Encore. Cela faisait des semaines qu’elle y était. Toujours la même histoire, toujours la même chose. D’un point de vue entièrement objectif, Hotaru n’était pas faible. Son savoir faire des armes dépassait celui de la plupart et sa maîtrise varier d’autant de formes différentes ne pouvaient faire que des envieux. Mais de son point de vue, elle avait troqué force contre versatilité. S’il fut un temps où elle en était fière, elle l’était un peu moins depuis qu’elle voyait son amant s’engaillardir un peu plus chaque jour, où lorsqu’un garçon, de dix ans son cadet, à qui elle avait enseigné s’était révélé être capable de lui faire manger les pissenlits par la racine …

Et depuis … Elle maudissait cette versatilité. Elle maudissait qu’elle ne pouvait leur tenir tête dans un combat un contre un. Elle maudissait qu’elle n’avait pas su s’arrêter à une seule arme. Donc elle tentait de redoubler d’effort, de les maîtriser toutes avec encore plus d’ardeur.

Et elle avait pris de la distance avec son entourage. Au départ, c’était subtile, une heure de plus par-ci, une autre par-là, mais au fil des jours, c’était devenue une réelle obsession. Si bien, qu’à un certain point, ses frères eurent à prendre l’habitude de s’assurer qu’elle n’était pas simplement dans un coin des plateformes d’entraînement, incapable de rentrer parce qu’elle s’était trop poussée.

Elle quittait sa demeure, ou celle de son amant bien avant l’aube et rentrait bien après le coucher du soleil. Elle s’était évidemment refermée sur elle-même, beaucoup plus irascible à cause de la fatigue, de l’épuisement et de cette sensation omniprésente de ne pas être assez, d’avoir frappé un mur. De plus mériter ce qu’elle avait. Elle se sentait une imposteuse et avait besoin de chasser cette sensation. Mais il n’y avait rien à faire, rien qu’elle ne pouvait faire contre ça. Peu importe les heures qu’elle passait, elle n’avait pas l’impression de devenir meilleure, de mériter quoi que ce soit.

Elle allait les ralentir, Le ralentir.

Ça la rendait malade de même y penser. Il lui fallait plus. Toujours plus.

Cette journée-là n’était pas bien différente des dernières. Elle était arrivée tôt, sans passer par la forge. Chouso en main elle avait passé des heures à entraîner ses katas encore et encore, à tenter de faire ce que Kyoshiro maintenant faisait si naturellement. Pourtant, elle n’y arrivait pas.

Ses mains tremblaient, ses jambes étaient lourdes, la sueur sur son front avait cessé d’être présente depuis un bon moment alors qu’elle luttait contre les étourdissements qui ne cessait de lui prendre la tête depuis quelques instants déjà. Son souffle était laborieux, alors que son teint bien trop pâle.

Et elle s’entêtait à continuer. Un commentaire de Kyoshiro à l’esprit, celui lui rappelant qu’il ne comptait pas l’attendre.




Ses mains se posèrent sur ses genoux, alors que son armes glissa au  sol. Elle tentait de reprendre son souffle un instant.

Pas longtemps, ce n'est pas une pause, se disait-elle.

Plus rien n'avait été pareil depuis que le jeune homme était rentré de cette mission, avec cette équipe triée sur le volet. Il avait quitté Seizan avec la volonté de retrouver la piste du cavalier d'argent, et il était revenu les mains vides, sans indices, avec une mort sur la conscience et une mésentente avec Toge sur les bras. Un échec sur toute la ligne, le plus gros échec de sa carrière que le Tadake prit de la façon la plus personnelle possible. Il était trop fier pour admettre à quel point cet échec le hantait, trop fier pour admettre qu'il avait besoin de son entourage pour le remettre sur les bons rails, et de toute façon cet entourage ne semblait pas prêt à l'écouter.

