Ciel sombre, tout comme ton humeur. Tu n’aimes pas les enterrements. Bon, personne ne les aime, mais chez toi, ça réveille des souvenirs douloureux. Une amertume qui ne t’a jamais vraiment quitté. Les politesses, les paroles faussement compatissantes de la part de personnes qui disparaissent après quelques jours de deuils, pour faire comme si de rien n’était. Oui, ça t’a marqué. C’est le genre de cicatrice qui met du temps à se refermer. Cette emprise cruelle que le temps a sur les hommes, les poussant à reprendre leurs vies malgré le désespoir les dévorant de l’intérieur, elle t’a fait du mal à l’époque.

Beaucoup ont pleuré tandis que l’on honorait le shinobi disparu. Des paroles emplies d’admirations et de respect face à un homme ayant sacrifié sa vie pour accomplir sa mission. Beaucoup de tristesse, mais aussi beaucoup de mystères. De question encore en suspens. Tu ne connaissais pas réellement l’homme à la chevelure argentée, mais tu ne penses pas qu’il se soit ainsi lancé dans une mission suicide si la situation ne l’exigeait pas. Qu’à t-il vu ? Qu’à t-il découvert, avant que la vie ne quitte son corps ? Un millier de théorie, mais rien de concret. Des hypothèses nourrissant cette boule d’angoisse au creux de ton ventre.

Un peu à l’écart, tu as assisté à l’enterrement dans un silence de plomb. Vêtue d’une variante entièrement noire de sa tenue habituelle, tu portais également de bien plus nombreuses cordes rouges. Entourant tes bras dans leur entièreté, avec fermeté, celles-ci représentaient un adieu traditionnel dans ta famille. Un dernier aurevoir, et une prière pour passer le pont entre ce monde et le second, pour un repos mérité. Des cordes de sang, en l’honneur d’un sacrifice grand. Un message à son âme, que tu espères transmis.

Les heures passent, et finalement, la cérémonie prend fin. La foule se disperse, accompagné de l’écho de derniers sanglots. Tes joues sont sèches, mais ton visage fermé. Cherchant à éclaircir ton esprit face à la tempête s’y déroulant, tu prends une grande inspiration. L’air encore frais emplis tes poumons ...

Et puis sa voix.

Douce, presque mielleuse. Une voix qui chasse au galop le calme qui commençait à te gagner. Ta mâchoire se crispe, légèrement, avant que tu ne pivotes pour lui faire face. La pointe d’ennui et de mépris dans son regard, que tu as appris à reconnaître dès l’enfance. Cette politesse qui cache des objectifs bien précis. Ton inspiration se transforme en soupire avant que tu ne hoches poliment la tête pour saluer celle qui se dresse face à toi : Watari Hanami.

« Hanami. Ça faisait longtemps, en effet. Je me porte comme tout soldat ayant perdu un estimé collègue : triste. Je ne peux pas en dire autant de vous, pas vrai ? »

Tempérer ? Tu n’as jamais vraiment su avec elle, et ça ne date pas d’hier. Vos familles ont toujours été opposées dans leurs manières de fonctionner. L’une agissait dans la lumière, à la recherche d’une certaine reconnaissance, tandis que la seconde préférait travailler dans l’ombre, jusqu’à presque effacer sa réputation en Seizan. Et encore aujourd’hui, cette opposition s’illustre en vous. Femme aux cheveux obscurs, vêtue de blanc, face à une autre femme, vêtue de noir mais aux cheveux aussi clair que la lune.

« C’est une discussion avec Saki, que vous désirez, ou bien avec la tête du clan Kara ? »

Le regard tranchant comme un sabre, tu la fixes en attente d’une réponse, qui t’aiguillera sur la raison de cette soudaine discussion.

« Cela changera l’importance de cette conversation, entre deux membres de clan, ou simplement entre deux vieilles ... connaissances d’enfance. »

Tu te souviens de la voix de ton père, emplie de colère, prononçant encore et encore des paroles éloignées de compliments envers la famille Watari. Ça n’a jamais été l’amour entre vos familles, et cela remonte à plusieurs générations déjà. Vous n’êtes que le résultat d’une haine demeurant dans votre éducation même. Tu te souviens aussi de cette jeune fille, à peine plus âgée que toi, qui semblaient déjà dévorée par une pression clanique trop lourde pour les épaules d’une enfant.

« Les Watari sont des vipères Saki ! Alors reste toujours méfiante ! »

Combien de fois t’a-t-il répété ça ? Tu ne comprenais pas trop à l’époque, mais avec les années, tu as pu percevoir la réalité. La froideur de l’ainé, la malice des plus jeunes, et cet étrangement sentiment de malaise à chaque fois que tu te retrouves en tête à tête avec un des membres de cette famille. Les secondes passent, un léger silence s’installe, que tu finis par briser en sentant le regard de quelques curieux sur vous.

« Allons parler dans un endroit plus approprié, veux-tu ? Je connais un endroit où nous pourrons prendre une tasse de thé dans une salle privée, sans être dérangées. »

D’un geste de bras, tu lui ouvres l’invite à te suivre avant de te lancer dans les longues rues de pierre de la cité des montagnes bleues. Le silence s’est de nouveau imposé. Le bruit de tes sandales rythme votre marche. La brise fait voler quelques mèches hors de ton chignon, réalisé par respect pour le défunt. Il ne vous faudra seulement que quelques minutes pour rejoindre la discrète maison de thé. Quelques minutes de flottement avant de vous plonger dans ce qui s’annonce une joute oratoire représentative de votre histoire commune.

Des paroles mielleuses, cherchant à justifier une apparence retenue, un petit sourire, discret, sur le coin de ses lèvres, tandis qu’elle t’invite à discuter. Avait-elle à ce point refermé son cœurs aux émotions humaines, en perdant ses parents dans sa tendre enfance ? Tu n’en avais aucune idée mais l’excuse n’était pas à la hauteur. L’ainée des Watari se donnait des airs de compatissante noble mais comment pouvait-elle protéger un peuple dont elle ne comprenait pas les sentiments ? Dans ton regard, la jeune femme était pleine d’arrogance, et ne recherchait que la gloire. Néanmoins, simplement l’envoyer bouler aurait été une erreur. Il te fallait au moins savoir ce qui lui trottait derrière la tête. C’était la seule raison qui t’avait poussé à accepter de boire un thé en sa compagnie et d’échanger quelques mots. L’héritière disait alors vouloir converser avec les deux facettes de ton identité, la femme, mais également la tête de clan. C’était comme déclarer qu’elle te disait de parler le cœur léger, mais que chacune de tes paroles seraient considérées avec le plus grand des sérieux. Quelques longues secondes, tu l’observas, de bas en haut, avant d’échapper un léger soupire.

