Il avait été difficile pour tout membre du Bureau d'Etude présent au rez-de-chaussée ou même au premier étage, de ne pas être interpelé par l'irruption fracassante de nouveau visiteur accompagné de son Kaminotsukai. Si certains avaient pu seulement l'entendre déclamer son identité, d'autres avaient potentiellement pu l'observer faire son entrée accompagnée de cet imposant renard aux couleurs bleutés. Une situation qui en elle-même, pouvait intriguer Byakuren, sorti de son bureau afin de constater de ses propres yeux l'origine de ce soudain chahut. Si Toge était plus tolérant à l'endroit des Yôkais, ce genre de scènes restaient malgré tout peu répandues. Ce qui retenait principalement son attention, était en revanche tout autre : le jeune homme souhaitait voir immédiatement Shizuka, se présentant comme son petit frère. Des propos qui ne pouvaient sous-entendre qu'une chose : cet homme n'était autre qu'Usui Shingen, dont sa sœur avait pu lui parler, et qu'il avait lui-même rencontré lors de son affectation au Temple du Soleil.

Une coïncidence qui ne manqua point de le plonger dans quelques réminiscences, lui qui se souvenait du traitement hostile que cet enfant recueilli par le Sanctuaire, avait parfois dû endurer de par les rumeurs de possession auxquelles il était en proie. Un cas des plus intriguants, en ce que l'adolescent prétendait originellement entendre des voix. Une condition que le prince considérait probablement réelle, quand bien même ne connaissait-il point suffisamment celui qui devint quelques années plus tard Souhei d'Inari, afin de se forger une opinion plus aboutie. Folie, ou bien possession : après tout, aucune de ces raisons ne justifiait ce qu'avait parfois pu endurer le futur moine. Celui-ci semblait aujourd'hui paniqué et des plus affolés, demandant également s'il pouvait voir Kirei et Meiyo. Des paroles qui attristèrent le prêtre d'Amaterasu, conscient de leur récente disparition. De toute évidence, ce n'était certainement pas le bon moment afin d'aller aborder le Sakyuujin, si bien qu'il avait ainsi attendu qu'il ne termine son entrevue avec sa sœur, guettant le moment opportun en usant de sa Sensorialité.



Abordant naturellement son vis-à-vis tandis que celui se dirigeait vers l'escalier, afin de regagner le hall principal et quitter les lieux, Byakuren poursuivit d'un ton avenant.



Une présentation qui très souvent, faisait son effet auprès des personnes parvenant à l'identifier avec succès.

Avant d'apprendre de Shizuka que Shingen n'était autre que son frère, jamais le prince n'avait-il également imaginé qu'il recroiserait ce jeune homme de sitôt, bien qu'il n'excluait nullement de le revoir un jour, la prochaine fois où il comptait se rendre au Temple du Soleil. Du point de vue du Sakyuujin en revanche, la situation était quelque peu différente, et son étonnement d'autant plus légitime. Outre ces retrouvailles en elles-mêmes, qui décrochaient un sourire aux lèvres de Byakuren, la remarque de son interlocuteur illumina davantage son fasciés, tentant de se montrer rassurant en dépit des circonstances difficiles que tout le monde semblait actuellement traverser.



Le Souhei d'Inari exposa également la manière dont il avait retrouvé sa propre sœur, et se souciait de la présentabilité qu'il pouvait renvoyer du fait de la tenue qu'il arborait. Il ne faisait aucun doute que le Byakuren adolescent, l'aurait certainement jugé silencieusement pour se vêtir en public de la sorte, alors qu'il disposait des moyens de se parer de vêtements acceptables. Le prêtre d'Amaterasu qui se tenait aujourd'hui devant lui était toutefois devenu beaucoup moins superficiel, quand bien même continuait-il à valoriser le raffinement et l'esthétisme. D'autant plus que Shingen avait visiblement ses raisons, évoquant une convalescence qui ne manqua point d'intriguer l'illusionniste. Il fit enfin mention de l'un de ses amis décédés, un certain Muzan, ayant péri face à un Ver des Sables, sans qu'il n'ait pu être sauvé par son camarade. Des propos qui suscitaient davantage de sérieux et de gravité sur l'expression renvoyée par le prince.