Il avait remarqué, depuis un petit moment, que la Oomori se faisait plus distante et beaucoup moins présente qu'avant. Elle ne passait presque plus à la forge, passait de moins en moins à la maison et, lorsqu'elle le faisait, elle était simplement trop épuisée et ne faisait que tomber de sommeil, dans le plus grand des silences. C'était comme si le temps où les épreuves avaient fini par éloigner les deux amants l'un de l'autre et, dans sa grande fierté, Kyoshiro ne s'abaissa pas à prendre le temps de discuter avec elle, pour crever l'abcès. Elle était une adulte, mature et réfléchie, non ? Elle savait très bien ce qu'elle faisait et ce n'était pas le rôle de l'aveugle de la prendre par la main. Cela avait toujours été clair, depuis le début.

Qu'elle continue ainsi, qu'elle continue à jouer les fantômes irascibles, tendus, et elle finirait par pouvoir tirer un trait sur leur relation, pour de bon.

Kyoshiro essayait de ne pas trop y penser, car il avait ses propres fautes à réparer, ses propres démons à combattre. Ce soir, alors que les forges étaient silencieux et les foyers plongés dans le noir, le colosse s'arma de son épée démoniaque, pour aller s'entraîner à l'air libre, après l'avoir fait dans l'espace restreint de sa forge, une partie de la journée. Cependant, en arrivant, il se stoppa en sentant l'énergie de Hotaru, la demoiselle s'entraînant avec le même acharnement qu'elle démontrait depuis plusieurs semaines, maintenant.

L'espace d'un instant il hésita à faire demi-tour et trouver un autre endroit, car il n'avait pas envie de subir les foudres de la mauvaise humeur de la Oomori, née d'un épuisement évident et constant. Non mais vraiment, s'entendait-il parler, quelques fois ? Depuis quand fuyait-il devant quiconque ? Certes la compagnie de la Oomori n'était pas agréable, ces derniers temps, mais le Tadake avait son propre chemin à tracer et n'avait pas le temps de prendre des pincettes. Ainsi, en arrivant, il brisa le silence d'un froid :





Il n'était pas revanchard ou puéril, mais l'idée de vivre avec un fantôme irascible avait fini par détruire, aujourd'hui, toute patience qu'il avait encore...ou presque. Il fut suffisamment poli pour manifester sa présence, mais il n'avait nullement l'intention de rester là, à la regarder s'épuiser de façon totalement contre-productive. Le repos faisait aussi partie du processus mais, cela, elle semblait l'avoir oublié dans son aveuglement. Haussant les épaules, le jeune homme continua son chemin vers une autre portion, plus éloignée, du terrain d'entraînement en lâchant :





Il n'était pas aveugle...pas comme ça, en tout cas. Il savait très bien pourquoi elle faisait tout cela, et c'était en partie de la faute du forgeron. Elle essayait de le rattraper, il le devinait bien, mais il savait aussi la demoiselle trop fière pour l'avouer ou lui demander de l'aide. Alors il avait respecté son choix au départ, il avait gardé bonne distance en sachant de sa propre expérience qu'un épuisement constat n'améliorerait jamais rien, mais ce soir il était juste trop fatigué pour faire semblant. Elle voulait continuer dans cette voie et aller droit dans le mur ? Qu'à cela ne tienne, mais le Tadake ne resterait certainement pas là, lorsque le crash surviendrait. Personne n'avait été là pour le sien, maintenant il faisait les choses à sa façon.

Il n'était pas puéril ou cruel, il savait juste que certaines leçons devaient être apprises par soi-même. Allait-elle enfin lui parler et reconnaître son existence, contrairement à ce qu'elle faisait depuis quelques semaines, ou allait-elle continuer à s'épuiser bêtement ? Quoi qu'elle puisse faire, le Tadake continua de s'éloigner jusqu'à trouver un bon endroit, et poser son arme à côté le temps de s'échauffer, de réveiller ses bras et jambes.

Il avait beaucoup à faire, aujourd'hui.

Les mains contre les genoux pour souffler, ne serait-ce qu'un instant, Hotaru n'avait pas porté attention à son environnement. Lorsque la voix de son amant résonna, froide, presque détachée, lui rappelant quelque chose qu'elle savait déjà depuis longtemps, elle sursauta. Et une fois la surprise passée et que son esprit eût donné un sens aux mots … au ton. Le ton surtout. Depuis quand en étaient-ils là ? Depuis quand avait-elle poussé cette relation qui venait à peine de naître il fallait bien l'avouer au point où ils en étaient à … ça ?

