La journée était déjà bien entamée, et me voilà devant un dilemme important.. Une grosse commande d’armes, trop pour une seule personne, et pourtant, je n’ai pas trop le choix, je ne suis pas du genre sociable, travailler avec d’autres ne m’est pas facile. Mais d’un autre côté, si je ne le fait pas, je vais perdre en crédibilité, et donc en clientèle. Je soupire en me levant de mon bureau, m'étirant de tout mon long, je regarde dehors en lâchant un profond soupire. Le choix n’est pas vraiment le mien, pour le coup. Je prends donc mes quelques affaires et me dirige vers l’endroit qui est probablement le plus réputé du village, et aussi, ironiquement, le seul où je serais probablement capable de trouver quelqu’un pour me venir en aide. Les forges souterraines, fiertés du village. Je roule un peu des yeux et marche dans les rues, mains dans les poches en fermant à moitié les yeux,  caressant la cicatrice de ma gorge du bout des doigts. Parler est compliqué, depuis que j’ai cette blessure, en fait, je me limite à quelques mots, les gros discours, eux, me font un mal de chien. Il semblerait que la blessure soit un poil plus grave que je ne le pensais, mais bon, je suis toujours en vie.



Je m’enfonce dans les galeries de la forge, d’un pas lent et calme, cherchant du regard quiconque serait en possibilité de me venir en aide. Un sourire traverse mes lèvres en remarquant un homme à la forge, travaillant de toute évidence sur des épées lui aussi, ce qui arrange bien mes affaires dans le fond. Manque de chance, il semble aveugle, après tout, à moins d’être aveugle, on ne garde pas les yeux fermés comme ça. Ou plutôt on ne porterait pas un ruban par dessus, enfin, ça revient à même de toute manière. Ce qui est amusant, par contre, c’est ses cheveux d’une couleur similaire au miens. Ce qui l’est moins, c’est que je vais devoir forcer sur ma gorge pour communiquer. Bref, je m’approche donc de lui, afin d’être à portée de voix.



Ouai, bon ok, je parle lentement, mais au moins on ira pas se plaindre qu’on pige rien à ce que je raconte, et puis j’ai pas vraiment le choix, si j'aligne plus de cinq mots, j’ai la gorge en feu. Je dépose alors les quelques épées que j’ai déjà créées dans mon coin, qui ne représente qu’une petite partie de la commande, me frottant de nouveau la gorge en pestant intérieurement. C’était plus ennuyeux que prévu sur le long terme ce truc, je vais devoir trouver un moyen de soigner, ou au moins soulager ça. Non pas que ce soit si dérangeant que ça, la douleur ne me pose pas vraiment de problème, mais communiquer de cette façon n’est pas très pratique. De toute évidence, j’allais rester coincer comme ça un moment, mes connaissances en médecine ne sont pas encore assez développées pour faire mieux de toute façon. Néanmoins, je ne peux qu’être intrigué quant à la façon de vivre d’une personne privée de sa vue.

Aujourd'hui était une journée assez calme, pour ainsi dire. Kyoshiro venait de finir de fourni un wakizashis à un de ses collègues, rien de bien folichon, et s'apprêtait à aiguiser ses dernières créations, comme il avait pris l'habitude de le faire, pour qu'elles soient prête au moment où quelqu'un rentrerait dans sa boutique. Autant le faire maintenant, plutôt qu'au dernier moment, non ? Le feu brûlait toujours fortement dans son âtre, mais le colosse était penché dans un coin de la pièce, passant une lame sur une pierre à aiguiser, patiemment et délicatement, comme il avait appris à le faire, car l'art ne se pressait pas. Aurait-il quelqu'un d'autre, qui viendrait lui commander un katana, ou bien un katana et le wakizashi qui allait avec, par exemple ? Ou bien un mineur viendrait-il lui demander de réparer sa pierre, ou lui en forger une autre, comme cela arrivait encore de temps en temps ?
Lorsqu'il entendit du bruit provenant de l'entrée de sa forge, un bruit assez significatif à n'en pas douter, Kyoshiro opta pour l'option du mineur venu réparer son matériel, mais il réalisa rapidement qu'il était dans l'erreur. Les forgerons étaient des commerçants, des compétiteurs et il était rare de les voir travailler ensemble. Voilà pourquoi l'aveugle fut surpris par la proposition qui lui fut faite, d'aide à la création d'une commande trop grosse pour un seul homme. Désireux de jouer un peu, Kyoshiro prit son air sérieux et, le dos tourné, lâcha alors sur un ton cassant :



