Une fumée noire, de mauvais augure monte dans le ciel, planant sur le village d'un rythme silencieux. Des choses se préparent, les langues se nouent et se délient. Simple rumeur des soiffards du coin ou véritable révolte populaire sous couvert de divergence politique.  Je n'ai qu'un nom, qu'une signification, un cri de ralliement pour les laissés pour compte. Fidèle membre de l'armée, ma flammèche s'agite lorsque mon oreille attentive perçoit les impies.

« Ô Kagutsuchi, que ta lumière guide mes pas. Que ton feu m'accorde chaleur et miséricorde. Divin dieu du feu, ta flamme brûle en mon cœur et réchauffe mon âme. Je vous serais fidèle jusqu'à la mort, bravant les flammes des impies et carbonisant vos ennemis. »

Les dernières paroles de ma prière n'était pas banale, elles étaient simplement permises dans ce contexte de prière personnelle adressée dans ma sinistre demeure. Mon passé m’a laissé quelques traces quant aux goûts et aux couleurs. Bien que le rouge flamboyant fût bien présent, le noir macabre l'accompagnait dans cette lugubre ambiance. Je n'avais jamais été présenté aux arts en tout genre, j'avais du mal à en comprendre le sens, les associations ou le but. C'était un axe de progression que je devrais aborder lors de mes pérégrinations et mes différentes rencontres.

Aujourd'hui, ma prière avait été tournée en partie tel un chant de guerre, une préparation à l'attaque. De vils conversations m'étaient parvenus jusqu'aux oreilles. Ou bien avait-je laisser traîner mes orifices auriculaires par simple défaut professionnel ? Non. Ce n'était pas un défaut, mais mon travail. J'étais spécialisé dans l'écoute, dans le glanage d'informations en tout genre. Je venais de mettre la main sur des informations pour le moins crucial et potentiellement importantes pour le village et mon supérieur, le Sakyuukage : Hashikure Tobu.

Bien que je ne vouais ma vie qu'à Kagutsuchi-sama et ses créations divines, mes racines avaient encrer en moi le respect de la hiérarchie et du plus fort. J'agissais sous les ordres du Sakyuukage, j'étais son ombre, ses oreilles, sa lame cachée sous son manteau. Ne pouvant accuser sans preuves le moindre des passants de ce village, et arriver dans son palais sans témoignages, je me devais de recueillir les informations par moi-même. J'enfilais mon masque, d'un blanc immaculé, l'éclair me définissant sur l'œil droit, une bouche neutre et silencieuse d'un rouge sobre terminais ce visage créé de toute pièce.


L'astre lunaire venait prendre la place de son jumeau solaire, les flammes de Kagutsuchi éclairant les ruelles et dansant au rythme du vent provenant tout droit du désert. Perché sur le haut des toits, mon haori noir suivait la même danse, en communion avec la nature. Dans ma sénestre, tenu entre mon pouce et mon index, un papier avec écrit une seule chose : Hai. De ce simple mot résonnait l'entièreté de mes futures recherches. Un groupuscule semblait avoir pris racine dans la faction nord. Opposant du pouvoir en place, leurs attentions n'étaient pas encore percées à jour. Vouloir renverser le pouvoir en place, instaurer une politique de décisions participatives, réaliser un coup d'état ou simplement organiser une réunion avec des représentants du peuple ? Je n'en savais rien. Mais par mon expérience, il fallait mieux tuer le monstre dans son œuf, avant qu'il ne devienne trop fort pour être combattu.

« Ô Kagutsuchi, guide-moi vers les impies, vers les rebelles du monde. Mon bras est tiens, ma main tiens ta flamme dans sa paume, dans mon iris brille ta lumière. »

Une dernière prière sur mon perchoir, que je quittais bientôt, ayant réalisé quelques mûdras pour prendre l'apparence d'une femme lambda, ni trop remarquable, ni trop vulgaire. Une simple habitante de Sakyuu, ni plus, ni moins.

Apparence:

Grimé sous mon nouveau visage féminin et vêtu d'une légère tenue carmin, j'arpentais les ruelles du quartier marchand. C'était ici, à la lueur de la nuit, que les badauds s'entassaient pour oublier leurs problèmes, les noyer dans la boisson et tenter de conclure avec n'importe quel bout de peau qu'il arriverait à charmer. L'Homme était une espèce bizarre, un spécimen que bien des scientifiques aimeraient percer à jour pour en comprendre le fonctionnement intrinsèque et la complexité.