« Bien. Je préfère néanmoins aller dans ce salon de thé que j’apprécie. Nous serons au calme. »

Ce genre de discussion n’avait pas besoin d’être menée en pleine lumière. C’était là une différence notable dans vos philosophies de vie. Hanami cherchait à être vue, à répandre son nom et sa réputation. Toi, tu voulais presque disparaître dans l’ombre. Travailler, sans réelles attaches, pour pouvoir intervenir au besoin sans que l’on cherche à te prêter quelques intentions purement politiques que ce soit. Mais ici, c’est toi qui possédais la main dominante. Si vous parliez de titre de noblesse, tu étais depuis la mort de ton père à la tête de la famille, tandis qu’elle restait encore héritière, et étant donné qu’elle était celle qui te demandait à parler, tu avais alors toute autorité pour choisir le lieu où vous alliez passer les prochains moments.

La watari, profita d’ailleurs de votre marche pour te glisser à l’oreille sa nouvelle promotion en tant que chunin. Enfin, elle grimpait les échelons. La découverte du corps du chevalier blanc y était sans doute pour quelque chose. Au milieu de la violence, elle ressortait avec une promotion, comme beaucoup de soldats. Pourtant, le ton de sa voix te titilla légèrement. Pouvait-elle au moins attendre que la journée d’enterrement passe pour profiter de sa montée en grade ? Sans doute que non.

« Violence, mort et épique ... Tu sembles avoir été bien occupée sur les dernières période. Félicitations pour ta montée en grade Hanami. T’ont-ils confié une équipe pour le moment ? »

Chaque seconde qui passait vous rapprocher du petit endroit où vous prendriez le temps de parler, plus à l’aise et à l’ombre. Pourtant, avant même d’y être arrivées, la brune arrivait à diminuer ta patience. La mort du chevalier blanc était-elle un sujet si léger pour elle qu’elle en parlait à n’importe qui dans la rue ? Et rien ne te pouvait qu’elle te dirait la stricte vérité. Manipuler les informations et les gens n’a jamais été un problème pour elle, et ce n’est pas aujourd’hui que cela va commencer.

Un sourire quelque peu forcé étira tes lèvres, tandis que tu te tournais en direction de la jeune femme.

« Je lirais le rapport officiel, c’est gentil. Le sujet n’est sans doute pas adapté à une telle balade, tu ne penses pas ? Après tout, nous sommes entre vieilles connaissances. »

Jouer la carte des vieilles ‘’amies’’ laissait un goût amer sur ton palais, mais c’était la seule manière de la faire taire et ce, sans user de violence ou de jurons. La mort d’Hikaru était encore trop fraiche, et les évènements à Toge encore trop chaotiques dans ton esprit pour que tu veuilles creuser le sujet aux côtés d’une personne dont les rapports sociaux avec toi pourraient être qualifiés de conflictuel.

Heureusement, le petit salon de thé se dressa enfin devant vous. La bâtisse, de bois, semblait de qualité et sur la grande porte, le kanji du mot thé était gravé, avec une délicatesse formidable. Tu y entras en première. L’odeur du thé chaud se mit à envahir tes poumons dans une brume plus qu’agréable. Tes muscles, jusque là tendus, se détendirent légèrement. La décoration intérieure était humble, mais élégante. Quelques personnes âgées, dans la salle principale, dégustaient une tasse de thé chaud. Un grand père et sa petite fille, sur une table adjacente, jouaient au go, et les quelques employés s’occupaient dans l’arrière-boutique de préparer quelques sucreries dont l’odeur venait se mêler au délicat parfum des thés.

D’un geste de main, tu arrêtas une serveuse, de sans doute 15 ans, dont le visage s’illumina à ta vue, comme un chiot au retour de son maitre.

« Dame Kara ! Bonjour ... ! Je vous prépare une table pour votre amie et vous ? »

Un petit sourire étira tes lèvres, tandis que tu la voyais t’observer avec cet adorable bouille.

« Bonjour Konami. La salle Sasayaki est libre ? J’aimerais commander deux thés vert, et une assiette de dango. Je te laisse choisir la variété, j’ai toute confiance en tes connaissances. »

Le regard de la jeune employée, au nom de la salle, sembla plus sérieuse, et hocha vivement la tête avant de guider les deux jeunes nobles jusqu’à celle-ci.

« Bien évidement, je vous apporte cela rapidement. »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Konami les emmena rapidement dans la fameuse pièce. L’apparence traditionnelle du mobilier ne détonait pas avec le reste du petit restaurant, et pourtant, l’ambiance était différente. Seule une petite table était présente dans cette pièce, à l’écart de toutes les oreilles indiscrètes. C’était comme être dans une bulle dont aucun secret ne s’échapperait. Une minute plus tard, les boissons fumantes étaient servies et les deux femmes pouvaient se lancer dans leur conversation.




C’est Hanami qui débuta, se décidant enfin à jouer la carte d’une franchise directe et sans détour. Un long discours sur les avantages que pourrait obtenir ta personne en s’alliant directement aux Watari, aux doux sous-entendus de menaces, que tu écoutas paisiblement, en entamant ton thé. La saveur était douce, légèrement fruitée. De la pêche ? Konami avait fait un bon choix, comme d’habitude. C’était exactement le goût dont tu avais besoin pour conserver une attitude paisible.


Tes iris, à la fois glacées et colorées, fixaient avec intensité le visage de la sombre demoiselle. Pensait-elle réellement te convaincre ainsi ? Reposant doucement ta tasse sur le bois sombre mais lisse de la petit table, tu te lanças.

« Hanami, je crois que tu sous-estimes un peu trop la famille Kara. J’en suis peut-être la seule membre active pour le moment, mais je ne compte pas renier le travail de mes ancêtres pour une simple recherche de gloire. »

Tes bras, entourés de cordages rouges, se croisèrent en dessous de ta poitrine. La légère lumière fit scintiller les alliances à chacun de tes annulaires. Ton expression facile, elle, était d’un sérieux imperturbable.

« Nous ne cherchons en aucun cas la reconnaissance ou ce genre de futilités. Notre travail est de servir le peuple. C’est le devoir de toutes familles nobles d’ailleurs, les Watari semblent l’avoir oublié. »

Le ton était froid, implacable. Après tout, comment t’en vouloir ? Tu avais l’impression d’être insultée par la proposition de la jeune femme. Pensait-elle que, assaillie par la solitude, tu en viendrais à remettre en question les principes que ton père t’a transmis ? C’était une erreur.