Il se tourna alors vers l'inconnu, le visage fermé et grave jusqu'à ce que, en l'espace de quelques secondes, il ne put se retenir et se fendit d'un franc rire, avant d'admettre sa plaisanterie de mauvaise goût d'un :



Il ne serait pas payé pour ce travail, peut-être pas en tout cas, mais aider quelqu'un ne devait pas être une mauvaise chose, non ? Entre petits commerçants il fallait parfois se serrer les coudes...un concept avec lequel il avait encore un peu de mal, mais il apprenait au jour le jour. Faisant un signe de tête pour inviter l'inconnu à rentrer, le Tadake s'approcha des lames qui venaient d'être déposées sur la tableau, attrapant la première à sa portée avant de faire courir ses doigts sur le métal, pour en deviner la forge, la solidité et la souplesse. Du bon travail, à n'en pas douter. Assez pour que le samouraï daigne considérer cette offre, en tout cas, ce qui n'était pas peu dire.
Il resta là à observer et analyser l'une de ces créations, avec ses mains, avant d'aller à la pêche aux informations, pour obtenir plus de détails sur la commande en question, afin d'estimer le temps que cela prendrait et le temps dont il disposait.



Il était curieux de savoir, pourquoi lui plus qu'un autre, mais il n'était peut-être pas certain de vouloir la réponse, après tout. Peut-être était-ce simplement le hasard qui avait décidé cette rencontre et, si c'était le cas, il préférait s'en contenter, en silence. Reposant la lame sur la table, Kyoshiro tendit finalement la main à son collègue, en guise de salutations, en se présentant d'un :

Je ferme les yeux sans un son, avant d’observer l’homme qui confirme être aveugle, réfrénant ma curiosité maladive, mon envie de le disséqué sur place pour voir comment ça fonctionne, ou plutôt, ne fonctionne pas. Qui sait, ça serait peut-être utile un jour.. Mais là n’est pas le moment, ni l’endroit d’ailleurs. En tout cas, l’aveugle semblait joueur, ce qui me perturbait un peu au début, mais je me ressaisis bien vite quand il annonce plaisanter. En tout cas, il n'a pas honte de son handicap, pas plus qu’il semble hésitant ou sensible sur le sujet. En tout cas.. Si un homme comme lui est capable de s’en sortir à la forge, c’est quelque chose de louable, quelque chose que je ne pouvais qu’admirer. Je ne prétend pas que mon travail est en reste, bien au contraire, mais avec un tel handicap de son côté, on ne peut que respecter son travail, surtout vu la qualité produite, après tout, tout le monde n’as pas forcément le droit d’utiliser cette forge.



Je réfléchi par la suite au nombre exact qu’il me manque à produire, environ dix pièces si mes souvenirs ne se trompent pas, ce qui, j’en suis certain, n’est pas le cas. Après tout, s'il y a bien une chose dont je suis fier, c’est de ma mémoire. Je n’ai qu’à lire un livre une fois pour en retenir le contenu.. alors ce n'est pas un bon de commande qui va me mettre dans l’embarras. Je dépose donc les cinq premiers sabres forgés par mes soins sur l’établi à proximité, laissant l’homme les inspectés, même s’il n’avait pas vraiment attendu pour ça. Mais peut-être qu’il aurait besoin de mieux “voir”. Je ferme les yeux le temps qu’il fasse ce qu’il doit faire, regardant autour de moi. C’était bien la première fois que je mettais les pieds ici, en général, je préfère bosser seul dans mon coin, où bien allez dans cet endroit. Fichue gorge qui me démange.. Il va falloir que je tue quelqu’un pour prendre ses cordes vocales assez vite.. Tout en continuant de simuler cette blessure après. Je soupire un peu et regarde de nouveau l’homme qui se présente, ayant visiblement terminé son inspection.




Bon, au moins sur ce point, ce n’était pas un mensonge. Le mensonge, c’était plutôt l’origine de la blessure. Non pas que ça ait une quelconque importance de toute manière, ce n’est pas comme si j’étais loyal à ce village ou quoi que ce soit du genre. non, j’en ai juste besoin. Pour me dissimuler, le temps de gagner en force, de comprendre. Malgré tout.. Peut-être que je trouverais d’autres sujets d’études intéressants dans ce village. Même si je devais faire profil bas quand même pour l’instant, donc.. Il faudrait que je calme mes ardeurs et mes pulsions. Aussi compliqué que ce soit. Mais bon… C’est aussi ça être un scientifique, savoir s’armer de patience et attendre le moment propice pour expérimenter.