Je virevoltais avec grâce dans le vacarme ambiant. Chant, musicien, bagarre de comptoir, cri nocturne, parties de jambes en l'air, tous avaient un bruit bien particulier que je pouvais reconnaître. Je m'approchais de quelques conversations, sans trop en faire pour maintenir mon anonymat. Dans le flot de cette foule, je n'étais personne, qu'une simple inconnue qu'on avait l'impression d'avoir déjà croisé au coin de la rue ou lors de notre dernière sortie alcoolisée. C'était là, le point clé de mon enquête. Rien de mieux qu'une personne qu'on croit normale, lisse et sans charme, doublé à de nombreuses gorgées de la pisse des dieux pour délier les langues.

« Hihi. Bonsoir monsieur le tavernier ! Comment allez-vous ce soir ? Une belle soirée s'annonce n'est-ce pas ? »

Des phrases balancées à la volée, à qui voulait bien l'entendre, me fondre dans la masse, perturber les sens, agir sur l'instinct primaire de l'homme : celui de se sentir écouter. Un homme qui se sent en confiance, qui se sent compris, qui se sent écouter, qui se sent important pour quelqu'un, est un homme faible, proies des prédateurs et futures carcasses des charognards.  

J'accordais de l'importance aux ivrognes, les marquants d'un clin d'œil, échangeant quelques pas de danses avant de disparaître dans la foule, piétinant leurs espoirs. Mon oreille trainait partout où je passais, ne laissant aucune information m'échapper. Bien qu'étant un homme doté de capacités spéciales en tant que membre de l'armée, je n'en restais pas moins humain, et suivre tout ce lot de jérémiades et ce brouhaha dépassait mon potentiel.

« 夢魔 Muma, continues d'inspecter la zone, ne laisse rien t'échapper. Que la flamme de Kagutsuchi-sama éclair ton chemin. »

Des pensées qui s'adressait à mon compagnon qui me suivait depuis le début de ma mission, à l'abri des regards indiscrets, volant au-dessus du peuple, comme le simple petit insecte qu'il était. Il n'utilisait rien de ses pouvoirs, pour ne pas trahir son apparence et ses capacités. Une petite libellule dans le ciel de Sakyuu, ni plus, ni moins. Seul son ouïe dépassant largement la mienne m'était utile dans ce cas de figure. Au cœur du cortège je glanais les informations, tandis que ses oreilles aiguisées traitaient celles qui m'échappaient. Un duo organisé, entraîné et calibré.

Informations:

Cela faisait maintenant quelques heures que, grimé sous les traits d'une femme au visage angélique sans être trop remarquable, je tournais çà et là dans les ruelles bondées et en fête. Le village caché des dunes était connu pour ses nombreux marchands et artistes en tout genre. Il n'était pas rare alors d'assister à ce genre de fête commune au centre du village et dans les ruelles environnantes. La chaleur encore présente enivrait les foules pour les maintenir debout, leur faire échapper à l'ennui d'une vie morose et d'une nuit sans sommeil.

Il était important de bien comprendre le fonctionnement de la vie nocturne pour pouvoir s'y immiscer sans créer le doute. De toute façon, chacun avait mieux à faire que de porter attention à chaque personne qui passait dans ce flot humain. Il était alors facile, de par ma discrétion, d'agir furtivement, de ne laisser paraître que le faux pour essayer de déceler le vrai. Malgré les nombreuses conversations que moi et Muma avions épluchées depuis le début de cette longue nuit, aucune ne nous portait vers les rumeurs révolutionnaires que j'avais surprises il y a quelque temps. Qui était la tête pensante de ce groupuscule qui semblait gagner en ferveur au fil des jours ? Il me fallait simplement trouver la souris, celle que je suivrais tel un félin afin de trouver la colonie, et ainsi éradiquer la menace. J'étais le prédateur, je cherchais simplement ma proie.

Bien qu'il ne fallait pas précipiter la chose, certaines fois il était important de mettre un coup de pied dans la fourmilière. Si les cendres ne voulaient pas venir jusqu'à moi, alors c'est moi qui les provoquerais en duel ce soir. La petite libellule qui volait un peu plus haut dans le ciel, camouflée dans la nuit, finissait par se rapprocher de moi. Sans s'arrêter pour ne pas perdre en discrétion, elle frôlait ainsi mon épaule le temps que je lui donne les prochaines directives.