Invitant son visiteur à le suivre, le tandem arpentait ainsi le couloir menant jusqu'à l'office du Jounin, ce dernier invitant alors Shingen à s'installer sur l'une des chaises faisant face au luxueux bureau de bois sculpté, servant de table de travail.

Les mots du Skayuujin avaient éphémèrement plongé le prince dans une forme d'introspection. Il se demandait dès lors si la lignée l'ayant vu naître, déchue depuis la tentative de coup d'Etat de Minamoto Saga, avait contribué à le rendre moins corrompu que l'ensemble des autres nobles. Dans d'autres conditions, peut-être que lui aussi, aurait sombré dans l'oisiveté et l'abus de son statut. Une pensée qu'il n'appréciait guère, mais qu'il ne pouvait balayer d'un simple revers de main. Dans leur malheur, sa sœur et lui avaient eu la chance de ne point dériver comme la plupart de leurs homologues, mais si son altruisme restait réel, il était malgré tout ancré dans des considérations plus ou moins égoïstes. Après tout, son désir personnel d'Harmonie, de Justice et de Connaissance, en constituait les fondements ; et s'il était reconnaissant envers les personnes qui disaient l'admirer, il s'interrogeait parfois sur son propre mérite.



Mis au courant par Shizuka de la disparition de Meiyo et Kirei, le Souhei d'Inari proposait ainsi son aide, afin d'aider à les retrouver. Comme en attestait l'imposant renard bleuté qui l'accompagnait, il avait conclu un pacte avec les Kitsune, ce qui n'était peut-être pas une coïncidence avec la divinité à laquelle il avait choisi de se dévouer. Des Kaminotsukai qui se distinguaient bien souvent par leur exceptionnel odorat, permettant de flairer la piste de personnes disparues. Byakuren observait alors les joues de son interlocuteur rosir, lui faisant soupçonner l'existence chez celui-ci d'un intérêt romantique envers l'un des deux individus dont il était question. Probablement la jeune femme Kitsunetsuki.  



Une situation pour le moins énigmatique, qui méritait selon lui une investigation plus poussée, en ce qu'une telle disparition n'avait rien de normal. Malheureusement, de nombreux problèmes menaçaient d'ores-et-déjà Toge ainsi qu'Onogoro, si bien que les autorités ne pouvaient se permettre de se focaliser sur le destin de deux Genins, aussi appréciés puissent-ils avoir été. Pourtant, Byakuren avait la conviction que nul ne pouvait se volatiliser de la sorte, sans le concours de mystérieuses raisons qui restaient encore à élucider, et qui recélaient potentiellement des réponses ou des informations fondamentales. Le récit de son invité, était pour sa part tout aussi peu réjouissant. Acquiesçant de la tête, lorsqu'il lui demandait s'il connaissait le fourmillon, il comprenait que Shingen ainsi que son ami avaient été emportés au cœur d'un nid de Vers des Sables, où Muzan avait donc perdu la vie.

Le jeune prince était bien conscient qu'il n'avait probablement point emprunté la voie la plus aisée, au regard des autres sentiers qui s'étaient présentés à lui du fait de sa noble ascendance. Pour autant, il n'avait jamais réellement eu l'impression d'avoir dû faire un choix particulier, mais plutôt que son évolution et sa décision de suivre ce chemin s'était imposées d'elles-mêmes. Une forme de déterminisme qui venait quelque peu tempérer ce courage d'avoir choisi de mettre son prestige et ses talents en tant qu'utilisateur de chakra au service du bien commun. S'il n'appréciait guère la lignée des Yamato, son jugement envers Daichi était d'ailleurs relativement différent, et sûrement que lui aussi, s'était retrouvé dans des circonstances similaires l'ayant poussé à faire carrière au sein de l'armée. A moins qu'il ne préparait cyniquement la succession de son oncle, en faisant ses gammes en tant que dirigeant de Toge, avant d'hériter de la gouvernance d'Onogoro.