Son regard suivit la silhouette de Kyoshiro alors qu'il passait pour continuer son chemin.

Par tous les dieux qu'était-elle en train de faire ?



Elle lui répondit d'un ton las, vaincu. Et son esprit alla directement vers ce recoin où elle gardait, généralement, ses insécurités. Hotaru avait toujours été une femme aux dispositions plus joyeuse, chaleureuse. Amicale et maternelle, d'une bonne humeur à presque toute épreuve … c'était comme ça qu'elle aimait se décrire … la plupart du temps. Mais elle ne l'était plus, plus depuis trop longtemps. Et son esprit lui murmura au creux de son oreille toutes les raisons qui l'avaient poussée à aller aussi loin, à se couper de presque tout pour se focaliser entièrement et uniquement sur son entraînement.

Et ses genoux cédèrent sous elle, sous cette douche froide qu'était le ton de Kyoshiro à ce moment-là. L'avait-elle repoussé si loin qu'il n'en avait plus rien à faire ? Avait-elle vraiment perdu le contrôle sur sa vie au point où même lui la laissait derrière ?

Était-ce parce qu'elle n'arrivait pas à le suivre ?



Elle eut un petit rire amer, de ceux qui réalisent mener un combat en vain.



Sa voix tremblait. Il y avait trop d'émotions pour qu'elle puisse dire laquelle d'entre elle était la coupable et … honnêtement, elle ne voulait pas le savoir.

Au départ, tout ça n'était qu'un découragement, une raison de plus pour s'entraîner. Au départ, ce n'était pas l'obsession que c'était devenu. Elle n'avait aucun mal à le suivre où du moins essayer. Elle n'avait pas peur que son ancien protégé la rattrape déjà, elle n'avait pas imaginé que même son chef d'équipe allait périr. Mais les circonstances se sont accumulées et il lui était impossible de le nier. Elle n'avait pas le niveau et il fallait devenir meilleur. Motivation devint alors pression, pression devint obsession.



Et sa voix resta prise dans sa gorge, lourde, tremblante, plus que ses mains encore. Son regard se riva sur Kyoshiro un instant avant de tomber vers le sol, totalement vaincus.



Son ton, encore chargé par cette émotion de plus tôt, avait aussi cette note distincte de venin. À son propre égard. Elle se blâmait et elle en avait raison, c'était probablement ce qui était le pire à porter. Elle l'avait repoussé, comme elle s'était poussée plus loin qu'elle ne l'aurait dû, mais le manque de résultat rendait tout ceci tellement difficile à accepter qu'il lui fallait un peu plus.

Elle l'avait repoussé, parce qu'elle voulait être à sa hauteur. Voilà un concept incroyablement stupide. Et elle n'osa pas bouger. Elle avait peur d'essayer de couvrir cette distance entre eux, qu'il ne veuille pas de ses explications, ou pire juste d'elle. Car, finalement, elle n'était pas à la hauteur.

Kyoshiro avait toujours eu du mal à gérer ses émotions, d'aussi loin qu'il puisse s'en souvenir. Il n'avait que peu d'expérience dans les relations intimes, c'était vrai, mais cela avait aussi été un choix, car s'ouvrir à quelqu'un créait le risque de souffrir, lorsque les choses ne se passaient pas bien et, dans ce cas-là, l'aveugle avait tendance à faire preuve d'une brutale franchise, à se montrer froid et sec plutôt que d'essayer de réparer ce qui était en train de se briser. Au départ il avait cru que tout cela était de sa faute, que c'était sa course à l'entraînement qui avait mis la demoiselle sur ces rails là mais, voyant qu'elle s'éloignait de plus en plus, il lui avait donné son espace en espérant qu'elle revienne à lui un jour...en vain.

