Des semaines d’exercices, d’épreuves et de douleur. Le chemin parcouru par la majeure partie des soldats qui intégrait l’armée impériale. Confronté à un devoir familial inévitable, Yuboku venait à peine d’obtenir son bandeau de shinobi, ce précieux sésame qui validait son aptitude à rejoindre le terrain. Premier de sa famille à être doté de chakra, ce fut un honneur pour lui d’être désigné par les dieux pour être celui qui allait les protéger. La cause des siens était une problématique connue du Kage du village caché des Dunes. L’apparition de plus en plus fréquente de Yokai dans le désert était une réelle menace pour tous les marchands qui foulaient les paysages arides des provinces entourant Sakyuu. Le désert était déjà bien assez mortel.
La difficulté des tests de l’académie ne fut pas le plus insurmontable pour le nomade. Il eut bien plus de soucis à s’acclimater, ne serait-ce que pour quelques temps, à la vie au milieu de ces habitations de grès. Accoutumé à la liberté de la vie au milieu des dunes et des oasis, malgré les affres du désert, il se sentait comme un animal en cage. Son tempérament jovial et sa langue déliée lui avaient tout de même permis de sympathiser avec quelques confrères, les journées passèrent plus rapidement ainsi. Cependant, tout ce qui l’importait désormais, c’était de pouvoir à nouveau arpenter le sable brûlant des contrées nord.

Ainsi, après un rapide passage dans le bâtiment dédié à l’équipement ninja où il récupéra de quoi faire ses premières gammes, le nouveau genin se présenta à une convocation. Il ne savait pas réellement si c’était le lot de tous les novices mais en tout cas on lui avait demandé de se rendre dans le quartier militaire à dix heures précises. Sur le chemin, il admira la qualité des objets dont il venait de faire l’achat. Notamment une prodigieuse lame rétractable qu’il était possible de dissimuler dans sa manche. Un mécanisme savant imaginé par les esprits les plus ingénieux de la cité militaire nordique. Le genin déploya et remonta plusieurs fois l’outil en gardant le même étonnement, accompagné de quelques vocalises d’exclamations, à chaque essai. A ses côtés, les regards désorientés de quelques soldats se demandèrent s’il n’était pas un peu limité.

Exalté par ce qui s’annonçait sûrement comme le début de son aventure de shinobi, Yuboku ne cessait de regarder les alentours, tournant son visage dans toutes les directions comme un suricate surveille l’arrivée d’un prédateur. Qu’est-ce qu’on pouvait bien lui vouloir ? Bien que hâtif, c’était certainement trop tôt pour partir en mission. Le nomade connaissait bien le désert mais son expertise du combat était encore à perfectionner. Une équipe ? Pourquoi pas, il n’avait pas encore d’affectation et rejoindre quelques camarades de promotion ne lui déplairait pas. Pas du genre anxieux, c’est l’excitation qui l’animait. D’ailleurs, il trépignait légèrement le sol de ses bottes renforcées. De la main, il salua l’un de ses instructeurs qui passait à quelques mètres de lui. Le supérieur le regarda un peu étrangement avant de répondre d’un léger signe de la tête et de poursuivre prestement sa route, comme s’il avait déjà oublié son élève. Yuboku afficha une pointe de déception sur son visage. Il se souvint qu’ici il ne représentait pour le moment, qu’un ninja parmi tant d’autres. Il n’était qu’aux prémices de son histoire.

Au son de cette voix inconnue, Yuboku se retourna aussitôt, les paumes vers le bas, prêt à réagir en guise de réponse à cette surprenante entrée. Vif, le genin reprit son attitude détendue dès lors qu’il comprit l’identité de son interlocuteur. Un homme plus grand que lui, dont la voix menait à imaginer un jeune adulte derrière ce masque. Oui, le plus curieux était ce visage dissimulé. Un camouflage atypique, un sourire traversé par un éclair, qui interloquait sûrement toutes ses rencontres. Pourquoi cacher son identité ? Faisait-il parti d’une organisation secrète ? Peut-être cherchait-il à couvrir un faciès immonde ? Plusieurs hypothèses se bousculèrent dans l’esprit juvénile du nomade.
L’inconnu se présenta comme son instructeur. Là encore, Yuboku n’avait pas entendu parler d’un cours privé donné à chaque nouveau soldat. Il fronça légèrement les sourcils en se questionnant sur le déroulé de ces… instructions. Devait-il encore passer des tests pour vérifier ses aptitudes ? Possiblement une visite plus approfondie des lieux ? Dans tous les cas, le jeune adolescent ne refusait pas de l’aide supplémentaire. Il n’avait pas encore d’affectation mais il s’impatientait à l’idée de rejoindre le terrain. En tout cas, l’homme devant lui parlait avec un ton à la fois détaché et sérieux. Ses mains dans les poches étaient à l’image de cette décontraction. Les informations sur sa personne furent laconiques, pour ne pas dire vides. Hormis un prénom, Yuboku ne savait pas grand-chose de lui. C’était peut-être volontaire, ce masque laisser croire que le dénommé Tenka aimait garder ses secrets. Jusqu’aux plus visibles.

Yuboku se gratta l’arrière du crâne et éleva ses sourcils, pris au dépourvu par ce court exercice oral.

