Trop de détails. Bizarrement, ceux qui ont à être expliqués ne sont pas là. Contrairement à ce que la majorité de Sakyuu pense, je sais lire. Pis j’sais lire entre les lignes aussi. C’est facile de savoir quand un rapport est mal fait, quand quelqu’un essaie de cacher des informations pour se sauver la face.

Pis je parle même pas du mensonge éhonté qu’il a essayé de sortir à la femme de Tobu, en plus. Des fois, même quand on veut garder des choses secrètes, ça se sait. Ça se sait quand on dit qu’on avait un yokai dans les fesses. Quand ça se rend devant le kage, ou sa fesse droite, ça aussi ça se sait.

Bien sûr il y a plein de choses que je ne peux pas savoir. C’est pas mon travail de tout apprendre, mais c’est mon travail de chipoter. Le trouver m’aura pas pris de temps; le petit est à l’hôpital, pis je connais le bâtiment comme le les deux fonds de ma brassière.

C’est une bâtisse jaunie, vieille pis maganée. Je connais pas mal toutes les salles, parce que si c’est pas moi qui s’y rend pour qu’on me répare, c’est ceux que j’ai absolument détruit et qui avaient besoin d’un peu d’aide pour que Jashin ne vienne pas les chercher.

J’suis rentrée, j’ai vu, pis les mots se sont lancés tous seuls; «lâche de tripoter ta boule mon gars, t’as des questions à répondre pis une convalescence à gérer.» Ça veut s’entraîner au chakra, c’est bin mignon, mais ça va juste le garder dans le lit plus longtemps.

Aussi simple que ça.

Je prends le temps de fermer la porte, pis je regarde vite-fait dehors pour m’assurer qu’il y ait rien pour nous déranger. Je me tire une chaise et je m’installe proche de lui. J’ai les seins contre le dossier et les bras par-dessus.

«Écoute.» J’suis pas Naoko; avec moi il a une chance. J’ai une bonne idée du genre de personne que j’ai devant moi, et je sais qu’il sait plus que ce qu’il veut admettre. «J’ai lu ton rapport. J’comprends, c’était plus que ce à quoi tu t’attendais. Par contre en lisant, ça m’a sauté en pleine face que tu as fait exprès d’oublier des bouts.»

J’lui laisse une seconde pour se réajuster s’il veut se mettre confortable, pis je continue; «j’va pas te dire ça pour te convaincre, pis c’est pas un vrai interrogatoire okay? J’veux que tu le sache.» Pis c’est là que ça commence, pour vrai.

«La première chose que je veux savoir, c’est qu’est-ce qui t’a sauvé la vie dans le trou.» J’suis pas conne; on sait le genre d’éléments qu’on a dans notre armée, pis un p’tit gars qui se tripote avec ses invocations renard en se jouant après le chakra, c’est pas commun mais ça se sait. C’est pas ça qui l’a aidé. C’est pas ça qui aurait fait en sorte qu’il revienne en vie; clairement pas.

«J’y ai pensé, pour vrai. La seule chose que je me suis dit, c’est que tu veux cacher quelque chose. J’en sais déjà beaucoup, pis c’est pas mon travail que tu sois dans la marde. Si tu veux que je promette que rien ne sorte d’ici, j’peux le faire. Si tu caches un gros secret à ton village, ça peut nous gangrèner pis poser bin des problèmes. J’veux savoir c’est quoi.»

La main ne s’est pas rendue dans mes cheveux, et le front ne s’est pas approché du mien plus qu’il ne le fallait. J’ai assez de force pour briser des murs; des doigts, ce n’est absolument rien pour moi. Un crâne non plus. «Rassis-toi. C’est beau les compliments, mais pas là.»

C’est simple, il ne veut pas. C’est correcte.

J’suis pas un monstre, quand même. J’espère qu’il aura bien appris qu’on ne touche pas à ses supérieurs comme ça. N’importe qui d’autre, ça aurait été fini. «Tu me connais pas, mais tu me r’garde depuis longtemps; branche-toi pis dis moins de niaiseries.» Ça se voit dans ma face, cette façon d’agir ne fonctionne pas. Ça veut pas coller, j’ai pas cette corde-là de sensible.

«Dis-moi pas plus de menteries. Si les questions sont posées, alors dis la vérité.» C’est clair que je cite ce que Hono a dit. Qu’il le sache; je sais qu’il est en train de me niaiser. «C’est ça, ton ordre.» S’il ne s’est pas assis de lui-même, j’pense que ça devrait venir. Sa situation n’est pas un jeu, il perd son temps à essayer de se sortir de quelque chose qui ne lui poserait même pas de problème.

J’suis venue préparée; je lui ai dit, je sais beaucoup de choses.

«Naoko, c’est Naoko. C’est pas la pire, pis c’est pas la meilleure. Elle se l’est faite dire; elle a pas besoin de s’en mêler encore une fois, pis j’suis certain qu’elle veut pas.» Mais tant qu’on est là, moi je peux.