Ce pays représentait l'excellence en travail du fer. Il faisait grandir les meilleurs forgerons du monde, et cette grandeur était également née de la compétition qui régnait entre ces différents artisans du fer. C'était en essayant d'être meilleur que son voisin qu'on atteignait la grandeur, et non pas en collaborant entre eux. Voilà la raison pour laquelle, mis à part Maho, Kyoshiro ne laissait aucun autre forgeron – ou fils de forgeron – travailler ici, qu'il soit présent en même temps, ou non. Ici était son atelier, son sanctuaire et, jusqu'à présent, personne n'avait eu le culot d'essayer de briser l'équilibre de ce lieu...avant aujourd'hui, en tout cas. Il était un aveugle, un homme privé de lumière pour l'éternité. Ce seul constat faisait de lui la risée des autres forgerons, alors l'idée de travailler avec lui n'avait jamais fait partie du tableau. C'était sans doute mieux ainsi, car personne n'était aussi zélé ou doué que lui, dans ce domaine, alors mieux valait être seul que très mal accompagné.
Il laissa donc le jeune inconnu rentrer et, lorsque celui-ci donna le délai, ainsi que le nombre de pièces à forger, Kyoshiro fit un rapide calcul dans sa tête, pour voir si cela était jouable. D'ordinaire il lui arrivait de passer une journée sur une lame, car la perfection ne pouvait être pressée mais, puisque la quantité comptait bien plus que la qualité, alors il allait pouvoir raccourcir grandement son délai habituel. Hochant la tête en signe d'accord, le Tadake déclara alors :



Kyoshiro était curieux, curieux de savoir pourquoi l'homme était ici, plutôt que chez n'importe quel autre forgeron mais, de toute façon, celui qui se présenta comme Ryo n'était pas prêt à rentrer dans les détails. Qu'à cela ne tienne, le colosse avait un nom à mettre sur une voix, c'était bien plus qu'il n'en demandait pour sceller leur accord. Blessé, il souhaitait quand même continuer à forger ? Eh bien il avait de la ressource ! Souriant, Kyoshiro lui fit un signe de tête pour qu'il fasse comme chez lui, ou presque, avant de confirmer :



Seule la mélodie du fer importait, ici. Seulement, avant de commencer, Kyoshiro devait expliquer le fonctionnement de sa forge, son propre fonctionnement pour que, une fois leur collaboration terminée, il ne mette pas une semaine toute entière à tout remettre à sa place. Balayant la forge et l'alignement de ses outils d'un mouvement de main, il expliqua alors :



Son ton ne souffrait d'aucune ambiguité : cette règle n'était pas négociable. Ryo était peut-être bienvenu ici, le temps de leur tâche commune, mais cette forge restait celle de l'aveugle, et le serait encore pendant très longtemps. Se dirigeant vers l'alignement d'outils pour aller chercher pinces et marteau, pour aller ensuite chercher suffisamment de fer pour les cinq lames restantes, Kyoshiro conclut alors cette négociation d'un :

Bon, au moins, je suis tombé sur quelqu’un de gérable. Le problème, c’était sa règle… Je fais comment moi, étant censé jouer un être maladroit et peu organisé ? Je réfléchis rapidement, un éclair, avant de simplement hocher la tête en croisant les bras. Je suppose que je peux simplement faire en sorte de me concentrer et prendre sur moi pour éviter le bazar chez quelqu’un qui m’aide dans ma commande. Ça devrait le faire, si ce n’est qu’une fois.. Peut-être ? Ceci-dit, j’ai aussi promis de faire des efforts pour améliorer ce point chez moi, donc c’était l’occasion. Je souris légèrement avant de reprendre la parole, me dirigeant vers la forge après avoir laisser mon long manteau de fourrure sur place, que je suis censé tenir de mon père, même si en réalité, ce n’est pas vraiment le cas, je l’ai plutôt pris pour avoir un élément matériel afin de tenir mon histoire.



Je m’empare de l’un des lingots de fer que je mets en chauffe le temps de me concentrer sur les plans que j’avais en tête. La réalité, c’est que je pouvais aisément assumer cette commande seul, mais je n’ai pas envie de sacrifier trop de mon temps, et surtout, c’est l’occasion idéale pour observer les techniques de forges d’autres personnages de ce village. Enfin, il était temps de rompre le silence.