« Néanmoins ... Si tes plans vont dans l’intérêt du plus grand nombre, j’aimerais entendre ta proposition, en tant que Saki. »

Ou plutôt, tu aimerais savoir quelle idée a pu motiver la Watari à te parler. Son silence serait un aveu de culpabilité, mais peut-être qu’en parlant, elle pourrait sauver le reste de respect restant pour la famille Watari dans ton cœur ? En tout cas, un nom avait émergé dans ton esprit ...

Le thé était savoureux. Dansant sur ta langue, réchauffant ta gorge, apaisant ton esprit, quelque peu échauffé par la présence de l’héritière. Tu n’aimais pas être comme ça, pourtant, ça faisait partie de ton honneur. Un héritage que tu défendais avec toutes tes forces, tout en essayant de te l’approprier. D’en faire une part de toi, bien plus qu’une simple éducation. Trouver cet équilibre qui, pour le moment, te manquait cruellement à ton goût. Tu étais comme un lac. Calme d’extérieur. Une surface lisse. Pourtant, au fond, se cache une force qui pourrait tout emporter sur son passage.

Est-ce que Hanami en était consciente ? Tu ne savais pas trop. Peut-être te voyait-elle simplement comme une demoiselle encore un peu trop jeune pour être parfaitement maitresse de ses émotions, tout simplement ? Ou simplement comme pleine de méfiance envers elle ? Ce n’était pas totalement faux non plus. C’était complexe de te résumer, encore plus dans ces temps de grands changements pour toi. Hanami était aussi un mystère. Au fond d’elle-même, il devait y avoir plus qu’une simple recherche de reconnaissance. Elle était intelligente. Assez pour avoir d’autres motivations que la simple recherche de pouvoir. En tout cas, tu aimais le croire. Tu n’étais pas assez proche d’elle pour étayer ton hypothèse.

Sa voix était calme, comme d’habitude. Les mos étaient prononcés de manière fluide, comme s’il s’agissait d’une discussion sur la météo. De loin, on pourrait presque vous croire amies, papotant autour d’une tasse de thé chaud et de quelques gourmandises. Son discours tournait autour d’un point central : le changement. Les traditions devaient être perdurées, mais tu étais seule, tu pouvais te permettre de prendre tes propres décisions. Et elle avait raison. Mais à nouveau, elle fit l’erreur, comme bien d’autre, de croire que tu resterais inactive. Cette neutralité, propre à ta famille, n’était pas correctement analysée par le monde extérieur.

« Comme toujours, tu ne prends pas de pincettes avec moi Hanami. C’est quelque chose que j’apprécie chez toi, je dois bien l’avouer. »

Sa franchise était une forme de respect, au fond, tu le savais. Mais ça ne voulait pas dire que tu devais être d’accord avec ses paroles, qui t’en révélait bien plus sur ce qu’elle prévoyait qu’elle ne le pensait.

« Je ne compte aucunement rester en arrière. Ma neutralité repose dans le fait de ne pas m’attacher à ta famille. Les contrats, les alliances, ne sont que des chaines. Si nos intérêts sont communs, nous ne serons pas opposées. Mais si au contraire, ils viennent à se confronter ... »

Tu n'avais pas besoin de finir le phrase. La demoiselle à la chevelure de jais comprenait très bien ce que cela signifiait. Tu ne lui promettais pas de rester hors de ses pattes, et tu savais que ça ne lui plairait pas. Et quand les choses ne vont pas dans son sens, ça ne finit jamais bien. Avalant une gorgée du thé, tu vins reposer la tasse contre la table de bois, délicatement, avant de reposer ton regard sur elle.

« Néanmoins, je suis assez curieuse de la manière dont tu penses esquiver les conséquences de tes actions sans limites, pour atteindre ton but. Serait-ce parce qu’un homme au sang bleu t’apporte son soutien ? »

La visite de Minamoto Hyouren au village de Seizan et la discussion que tu avais eu avec lui te faisait croire qu’il avait des contacts au cœur des montagnes bleues, et le passif entre Minamoto et Watari était loin d’être inconnu. Si la jeune femme voulait avoir recourt à des méthodes expéditives, elle devait avoir une personne avec une forte influence de son côté. Le petit soleil de l’empirer correspondait à cette description. Était-ce là les prémices d’un nouveau coup d’état ? C’était une hypothèse, reposant pourtant sur peu de faits. Il y avait d’autres explications possibles, qui te contenait dans le silence.

« Néanmoins, il y a une chose sur laquelle nous sommes d’accords Hanami. Les fidèles de Jashin sont bien décidés à s’imposer, et ce, au prix de nombreuses vies. Partager nos informations à ce sujet pourrait être un bon compromis, pour le moment ... Mais es-tu sûre que dans tout tes petits pions, aucun ne se prépare à te poignarder dans le dos au nom d’une sombre divinité ? Je pense que tu sais à quel point ils sont doués pour s'infiltrer là où on s'y attends le moins. »

Si les membres du culte de la cathédrale noire avaient perduré, ce n’était pas simplement en se terrant comme des rats dans un recoin. Non, pour ça, ils avaient besoin d’informations, eux aussi. Les espions, les trahisons, le meurtre. Toutes ces choses pendaient au-dessus de vos têtes comme une épée de Damoclès prête à vous porter un coup mortel. Le coup pouvait venir de n’importe où, mais tu étais convaincue que la Watari en était consciente.

« J’aimerais donc que les informations que j’échangerais avec toi ne reste qu’entre nous. S’il y a une fuite, il sera plus simple de trouver la source. C’est un arrangement qui nous conviendrait à toutes les deux, non ? »

La force brute, Hanami la trouverait facilement auprès de quelqu’un d’autre, mais l’information était une denrée bien plus précieuse pour attraper un vicieux serpent avançant dans l’ombre. Un nouveau sourire, plus doux, plus innocent, étira tes lèvres. Cette confrontation te faisait du bien finalement. Plus que tu ne l’aurais pensé.

« Oui, le thé est délicieux ici. Il faut dire qu’ils ne rechignent pas sur la qualité des feuilles de thé. C’est vraiment l’endroit parfait pour parler tranquillement en sirotant une bonne boisson. »

Il ne restait plus qu’à échanger leurs informations, enfin, dans le cas où la demoiselle au kimono blanc déciderait d’accepter ton offre.