« On passe dans la brume. »

Simple directive, nos actions étaient organisées et nous n'étions pas venus sans avoir un entraînement sur diverses techniques d'approche. Sans avoir coupé sa course, le petit insecte venait se poser sur le rebord d'un toit, à l'abri des regards, qui de toute façon, ne pourraient prêter attention à un simple insecte.

De mon côté, je continuais le copinage avec les ivrognes du coin, en laissant toujours traîner mon oreille attentive. Après quelques petites railleries avec des soiffards, je reprenais le centre de la foule, pour la suite des événements, me cacher en plein milieu de la cohue était primordiale, pour ne pas être vu.



De quelques mûdras camouflés dans le bain de foule, je venais disperser une légère brume dans les ruelles du village caché des dunes. De par mes compétences en matière de discrétion, j'arrivais à moduler ma voix, ainsi qu'à la faire s'entendre à différents endroits, ne trahissant ainsi pas ma position. J'étais devenu invisible, véritable marcheur fantôme dans ma brume qui s'épaississait quelque peu devant les yeux interloqués des passants qui se demandais d'où venait ce phénomène, sans pour autant arrêter la fête. Rien ne pouvais arrêter la fête.

« Les cendres, rejoignez les cendres. »

Une voix crispante, légèrement angoissante murmurait à l'intérieur de la brume. Elle était de mon fait, modifiée pour ne pas qu'elle corresponde à celle de femme que je prenais ce soir.

« Tu as entendu parler de Hai, j'aimerais bien les rejoindre. »

Cette fois, c'était celle d'un homme sérieux et calme. Mon regard attentif ainsi que mes oreilles commençaient à s'ouvrir dans tous les sens, cherchant ceux que ces paroles pouvaient surprendre, et même trahir.

« Hai, le groupe est là ! Juste devant nous, que les partisans rejoignent la taverne du Ver Dansant. »

Un ordre, un lieu, cette fois, c'était une voix plus suave, de chef. La taverne se trouvait à quelques pas d'ici, seulement elle n'était pas sur le trajet de la foule, afin de me permettre de percevoir ceux qui s'écartaient de leur chemin afin de rejoindre le lieu que j'avais indiqué. Muma était posé sur le rebord du toit de la taverne, prête à venir me chercher, et son ouïe bien plus développée écoutant les premières discussions environnantes. J'étais le prédateur, et j'amenais mes souris vers un piège.

Apparence & Résumé:

Ambiance brumeuse couplé à la chaleur du désert. Une ambiance particulière venait de s'installer en cette soirée festive. Les badauds et les soiffards continuaient leur danse contre le temps, contre l'ennui, contre la routine artificielle créée par le village lui-même. Sans que quiconque ne s'en doute un seul instant dans cette marée humaine, des enjeux bien au-delà de leur simple plaisir nocturne était en train de se jouer. La brume s'épaississait un instant, les murmures provoquant des doutes chez certains, de l'incompréhension chez d'autres. Je me devais de piquer leur intérêt, créer un questionnement, remplir leurs têtes de doute. Les plus faibles d'esprit des proies que je tentais de débusquer allaient finir par céder sous la pression. Ou bien, serait-ce le grand méchant loup en personne qui sonnerait le glas de la contre-attaque. Œil pour œil, dent pour dent.

Certaines petites souris franchissaient le pas du Ver Dansant, taverne et lieu de rencontre mystique, mise de côté par la foule pour seulement y laisser traîner les habitués. Ma petite libellule, posée sur le rebord du toit, camouflée par son apparence dans la nuit légèrement illuminée par les torches. Elle recueillait les informations, captait les mouvements suspects et écoutait les délibérations de chacun. Elle notait le nombre de personnes qui rentraient, ainsi que ceux qui entamaient le chemin inverse. Rien à signaler pour le moment, bien que quelques potentielles proies avaient quitté les rangs de la manifestation nocturne afin de rejoindre le lieu de boisson. Simple coïncidence, ou première prise dans mon piège, la suite était à découvrir.

Mais ce fut un autre personnage qui retint son attention. Un homme aux allures mystiques, le visage criblé par de fortes confrontations, ou bien une torture inimaginable. Une grande partie de son visage était balafrée et meurtrie par les cicatrices et autres brûlures. Des joyeusetés impossible à dissimuler tant son visage était marqué par le temps. Son charisme naturel avait attiré l'œil de Muma, qui profita d'un va et viens des badauds pour se faufiler à l'intérieur de la taverne afin de scruter, maintenant, l'intérieur de la pièce. Elle se positionna dans un coin en hauteur, sous la charpente, usant de sa capacité en illusion pour se camoufler derrière une représentation de la continuité de la poutre qui soutenait le toit. Indétectable à l'œil nu, elle pouvait ainsi observer l'ensemble de la pièce.