Il savait très bien ce qu'elle faisait de ses journées et de ses nuits, mais aussi pourquoi elle le faisait. Il savait que leur relation se dégradait de jour en jour et, même si cela lui faisait mal, il était simplement trop fier pour l'admettre. Alors il avait laissé les choses se faire, il avait laissé le bateau couler, sans rien faire, et il réalisait aujourd'hui le gouffre qui s'était créé avec celle qui partageait sa vie. Mais il ne pouvait rien dire, rien pour le moment, aussi brisa t-il temporairement le silence, par politesse, avant de retourner à ses affaires. Si elle voulait s'entraîner jusqu'à épuisement, qui pouvait-il être pour lui dire de ne pas le faire ? Il s'avança donc jusqu'à là où il s'entraînait et, à chaque pas, il pouvait entendre les paroles murmurées de la demoiselle. Il essaya d'ignorer ces messages, d'ignorer la fatigue évidente dans sa voix mais, lorsqu'elle réalisa à quel point elle avait été stupide, l'aveugle brisa à nouveau le silence, montrant toujours son dos à la Oomori.





Il n'était pas homme à vouloir donner des leçons, car il n'en avait vraiment rien à faire. Chaque personne traversait sa vie comme elle le souhaitait et, si c'était la direction que Hotaru voulait prendre, si cela était le chemin qu'elle voulait emprunter, alors il la laisserait faire, jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'elle était dans l'erreur.





Il savait très bien que cette histoire le travaillait bien plus qu'il ne voulait l'admettre, et que cette tension ne pouvait que nuire à sa concentration. Pourquoi donc s'entraînait-il dans sa forge, sinon ? Il essaya donc de s'éloigner et d'ignorer l'état de la demoiselle, d'ignorer la position dans laquelle elle était ou encore la détresse dans sa voix mais, au bout d'un moment, cela fut trop pour lui. Le dos toujours tourné, il brisa à nouveau le silence d'un :





Il n'aimait pas devoir dire cela, devoir mettre les pieds dans le plat, mais quelle autre solution avait-il ? Si elle voulait du réconfort elle savait où en trouver, mais elle ne l'avait pas fait : pourquoi diable en offrirait-il maintenant, alors ? Finissant de s'échauffer, il se dirigea vers son arme posée contre un rocher, avant d'ajouter :





Une partie de lui voulait jouer le rôle du méchant, pour la libérer de ce poids-là, pour l'aider à se focaliser sur ce qu'elle voulait et oublier cette relation, si elle n'avait plus le temps ou l'énergie de s'en occuper, en ce moment. Une autre partie de lui aurait aimé ne pas avoir à le faire, évidemment mais...il lui était difficile de rester silencieux. Enfin, en guise de conclusion, n'ayant rien de plus à ajouter, il attrapa sa lame et, sur un ton plus doux, plus calme, conclut par :

La première réponse qu’il lui donna fit relever la tête de la samouraï en sa direction, mais il ne se retourna pas. Et elle, elle ne bougea pas non plus. Elle le savait qu’elle avait merdé, alors elle n’Allait même pas essayer de se défendre. Il y avait quelque chose dans sa façon de parler qui … qui était si différent de l’homme qu’elle avait connu jusque-là.

Elle l’aimait, mais elle l’avait repoussé au profit de l’entraînement. Le pire était probablement qu’elle n’avait même encore remarqué les dégâts qu’elle avait causés. Enfin, jusqu’à ce moment précis où le ton du Tadake était une véritable douche froide, un rappel à l’ordre, une accusation.

Terrée dans un silence coupable, elle l’écouta déverser les mots

Et ses derniers mots étaient probablement les pires. Ceux qui montraient réellement à quel point il n’en avait plus rien à faire en réalité. Ses mots étaient encore plus difficiles à écouter qu’elle ne l’aurait jamais imaginé. Elle avait l’impression d’en ressentir chaque syllabe jusque dans ses os. La douleur en était presque physique.

Et elle ne bougea pas. Les pris sur elle comme elle le pu. Après tout, c’était sa faute si les choses en étaient là. Évidemment, si elle ne s’était pas considérée aussi coupable dans cette histoire, elle aurait trouvé à répliquer, elle ne se serait pas laissé avaler par ses mots comme elle le faisait à ce moment.