Une habitude qui s'était quelque peu tempérée, au cours du long pèlerinage que les jumeaux avaient entrepris ces dernières années. Après tout, les populations les plus reculées ne pouvaient connaître leur identité, qu'ils s'abstenaient parfois de décliner. Depuis leur retour à Toge, le phénomène s'était naturellement ravivé. Si la situation ne s'était encore guère présentée, le jeune frère ne savait néanmoins comment il réagirait, dans l'éventualité où un tel intérêt émanerait cette fois de son aînée. Une pensée qu'il préférait proscrire de sa psyché, davantage tournée vers leur précieux lien éthéré.

La tristesse de Shingen était alors aisément perceptible sur son visage, expression pour laquelle il s'excusa, et dont son noble interlocuteur ne lui tenait aucunement rigueur. Lui-même, ressentait une certaine forme de culpabilité, en ce qu'il était celui qui avait incité le jeune Mahayana Kirei et sa famille, à rejoindre le Haut Temple de la Création. Si jusqu'à présent, il croyait avoir amélioré le sort d'un jeune adolescent et de son foyer, en le repérant dans les montagnes de Seizan, sa disparition récente lui laissait un goût amer, se demandant quelle était sa propre part de responsabilité. Il n'avait donc aucun mal à comprendre ce que ressentait le Sakyuujin, pensant lui aussi avoir failli au regard des deux prêtres de Tsukuyomi. Lui adressant un sourire de réconfort, appuyé d'un geste de la tête, il lui signifiait ainsi qu'il n'avait point à s'excuser.

Puis il développa sur ce que Byakuren interpréta comme l'origine de ces fameuses voix, dont Shingen était jusqu'à présent victime. Selon lui, il y avait bel et bien une chose en lui, qu'il avait a priori perdue. Une évolution qui le laissait dorénavant désemparé, affirmant qu'il avait jusque là construit l'ensemble de son existence autour d'un mensonge aujourd'hui révolu. Demandant au Souhei d'Amaterasu quelle serait sa conduite dans de telles circonstances, il invoqua alors l'un de ses renards. Haussant tout d'abord le sourcil face à l'entrée en scène pour le moins singulière du Kaminotsukai, dont les salutations méconnaissaient l'étiquette, le fasciés du prêtre d'Amaterasu s'adoucit en quelques instants, appréciant cet entrain des plus soudains et ce zeste de bonne humeur agrémentant une discussion au sujet devenu plus solennel.



Le prince marqua une brève interruption, se replongeant dans son propre esprit, avant de finalement poursuivre.

Sans doute que le destin si particulier des jumeaux, leur avait octroyé l'opportunité de se différencier d'une bonne partie de leurs homologues aristocrates. Elevés dans le rejet des élites corrompues à la solde des Yamato et de leurs intérêts égoïstes, puis ayant suivi une formation ecclésiastique au Haut Temple de la Création, ils avaient été à même de développer une vision bien différente de celle des autres nobles. C'est pourquoi les propos de Shingen emplissait le jeune prince d'une grande reconnaissance, heureux d'être perçu différemment que la plupart de ses homologues. S'il ne connaissait pas le patriarche Usui, il avait toutefois entendu de nombreuses rumeurs, ainsi que les témoignages de Shizuka, lui permettant sans mal de l'ériger parmi ces individus malfaisants jouissant de leur statut et de leur pouvoir au mépris des autres.