« Muma, j'espère que tu t'en sors. Ton rôle est majeur dans cette mission, je compte sur toi. Kagutsuchi-sama guide tes pas par son feu protecteur. »

Une pensée adressée à mon petit acolyte animal. De mon côté, je quittais, avec légèreté et grâce, le flot humain que je suivais jusqu'aux abords d'une ruelle bordant l'allée principale, qui donnait sur l'arrière de la dite taverne. Toujours grimée sous ces traits féminins, je profitais du manque de lumière de la ruelle pour me faufiler sur le toit de la taverne, guettant de mes iris flamboyantes les va et viens à l'entrée de la taverne, laissant l'intérieur de la pièce à Muma, tapie dans l'ombre.

L'homme était là, assis au centre de l'attention, seul sur sa chaise, une deuxième traînant à côté comme s'il attendais quelqu'un, ou alors comme invitation à se présenter. Un cendrier trônait sur le milieu du petit meuble en bois, rempli de cendres, alors qu'aucun badaud ne semblait fumer aux alentours. Petite métaphore du destin qui nous lie. Je ne pouvais voir cette scène, mais Muma glanait ce genre d'information pour moi. QU'allait-il faire maintenant, allait-il rester là, au milieu de la taverne, à attendre son invité, ou bien allait-il donner discours. Un discours que j'attendais avec impatience, afin de comprendre les tenants et les aboutissants de ce groupuscule, qui étaient-ils, et que voulaient-ils au village ainsi qu'au Sakyuukage ?

Mon instinct de prédateur se mettait à m'envoyer des signaux. L'alpha contre l'alpha, deux prédateurs se faisant face. Était-ce une proie que je comptais prendre dans mes filets à l'intérieur de la bâtisse, ou alors venais-je d'attirer un de mes semblables, voulant protéger sa meute ? Chef solitaire contre chef de meute, la suite promettait de faire bouger les choses.

Apparence & Résumé:

Mauvaise appréhension de la chose, erreur grossière de jugement de la qualité de ma proie. Les choses n'avaient pas réellement bougé jusqu'à présent. Plusieurs minutes s'étaient écoulées et seulement les railleries d'un soiffard ne comprenant pas ce qui se tramait devant lui perturba l'ambiance pesante qu'avait instaurée le balafré au sein de la taverne. Aucune once de gêne ne semblait perturber le chef de ces lieux, une simple gorgée portée à sa bouche, avant de continuer son attente qui pourrait durer quelque temps si rien ne bougeait en ces lieux.

La contre-attaque semblait déjà en place, j'étais déjà pris dans les filets du prédateur ultime, pourtant, je ne me doutais de rien. Excès de confiance ou simplement manque d'informations sur ma cible. J'avais tenté de débusquer une souris, je venais de rentrer dans l'antre d'un loup, sans protection. Un souffle frais caressait mon échine. Quelqu'un se trouvait derrière moi, je n'avais pas besoin de me retourner pour sentir sa pesante présence. Un léger frisson parcourut ma colonne vertébrale, l'homme qui venait à peine de quitter le centre de la bâtisse se trouvait dans mon dos, sur le toit. Vitesse d'exécution et subtilité dans le choix des mouvements pour camoufler au mieux ses actions, il était un prédateur redoutable.

J'avais omis le plus important, une faute grave qui me valait de me retrouver au pied du mur, celle de cacher ma présence chakratique. Bien que mon entraînement infantile aux arts de la discrétion portait leurs fruits en de nombreux cas, mon manque de connaissances sur l'énergie vitale qui nous entourait et la possibilité de sa perception m'avais mis dans cette situation indélicate. Je connaissais mes lacunes, mais ma plus grande erreur était d'avoir sous-estimé l'homme qui me parlait, à quelques centimètres de mon dos, ayant la totale maîtrise de la situation. Il avait également perçu la présence de Muma, qui ne tarda pas d'arriver, ayant été lire le petit papier que l'homme avait laissé derrière lui avant de sortir de la taverne.