Elle aurait voulu répondre, lui dire que ce n’était rien de tout cela, mais comment ? Et surtout, est-ce que ça changerait quoi que se soit ? Kyoshiro ne semblait pas réellement vouloir entendre ce qu’il y avait à dire. Et que pourrait-elle dire ? Désolée, je ne voulais pas ? non, se serait simplement trop … insultant.

La tempête se leva en elle. L’envie de faire tous les temps, le tenir aussi pour responsable, de chercher une excuse, de lui demander pardon, d’éclater en sanglot … Mais non. Elle n’en fit rien. De ses lèvres s’échappa un soupire tremblant, le début d’une phrase, puis son abandon.



Ce qu’elle voulait se jeter dans ses bras et lui dire tout ce qu’elle avait à dire. Tous les mots qui avaient hanté son esprit depuis les dernières semaines … Non, non elle ne le fit pas ça non plus. Kyoshiro avait épuisé sa patience à son égard. Il était déjà bien trop tard.

Pendant un instant, elle le laissa à son enchaînement, son entraînement, puis, se relevant, elle rangea son sabre à son fourreau, son regard sombre toujours posé sur l’homme agitant maintenant son propre sabre.



La voix était étouffée, elle ne savait même pas s’il l’avait même entendue. Puis, elle lui fit dos, comme il l’avait fait quelques instants plus tôt, comme il le faisait présentement avant d’ajouter, encore un peu plus doucement :



Je voulais simplement valoir la peine pour toi. Et pour les autres. Je voulais simplement être à la hauteur. Et à quel prix ?

Un étourdissement la prit. Évidemment, c’était le parfait moment. Peut-être aurait-elle dû prendre le temps de manger quelque chose dans la journée ? Certainement. Mais ça non plus elle ne l’avait pas fait. Ce qui expliquait d’ailleurs pourquoi elle était si faible à ce moment-là. Ses dérobèrent sous elle et elle s’écrasa sur le sol de pierre des terrains d’entraînement avec un son mat un peu étouffé. Elle n’avait pas même amortir sa chute.

Kyoshiro était encore un enfant, dans sa tête, alors comme tous les enfants confrontés à une situation qui ne leur plaisait pas, il agissait de la mauvaise façon et boudait, se refermait sur lui-même sans trop savoir quand il pourrait reprendre le contrôle de ses pensées. Car l'homme qui était là, l'homme qui expliquait froidement et sèchement qu'il valait mieux que cela : ce n'était pas l'homme que Hotaru connaissait, mais bien l'ombre de ce dernier. Mais que pouvait-il dire ? Il était blessé, il s'était senti rejeté alors qu'il n'avait agi de la même façon envers elle.
Oh certes il était un bourreau d'entraînement mais, malgré son entêtement, l'aveugle avait toujours fini par revenir vers le Oomori, épuisé ou en pleine forme, alors pourquoi ne pouvait-elle pas en faire de même avec lui ? Il ne comprenait pas et, tout frustré qu'il était, peut-être n'avait-il simplement pas envie de comprendre. Il préférait être en colère, au moins il pouvait utiliser cette énergie pour faire fonctionner la machine et continuer d'avancer, pour un jour être capable de vaincre l'oni à qui il n'avait pu tenir tête.

Lui aussi avait ses démons à combattre, ses épreuves à surmonter. Il avait toujours fait son possible pour ne pas faire payer ses échecs à quiconque autre que lui...mais cette fois-ci, on ne lui rendrait pas l'ascenseur. Alors il déballa ce qu'il avait à dire, froidement, sans détour, avant de retourner à son entraînement, en ignorant les murmures de la demoiselle.

Puis vinrent les seuls mots qu'il put capter, ceux similaires à une excuse, car la Oomori semblait enfin comprendre à quel point elle avait envoyé son existence dans la mauvaise direction. Mieux valait tard que jamais, pour s'en rendre compte, hein?