«Bin écoute; quel sujet? J’le connais déjà, donc rendu là, tu peux me dire ce que tu as vu dans le trou. C’est sorti de toi?» Une supposition sauvage, mais je suis pas mal certaine de tomber dans le mille. «Fais-moi confiance ou fais-moi pas confiance; c’est toi qui décide ça. Tu fais partie de l’armée, comme tout le monde. Si tu es honnête, t’as pas de risques. C’est des rapports comme ça qui peuvent te mettre dans la marde.»

C’est pour ça que je suis ici. Je lui parle pas comme ça pour le reprendre, pour le menacer ou pour jouer sur les sentiments qu'il a sûrement pas. Je lui parle comme ça parce qu'il le veuille ou non, je suis sa mentor. S'il veut me sortir de l'agressivité, se rouler dans sa couvertures de mots tricotés à l'envers, il peut bien. Ça sert à rien.

«Si tu as peur à ce point-là, c’est que tu caches dequoi. J’veux pas te dire que tu penses pas vite-vite, mais si on ment pas on a pas besoin de se souvenir des mensonges qu’on a dit. Si t’es capable de me le dire, écoute j’vais jouer franc-jeu avec toi.»

Une pause. Quelques mots, puis c’est tout. «Si tu me dis ce que tu as à me dire, tu sors d’ici sans trouble. Si tu me le dis pas, ça se peut que tu te fasses emprisonner jusqu’à ce que tu le dises. J’suis pas si méchante que les gens pensent, comme t’as dit; les gens de mon armée sont importants pour moi, pis t’en fais parti. J’peux pas aider quelqu’un qui s’enfonce dans un trou et qui lève pas la main, tu comprends-tu?»

J’arrête son niaisage, drête-là. «Écoute. C’tait une façon de te dire d’arrêter de dire des niaiseries. Si tu veux complimenter pis flatter à tour de bras, tu peux», je hausse les épaules, «mais c’est courir après les problèmes. Tu peux me r’garder pis penser c’que tu veux, mais rends ça moins bizarre pis dis-le pas quand j’suis là pour travailler.»

J’suis gentille avec, j’lui donne les conseils qui vont lui éviter un jour de se faire casser l’nez. Par moi, par Naoko, par n’importe qui vraiment. S’il décide d’insister pis de revenir là-dessus, par contre, cette fois-là je ne le laisserai pas rembarquer. On parle pas de mes obus aujourd’hui, on parle de comment éviter que son rapport lui fasse avoir un tête à tête romantique avec Kurefutagaru Dakou. Même moi, j’aime ça dur, mais j’ai mes limites. Son nom veut dire Désespoir ou dequoi demême; je l’ai jamais vu, pis je veux pas le voir.

Parce que moi, j’veux vivre.

J’prends quand même le temps de l’écouter; j’connais rien à la vie de moine, pis encore moins aux tortures qu’on fait passer pour un exorcisme, mais… j’pense que Shingen a plus été un enfant battu qu’un moine pendant un morceau de sa vie.

Sachant ça, je veux lui éviter le pire; j’ai jamais vu Dakou, mais j’en ai entendu parler. Il se tient en face de toi, tu ressens la mort pis tu te pisses dessus. Il parle, il fait peur. Il marche, il fait peur. Y’en a, on dit, ils l’ont vu rentrer dans la salle d’interrogation et ils ont avoué avant même que ça commence.

«Ça t’arrivera plus. Ce que moi je sais, ce que l’armée sait, pis ce que ton temple sait, c’est trois choses différentes; tu restes un de mes subordonnés, j’peux te garantir qu’on te tapera pas dessus.» C’est pas deux ou trois hommes en robes qui vont mettre la main dessus encore une fois.

À part ça, à voir sa face je suis tombé sur le gros lot. C’était pas dur en même temps; il a parlé de Yokai dans sa tête à Hono pis à Naoko, pis là il a fait exprès de ne pas en parler. Il m’avait arrêté avant que je reprenne, c’est correcte; il répond pis il accepte de m’en dire plus.

Un chat. De kessé?

«Okay…»

… Pis après?

Il me regarde, j’arrive pas à savoir s’il essaie devoir si je sais quelque chose, mais honnêtement ça me dit rien. «Non, pas besoin de compliments; j’comprends que tu veux pas en parler, mais faut je sache. C’est-tu le chat qui t’a sauvé? Est-ce qu’il a fait quelque chose de spécial?»

Peut-être que c’est le chat qui l’a aidé à sortir du trou, je sais pas. Au moins, avec ça, j’aurai une chance d’expliquer les zones grises de son rapport; le fait est que son ami est mort, qu’on a pas le corps, pis qu’on sait pas. Non seulement ça, mais un ver des sables ne l’aurait pas laissé en vie, encore moins s’il était à moitié parti dans sa tête; ça se peut juste pas qu’il ait survécu tout seul.