« Maiiiiiitre, attention, l'homme sait que vous..... »

L'insecte se stoppa à la vue de la scène qui se jouait devant lui. Son maître, prédateur de surcroît, venait de se faire attraper par les griffes d'un plus grand chasseur. J'étais devenu proie, j'étais cette souris que je traquais depuis le début. D'un mûdra je vint faire disparaître mon acolyte animal, elle ne m'étais plus d'aucune utilité aujourd'hui. Un coup rapide et puissant, d'une lourdeur rarement vu venait frapper ma nuque, brisant l'apparence féminine que j'avais empruntée pour l'occasion. Mes paupières se fermèrent un instant, je rejoignais les songes.


Mon esprit refaisait surface, ouvrant lentement les yeux, mon regard se posant sur les environs, premier réflexe pour un homme de l'ombre, connaître le lieu. Cependant, la luminosité était faible, simplement éclairée par quelques bougies. Mes iris incandescentes se posèrent un instant sur la danse de la flamme au bout du bâton de cire. Les flammes réchauffaient toujours mon esprit, elle me reconnectait avec mon Dieu. Kagutsuchi-sama était avec moi, il me regardait affronter mon destin dans cette atmosphère pesante.

L'homme me faisait face, n'ayant visiblement pas eu l'intention de me ligoter et encore moins de voir mon véritable visage, puisque mon masque voilait encore mes traits. Je sentais la présence de plusieurs hommes dans mon dos, réagissant aux ordres du balafré, visiblement ses hommes de main. Sans perdre de temps, le prédateur qui me faisait face se présenta. Légèrement surpris par sa facilité à donner son nom, ainsi que son rôle en tant que leader du groupuscule révolutionnaire dont j'avais entendu parler. Il n'avais peur de rien, et se sentait totalement en confiance dans ce lieu où il régnait en alpha.

Une chance dans ma bêtise, je venais de trouver directement le chef de meute. Il allait sûrement pouvoir m'éclairer quant aux attentions et aux objectifs des Hai. J'étais, pour le moment, à sa merci, je me devais de rentrer dans un rôle peu flatteur.

« Excusez-moi Higure-sama, si je vous ai fait perdre votre temps et votre énergie aujourd'hui. J'ai simplement entendu des murmures dans les ruelles de Sakyuu, prononçant à plusieurs reprises le nom de Hai. Il était difficile d'approcher vos sous-fifres, je ne cherchais simplement qu'à comprendre les intentions du groupe, afin de pouvoir, peut-être, y mettre ma pierre à l'édifice. »

J'accompagnais mes paroles en penchant légèrement le buste vers l'avant, comme signe de respect envers celui qui me faisait face. Higure, nous voilà face à face maintenant, dis-moi ce que tu caches.

Un regard perçant, tel un prédateur observant sa proie afin de mieux comprendre ses faiblesses, ses failles. Mon masque gardait une certaine barrière entre moi et la réalité de cet interrogatoire. Mon iris incandescente s'accrochait à la petite flammèche de la bougie, qui flottait au rythme du léger vent s'engouffrant dans la pièce. Peu de lumière, une humidité omniprésente, le léger souffle d'une brise qui caressait l'échine de chacun d'entre nous. Nous étions probablement au sous-sol d'un plus grand bâtiment, ou dans les égouts, ou bien encore dans un endroit caché des prisons du village caché des dunes. Plusieurs hypothèses parcouraient mon cerveau tandis que le félin balafré captait mes faits et gestes avec attention. Aucun mouvement brusque, aucune once d'une éventuelle peur. Je connaissais mon métier, et j'avais été entraîné pour ce genre de situation.

« Prendre les traits d'une femme était une manière pour moi de garder mon anonymat. Comme vous le dites, mes compétences en matière de dissimulation et d'espionnage sont certes mon atout, mais je suis loin d'être le plus doué dans ce village. Si je voulais me rapprocher de vous, cela aurait été embêtant de ramener avec moi l'entièreté des services secrets de Sakyuu qui garde un œil sur moi. »

C'était un léger mensonge, mais qui se perdait dans un flot de vérité. J'avais entendu parler de ces rumeurs, seul, et je comptais bien percer le mystère à jour par mes propres moyens pour l'instant. Car, bien que les murmures rapportaient les soupçons d'une révolte populaire, il était difficile de savoir si cela était vrai, ou si les Hai avaient été fondés sur les fondations d'un objectif plus grand encore. Je ne pouvais me considérer comme leur ennemi, puisque leurs réelles ambitions pourraient peut-être me plaire finalement. Je respectais la hiérarchie, mais lorsque le chef de meute semblait ployer le genou, mon masque pourrait se mettre au service du plus fort.