Deux vagues se fracassant violement l’une contre l’autre, se dévorant chacune leur tour, avant de s’apaiser. C’est ainsi qu’on aurait pu décrire votre conversation. Vous étiez toutes les deux assez intelligentes pour reconnaître que cette démonstration de force était nécessaire pour que vous puissiez parler plus calmement par la suite. La provocation était un outil plus qu’utile pour s’assurer du niveau de l’adversaire, et quand bien même tu n’aimais pas les Watari, tu reconnais en Hanami une figure plus équilibrée que ses ancêtres. Le temps passait, et il fallait évoluer. Elle avait raison, et même s’il était difficile de se détacher des enseignements transmis par ton défunt père, tu allais dès à présent avancer, emportant avec toi le clan Kara sur ce chemin abrupte et ce, jusqu’au sommet.

Ta neutralité clanique lui semblait être impossible. Incompatible avec la vie d’un noble. De ton côté, c’est sa recherche constante de reconnaissance qui te semble de trop. Et pourtant, vous pouviez travailler ensemble, là où vos objectifs se rejoignent. C’était même une bonne chose, d’être aussi différentes. En croisant les avis, les sources, vous serez un peu plus proches de la vérité. Elle ne cherchait pas à t’enfermer dans une hypocrite alliance dont le sens aurait été plus que douteux. Non, tout était business pour elle. Vous aviez des aspirations communes, et en ce sens, il vous serait plus simple de travailler l’une avec l’autre plutôt que de vous mettre des bâtons dans les roues et ce, malgré les menaces que ses délicates lèvres prononçaient sans la moindre once d’hésitation.

Le temps était maintenant venu de parler affaire, en laissant les vieux sentiments de côtés, dans un coin sombre. C’est la Watari qui commença. Long discours ayant pour but de te prouver que dans la situation présente, c’était elle qui avait la main forte. Réalité ? Oui et non. Il n’était pas difficile de deviner que ses sources étaient bien plus multiples que les tiennes. Néanmoins, te sous-estimer comme ça était une erreur. L’information n’était pas encore révélée, mais bientôt, ta traque prendrait une toute nouvelle ampleur. Les mots de la demoiselle aux cheveux obscures continuaient de résonner dans la petite pièce, tandis que tu l’écoutais paisiblement en portant à ta bouche l’une des brochettes de dango qui attendait jusque là sur une petite assiette.

« N’es-tu pas un peu trop confiante Hanami ? Je ne remets pas en question ton influence, ni ta force. Je ne suis pas assez folle pour ça. Mais tu crois vraiment que les fidèles de Jashin te laisseront te rapprocher sans réagir ? Tu es sur le point de mettre un sacré coup de pied dans une fourmilière, si je comprends bien tes objectifs. »

Reposant le pic à brochette maintenant vide, tes mains se lièrent l’une à l’autre. Les deux alliances, à tes mains, s’entrechoquèrent dans un petit tintement métallique caractéristique.

« S’ils te laissent fouiner sans réagir, c’est qu’ils te sous-estiment grandement, et c’est une sacrée erreur. Mais je ne pense pas qu’ils soient aussi stupides. »

La gestion de l’empereur était remise en cause par la Watari. Ton propre avis ? Partagé. Le sujet était complexe. En effet, le roi des nobles n’avait pas su user de finesse pour gérer cette situation, et pousser les membres du clergé dans l’armée, de manière obligatoire, était une décision qui posait de nombreuses questions éthiques. Néanmoins, le contexte actuel ne permettait pas de patiemment luter contre les fanatiques. Ils étaient un poison qui s’infiltrait doucement dans les veines de l’empire, jour après jour, apportant la mort avec lui.

« En effet, j’aimerais garder mon indépendance et je suis convaincue qu’il s’agit de la meilleure option pour nous deux. Penses-tu vraiment que ton grand-père laisserait Watari et Kara s’allier comme si de rien n’était ? »

C’est d’ailleurs le vieil homme que ton père avait vraiment en horreur. Sans doute une histoire dont vous ne connaitrez jamais réellement les fondements, ceux-ci ayant été «emportés dans la tombe il y a des années.

« Pour l’instant, tu es dans le vrai. Tes informations sont sans aucun doute bien plus précieuses et nombreuses que les miennes, même si je pense pouvoir te surprendre avec quelques-unes d’entre elles. C’est pour ça que je te propose le contrat suivant :  Les informations suivantes m’aideront à agir, et donc, à obtenir de nouvelles informations, plus difficiles à obtenir. L’effet boule de neige te parle, j’en suis sûre. »

Le tout était de savoir si la politicienne avait confiance en tes capacités ou bien si elle avait quelque chose d’autre en tête. Dans tout les cas, tu y gagnerais, à n’en pas douter.

« Je suis un peu comme ton fou sur ton jeu de shogi »


Déplacements surprenants, un pion plus libre que le reste des pièces, qui pouvait renverser le cours du jeu. Oui, c’était une définition qui t’allait à merveilles.

« Si cette proposition te convient bien évidement. »

Sa confiance était inébranlable. C’était une qualité que tu ne pouvais qu’admirer chez la Watari. Mais c’était aussi une faiblesse. Une caractéristique à double tranchant, qui pourrait bien lui sectionner la carotide, sans qu’elle ne s’y attende. Tu pourrais débattre, encore et encore. Chercher à mettre en lumière que, malgré tout le talent du monde, même elle n’était pas à l’abris d’une erreur, et qu’une simple once de prudence pourrait lui sauver la vie. Mais tout cela serait en vain, car voilà, la demoiselle était têtue sur ce point. Sa vision, ses objectifs, tout était clair pour elle, et elle n’était pas du genre à faire des compromis. Ton index tapota à trois reprises, la petite table de bois, avant que tu ne reprennes la parole.

« Si tu es aussi confiante, qui suis-je pour te dire quoi faire, pas vrai ? »

Elle savait qu’un jour, sans doute, elle devrait se battre contre ceux qu’elle titillait dans l’ombre, et c’était déjà un bon point. Au moins, elle ne pensait pas pouvoir leur échapper à l’infini. Ça aurait été de la pure désillusion, versée sur un pancake d’envies suicidaires. Tu espérais qu’elle ait raison, car malgré votre passif plus que houleux, tu étais assez lucide pour comprendre l’importance qu’elle avait pour l’avenir de Seizan. La perdre ne serait pas une bonne chose pour le village.

En tout cas, tu gardais ton calme, dégustant paisiblement une seconde brochette de dango tandis que la noble héritière te donnait son avis sur toute cette histoire de contrat, s’amusant à rappeler la main supérieure qu’elle avait dans cette partie. Mais pour combien de temps ? Encore son foutu égo qui l’empêchait d’envisager que cette position ne serait pas toujours ainsi. Quelques informations, et tu pourrais en effet lui renvoyer l’ascenseur, mais ça ne t’empêcherait pas de grimper encore plus haut. D’agir, et ce, que cela soit dans ses intérêts ou non.

