"Il t’en reste un à rencontrer, n’est-ce pas?"

Les questions du Secret ne sont jamais les mêmes; une fois qu’il comprend le raisonnement derrière mes agissements, il passe à autre chose. Alors que je me poudre le visage – ça ne sert à rien considérant les traits illusoires qui couvriront mon visage, mais ça il le sait très bien –, il me demande où j’en suis. Je lui réponds que «oui. C’est sans doute le plus important, aussi.»

J’ai beaucoup souffert de l’échec de la mission avec Ruka. J’ai ruminé dans le doutes, cuit au milieu de théories fumeuses et compliquées, et perdu moult heures de sommeil – déjà que celles que j’avais normalement à mon actif étaient peu nombreuses…

Je quitte la maison, mon image cachée une fois de plus par un voile d’illusions. Des illusions évitent potentiellement une catastrophe; elles me servent d’un masque, en plus du maquillage qui se cache en dessous. Le second masque est par habitude et coquetterie, le premier par nécessité et pour la survie.

Depuis le rituel, je sais que je dois faire très attention à qui peut voir mon vrai visage. Je me sens encore pleinement humain – et pour tout dire, encore plus sublime – mais ma situation est dangereuse; je ne peux me permettre d’être découvert.

Il y a plusieurs enjeux à ma nouvelle condition, mais au moins j’ai eu des réponses. Kokusen, le chakra qui danse dans les rues la nuit, la position de ma famille et de son secret… J’ai pu régler beaucoup de choses. Tout ce qu’il me reste à faire pour récupérer toute ma paix intérieure, c’est de découvrir ce qui est arrivé à mon autre équipier. Mû.

Un inconnu, encore. Je n’ai pas eu l’opportunité de lui parler plus qu’il ne le fallait, et malgré ça, je m’inquiète pour lui. J’ai tant de questions, de théories sur ce qu’il a vécu lors de notre rencontre avec les Sarugami…

J’ai besoin de savoir, ou au moins de l’avertir.

Une main vient toquer à la porte. Trouver où vit Mû n’a pas été si difficile; Kokusen, en revanche…

J’attends qu’on vienne me réponde, ou que quelqu’un me voit et m’explique où il est passé. Si ça prend trop de temps, j’oserai cogner une seconde fois. Advenant qu’on finisse par m’ouvrir, je le saluerai poliment en disant que «je suis désolé de te déranger. Ça fait un moment… Je voulais passer plus tôt, mais je n’ai pas eu l’occasion avant. Je voulais te voir, savoir comment tu te portes depuis…»

Depuis… ça. Qu’importe ce que c’était.

On m’accueille, on me permet d’entrer.

Sous le masque, les émotions ne se voient pas; Mû reste cependant limpide.

Je suis content qu’il se montre honnête de son état, je suis justement là pour ça. Plusieurs réponses me sont venues, je suis dans un bien meilleur état… je peux finalement me pencher sur le sujet de cette mystérieuse rencontre dans les bois.

«Je t’avoue, je suis justement venu ici pour parler de ça. Je te suis.» J’entre chez lui; je n’ai pas l’habitude d’entrer si rapidement chez les gens, je ne le connais que trop peu, mais cette conversation ne peut passer au-dehors et je le sais très bien.

Comme Kaleah me l’a bien fait comprendre, les yokai et leur mention n’amène rien de bon dans le coeur de nos civils, et même dans ceux de bien des membres de notre propre armée. Il vaut mieux, pour lui comme pour moi, que cette discussion ne ressorte pas.

Je m’installe, j’attends qu’il me rejoigne.

Un instant toisé, Mû me semble nerveux; je ne vois pas son visage, mais ses mouvements, sa posture,  veulent dire beaucoup. Peut-être possède-t-il sa propre façon d’écouter, je vois un grand intérêt. «On a eu beaucoup de chance, surtout. Kokusen a été blessé parce qu’on a choisi la violence. Toi, Ruka et moi avons été chanceux, et c’est surtout grâce à toi.»

J’incline la tête; un signe bref de remerciement.

«Pour tout te dire, je pense que ce qui m’a inquiété le plus, c’est toi. Je ne sais pas ce qui s’est passé là-bas, ou en quoi tu es différent, mais… je voulais m’assurer que tu ailles bien. Si je m’inquiète, je ne peux même pas m’imaginer toutes les questions que tu dois te poser.»

Ce qui m’empêchait de dormir a été finalement réglé, mais cette pensée réside dans ma tête depuis notre retour; ça m’a tout pris pour avoir ne serait-ce qu’une minute de paix. Je me réajuste sur ma chaise pour mieux me tourner vers Mû.

«Je ne sais pas ce qu’il y a derrière ton masque, et je respecte ta décision de le porter – moi-même, d’une certaine façon, j’en porte plusieurs… par contre, j’aimerais savoir; est-ce que tu ressens quelque chose de différent ou est-ce que tu as vu quelque chose sur ton visage depuis qu’on est revenus? Une marque, une tache, n’importe quoi?»