Il allait dire que cela n'avait plus aucune importance, mais la fin de sa phrase mourut au fond de sa gorge, lorsqu'il sentit la demoiselle s'écrouler à terre, comme un vieux sac de patates. Il resta là, un moment, espérant que ce n'était qu'un instant de faiblesse mais, quand la Oomori ne sembla pas décider à se relever, le jeune homme rangea sa lame dans son fourreau, pestant :





Si elle essayait de l'attendrir...eh bien cela semblait fonctionner car, ne pouvant plus repartir à présent, le jeune homme rassembla ses affaires et allongea la demoiselle à terre, sur le dos, servant de son sac à dos comme un oreille pour protéger sa nuque et son crâne, après s'être assuré qu'elle ne s'était pas blessée. Il n'avait même pas besoin de la toucher pour connaître son pouls, sa signature de chakra était suffisamment faible pour faire comprendre au forgeron tout ce qu'elle avait besoin de savoir : elle avait atteint son point d'épuisement le plus haut. Face à ce constat, le Tadake soupira, se murmurant à lui-même :





Qu'est-ce que cela lui avait apporté de se mêler aux autres ? Il n'aurait pas souffert s'il ne s'était pas approché de Hotaru. Il n'aurait pas participé à cette mission, s'il ne s'était pas rapproché de Maho et de tous les autres. Il n'aurait pas l'impression d'avoir merdé dans les grandes largeurs, s'il s'était contenté de fermer sa gueule et rester dans son coin. Pourquoi, par tous les Dieux, ne pouvait-il pas rester tranquille ? Ce fut face à cette épuisante question que le jeune homme laissa tomber son arme à côté de lui, conscient qu'il n'était désormais plus assez concentré pour faire ce qu'il avait à faire.
Alors il s'écarta de la demoiselle après l'avoir aussi bien installé que possible, posant ses fesses par terre pour s'essayer à la méditation. Ce moment-là en valait bien un autre, pour essayer, non ? Il resta donc silencieux, les mains sur ses cuisses, la tête vers le sol, à essayer de s'oublier, essayer d'oublier le monde autour jusqu'à ce que, au bout de plusieurs minutes voire d'une bonne heure, la demoiselle ne semble enfin se réveiller. Doucement, plus doucement que ce dont il avait fait preuve jusqu'à présent, il lui souffla :

Elle s’était effondrée après avoir poussé son corps bien au-delà de ce qu’il pouvait tolérer et elle s’y était maintenue ainsi bien trop longtemps. Évidemment, ce n’était pas la première fois qu’elle payait le prix de son idiotie. Elle s’était effondrée au pire moment, devant la pire personne possible. Sa tête s’était mise à lui tourner et immédiatement, elle savait ce qui se produisait. Elle avait essayé de lutter, mais vraiment, c’était inutile. Tout était devenu noir …

Et lorsqu’Hotaru revient à elle, on l’avait installé un peu plus confortablement au sol, un sac sous la tête lui servant d’oreiller. Elle battit des paupières, le temps que son œil s’habitue de nouveau à l’éclairage et s’assied grognant de frustration, mais aussi de douleur. Son épaule ayant absorbé le choc l’élançant furieusement.

Une fois redressée, elle regardait autour d’elle et ce fut à ce moment qu’elle vit Kyoshiro, méditant juste à côté d’elle. L’Oomori soupira fermant de nouveau les yeux. Elle savait déjà ce qu’il allait dire, pourtant, même en le sachant, l’entendre ne fit pas moins mal.

Mais quelque chose dans son ton la rassura.

Juste un peu.

Elle se leva, prenant, cette fois-ci, son temps, tentant de ne pas brusquer son corps plus qu’il ne l’était déjà.



Elle fit une pause, l’observant encore un instant. La femme samouraï chercha à ressembler son courage, à trouver les mots qui s’étaient de la fuir.



Elle le savait depuis le début, mais elle avait été incapable de rationnaliser, de s’empêcher de le faire. La petite voix dans sa conscience l’avait épuisée, lui avait murmuré jour après jours qu’elle n’était pas assez, qu’il fallait être meilleure pour être à la hauteur.