« Bien évidemment que je te rendrais la pareille. Je suis une Kara, nous ne sommes peut-être pas fans de richesses matérielles et de reconnaissance, mais nous avons de l’honneur. »

Et soudain, l’animosité disparaît, laissant place à ce sérieux à la fois distant et proche. Un instant de confiance, durant lequel vos regards ne se lâchèrent pas. Ballet entre noir et blanc, naissance de gris. Deux demoiselles à la fois si différentes et si semblables, sans même s’en rendre compte réellement. Des informations, certaines nouvelles, d’autres non, faisant écho dans tes douces oreilles. Le visage impassible, ton pouce qui s’écrase sur tes lèvres pour en chasser une minuscule miette, s’y étant déposé quelques secondes auparavant. Encore, ce ton dans la voix de la femme à la chevelure corbeau. Suffisance, confiance ...

« Finalement Hanami, tu ne me révèles pas tant de nouvelles choses.»

Avait elle oublié que tu étais toi-même en mission à Toge, il y a peu de temps ? Ou est-ce qu’elle sous-estimait ta capacité à déduire des informations des indices qui étaient passés sous tes yeux.

« Le fait que Jashinistes et Yokai ont une corrélation n’est pas une surprise. Comme tu l’as si bien dit, les deux partis ont chacun des raisons de vouloir ouvrir ce fameux passage. Le fait que l’Ogre que nous avons croisé à Toge ait été capable de nous traduire les symboles que nous avions trouvé est également une preuve d’un langage commun entre les deux, du moins, partiellement. J’irais même plus loin en disant que chacun de deux partis use l’autre pour arriver à leurs fins. Après tout, Jashin souhaite la destruction, et les Yokai ne sont pas sur sa petite liste de gens à pardonner, au même titre que les humains. Une destruction de notre monde, se doit d’être totale si on suit les textes. »

Dévote de la déesse de la sagesse, les longues années à suivre son enseignement avait fait de toi une personne plus que capable pour analyser les textes religieux, et pour créer des hypothèses sur de réels faits. Observer, comprendre, sans jamais essayer de juger en se laissant emporter des idées préconçues. Une hypothèse devait coller aux faits, et non l'inverse, au risque de fermer les yeux sur des points pourtant centraux.

« Tu sembles également oublier un troisième pion, dans tout ça. Les édenistes ont également des choses à cacher, vu leur comportement à Toge. J’ai commencé à enquêter de ce côté, néanmoins, il me faudra encore un peu de temps avant d’obtenir de premières réponses. »

Et pour ça, tu avais trouvé la personne adaptée pour ce travail. Proche du culte, mais assez réaliste pour le remettre en question. Un cheval de Troie qui était tes yeux et tes oreilles sous les cerisiers en fleurs. Un nom que tu garderais tapis, par sécurité.

« Néanmoins, je dois bien avouer que le nom de jashinistes identifiés ne fait par parti de mes informations. Si tu comptes en parler au Seizankage, alors ça devrait vite revenir vers moi. Ce qui m’amène à te donner quelques informations en échange »

Un sourire se dessine sur ton visage. Expression satisfaite, mais pas moqueuse. La simple satisfaction de ne pas se sentir complètement à l’Ouest. Finalement, tu avais sous-estimé une partie des informations que tu possédais.

« Comme je le disais, j’ai pu observer les agissements du conseil des cinq pétales, et je peux dire avec certitude qu’ils cachent quelque chose. Une alliance avec les jashinistes est plus qu’improbable, étant donné que leurs convictions sont strictement opposées. Néanmoins, les deux semblent liés par les Yokai. L’étrange épidémie qui a frappé le temple de Toge est aussi arrivée à un timing plus que suspicieux. Alors imagine le scénario suivant : Les yokai, ou du moins, un clan Yokai, se sert des tensions entre les deux cultes pour faire éclater un conflit qui détournera l’attention, pour pouvoir agir. La question serait donc de savoir qu’elle est leur cible. »

Tu avais dédié des nycthémères entières à tes recherches. Des périodes d'éveil, bien plus longues que celles de sommeils.  Au coeur de la nuit, éclairée par une simple bougie, tu avais passé des heures et des heures à analyser toutes tes informations, encore et encore. À relire tout les ouvrages de stratégie de l’immense bibliothèque familiales. Et finalement, cette théorie était celle qui tenait le plus debout, à ton sens. Tout du moins, pour orienter des premières recherches. L’image pacifique des adorateurs de la nature ne voulait pas dire qu’ils étaient exempts d’utiliser la violence, sous une forme ou une autre. Après tout, aucun culte ne résiste aussi longtemps en divergeant de la croyance impériale sans aucune forme de pouvoir.

« Une brigade devrait bientôt être crées à Seizan pour se concentrer sur cette thématique. Avec les connaissances que tu obtiendras au bureau d’étude, d’ailleurs, félicitations pour ce poste, nous devrions être capable d’avoir une meilleure compréhension de tout les partis impliqués. Qu’en penses-tu ? Pas si mal comme informations pour une noble sans réels pouvoir politiques, non ? »

Tu t’en sortais plus que pas mal, et si elle remettait ça en cause, alors c’était qu’elle était réellement de mauvaise foi.

« Oh, et quant à la décision de l’empereur ... Même si elle aurait pu être amenée de manière plus délicate, sache qu’on ne négocie pas avec des tueurs en série et des terroristes. Nous parlons de la vie de nos semblables Hanami. De réelles personnes, pas de pions simplement sacrifiables sans une arrière-pensée. »

Le ton s’était légèrement durci, sans pour autant être colérique. Simple rappel. Des sacrifices devaient parfois être faits, c’était une dure réalité, mais chaque vie devait être traitée avec tout le respect qui lui était due, et non comme un simple outil de négociation.

C’était comme parler à un mur. Un mur que tu avais envie de frapper, pour lui mettre du plan dans le crâne. Mais même comme ça, ça ne servirait à rien. À tes yeux, la demoiselle était bien trop aveuglée par son propre égo pour se rendre compte des dangers qui s’approchaient sournoisement d’elle. Et tu avais beau mettre de l’eau dans ton vin, tu devais l’avouer : Son comportement te tapait sur le système. C’était rare pour toi d’être aussi titillée par les paroles de quelqu’un, mais comment ne pas l’être ? Si tu lui reconnaissais un réel talent en politique et au combat, la manière dont elle jouait sur tout les tableaux ne représentait à tes yeux qu’une menace supplémentaire. Quelle est cette phrase que ton père disait tout le temps déjà ... ? Ah, oui ! Je m’en souviens maintenant. C’était ...