Après tout, je ne suis pas bon qu’en artisanat. Même s’il est vrai que mes capacités en tant que guerriers sont restreintes, je compense ça par mon intelligence. Selon moi, une arme dangereuse que beaucoup de shinobis négligent. Je m’empare en attendant sa réponse du morceau de fer rougie par la chaleur du fourneau, avec une pince, bien entendu, et la dépose sur l’enclume devant moi, saisissant un marteau avant de commencer à marteler le morceau. Dans un premier lieu, je l'aplati, afin de donner la longueur de la lame. Ensuite, je remet le tout au feu, afin de rendre de nouveau le bloc, qui n’en ai d’ailleurs plus vraiment un, maléable. C’est le problème de la forge, il est impossible d’être assez rapide pour créer la lame en un seul coup, il faut y aller en plusieurs fois.



Je peux me le permettre, après tout ce n’est un secret pour personne que j’ai de bonnes capacités en iroujutsu. Enfin, personne qui serait surpris de l’apprendre en tout cas. La seule chose qu’ils ignorent… C’est que je suis bien plus doué dans ce domaine que je ne le montre vraiment. Mais ce village m’est utile, donc je suppose que je ferais au moins en sorte de ne pas déchaîner mes futurs expériences dans ses rues. Pas toute en tout cas. Il faut bien que je couvre mes traces, si tous les villages ninjas se font attaquer sauf Seizan, il est logique que les soupçons se portent sur un shinobi entre ses murs, et je doute d’être exempt de tout soupçon si c’était le cas.

Kyoshiro n'aimait pas parler. Enfin si, il trouvait toujours les bons mots et avait une grande bouche, à n'en pas douter, mais quand il était dans la forge c'était bien le silence qui régnait. Il aimait le calme de cet endroit, il aimait se retrouver seul avec ses pensées, seul avec le silence pour se concentrer sur son travail, une tâche à la fois. Il comprenait que certains ressentaient le besoin de combler les blancs, de parler pour ne rien dire, et c'était sans doute pour cela qu'il ne travaillait que rarement avec d'autres artisans du fer. Alors pourquoi accepter une exception, avec celui-ci ? Parce qu'il était venu le voir en bonne foi, pour commencer, mais ensuite parce que, si sa blessure rendait la parole difficile, peut-être serait-il plus enclin à se taire et se focaliser sur ce travail. Enfin, c'était le postulat de départ, mais Ryo semblait désireux de remercier l'aveugle, avant de commencer.
Balayant la tête de droite à gauche, ne souhaitant pas de remerciement qui ne soit réellement mérité, le colosse précisa alors :



Une fois les règles établies, Kyoshiro commença donc à chauffer la lame et, alors qu'il l'aplatissait à grands coups de marteau, une question vint à ses oreilles. Une question qu'il crut mal entendre et, instinctivement, demanda donc :



Bien entendu Ryo reprit donc la parole, révélant son intérêt pour les arts médicaux, et sa volonté d'aider l'aveugle à ne plus l'être, le jour où une telle intervention serait possible. Kyoshiro se rappela la conversation avec Shizuka, la proposition similaire, se demandant si Ryo le faisait par pure charité, ou simplement par curiosité scientifique. Après tout, rendre la vue à un aveugle était un obstacle de taille, le Tadake le comprenait parfaitement mais, malheureusement, la réponse qu'il allait fournir était à l'opposé de ce qu'on attendait de lui, en une telle situation. Avant cela il tint donc à plaisanter un peu, lançant :



Travailler le fer et le corps humain ? Un combo étrange. Il était évidemment curieux de connaître la raison de ce ce choix de combinaison mais, pour l'heure, alors qu'il finissait d'aplatir la lame devant lui, il la remit à chauffer, avant de réfléchir à la façon de formuler sa réponse. Il ne pouvait pas juste dire non. Il devait rentrer dans les détails. Sans même se tourner vers son collègue, car il n'en avait pas besoin, il dévoila alors :



Peut-être que cela ne changerait rien. Peut-être resterait-il  lui-même, même avec sa vue restaurée, mais pouvait-il vraiment prendre le risque ? Il avait fini par apprécier de vivre dans les ténèbres, d'imaginer comment le monde pouvait-être, de sentir les formes au bout de ses doigts. Cela lui avait pris longtemps mais, à présent, il pensait être en paix avec cet handicap, aussi ne pouvait-il accepter cette force...pour le moment, en tout cas. En revanche, en parlant de blessure, il ne put ignorer celle de son collègue, qui lui donnait de telles difficultés à s'exprimer. Ne devait-il pas s'en occuper, d'abord, avant de retourner forger ? Curieux, le colosse demanda finalement :