Si Shingen est en train de me parler aujourd’hui, s’parce que quelque chose ou quelqu’un là aidé, pis c’est certainement pas les deux autres.

C’est rare. C’est rare en esti.

Il se regarde pis il se fait mal. J’ai une larme à l’oeil en repensant à quand mon frère est mort. Pis quand ma sœur est morte, aussi. Ça fait mal. J’suis pas un monstre, tsé, j’comprends ce que ça fait de tuer, pis de mourir. J’suis déjà morte en-dedans.

«C’est correcte. Je sais que ça fait mal.» Un de mes poignets essuie ma face pis mes yeux. L’autre main vient attraper la sienne; fais-toi pas mal demême. J’aurais ri que ses croyances lui ont pété au visage. Ça aurait été vraiment drôle, c’est vraiment drôle.

Mais là, je ris pas.

Je suis un monstre, une bête de guerre et de bataille. C’est vrai. J’en ai tué des gens, des choses, c’est vrai. J’t’encore humaine; je ris des enfants qui braillent parce qu’ils se pètent les dents d’en avant sur un mur de grès, tout le temps. Par contre, c’est pas moi de rire quand un gars déjà tout seul perd son meilleur ami, pis se fait décalisser le peu de spiritualité qui lui donnait la chance de croire en quelque chose de mieux.

C’est quelqu’un comme moé, pis je sais que c’est pas drôle.

«C’est compris. L’important, c’est que t’es encore là pour le dire. On t’a donné une autre chance; j’crois pas vraiment en la religion pis toutes les bebelles spirituelles qui viennent avec, okay, mais t’as la chance d’être là aujourd’hui.»

C’est des leçons de vie qu’il a apprit; s’il était pas revenu, y’en aurait pas eu. «Quand ça ira mieux, je veux que tu penses à ta place dans l’armée, pis dans ton temple. J’dis pas ça pour que tu fasses un choix, hein. Ça sert à rien de mentir, pis ça sert à rien de tout risquer. J’ai fait plein de conneries dans ma vie, je sais que des fois ça arrive. Rappelle-toi juste, quand tu vas repenser à Muzan, que tu vis pour deux personnes maintenant.»

Il est capable d’être fort; des fois, il faut être une loque pis accepter ses émotions pour que ça passe, pis pour que la force s’en vienne. S’il a besoin de brailler, j’va être là pour lui, parce que plus personne n’est là pour moi.

J’ai aucune idée si Shingen pourra retrouver ce qu’il cherche, mais je le crois. J’ai assez entendue de ouïe-dires pis de niaisage à son sujet à propos de son état religieux pis de sa tête. J’en ai entendue des choses, j’ai une bonne idée de quel genre de personne il était avant de le voir aujourd’hui.

J’suis pas la mieux placée parce que je reste une crisse de folle qui aime casser des briques avec ses petits orteils, mais j’arrive à le croire, il a pas l’air perdu pis en psychose comme ce qui se disait avant. J’parle à un être humain, pas à un genre de prêtre ou à un possédé, pis ça je le vois.

Il pleure, il admet, il dit des choses.

Ce qui s’est passé est très bien compris, autant par moi que par lui. Je sais ce qui est arrivé, et il sait les responsabilités qui viennent avec ce qu’il s’est passé. Je calle sa tête contre mon épaule, dans mes cheveux. S’il a besoin de brailler, c’est le temps. Moi aussi j’ai passé les derniers mois à brailler.

J’peux pas le rassurer; j’suis Otohime, c’est pas ça que je fais. J’peux le tenir fort, qu’il sache qu’il est pas tout seul, mais choisir les bons mots qui font du bien j’ai jamais réussi. «C’est correcte… Prends le temps qu’il faut pour t’arranger, refais ton rapport, pis après, prends un peu de temps pis va voir à Toge. C’est pas une mission, c’est vraiment juste pour toi, pour que tu puisses tourner la page sur toute ça.»

C’est la meilleure idée que je peux lui donner; «c’est pas mal sure que le bureau de recherche a de quoi à dire là-dessus, c’est la meilleure place pour que tu puisses apprendre des affaires sur ton chat.»

Peut-être que je sonne détachée, mais c’est le mieux que je peux faire. «Ça va te donner une direction pis de quoi penser à autre chose. Pour l’instant, laisse faire le temple.» Le temple lui sert à rien; s’il a passé son temps à se faire battre pis toute, c’est que sa religion ne le respecte même pas.

«J’pense que c’est mieux pour toi de laisser faire le temple complètement. C’est juste bon à te faire plus mal, ça t’apporte rien de bon, pis c’est pas parce que tu pries pas entre quatre murs que ta prière est pas entendue, t’sais.»

Après c’est p’t’être moi qui comprends rien pis qui est conne aussi; j’ai rien contre les religieux, mais j’ai pas le temps pour la religion.