Utiliser les tours les plus vicieux, pour se débarrasser d’ennemis tout aussi vicieux ne pouvait pas se faire sans aucune conséquence. C’était comme plonger dans un marais. On n’en ressortait pas indemne. Et ce même marais pouvait tout aussi bien vous entraîner jusqu’au fond, sans vous laisser ne serait-ce qu’une chance de remonter. La seule façon de limiter la casse, c’était d’avoir des valeurs solides, ancrées dans le don de soi à la communauté. Dans le bon. Mais est-ce que les attaches d’Hanami à ce genre de valeurs étaient assez solides ? C’est en cela que reposait ton plus grand doute.

Hanami, c’était aussi un marais pour toi. Pour atteindre ton objectif, tu devais t’allier avec elle, quand bien même vos rapports étaient complexes. Ravaler ta fierté, faire le dos rond, et travailler jusqu’à atteindre cette indépendance qui te permettra de t’éloigner d’elle. Lentement, tu hochas la tête lorsqu’elle évoqua le fait que tu pouvais creuser la piste édéniste de ton côté.

« Je comptais bien rester discrète sans que tu me le dises ... Sinon, ce n’est pas ici que je t’aurais emmené pour parler d’un sujet aussi délicat. Quant aux visages et capacités de tes mystérieux amis, ce serait avec plaisir. S’ils recherchent des organes pour des greffes, je suppose qu’ils vont de nouveau attaquer d’ici peu de temps. Mieux vaux être prudente en prévoyant un plan de secours »

Et puis voilà, Hanami réussi enfin à VRAIMENT te taper sur le système avec ses dernières paroles. Tu sais bien tout ça. Que même l’empereur n’a pas les mains propres dans cette histoire. Qu’il n’hésiterait pas une seconde à sacrifier Seizan si cela lui était bénéfique. Mais encore une fois, elle semble oublier qui tu es. Te prendre à la légère, et piétiner encore et encore les valeurs les plus fondamentales de ta famille. Celles que tu ne remettras jamais en question. Ta voix se fait plus profonde, ta main se porte jusqu’à ton arcade sourcilière, pour soutenir ta tête, et les éclats arc-en-ciel de tes iris semblèrent luire dans l’obscurité de la petite et discrète pièce.





« Depuis quand les Kara servent une couronne ? »

Question rhétorique : ils ne l’ont jamais fait. Leur vrai seigneur, c’est le peuple, et non pas un hurluberlu placé sur un trône d’or grâce à son sang. Cela reviendrait à dire que ta famille ne possède aucune loyauté envers l’empereur, sans le dire concrètement non plus. Une simple insinuation qui révélait bien le point de vue de Saki sur toutes ces histoires de titre : Elle s’en foutait royalement. Le fait que les Watari aient cherché à détrôner l’empereur, il y a de cela des années, n’est pas la source de toute cette véhémence. C’est bien leur avarie qui en est le point de départ. Cette appétit insatiable pour le pouvoir, qui les poussera un jour à sacrifier bien trop pour celui-ci.

« Hanami, tu es très intelligente je te le concède mais tu as trop tendance à oublier des détails qui sont pourtant d’une importance primordiale. »

Petit silence. Les secondes passent. C’est comme si tout s’était suspendu. Pas un bruit. C’est dans ce genre de moment que toute ta noblesse ressort. Cette posture, ce ton, cette confiance soudaine, et cet étincelle qui devient brasier derrière tes iris.

« Si l’empereur vient un jour à utiliser Seizan comme un sacrifice ... Il y perdra plus qu’il ne le pense. »

Tu n'hésiteras pas une seconde, même si pour ça, c’est à toi de devenir la méchante de cette génération de changement. Lentement, la tension retombe. La vie semble reprendre. Ta voix redevient normale et tu te redresses sur ton siège.

« Que tu sois d’accord avec ça ou non importe peu. C’est un contrat entre nous, fait pour que chacun garde sa liberté, non ? Concentrons-nous sur les jashinites au lieu de nous confronter sur des sujets où nous serons de toutes manières en désaccord, veux-tu ? »

Tu étais encore jeune. À peine sortie de l’adolescence. Mais bientôt, tu t’épanouiras, comme la plus belle et la plus sauvage des fleurs Saki. J’en suis sûre.

Elle préférait la lumière et la gloire, tu préférais l’ombre et l’humilité. Déjà enfant, c’était comme ça entre vous. Deux opposés parfait, en tout points. Famille, chevelure, valeurs. Et pourtant, vous vous connaissiez si bien. Les réactions ne vous surprennent plus, et les discussions en sont presque fades.

« Oui, je sais que tu préfères la lumière et les regards. C’est quelque chose que j’ai toujours détesté chez toi »



Un grand sourire aux lèvres carnassier, tu te décidais à te laisser aller. Ça te faisait un bien fou d’être franche, et d’éviter ce jeu du plus malin avec la Watari, dont la confiance crevait le plafond. Trop aveuglée par son égo pour se rendre compte du merdier dans lequel elle s’enfonçait, elle te souriait en retour, te proposant un beau jeune homme pour te défendre, et pas que. Les sous-entendus dans la sphère dorée de la noblesse étaient légions, et les mariages arrangés aussi. Tu comptais néanmoins y échapper.

« Tu peux garder tes petits amis pour toi Hanami. J’ai assez de charme pour trouver quelqu’un seule, et assez de force pour me défendre toute seule. Je ne voudrais pas te mettre en danger en te retirant un garde »

La vipère Watari ne lâchait pas le morceau, tentant de t’entraîner dans une spirale de conspiration. Pensait-elle que tes paroles allaient te porter préjudice ? C’était là toute son erreur. Sans témoin aucun dans la pièce, les accusations de la demoiselle ne ferait que reposer sur un sentiment de confiance, et c’est bien ça dont l’empereur manque envers sa famille. Elle ne ferait que se mettre en danger si elle souhaitait te tendre un piège, mais tu laissais l’avenir le soin de lui prouver.