Et elle l’avait écouté. Elle l’avait écoutée, elle l’avait laissé mener sa vie. Elle avait accepté de se laisser traîner dans cette obsession malsaine de performance jusqu’à ce qu’elle en perde le contrôle. Jusqu’à ce que cette journée-ci devienne réalité. Elle se sentait bête, encore plus maintenant qu’elle était avec lui, devant lui. Elle ne pouvait lui mentir, non pas seulement parce qu’il l’aurait deviné, mais simplement parce que … Parce que c’était lui. Elle aurait pu dire un millier de choses, elle aurait pu supplier, pleurer … Mais elle ne pouvait le faire. Elle ne voulait pas devenir misérable et pathétique à ses yeux.



Et un rire amer monta à ses lèvres alors qu’elle tourna la tête pour détourner le regard.



Une courte pause, un soupir et elle se retourna, encore une fois pour quitter.

Plus les secondes s'écoulaient et plus le jeune homme se demandait ce qu'il faisait encore là. Oh certes il n'était pas homme à fuir une discussion, mais ici la situation était plus personnelle, plus intime. Il aurait aimé ne pas avoir cette discussion car, pour l'heure il ne savait pas quoi dire ou penser, sur cette situation. Pouvaient-ils combler le gouffre qui s'était créé entre eux ? Probablement que oui, car si le Tadake s'en fichait il serait déjà rentré chez lui, et le fait de rester là, le temps que la Oomori se réveille, était bien la preuve qu'il tenait encore à elle, même s'il était incapable de le formuler de cette façon.
Jamais encore il ne s'était senti plus proche d'une femme qu'il ne l'était de la Oomori et, d'une certaine façon, cette distanciation ne faisait que le rappeler à son douloureux passé. La distance était la première étape avant la trahison alors, si elle souhaitait l'abandonner comme tous les autres, autant percer l'abcès et en finir dès maintenant, non ? Il n'était plus un enfant, il pouvait encaisser le rejet, mais il préférait être fixé dés à présent.

Il savait que ce n'était pas de la faute de la demoiselle. Elle était née dans un milieu très compétitif, où finir dernier n'était pas une option. Il était normal qu'elle cherche à devenir plus forte, tout comme son amant, mais avait-elle remarqué que ce dernier ne l'avait jamais délaissé, ne lui avait jamais fermé la porte au nez, même dans ses périodes les plus sombres ? C'était cela, la différence entre eux. C'était cela, l'origine du gouffre qui s'était créé, durant les dernières semaines.

Alors il resta là, par politesse et par respect pour ce que la femme représentait, au moins jusqu'à ce qu'elle recouvre ses esprits et ne brise à nouveau le silence. Avouer qu'elle était bête n'allait rien arranger en un claquement de doigts, il faudrait du temps et, dans le cas de Kyoshiro, il lui faudrait de l'espace pour réfléchir au genre de vie qu'il voulait mener. Il n'avait pas la fibre familiale, il ne voulait pas d'enfant non plus, mais ça ? Cette froide tension entre eux, il n'avait pas besoin de cela et elle non plus, et de toute évidence Hotaru réalisait maintenant que le prix à payer pour cette réussite était trop lourd.

Alors Kyo resta là, silencieux, se relevant en entendant la belle prendre parole, en l'entendant lui expliquer que tout ce qu'elle faisait c'était d'essayer d'être à la hauteur. Kyoshiro connaissait cette réalité mieux que personne, alors pourquoi ne pas lui en avoir parlé, avant ? Pourquoi ne pas être venu le voir ? Retenant un soupir, Kyoshiro se dirigea vers ses affaires, en répondant :





Elle n'avait jamais eu besoin de prouver sa valeur à son amant, car ce dernier l'avait toujours « vu » pour ce qu'elle était réellement. Mais peut-être n'était-ce pas suffisant, peut-être n'était-il pas assez, lui-même. Peut-être n'était-il pas celui dont elle avait réellement besoin, et ce fut cette  idée en tête qui empêcha le forgeron de prononcer le moindre mot, alors que la belle tournait les talons pour s'en aller.

Le colosse resta là, silencieux, entendant les pas de la belle s'éloigner un peu plus à chaque seconde. Il resta là, une main passée dans sa chevelure, ses dents serrées.

Venait-il de la perdre, de se perdre dans tout cela ?