La Kaminotsukai avait pour sa part commencé à invectiver le prêtre d'Amaterasu, au nom de laquelle son invocateur s'excusait pour l'attitude qu'elle manifestait. Une situation qui n'entraîna nul commentaire de la part du maître des lieux, se contentant d'observer les interactions entre la renarde er son invité d'un air affable, mais reflétant également sa concentration. Si ces échanges étaient plus chaotiques, l'idée d'une invocation humaine afin d'expliquer la disparition de Meiyo et Kirei n'en restait pas moins intéressante, quand bien même semblait-elle difficilement explicable, voire impossible en pratique. Un constat qui ne décevait pas que le Sakyuujin, en ce que si une telle perspective était avérée, peut-être que les deux Genins ne s'étaient pas simplement volatilisés, et qu'ils pouvaient être retrouvés.



Byakuren écoutait alors le récit de son interlocuteur avec attention. Bien des réponses à sa mystérieuse situation et aux voix qu'il disait entendre venaient d'être évoquées, mais de nouvelles interrogations avaient frayé leur chemin dans le cœur du prêtre d'Inari. Privé de ses repères habituels, sa réaction et ses doutes étaient on ne peut plus naturels. Une situation qui malgré tout, n'était peut-être point aussi fatidique que ce qu'il ne pouvait que redouter, en l'absence d'un point de vue extérieur potentiellement plus nuancé.

La formulation de Shingen au regard de sa sœur interpella quelque peu le jeune prince, préférant employer des termes insistant davantage sur sa singularité et la manière dont elle ressortait du lot. Il était vrai que la première rencontre du jeune frère avec son aînée, ne s'était point déroulée sous les meilleures auspices, bien que Byakuren ne détenait que la version de Shizuka à ce sujet. Suite a la disparition de ses proches amis, il l'avait lui-même trouvée dans un état d'esprit des plus délicats, tout en ayant eu vent de rumeurs lui prêtant des sauts d'humeur et exposant une facette plus sombre de la jeune femme ; par ailleurs réputée pour son expertise des poisons. Pourtant, elle s'était toujours distinguée par son raffinement, son affabilité voire sa sollicitude. Finalement, le Sakyuujin lui-même semblait abonder en ce sens, louant la bonté et l'éventuel sacrifice dont sa sœur avait pu faire preuve pour lui, cherchant aujourd'hui à lui rendre la pareille.



Sans le savoir, le Souhei avait anticipé la question que son interlocuteur souhaitait lui poser. De son père, il ne connaissait principalement que cet abject portrait, qui dans les faits, semblait tristement se vérifier. Une nouvelle dérive des privilèges de la noblesse, autorisée par la complaisance de la branche Yamato, ne se souciant que de préserver ses soutiens politiques afin de se maintenir au pouvoir, au lieu de se préoccuper du sort de ces enfants. A l'instar de ceux que Meiyo et Kirei avaient pu retrouver au cœur de la Forêt des Orties, peu avant leur étrange disparition. Comme l'évoquait Shingen, ils pouvaient être désormais n'importe où sur Onogoro - si tant est qu'ils étaient encore en vie. Les mots qu'il venait d'employer, interpellaient de nouveau le Jounin, en ce qu'il était vrai qu'un rituel d'invocation pouvait s'assimiler à une manipulation de l'espace-temps.



Visiblement, le Souhei d'Inari regrettait profondément le comportement qu'avait été le sien, encouragé par cet esprit dont il était jusqu'à présent l'hôte. Il confessait sans retenue qu'il avait transgressé les Cinq Préceptes à plusieurs reprises, et rétrospectivement, condamné ses agissements passés. Une prise de conscience qui était peut-être pour le mieux, tandis qu'il s'estimait indigne d'assurer la gestion du fameux sanctuaire dans de telles conditions.

Loin de connaître toute l'étendue de la facette plus obscure de Shizuka, le prince avait malgré tout pu constater quelques indices à son sujet. Les déclarations de son propre frère, qui selon ses mots, espérait pouvoir la faire rester dans la lumière, alimentaient encore davantage cette possibilité d'un visage de la prêtresse, qu'il n'avait encore lui-même directement observé de ses propres yeux. Cependant, il s'agissait peut-être d'une raison nécessitant d'autant plus de la soutenir et de l'accompagner dans cette phase difficile, où elle était d'autant plus susceptible de s'enfoncer dans des travers qu'elle avait malgré tout laissés entrevoir. Le jugement et le rejet, ne pouvaient que favoriser son glissement vers une obscurité d'autant plus marquée. Elle restait par ailleurs la seule véritable famille du Sakyuujin, dont les motivations et le dévouement à la soutenir avaient l'air sincères.