« Aucune personne en particulier ne m'a parlé de votre groupe. Disons que c'est plutôt une déformation professionnelle. J'ai tendance à laisser traîner mes oreilles lorsque je traverse les ruelles de Sakyuu. Je n'ai entendu que des rumeurs. Les membres de votre groupe ont peut-être tendance à parler un peu plus fort que ce qu'il ne devrait. »

La véracité de mes propos ne faisait aucun doute. Je n'avais jamais mis la main sur un membre particulier du groupuscule, sinon je ne me serais pas aventuré dans cette investigation ayant mené à cet interrogatoire sordide. J'avais recoupé plusieurs informations, entendues plusieurs chuchotement, épluché bon nombre de dossiers ayant des zones d'ombres sur certaines actions au sein du village. Ce qui me taraudait maintenant un peu plus, en ayant trouvé la tête pensante du groupe, c'était de savoir : à quel point le groupe et Higure étaient puissants. Il ne semblait pas s'agir d'une petite rébellion organisée par des simples civils, mais bien d'une organisation secrète plus grande encore.

« Concernant la brume, bien sûr que cela est de mon fait, vos hommes décelant le chakra vous ayant sûrement déjà donné la réponse. Il m'était impossible de trouver qui que ce soit de réel pour proposer mon aide, j'ai joué de mes atouts pour faire bouger un peu la fourmilière. Pardonnez-moi si la manière de faire n'était pas la bonne, mais chacun de vos hommes semble être de simples fantômes, ou de brefs murmures. »

Encore une fois, la vérité entourait ma réponse. Malgré mes compétences et mon accès à certains dossiers cachés du village, je n'arrivais, véritablement pas, à mettre la main sur un quelconque nom, un seul membre pouvant m'amener au cœur de la meute. Il fallait faire bouger les choses, et je ne m'attendais pas à un résultat aussi extrême, mon manque de connaissances sur la puissance de mon adversaire - ou potentiel futur allié - avait joué en ma défaveur.

« Lorsque nous aurons éteint les flammes et étouffé leurs braises, il ne restera que des cendres. »

Je ponctuais mes réponses par cette phrase. C'était ce credo, cette sorte de phrase de ralliement qui m'avait mené sur la piste des Hai. Bien que je ne comprenais pas encore totalement de qui le groupuscule souhaitait éteindre les flammes, je n'en restais pas moins curieux quant à leurs ambitions. Higure comprendrait alors, qu'avec la connaissance de cette phrase, je n'étais pas qu'un simple soldat cherchant à attirer l'attention. Je pouvais lui être utile.

Le temps marquait une pause dans ce pandémonium caché au sein du village caché des dunes. Face à face, moi, le masqué et lui, le balafré. Nos regards tentant de percevoir la profondeur de l'âme de l'ennemi, cherchant à déceler ses faiblesses, à connaître le fond de pensée de chacun. Le clapotis rythmé d'une goutte d'eau terminant sa course contre le sol froid du lieu accompagnait cette scène, figé dans le temps à cet instant précis. Les hommes de main semblaient disparaître de ce tableau où régnait une tension extrême. Pourtant, ils étaient encore bien là, derrière moi, à observer le dérouler du reste de cette conversation.

Le visage du rapace semblait se crisper un instant, les muscles de sa mâchoires marquant un sentiment profond qui venait de le parcourir. Mes yeux étaient mon seul moyen de comprendre la situation, d'observer, de déceler le moindre indice sur ce lieu. Pourtant, je ne pouvais détacher mon regard pourpre de l'homme en face de moi. Il venait à se lever, un sourire animal marquant ses lèvres. Un sourire amical, ou celui d'un tortionnaire tentant de camoufler ses pulsions les plus atroces ? Il posa une question, celle de la signification de cette phrase qui semblait être leur étendard.

« Ces phrases semblent porter leurs intentions sur une quelconque révolte, celle des cendres. Je ne sais réellement quelle flamme vous voulez réprimer. »

Une rébellion, une révolte, un mouvement de contestation, cela semblait évident pour moi, cependant, je ne faisait que dire la vérité en ne connaissant pas la cible de ce groupuscule. Sinon, toute cette scène n'aurait pas lieu d'être, il m'aurait fallu seulement rester dans l'ombre sans provoquer le destin, et ainsi observer les choses se faire pour agir au moment opportun. Mais, j'étais loin de me douter de la phrase qui fut prononcée par la bouche moqueuse d'Higure.