- Euh…moi c’est Hizashi Yuboku, mais tu peux m’appeler Yuboku. Je viens tout juste d’obtenir mon bandeau de genin ! Dit-il en montrant son trophée attaché à sa cuisse. Il tenta de se souvenir des maigres énumérations de son interlocuteur. Je ne pense pas être timide, je n’ai pas de mal à parler, enfin je pense que vous allez le constater assez vite. C’est d’ailleurs mon défaut, je devrais me taire parfois. Ca m’a valu quelques ennuis d’ailleurs… Mais j’ai des qualités ! Je pense être loyal et courageux, vous pourrez compter sur moi en mission ! Lança-t-il le poing levé en s’emballant légèrement. Je ne suis pas de Sakyuu, je viens d’une famille de caravaniers donc je ne connais pas beaucoup de monde ici. Il y a bien quelques marchands du Quartier aux Milles Tentures mais je n’ai pas eu beaucoup l’occasion de les croiser depuis mon entrée à l’Académie. Mes amis sont dans le désert, là où j’espère bientôt me trouver.

Le nomade annonçait directement ses intentions. De toute façon, il avait prévenu : il n’avait pas sa langue dans sa poche. Il ne comptait pas croupir entre les murs de Sakyuu très longtemps.

- Vous êtes donc mon instructeur ? Qu’est-ce que vous allez me montrer ? Demanda-t-il avec hâte.

On sentait dans son regard fringant que la fougue l’habitait. Une sincère envie de bien faire émanait de lui.

Le garçon ne put déceler clairement si c’était la chaleur grimpante ou l’interrogatoire de Tenka qui agissait sur lui, mais son front commençait à goutter. Il sentit les perles humides se former sur le haut de son crâne et glisser lentement sur sa peau ébène. Son poignet vint balayer le liquide tandis qu’il tentait de répondre à ce mystérieux personnage. Finalement, son masque n’était peut-être pas le plus étrange chez lui. Sa façon de parler se dénotait du langage commun. Il devait certainement avoir eu le droit à une éducation supérieure pour avoir une élocution si aisée. Élevé dans le désert au milieu des marchands, dont la plupart était peu éduquée, Yuboku n’était pas très à l’aise quand il fallait hausser le niveau de son verbiage. Et surtout, il n’en faisait l’effort que lorsque la situation l’exigeait. A cet instant, il se contenta de parler avec ses mots.

- J’ai dit que j’étais courageux, pas stupide. La mort est l’option la plus idiote. Dit-il en haussant les épaules comme si c’était une évidence. J’ai grandi au milieu des dunes de Mashirosuna et j’ai vu beaucoup d’imprudents périr. On m’a appris à observer avant d’agir, ce n’est pas l’un des enseignements de l’Académie ?

Yuboku avait répondu avec son expérience. Mais avait-il écouté les derniers mots de Tenka ? Peut-être aurait-il dû mieux réfléchir avant de parler. Le gradé semblait tenter de découvrir différentes facettes du jeune genin. Son énigmatique façon de s’exprimer essayait peut-être de mener le nomade a plus de réflexion, ou simplement à le tester. Yuboku fronça légèrement les sourcils lorsque son interlocuteur mit en doute sa loyauté. Visiblement, il avait à faire à un ninja philosophe. Il aimait remettre en question chacun de ses mots. Si bien, qu’il théâtralisa ses propos en entamant une marche circulaire visant certainement à impressionner le débutant. Yuboku resta droit comme un piquet, suivant du regard celui qui le mijotait. Il attendait la sentence. Un dilemme ne tarda pas à tomber pour le mettre en défaut et une nouvelle fois l’analyser. Suivant la direction indiquée, il observa les bâtiments en grès face à lui. Un court instant de délibération interne lui permit d’élaborer sa réponse. Il poussa un léger râle, exprimant l’honnêteté de son raisonnement. Sa conclusion était sans appel.

- Même si on ne peut ignorer le contexte dans toute décision. Je choisis instinctivement ma famille. Lâcha-t-il avec un ton prudent mais empli de franchise.

A cet instant, un sentiment étrange le parcourut. Une sorte d’impression de trahison, mais à la fois la sensation de faire le bon choix. C’était là toute la difficulté d’un dilemme, il n’y avait parfois pas de bonne solution. La meilleure chose à faire était de s’en tenir à la raison et à ses principes. Dans ce cas précis, la raison n’était pas un paramètre dont il pouvait tenir compte. Alors, il argumenta en évoquant sa moralité.

- Ma famille ne m’a jamais laissé tomber. Ce sont des personnes fidèles et solidaires, car on ne survit pas dans le désert sans ses qualités. J’étais loyal envers eux avant de l’être envers Sakyuu, et jamais ils ne m’ont fait douter. Mon engagement envers le village ne signifie pas que je dois abandonner mon humanité, non ? Du moins je l’espère. Au risque de passer pour un traître alors que je viens tout juste d’obtenir cela, c’est ma réponse. Affirma-t-il en regardant son bandeau de shinobi.

Sans s’en rendre compte, Yuboku venait possiblement de faire sa première grossière erreur. Au contraire, peut-être que ses qualités humaines l’avaient sorti de cet examen.