Je ferme les yeux calmement, saisissant de nouveau le morceau de métal en fusion, pour frapper de nouveau avec une précision chirurgicale, commençant, lentement mais sûrement, à donner au morceau de métal la forme d’une lame. Je ne compte pas faire un sabre de qualité, donc ça ferait l’affaire comme ça. Si je voulais faire un véritable katana de haute qualité, ça me prendrait plusieurs jours pour n’en faire qu'un, mais là… C’est à usage d’entraînement. Donc pas besoin d'utiliser la technique de cinglage.. Ni même de prendre la peine de vérifier la qualité du métal et toutes ces étapes rédhibitoires mais obligatoires pour une arme de qualité. Mon compagnon de forge semble surpris vis à vis de mes capacités. Il est vrai qu’il est rare de voir un médecin forgeron. Je souris légèrement, prenant la parole de nouveau.

 

Enfin bref, voilà le moment prévisible où il me parle de ma blessure. Il fallait s’y attendre, venant d’un aveugle, son ouïe devait être bien assez fine pour sentir la gêne quand j’ouvre la bouche. Il devait même être capable d’entendre ma respiration contrôlée mais difficile. Il faut dire que je ne me suis pas loupée avec celle-là. Je soupire un peu en me tenant la gorge.. Rester dans mon rôle… C’est la chose la plus importante ici.

 

Il fallait bien une raison pour justifier qu’un jeune homme n’ayant même pas vingt ans soit arrivé seul et aux portes de la mort au village. L’histoire de l'attaque de bandits était simple, et plutôt efficace. Pas de raison de la questionner, surtout que je n'en suis pas ressorti indemne. Enfin bref… Si je mentais sur bien des choses, à des fins pratiques bien évidemment, le fait que cette cicatrice me rappelle ma faiblesse n’en ai pas un. Elle me rappelle à quel point je suis trop faible pour ne pas couvrir mes arrières via divers mensonges et stratagèmes. Parce que … Eh bien ce n’est pas que j’ai peur pour ma vie, non, j’ai peur pour l'œuvre que je pourrais accomplir avec celle-ci. Ma vie en elle-même ne vaut rien, mais ce à quoi je pourrais l’utiliser, en revanche, c’est une toute autre histoire. Mon but ultime mérite que je mette ma vie en jeu.. Réduire en poussière le monde shinobi avec la puissance de la science, et créer une nouvelle ère où les ninjas ne sont pas plus forts que d’autres. après tout, j’en suis le parfait exemple.. Je suis un piètre ninja, mais si je peux surmonter cette faiblesse avec ma science, alors ça en vaudra la peine.

Marcher sur des œufs n'était pas dans le tempérament du jeune homme. S'il avait un truc à le dire, il ne manquait pas de s'exprimer, quitte à froisser l'ego des uns et des autres, car il n'avait pas de temps à perdre, à y aller avec le dos de la cuillère. C'était sans doute pour cela que, plutôt que d'éviter, il s'était enfoncé dans la brèche créée par la mention de la double carrière de son collègue. Samouraï et forgeron était une chose, l'un avait toujours besoin de l'autre, mais travailler le métal et réparer le corps humain ? Une combinaison qu'on ne voyait pas tous les jours. Ainsi, lorsque le jeune Ryo se mit à parler, Kyoshiro tendit les oreilles et ce qu'il entendit lui plut beaucoup. Cet homme là avait un don, une direction en tête, un domaine dans lequel il était bon et il ne se cachait pas de l'admettre. Voilà ce que l'aveugle aimait entendre ! Voilà ce qui le fit sourire, alors qu'il formulait sa réponse :



Il connaissait cette réponse, cette sensation par cœur, car c'était ce même feu qui l'animait, du matin jusqu'au soir. Pas un jour il ne se levait par obligation. Pas un jour il n'allait à la forge, en reculant. Chaque nouvelle journée était l'occasion de se surpasser et, surtout, de surpasser tous les autres ! Puis vint le sujet de la blessure de Ryo et, si la disparition de sa famille effaça tout sourire sur le visage du colosse, ce dernier décida de ne pas essayer de pousser davantage, en creusant une histoire qui ne le regardait pas du tout. En revanche, concernant la blessure en question, il s'autorisa à donner son avis quant à la transformation d'une faiblesse en force. Un procédé qui demandait énormément de temps.