Des propos qui faisaient directement le lien avec les révélations du Souhei d'Inari, qui nourrissait visiblement d'autres inquiétudes. A commencer par son affectation à Sakyuu, qui compliquait en pratique toute forme d'aide ou d'assistance qu'il pouvait porter à sa sœur. Sans aucun doute, résider dans un autre village caché n'était point l'idéal afin de se montrer disponible, et cette situation ne rappelait que trop bien à Byakuren l'ordalie que fut la sienne, lorsqu'il fut lui-même séparé de sa jumelle.



Une demande de transfert qui coïncidait avec les appréhensions de Shingen, concernant sa prise de fonctions au Sanctuaire d'Inari. Si le prêtre d'Amaterasu était convaincu que cette évolution faisait justement de son interlocuteur en quête de rédemption, la personne idéale afin d'assurer cette charge, il ne pouvait balayer d'un revers de main les éléments qu'il venait de soulever. Les rumeurs dont il faisait objet, pouvait clairement se répercuter sur la réputation de ce nouveau site religieux, qui s'en retrouverait alors dès le départ compromise. Une réalité exaspérante, avec laquelle il était nécessaire de composer, tant que des réformes significatives ne seraient guère mises en œuvre afin d'améliorer le sort des populations et faire évoluer les mentalités les plus conservatrices et rétrogrades. Un diagnostic qui provoquait un léger soupir chez l'impérial, quand bien même cet état de fait constituait une raison supplémentaire  justifiant une mutation des Sables vers l'Epine.

Malgré sa motivation, Shingen n'était point exempt de doutes. Néanmoins, peut-être que sa détermination en dépit de ces derniers, attestait du fait qu'il était réellement prêt à changer, ainsi qu'à soutenir sa sœur. Dans sa position, il était bien naturel d'éprouver certaines réserves, à défaut d'une hésitation. Non seulement avait-il perdu cette entité qui lui servait plus ou moins de guide, mais ses premières interactions avec Shizuka ne s'étaient guère déroulées sous les meilleurs auspices. Il était vrai qu'ils ne se connaissaient encore que peu, mais il s'agissait également d'une opportunité inespérée de rectifier la trajectoire de leur relation. A ce titre, le prince pouvait certainement jouer un rôle, en encourageant le Sakyuujin, et en faisant éventuellement office de médiateur si nécessaire. Le jeune homme lui paraissait sincère, et il pouvait directement l'aider en faisant part à la prêtresse de toutes les choses positives que son jeune frère venait de confier envers elle.



Alors que la conversation se poursuivait, le Souhei d'Inari exposait de nouvelles révélations des plus intrigantes, quand bien même n'avait-il point donné davantage de détails. Selon lui, son Kage lui avait ainsi confié une tâche toute particulière et délicate, à laquelle il avait apparemment déjà échoué. Il se demandait dès lors si l'accomplir était de nature à accroître ses chances de voir sa demande de transfert aboutir, perspective à laquelle concourait Byakuren. D'après Shingen, il n'était que peu apprécié de la hiérarchie de son village, ou plus précisément de l'épouse d'Hashikure Tobu, ce qui lui faisait craindre qu'elle puisse lui mettre des bâtons dans les roues. Une situation à double tranchant, qui pouvait également s'avérer positive, comme son interlocuteur semblait lui aussi l'envisager, non sans une pointe de dépit. Avant toute chose, le prêtre d'Amaterasu ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur les objectifs de cette mystérieuse mission.



