de cette demande, car toutes ces suppositions n'avaient aucun fondement de réalité, juste des théories et rien d'autres, mais il ne le fit pas car il n'en avait pas la force ou la volonté.

Alors il resta là, prenant quelques secondes pour essayer de deviner, de supposer comment battre un adversaire doté d'une telle force, sans finir comme la demoiselle qu'il avait tenu en otage, lors de leur rencontre. Le maintenir à distance, l'immobiliser, le désorienter et l'attaquer sans le laisser approcher : voilà comment il supposait qu'on pourrait battre un tel opposant. Avait-il d'autres cartes en mains ? Probablement, oui, et le forgeron n'hésita pas à le faire remarquer.

Il hocha alors la tête, simplement, silencieusement, quand Seichiro le remercia pour ces éléments de réponse, sans trop savoir s'ils seraient vraiment utiles. C'était le moins qu'il pouvait faire, après le fiasco de sa précédente mission. Ne rebondissant absolument pas sur la spécialité de l'homme en face de lui, Kyoshiro finit enfin par se relever, lorsque les paroles de son interlocuteur marquèrent la fin de cette entrevue. Autre chose à ajouter ? A part un bonne chance, peut-être ? La réponse du jeune homme fut accompagnée d'un balayage négatif de la tête.





Oui, ils allaient avoir besoin de toute l'aide possible pour garder la tête sur les épaules...littéralement. Ainsi, après avoir fait un simple hochement de tête pour signifier son départ, le jeune homme tourna les talons pour sortir de la pièce. Où aller, maintenant ? La forge ? Trop tôt. Le terrain d'entraînement ? Peut-être bien oui...ce n'était pas comme s'il avait autre chose à faire, de toute façon.