L'abcès était crevé, à présent. Que pouvaient-ils dire de plus ? Les deux hommes se mirent donc au travail, frapper leurs lames, encore et encore. Les chauffant et les frappant à nouveau jusque ce que, enfin, la forme de la lame ne s'approche du résultat final. Des corrections seraient encore à faire. Ils allaient ensuite pouvoir aiguiser les lames mais, pour l'heure, attrapant sa création avec une pince, Kyoshiro la tendit à son collègue pour qu'il lui donne son avis. Après tout, c'était la commande de Ryo et non celle de Kyoshiro. Ce serait le nom de ce premier qui serait entaché, si le qualité d'une de ces lames était médiocre.



Depuis quand en avait-il quelque chose à faire, du nom de ses collègues ? Depuis que l'un d'entre eux était venu lui demander un coup de main, c'était cela la différence. Ainsi, fignolant sa première création pour qu'elle ne soit pas qu'une lame parmi tant d'autres, Kyoshiro prit une respiration et avoua alors, à son collègue :

Cet aveugle… Il n’est pas comme les autres. Je suis du genre peu fan de monde, à rester dans mon coin, mais lui.. Je n’ai pas de problème à passer du temps avec, mieux, à travailler avec. Il semble même du genre à croire que la modestie est quelque chose pour les gens faible d’esprit, chose que j’aurais plutôt tendance à valider, si ce n’est que dans mon cas, hurler sur tous les toits mes “exploits” scientifiques serait problématique. Enfin bref, il me félicite d’ailleurs sur mon manque de modestie, ce qui m’arrache un léger sourire, sincère cette fois. Ce genre de comportement est appréciable, et un bon changement d’air. Ce qui est ironique d’ailleurs vu que nous somme littéralement enfermés dans une forge souterraine.

 

Malheureusement… S’il s’entend bien avec mon personne qu’est Ryo, je doute que cette entente s’étende au véritable moi, Mugen. Après tout… Il semble bien trop gentil. Là où dans mon cas, ma curiosité scientifique prend le pas sur ma propre humanité. Enfin, c’est sans importance dans le fond. L’amitié, l’amour, tout ça ne sont que des entraves dans la voie que je poursuis. Je ferme les yeux un instant, alors que je me fais interpeller par mon collègue de fortune, qui me demande si je suis satisfait de la condition, ou plutôt, de la qualité des lames.



Après tout, c’est probablement pour la formation de shinobis de l’académie, ou quelque chose du genre, donc il ne fallait pas s’attendre à un bon entretien des lames dans le futur, mais plus à une nouvelle commande une fois celles-ci usées. Je ne fais d’ailleurs aucun commentaire concernant ma blessure, afin de montrer mon accord sans parler, après tout il doit bien se douter que je préfère minimiser au maximum mon temps de parole. Il s’exprime ensuite de façon peu conventionnelle, traitant les autres forgerons de “cons”, ce qui me retire malgré moi un léger rire. C’était une façon de voir les choses, en effet.



Je pouffe de rire par la suite. Je ne suis qu’à moitié sérieux pour le coup.. A moitié. Après tout, peut-être que le fait d’être aveugle de naissance joue véritablement sur le mental et pousse donc la personne atteinte à gagner en sagesse. C’est quelque chose que je devais expérimenter à l’occasion… Rendre un enfant sujet à des violences et enclin à bizuter les autres, aveugle, afin de voir si cela modifierait sa personnalité. Peut-être que le fait d’avoir un handicap le pousserait à réfléchir et devenir plus malin.

Kyoshiro n'avait jamais appris à interagir en société, ou bien comment se comporter avec ses compatriotes. Tout ce qu'il lui avait toujours importé c'était d'être le meilleur, dans chaque aspect de sa vie et, malheureusement, dans une société telle que celle-ci, un homme plein d'ambition était souvent considéré comme dangereux. Peut-être l'était-il, effectivement, mais il essayait de ne pas trop s'attarder sur ce sujet, car ce n'était qu'une perte de temps. La bien-pensance lui donnait envie de vomir alors, quand Ryo confirma qu'il était bon d'avoir de la fierté, ne comprenant pas pourquoi cela pouvait être mal vu, l'aveugle éclaira alors sa lanterne d'un :



Dans ce cas peut-être était-il un peu des deux, mais il avait vu la différence. Il avait senti la différence avec laquelle on traitait le maigrelet qu'il était, et le puissant colosse qu'il était devenu. Encore aujourd'hui il sentait les regards se poser sur lui, quand il traversait la rue. Il sentait ce mélange de méfiance et de pitié qui lui donnait presque envie de vomir, mais heureusement il arrivait à se concentrer sur ce qui était vraiment important. Il reprit donc sa forge et, lorsqu'il présenta sa première œuvre à son collègue, celui-ci avoua qu'elle était peut-être trop bonne pour ceux qui allaient la manier, qui allaient la traiter comme un vulgaire bout de métal. Oh oui, le tadake n'était pas dupe.