Développant au sujet de la femme du Sakyuukage, le jeune homme dressait un portrait terriblement pragmatique de la kunoichi, qui n'était en fin de compte nullement surprenant. Plus l'on occupait une position élevée au sein d'un village caché, plus il était parfois nécessaire de faire preuve d'un réalisme plus calculé, afin de préserver les intérêts plus généraux. Quitte à devoir le faire au mépris de la vérité. Un état de fait qui ne réjouissait jamais l'impérial, mais qu'il ne pouvait pour autant rejeter ou critiquer. Dans tous les cas, la manière dont avait été gérée la situation de Shingen risquait désormais de se retourner contre l'ensemble des intervenants, ainsi que le Sanctuaire.

Un léger soupir franchissait les lèvres du prince. Une réaction qui n'était guère liée à un sentiment de frustration ou d'exaspération, mais exprimant sa compréhension de la délicate situation de Shingen ; voire même sa compassion, au regard de ces affaires de mariage qu'il ne connaissait que trop bien. Une difficulté parmi d'autres, la principale concernant les attentes que Shizuka pouvait avoir de lui, et la manière dont ils pouvaient bâtir un lien après avoir été si longtemps séparés, tout en n'étant guère partis du bon pied. Après tout, si cet esprit-chat n'était pas la seule raison ayant provoqué les frictions qu'ils pouvaient entretenir, c'est que le Sakyuujin devait également assumer sa part de responsabilité propre, et évoluer en conséquence de manière à réparer les erreurs qu'il avait jadis commises.



Le prince comprenait sans mal que son interlocuteur ne pouvait dévoiler l'ensemble des détails relatifs à cette tâche. Son récit permettait toutefois d'en apprendre suffisamment, afin de se faire une vague idée de la situation. Des évènements qui ne manquaient point d'interloquer le Jounin, se demandant pour quelles raisons le Sakyuukage chercherait à financer officieusement une sorte de chasse aux Yôkais. Les motifs étaient certainement nombreux, rendant cette mission plutôt énigmatique. Du côté du Souhei d'Inari, il s'avérait bien plus facile de comprendre sa participation à cette entreprise : non seulement était-il délicat de décliner une proposition émanant directement du dirigeant du village, et il s'agissait là d'une opportunité de dompter un Yôkai sur laquelle il aurait été dommage de passer ; si tant est qu'il était prêt à mettre sa vie en jeu.



Outre le secret de polichinelle inhérent à cet esprit-chat auquel il était en proie, Shingen ne détenait a priori pas d'informations confidentielles qui ne devaient guère tomber entre les mains d'un autre village. Dans le cas contraire, la situation se serait sûrement révélée problématique, non seulement pour lui-même, mais également pour Toge, en ce qu'il aurait été très embêtant d'apprendre que Sakyuu souhaitait cacher des informations à ses alliés. Certes, personne n'était dupe, et chaque village dissimulait certains dossiers. Mais si un Chuunin ne pouvait être transféré au risque de trop parler, voilà qui serait peu rassurant au regard de tout le reste que les Sables pouvaient cacher.

Selon toute vraisemblance, Shizuka avait non seulement envisagé l'idée de marier son jeune frère, mais disposait déjà de certaines pistes, en ce que ce dernier faisait mention d'une alliance avec le clan Watari. Il était probable que leur nom ait été évoqué au cours de leur conversation, mais connaissant la prêtresse, elle avait certainement réfléchi et mûri cette idée bien en amont, en tentant d'entrevoir les manières dont son cadet pouvait au mieux réparer ses erreurs passées, ainsi que la réputation de leur clan ; et par extension, la leur. Hanami et Eilin étaient effectivement en quête d'un époux noble satisfaisant à leurs standards, et Shingen correspondait assurément à leur recherche. Ce dernier était ainsi dépassé par cette situation à laquelle il ne pouvait être préparé, et d'autant plus délicate qu'il éprouvait d'ores-et-déjà des sentiments pour quelqu'un d'autre.