« Tu peux également t’épargner la peine de me le rappeler. Si je dois agir, je le ferais. »

Tu n'avais pas plus à dire à la ténébreuse séductrice. Elle te pensait incapable d’agir par toi-même, trop coincée dans les traditions, à l’image du reste de ton clan. C’était sans doute là sa plus grande erreur : Te sous-estimer. Tu avais du respect pour ses compétences intellectuelles, certes, et également pour la manière dont elle s’était imposée comme héritière, mais finalement, elle manquait d’une chose : La rage de vaincre. Depuis la mort de ton père, tu avais dû travailler dur et te battre pour conserver ton titre et ton héritage. Les coups bas, tu en avais subi un tas, et des fausses promesses, tu en avais entendu des centaines. Assez pour savoir les reconnaître. Assez pour ne pas te laisser piéger aisément, ni entraîner dans les jeux d’Hanami, comme un simple pion. Tu avais survécu jusqu’ici, et tu comptais bien continuer.

Tu décidas alors de ne pas répondre au petit monologue de la jeune femme quant à la possible attaque d’un empereur devenu fou et non-conscient des conséquences pour te concentrer sur l’accord entre le yin et le yang politique de Seizan. La voix calme, et ce sourire aux lèvres qui ne voulait plus te quitter, tu te lanças, apaisée et rassurée face au comportement de ton opposée.

« Voici l’accord. Nous faisons circuler entre nous les informations liées aux jashinistes, et seulement ça. Toutes les informations qui ne touchent pas à ce sujet seront traités comme hors accord et ne devront pas être récompensées d’une quelconque manière. Chaque parti est libre de mettre fin à cet accord lorsqu’il en aura décider, en prévenant l’autre parti. Pour la liste des noms de jashinistes, j’estime que tu devrais me la confier, mais je comprends et j’attendrais pour te donner quelque chose en échange. Le moins de personnes possibles doivent être au courant de cet accord, si possible, aucun. »

Les termes étaient énoncés calmement et clairement. Pas d’entourloupes, ni de points trop incertains qui laissaient place aux magouilles.

« Et pour finir, aucun écrit sur nos rencontres et nos informations. Tout de tête. Tu devrais en être capable, à moins que je te surestime et que tu laisses habituellement les exercices de mémoire à un de tes hommes de mains ? »

La provocation était volontaire, et tu analysais ses réactions en conséquence.

« Si ces termes te conviennent alors ils me conviennent aussi. Sinon, je pense que nous tomberons sur une impossibilité et repartons chacune de notre côté »

Dans tout les cas, tu y gagnais, plus que les apparences ne le laissaient paraître. Bien plus ...

Oui, on savait à quoi s’attendre de la part de ses ennemis. Votre relation avait cet avantage : Il n’y avait pas de surprise. Pas de trahison inattendue, pas de flatteries fourbes. Une simple franchise et des non-dits prévisibles. Un jeu entre vous auquel vous étiez toutes les deux devenirs des joueuses expertes. Le but était simple : réussir à obtenir le plus d’informations sans en laisser paraître trop. Vous étiez deux faces d’une même pièce, si différentes et si semblables à la fois. Vous étiez toutes deux prêtes à laisser de côté les tensions familiales pour vous renseigner sur les jashinistes et compléter vos informations. Ce jeu, la Watari y jouait pour la réputation de sa famille, toi, pour la vie de tes camarades. Pour protéger ceux qui en avaient besoin. Et ce n’était pas qu’aujourd’hui. Cela faisait des années que votre relation était ainsi. Peut-être que c’est pour ça que la demoiselle se confia, le temps d’un instant, sur son possible mariage ? Cette fois, tu semblas réellement pensive, et même triste pour l’héritière.

« Je vois, alors c’est ton tour ? »

Garderait-elle le contrôle après s’être mariée ? Ou serait-elle poussée vers la sortie pour jouer le rôle de la bonne épouse au service de sa famille ? Vous aviez beau être toutes deux en désaccord sur de nombreux points, tu étais bien placée pour connaître le jugement des femmes à l’intérieur des clans, et cette manie constante d’écarter le plus possible celles-ci de n’importe quelle forme de pouvoir. Tu pourrais être soulagée, te dire que c’est quelqu’un de moins compétent qui prendra la tête des Watari, mais cette pensée ne faisait que laisser un goût amer sur ton palais.

« Est-ce que tu l’as déjà rencontré une fois ? Ou bien est-ce que tu sautes le grand saut dans l’inconnu avec un homme tout aussi inconnu ? »

Tes mains dessinent les courbes de ta tasse, et ton regard remonte lentement le long des traits d’Hanami pour se planter dans le sien.

« Enfin, je suppose que cela appelle au félicitation ? Je te trouverais un joli cadeau de mariage, promis »

C’était étrange de parler de ça et d’imaginer la ténébreuse politicienne se faire passer la bague au doigt. Qui était à plaindre ? Sans doute les deux époux. Hanami allait devoir affronter ceux qui voudront la voir reculer dans la hiérarchie et son mari, quant à lui, devra affronter Hanami, ce qui n’est pas une partie de plaisir.

Enfin bon, tu devais continuer de jouer ton rôle. Celle de la bourrue kunoichi, incapable de se contrôler devant sa comparse. La jeune femme qui dit tout ce qu’elle pense, du moins, en apparence. Faire apparaître une faiblesse minime pour faire baisser la garde et finalement, atteindre son véritable objectif. Laissant ce sujet sur le côté, il fut plus simple pour vous de vous concentrer sur les termes du contrat qui allait dès à présent vous lier. Tient ! Comme un mariage en fait ! Sauf que vous ne tiendriez sans doute pas longtemps sous le même toit avant de vous taper dessus. Quoi que, vous avez plus en commun que vous ne le pensez ...

Les termes étaient clairs et semblaient convenir à Hanami, qui désirait pourtant plus. Étendre votre relation à d’autres sujets. Toi, tu préférais lui donner peu pour l’instant. La laisser se languir de toi, petit à petit, pour vous remettre sur un pied d’égalité.

« Bien, si les conditions te vont, c’est parfait. Quant aux raisons de nos entrevues, elles sont faciles à justifier. Nous pouvons simplement raconter que je te donne un coup de main pour ton possible mariage. Ce n’est pas rare de voir des clans s’entraider pour ce genre d’évènement. Même pour les Watari et les Karas. »

Un petit rire, plus sympathique que les précédents, alors que tu t’imagines parler chiffon et mariage avec la Watari. Non, ça serait étrange. Trop étrange pour vous. Pourtant, ça te laisse une occasion insoupçonnée de poser une question.

« Tu connaitrais un bon artisan bijoutier par hasard ? Que je commence à regarder quoi offrir à la reine des Watari ~ »

Et surtout, que tu puisses te renseigner sur la gravure à l’intérieur de ton alliance. C’était ça, ton véritable but dans l’histoire. Trouver une personne assez experte pour te parler de la technique qui avait été utilisée pour graver l’intérieur du précieux bijou.