C'était pour cela qu'il ne gardait que ses meilleures créations, pour ceux qui le méritaient vraiment. Le reste n'était, finalement, qu'un gâchis de matériaux. Kyoshiro reporta donc son attention sur l'enclume, reprenant ses frappes frénétiques jusqu'à ce que le jeune homme lui demande si, quelque part, cette société lui donnait une sagesse que les autres n'avaient pas. Une sagesse ? Lui ? Cette seule idée ne manqua pas de le faire éclater de rire, avant de rectifier le tir :



Il aurait pu s'étaler sur le sujet pendant une journée complète, mais ils avaient bien mieux en faire, et l'heure ne cesserait pas de tourner, pour eux. Ainsi, concentrés, les deux forgerons se remirent à leur tâche et, enfin, maintenant qu'ils pouvaient sentir une réelle avancée, maintenant qu'ils pouvaient sentir qu'ils allaient y arriver sans problème, Kyoshiro se tourna vers son collègue, lui tendant le point en une invitation à un fist-bump, avant de s'écrier :

J'écoute les dires de mon collègue du moment. Visiblement, je ne lui apprend rien en lui disant que nos armes ne serviront que d’outils, et seront certainement remplacées d’ici la fin de l’année. Il faut dire que ce n’est pas véritablement une surprise, ce ne sont, après tout, que des armes d’entraînement, rien qui ne mérite qu’on y mette son âme et son temps, enfin, pas plus que nécessaire en tout cas. Je soupire lourdement en fermant les yeux, secouant un peu la tête en parlant d’une voix calme, mais clairement dépitée par l'avenir des lames forgées. C’était à se demander si les samouraïs n’étaient bons qu’à tester la solidité des forges du village.



Après tout, de l’argent reste de l’argent, peu importe d’où il provient et pourquoi je l’obtiens. Non, le plus gros problème avec l’argent, c’était comment le dépenser. Non pas que je n’en ai aucune idée, mais plutôt que je dois le faire sans me faire prendre. après tout… Qui fournirait un jeune homme de dix-sept ans en organes et autres joyeusetés du genre sans se poser des questions. Plus encore si des immondices se retrouvent dans la nature quelques semaines plus tard. Enfin, je dois dire que je suis plutôt d’accord sur l’étroit lien entre fierté et arrogance, cette frontière infime qui porte parfois à confusion. Il est vrai que quelqu’un trop fier de lui peut sembler arrogant.. Et inversement. Non, selon moi, la plus grosse différence entre les deux est simple. La capacité à appuyer cette fierté. Si ce ne sont que des paroles en l’air, c’est de l’arrogance, en revanche, prouve à tous que ces mots ne sont que vérité, et ça devient de la fierté. L’être humain est vraiment fascinant. Enfin bref, par la suite, le voilà qui me tend son poing, je le regarde donc, sans trop comprendre où il veut en venir. Il faut dire que vivre des années isolés, sans véritable lien social, ça n’aide pas vraiment dans le domaine des relations publiques.



J’ai beau être un génie, même moi j’ai mes lacunes. Et puis intelligent ou non, je ne suis pas encore devin. Je ne peut que supposer que c’est un genre d’interaction sociale, de part le poing fermé, mais j’aurais sûrement l’air moins ridicule en pensant qu’il désire un outil, qu’avec une tentative maladroite et totalement à côté de la plaque de répondre à sa demande silencieuse. Non pas que j’ai quelque chose à faire d’être ridicule dans le fond, ce personnage en lui-même est ridicule.. Mais si je peux un minimum me sauver la face…



Et pas vraiment, j’entend surtout absolument pas du tout. Je suis aussi sociable qu’un poisson est à l’aide en plein désert.