Décidemment, le village de Sakyuu, ses habitants et son Kage étaient des plus atypiques. Inciter ses soldats à s'entraîner dans le désert, face à des Yôkais, apparaissait comme le meilleur moyen de les envoyer à la mort. Certes, toutes les créatures ne se distinguaient heureusement point par une dangerosité similaire à celle d'un Wendigo ou d'un Oni, mais le risque restait malgré tout élevé. D'un autre côté, on ne pouvait nier qu'il s'agissait de la solution la plus radicale afin de préparer les soldats aux menaces de demain, en les faisant se confronter directement à ce genre de confrontations. Un test restant malgré tout étrange, tandis que l'idée d'être sanctionné pour avoir dompté un Yôkai plutôt que de le vaincre, dépitait légèrement Byakuren.



Aux yeux du prince, les agissements de Shingen ne s'apparentaient nullement à une forme de traîtrise envers son village. Il s'agissait plutôt de concours de circonstances, combinés à des choix maladroits ou inadaptés, parfois liés à l'influence d'un esprit-Yôkai aujourd'hui hors du tableau. Sans compter la rigidité naturelle des autorités, et leur méfiance accrue dès que cette thématique était posée sur la table. Une accumulation qui comme le disait le Sakyuujin lui-même, ne lui valait guère les faveurs de sa hiérarchie.

Ce père peu recommandable avait indirectement participé à l'abandon de son propre fils. A quel moment s'était-il manifesté, afin de venir le chercher à Sakyuu ? Le croyait-il mort-né sans se donner la peine de vérifier ? Chacune de ces hypothèses correspondait au piètre portrait que le prince avait pu entendre d'Usui Rintaro, et le confortaient dans l'idée que le rencontrer, serait probablement pour Shingen une nouvelle source de souffrances et de désillusions ; à moins qu'il n'aspirait à vider son sac en face de son géniteur. Il lui semblait toutefois inopportun d'évoquer ces désagréables implications en face de son principal intéressé, qui jusqu'à présent, avait d'ores-et-déjà suffisamment souffert. Toujours sonné par les récents évènements, et ce nouveau destin qui se présentait à lui, il tentait de digérer l'ensemble de ces informations, d'autant plus qu'il doutait être compatible avec sa potentielle promise.



Le prince avait entendu moult rumeurs à l'égard du mystérieux Sakyuukage. Il n'avait personnellement pu côtoyer que son prédécesseur, Atehazure Kaiseki, qu'il avait justement vaincu avant d'être élu à sa place. C'est pourquoi envisageait-il la possibilité que ce genre d'épreuves ou de tests puissent être plus fréquents qu'il ne le croyait, en se basant sur les excentricités de cet homme qui accéda au pouvoir en faisant lui-même martialement ses preuves. En réalité, il avait ainsi jugé Shingen apte à accomplir cette tâche dangereuse, après l'avoir vu à l'œuvre dans des circonstances particulières ; qui naturellement, attisaient la curiosité de Byakuren.



Comme l'impérial l'avait redouté, son invité avait malheureusement éludé certaines informations de son rapport, redoutant que la vérité ne le précipite vers un encore plus funeste destin. Des inquiétudes légitimes, mais un agissement qui pouvait de nouveau se retourner contre lui ; ou du moins, qui n'aiderait pas à mieux le faire voir de sa hiérarchie. Fort heureusement, cette tentative de dissimulation avait été mise en évidence par l'un des Capitaines du village, qui s'était montré plus conciliant.

Cet intérêt réciproque envers les Kitsune, partagé par Shingen et Hanami, constituait aux yeux de Byakuren une heureuse coïncidence, confortant dans son esprit l'idée selon laquelle les deux n'étaient peut-être pas aussi incompatibles que le Sakyuujin ne le laissait paraître. Bien des couples nobles n'avaient d'ailleurs rien en commun, et il était fréquent que la différence d'âge soit bien plus prononcée qu'entre les deux dont il était ici question. Dans la continuité de ses réticences initiales, le jeune homme espérait que le prince puisse convaincre Shizuka de renoncer à ce projet matrimonial.