Le temps avait cessé de s'écouler. La goutte d'eau ne rythmait plus les secondes qui défilaient, semblant avoir arrêté sa course en pleine chute. La scène semblait se dérober sous mes yeux, un flou venait embrumer mon esprit, puis bientôt, mon âme semblait quitter la pièce.

« Tuer les carbonistes... Provoquer Kagutsuchi-sama... Tuer Kamui etTatsu... Détruire mon soleil...»

Des pensées venaient combler le vide qu'avait créé l'annonce. Une aura meurtrière semblait jaillir du fond de mes entrailles, mais je la réprimais dans mon for intérieur. À ce moment-là, je le savais plus que n'importe qui, si je voulais sauver mon soleil et protéger mon Dieu des impies, je devais coûte que coûte réprimer cette envie d'égorger mon tortionnaire.

« JE TE TUERAIS HIGURE. »

Une dernière pensée qui venait ponctuer ma communion intérieure, mon esprit et mon âme se rouvrant sur cette scène qui semblait figée. Ma réflexion semblait avoir duré plusieurs minutes dans mon esprit, mais seulement une poignée de secondes s'était véritablement écoulée dans la réalité. Tout venait de prendre un nouveau tournant, il n'était plus question de prendre les agissements des Hai comme une simple révolte populaire. Non, maintenant, c'était une véritable croisade contre mon Dieu et ma religion qui semblait naître dans le cœur de Sakyuu no Sato.

La lame froide venait se poser sur moi, laissant apparaître une petite goutte du liquide écarlate, perlant le long de mon cou. L'ambiance avait radicalement changé, autant du côté du balafré, que de mon côté. La situation demandait le sérieux le plus total et une parfaite maîtrise de mon sang-froid. Pourtant, mes iris incandescentes brûlaient d'un feu intense en pensant à briser la nuque de l'impie.

Les doutes avaient semblé envahir l'esprit du chef de ce groupuscule après mes paroles. Visiblement, le choix des mots avait créé en lui une paranoïa. Compréhensible lorsqu'on est un ennemi de la loi. Il remettait en cause l'ensemble de mon discours, m'accusant d'être suivi par les services secrets du village, en coopération, comme une sorte d'appât afin de débusquer l'animal. J'agissais la plupart du temps en solitaire, et cette mission ne dérogeait pas à la règle. J'avais capté les rumeurs par mon propre biais, je comptais bien régler l'histoire seule. Enfin, tout cela était vrai avant de connaître les revendications de ce groupuscule voulant partir à la chasse aux dévots de Kagutsuchi.

« Je n'ai entendu que de simples rumeurs, il m'était difficile de penser que tout cela serais réel, et que vous soyez aussi puissant au sein même du village. Ne pas couvrir mon chakra était une simple erreur de jugement de ma part, par abus de confiance. »

J'avouais totalement ma faute, celle qui m'avait mise dans cette situation. Pourtant, maintenant que les intentions d'Higure et ses troupes m'avaient été révélées, je voyais cette faute comme une bénédiction. Kagutsuchi-sama m'avait sûrement poussé à l'erreur pour trouver le nid de ses impies, que je devais expier par le feu, en témoignais cette petite bougie que je gardais du coin de l'œil.

Le ton grave, la pression de la lame sur ma gorge se faisait encore plus grande. Puis, comme un coup de tambour dans mon esprit, le balafré me posa un ultimatum. Mon bras et ma dévotion, ou ma vie. La réflexion ne dura qu'un court instant, je ne pouvais mourir aujourd'hui, ni demain, pas avant d'avoir fait brûler les espoirs et les rêves d'Higure. Cependant, j'étais un adepte du Ninjutsu, fervent pratiquant des attaques à distance et des techniques de dissimulation. Avec un bras, et surtout une main en moins, mes talents se verraient fortement impactés. Il me fallait abattre une dernière carte, avant d'accepter la coup du sort.

« Je vous donnes mon bras. Mais si vous souhaitez que je vous rejoigne, c'est parce que vous avez vu mon potentiel, ma capacité de discrétion et celle d'avoir réussi à vous faire sortir de votre antre. Cela m'as été possible seulement grâce à ma maîtrise du Ninjutsu et, de ce fait, l'utilisation de mûdra. Bien que je puisse être discret sans ceux-ci, mes compétences en pâtiront, et de ce fait, mon rôle d'espion à votre service au cœur de l'armée aussi. »

Je relevais lentement ma manche gauche, laissant mon bras à l'air libre. J'acceptais le risque qu'il refuse ma dernière proposition. Cependant, je n'aurais aucune peine à sacrifier mon bras, si c'est pour protéger l'image et les desseins du Dieu du Feu : Ô Kagutsuchi.