Dans ce monde chaque personne avait sa place, son rôle à jouer. Certains vivaient leurs vies, paisiblement, tandis que d'autres mettaient leur existence en jeu, continuellement, afin que les premiers puissent connaître la paix et la sérénité, sans se soucier des menaces au dehors. C'était ainsi que fonctionnaient le monde, et il n'était pas très bien vu que quelqu'un essaye de déroger à cette règle, en essayant de se hisser au-delà de sa propre position. Avait-il déjà vu un mendiant, affligé par la pauvrté et le désespoir, se hisser au plus haut sommet de toute société civilisé ? Non, parce que ce n'était pas ce qu'on attendait de lui.
Cependant il existait une exception. Celle d'un homme ou d'un femme qui, par sa force de caractère, arrivait à se débarrasser de ses chaînes pour grimper, encore et toujours plus haut, afin d'atteindre l'objectif qu'il s'était fixé. Bien entendu, au cours de son ascension cette personne allait attirer la curiosité et la méfiance de ses congénères, mais c'était la rançon de la gloire. Kyoshiro était de ces personnes là ou, tout du moins, c'était ce qu'il espérait être, dans un avenir proche. Il n'avait que faire de l'étiquette ou des règles établies par la société dans laquelle il vivait. Il ne voulait pas abandonner, il ne pouvait simplement par se permettre de baisser les bras et il ne s'en cachait pas. Il avait accepté, depuis longtemps, l'idée que certains essayent de le diminuer, ou de le traîner dans la boue, pour freiner son inévitable ascension vers le sommet. Vers les cieux.

Ses collègues étaient des idiots, à n'en pas douter. Sinon pourquoi traiteraient-ils ses créations avec aussi peu de respect ? Ne voyaient-ils donc pas la qualité de ces œuvres?Oh certes le Tadake ne se plaignait pas d'avoir du travail, mais il préférait largement créer de nouvelles pièce, plutôt que de réparer et aiguiser, à nouveau, celles abîmées par le temps et la brutalité de ses collègues. À la place de son camarade il se contenta donc de hausser les épaules, car il savait bien qu'apprendre la délicatesse à un samouraï revenait à essayer d'apprendre la poésie à un poisson. Après tout, une arme ne restait rien de plus qu'un outil, qu'un instrument de mort, non ?

Enfin bon, cela importait peu, à présent. L'essentiel était de finir cette commande, pour passer à la suivante, et celle d'encore après, dans le but de gagner en renommée pour que, à l'avenir, quand on parlerait du meilleur forgeron et du meilleur guerrier de Seizan, le nom de Kyoshiro Tadake soit le premier qui vienne en tête. Comme il voyait le boulot avancer il tendit son poing, comme pour féliciter Ryo de sa performance, mais ce dernier ne devait pas être habitué à traîner avce ses congénères, puisqu'il ne comprit pas son geste.
Surpris, le Tadake ne manqua de lâcher un rire franc et sec, en ramenant son poing plus proche de lui car, de toute évidence, si l'autre forgeron ne comprenait pas son geste, maintenant, il allait devoir reprendre les bases des interactions sociales. Mais pas maintenant, ils avaient mieux à faire.




Il lui fallut bien quelques secondes pour faire disparaître le sourire de son visage et, enfin, le colosse put se remettre au travail, pour ce qu'il lui restait de la journée. La ville allait s'endormir mais le feu de la montagne brûlait toujours et, au loin, l'écho de deux marteaux se ferait entendre, jusqu'à ce que leur tâche soit pleinement accomplie.

Le temps importait peu. Seule la réussite comptait vraiment.

Il décide donc de laisser tomber ? non pas que je m’en plaigne, les interactions sociales ne me sont pas assez utiles pour que je perde un temps précieux à prendre des leçons sur ce thème. Enfin, au moins, ça ne manque pas de faire rire mon camarade de forge, qui ne se retient pas en lâchant un rire puissant, le genre qui me donnait mal à la gorge rien qu'à m'imaginer rire de la sorte. Enfin, ça ne risquait pas d’arriver de sitôt, mais bon. Enfin bref. Le temps passait par la suite, lui et moi-même nous concentrons sur la forge de ces armes, bas de gamme, certes, mais nécessitant tout de même un certain degré de concentration. il ne faudrait pas qu’elles se brisent au premier échange après tout. Je décide ensuite de fermer les yeux un instant, consultant mon horloge interne, pour déterminer depuis combien de temps je suis là.. Enfin, non pas que ce soit vraiment fiable comme méthode, mais bon. Passant la plupart de mon temps sous terre pour mes expériences, c’est devenu une habitude. Enfin, après l’ultime lame forgée, je m'étire de tout mon long en grognant de satisfaction.



Après tout, c’était la moindre des choses, et puis, je n'avais pas vraiment besoin d’argent au point de me mettre à dos une potentielle aide future. Je rassemble donc les lames forgées, les enveloppant dans un morceau de cuir, avant de me rendre vers la sortie, me retournant une dernière fois pour le regarder. Une chance, j’avais laissé ses outils où il fallait.



Après quoi je me retire tranquillement, tenant dans mes bras les lames, enveloppés dans le morceau de cuir afin de ne pas me couper sans trop endommager le tranchant des armes par-dessus le marché.