Tu avais beau te battre et faire de ton mieux, tu connaissais la réalité de ce monde : les femmes étaient considérées comme inférieures en politique, et pas seulement. Tu te souviens très bien de la mort de ton père et de ton oncle. Tous les anciens avaient voulu transmettre le titre de chef à Mitte, ton cousin, quand bien même tu étais la mieux placée pour hériter de cette fonction, que ce soit en terme de sang ou bien de compétences. Tu adorais Mitte, mais son rêve avait toujours été de voyager, et toi, tu tenais à te battre pour ton héritage. Si le bleuté avait cherché à récupérer ce statut, sans doute aurais-tu été écartée de ce qui te revenait pourtant de droit. Alors tu ne pouvais que comprendre ce que voulait dire la demoiselle à la sombre chevelure. Parfois, il fallait savoir se plier aux règles du jeu, quand bien même on détestait celles-ci. Pourtant, tu ne pouvais pas te convaincre d’épouser un quelconque inconnu, simplement dans le but de faire plaisir aux anciens et de continuer la lignée. Derrière tes iris de glace, tu rêvais d’une histoire digne de celle de tes parents. Trouver une personne avec qui tu aimeras parler de longues heures durant et à qui tu oseras te confier lorsque tu en auras trop sur le cœur. Un espoir candide, tu en étais consciente, mais c’était un espoir que tu souhaitais conserver le plus longtemps possible. Tu avais la chance d’avoir déjà obtenu les clés du clan, cela te permettrait sans doute d’ouvrir une porte insoupçonnée dans ce labyrinthe de sexisme et de stupidité patriarcale.

« Je sais bien, mais franchement ? Même si nous ne sommes pas d’accord sur bien des choses, ça me frustre énormément de savoir qu’une personne aussi talentueuse que toi soit limitée et forcée d’épouser le premier venu juste parce qu’elle est une femme. C’est stupide. »

Au moins, Hanami gardait la main sur le clan Watari et tu l’imaginais sans mal faire obéir son futur époux à la baguette. Le plus dur serait les contacts extérieurs qui s’entêteront à vouloir parler à son mari et non à elle. Des débiles qui la prendront de haut et qui s’en mordraient les doigts peu de temps après. Ta main se crispa légèrement autour de la tasse, tandis qu’une moue pensive s’afficha sur ton visage. 30 ans et les femmes n’avaient plus de valeurs aux yeux des hommes ? C’était stupidité sur stupidité. Les femmes continuaient de vieillir après un mariage, c’était une fatalité. Un fait simple, universel. La société était elle stupide à ce point ?

« Je n’ai que 20 ans, j’ai encore quelques années devant moi, mais merci pour le rappel »

Insatisfaite, une main ramena ta chevelure blanche en arrière, laissant retomber quelques mèches rebelles devant tes yeux.

« Nos échanges me manqueront, à un certain degré également. Faut dire qu’on fait ça depuis l’enfance ... »

Déjà à l’académie, vous vous emportiez toutes les deux dans des débats divers et variés. Ça avait rythmé vos vies dans un sens. C’était étrange de se dire que tout cela changerait, mais il fallait savoir s’adapter, continuer d’avancer, encore et encore. Sourire mitigé, te redressas tes iris sur le délicat visage de la Watari.

« Promis, je ne dirais pas un mot jusqu’à la grande nouvelle»

Enfin, si tout cela allait jusqu’au bout. Le possible marié n’étant pas encore au courant, il avait encore la possibilité d’y échapper, avec un peu de détermination et d’astuce. Seul l’avenir te révèlerait la suite de cette histoire. La discussion touchait à sa fin, le rythme des paroles redescendait en intensité, et les sujets se faisaient plus léger. Hanami n’avait aucun bon bijoutier à te conseiller pour continuer ton enquête et ainsi, tu n’avais plus de raison de rester ici. Te relevant de ton assise, tu fis signe à Hanami de faire de même avant de simplement lui tendre la main.

« Bon, et bien, je crois que nous en avons fini. Si tu cherches à me contacter, contacte Konami, elle me fera discrètement passer le message. »

Il y avait beaucoup de vrai dans ce qu’elle disait. Sans doute le clan Watari avait besoin de garder la face, et ce, même à travers le mariage de ses membres. C’était la réalité dans laquelle vivait Hanami. Une course sur un fil tendu dans le vide, où le moindre faux pas l’entraînerait vers les profondeurs obscures d’une déchéance inévitable. Mais toi, étais-tu réellement piégée dans ce cercle vicieux ? Ta mère était ce qu’elle appelait « une roturière » et pourtant, ton père n’avait pas hésité une seconde à l’épouser, poussé par son cœur. Et ses années aux côtés de la dame à la chevelure lunaire furent sans aucun doute les plus belles de sa vie. Et ce n’était pas le seul membre du clan à avoir fait de même ! Dans votre perception, la noblesse était un devoir, non une supériorité à l’autre, et tracer une ligne entre les deux était une erreur. Pourtant, il était vrai que les autres familles ne percevaient pas cela d’un bon œil. Fallait-il changer pour autant ? Adapter ton rythme pour une danse qui ne faisait que t’enchaîner ? Tout ça te semblait être terriblement mal.

Observant la Watari finir de s’expliquer, te redressant de ton siège, sonnant la fin de cet échange, tu invitas la demoiselle à se diriger vers la sortie. L’avenir vous réservait sans doute des surprises. Plus que tu ne le pensais. Tout ce que tu pouvais faire, c’était continuer de mener ta barque du mieux possible, à ta manière, en respectant tes propres valeurs. Pour pouvoir te regarder dans la glace.

« Je te remercie pour tes conseils. J’y penserais. »

Quelques pas. La noble passe l’encadrement de la porte. Commence à s’éloigner, lentement, sûrement. Une petite hésitation t’envahit, avant que tu ne hausses la voix, l’arrêtant dans sa marche, pour quelques dernières paroles.

« Eh, Hanami ! Attends ! »

Son attention captée, et installée contre l’encadrement de la porte, tu l’observas, de tes iris opales avant de déclarer, d’un ton plus calme, paisible, et même ... Sympathique ? À croire que Kara et Watari pourraient presque s’entendre.

« Fais attention à toi, ok ? J’aimerais éviter d’assister à d’autres funérailles. »

Un petit sourire, pour celle qui jouait avec le feu, et qui finirait un jour ou l’autre par se brûler. Si elle pensait pouvoir y échapper, alors, elle était bien trop naïve, ou bien trop confiante. Un cocktail se mélangeant très mal au danger.