La valeur des mots et le poids des conséquences. Voilà ce à quoi je venais de me heurter durant cette nuit sombre. La légère flammèche qui illuminait la pièce humide vacillait un instant... Lorsque mon bras quittais le reste de mon corps, volant lentement au-dessus de moi, comme si le temps c'était de nouveaux ralenti, pour me faire prendre pleine conscience de mes erreurs. Une gerbe de sang venait teinter le sol, le liquide pourpre marquant également mon visage et une partie de mes habits.

La pièce semblait s'assombrir, ou bien étaient-ce mes paupières qui flanchaient légèrement par la perte de sang ? Je ne le savais réellement, la froideur de la lame ayant happé un instant mon moral. Pourtant, il ne me fallut que quelques secondes pour reprendre pleine conscience. La douleur venait saisir l'ancien emplacement de mon bras, puis traversa mon corps. Mes dents se crispaient avec une grande violence, ma mâchoire marquant de ses stries mon visage. Je ne voulais rien lui montrer, ne pas lui faire ce plaisir morbide. Pourtant, la douleur lancinante faisait pencher légèrement mon buste vers l'avant, ma main droite attrapant avec vigueur le rebord du fauteuil sur lequel je me trouvais. Mon regard se raccrochait avec conviction à la petite flammèche de cette bougie, m'empêchant de m'écrouler au sol et de perdre connaissance.

« Kagutsuchi-sama... Accordez-moi la miséricorde, que votre lumière éclaire mon chemin obscurci, que votre flamme embrase mon âme et brûle les impies ! »

Une prière solitaire, dans mon esprit flou, je me raccrochais à la vie par la présence de mon Dieu, je sentais sa présence et sa fougue. J'embraserais le sort qui est le mien pour faire brûler en enfer cet enfoiré de balafré ! Je me relevais doucement sur ma chaise, ma seule main restant véritablement encrée sur le rebord de mon trône d'épine.

J'avais cependant écouté les dires du chef de cette rébellion, ce n'était plus un prédateur sans foi ni loi, mais un simple roi des rats errants dans les égouts du village caché des dunes. Il se prenait pour le chef du village mais il n'était qu'une vermine à exterminer, et je m'en chargerais, l'étouffant de la seule main qu'il me reste.

« Je me nomme, Tenka. »

Ma main droite avait quittée son point d'ancrage, faisant vaciller mon corps un court instant, avant de répondre aux ordres du balafré. Je n'avais pas sacrifié mon bras pour perdre de vue mon objectif dans la seconde qui suivait. Je venais de comprendre une chose importante de par toute cette mise en scène macabre : je devrais prouver par des actes mes bonnes grâces pour Higure. Cela me servirait à gagner sa confiance, à m'approcher de lui, à tromper sa vigilance, même si je dois avoir du sang sur les mains et m'attirer les foudres de certains. Je m'approcherais au plus près de lui, le poignardant de toute part avec l'aide du dieu du feu.

Puis il fit glisser une mallette jusqu'à mes pieds. Visiblement, ma dernière phrase concernant mes capacités en baisse s'il venait à me couper le bras avait quand même eu un certain impact sur lui, puisqu'il m'offrait la possibilité de retrouver la possession de mon membre fantôme. Enfin, du moins, d'une prothèse laissant s'écouler le chakra, bien que je ne savais aucunement comment cela fonctionnait, et que mon esprit était bien trop faible à cet instant précis pour tenter d'y comprendre quoi que ce soit.

Je me relevai de mon siège avec difficulté, arrachant un lambeau de mes vêtements pour faire un garrot à la plaie grande ouverte qui venait d'être créée. Puis je pris la mallette avec moi, titubant jusqu'à la sortie de cet espace sordide, laissant mon ancien bras derrière moi, jonchant dans cette mare de sang. J'avais pris soin de replacer mon masque, je devais rejoindre l'hôpital, coûtes que coûte.

J'avais perdu la première manche de ce jeu religieux qui venait de s'ouvrir à moi. Je venais d'y comprendre les règles, et la partie était encore longue.