Une position qu'il lui était difficile d'adopter, tant il approuvait lui-même cette idée, et respectait bien trop la prêtresse pour venir la dissuader de la manière dont elle entendait gérer son clan ; a fortiori lorsqu'une telle ingérence concernait directement les rapports qu'elle entretenait avec son frère. Lui-même admirait sa sœur, et ne pouvait que difficilement concevoir de s'opposer directement à elle, en lieu et place de la soutenir, elle qui avait toujours agi dans son meilleur intérêt. Or cette union lui paraissait justement plus que bénéfique pour son interlocuteur, au-delà de toute considération politique.



C'est Kazetsune qui répondit spontanément à la question du Jounin, évoquant un personnage au portrait peu reluisant ; voire même repoussant. Une description qui ravivait péniblement de vagues souvenirs enfouis dans la mémoire du prêtre d'Amaterasu, lorsqu'il évoluait encore à Sakyuu. Il lui était effectivement arrivé d'apercevoir un tel personnage, traité avec de nombreux égards en dépit de son manque de tenue qui ne correspondait en rien à ses standards ou son sens esthétique. L'invocateur coupa néanmoins la parole au Kaminotsukai, doutant de son autorisation à révéler de plus amples informations. Selon son témoignage, il avait ainsi survécu à cet adversaire doté d'une force prodigieuse, expliquant comment il s'était fait remarquer par le Sakyuukage.



Une éclaircie considérable se dessinait finalement sur la situation de Shingen, qui s'était directement vu enjoint de se mettre en quête de réponses et d'informations. Il pourrait ainsi faire valoir l'ordre ou le conseil qu'il avait reçu, si l'on lui reprochait d'être parti se renseigner à Toge. Un voyage qui apparemment, lui avait permis d'effectuer une rencontre bien surprenante, en la personne de son propre coéquipier ayant lui aussi survécu à ce nid de Yôkais, et ayant tenté de déserter. Une mention qui fit légèrement plisser les yeux de l'impérial, intrigué par cet acte de défection, qui relevait officiellement d'une trahison envers l'armée et l'Empire ; quand bien même comprenait-il le refus d'adhérer au système corrompu des Yamato.

L'amour pouvait-il naître d'un mariage arrangé ? Une question intéressante, qui trouvait une réponse positive à travers divers exemples ayant suivi cette voie des plus heureuses. Dans l'esprit de Byakuren, l'incertitude portait plutôt sur la fréquence de l'émergence de ces sentiments dans de telles circonstances. La plupart du temps, les époux développaient une amitié et une complicité particulières, si bien qu'il était parfois même difficile de réellement savoir s'ils s'aimaient ou non. Cette réflexion fut toutefois interrompue par la question de Shingen, se demandant s'il devait appeler le prince grand-frère. Surpris par ces paroles, ce dernier s'interrogeait dans un premier temps sur s'il souhaitait se référer ainsi à son égard par respect, comme certains le faisaient envers un aîné appartenant à une même caste, ou une même confrérie.

Il obtint subséquemment un début d'éclaircissement suite à la remarque de la renarde, ayant visiblement interprété les propos du prince comme un signe de sentiments amoureux envers Shizuka ; ou plus précisément, la sorcière. Une dénomination qu'il ne comprit point sur le coup l'espace d'un instant, avant que Shingen ne l'explicitât spontanément, reprenant Kazetsune pour son langage. Pourtant, lui-même semblait retenir son rire, et approuver ce surnom avec malice. Une manière de se moquer de la prêtresse qu'appréciait peu l'impérial, lorsqu'il était justement question pour son interlocuteur de rectifier ses erreurs passées, et de témoigner sa gratitude envers sa sœur. Sans compter qu'il appréciait lui-même la jeune femme, et n'aimait guère la voir ainsi humiliée dans son dos.



Laissant s'échapper un soupir, l'impérial était intérieurement resté dubitatif face à ce que le Sakyuujin s'était permis d'ajouter. Des mots qu'il considérait maladroits et sur lesquels il ne comptait rendre un verdict immédiat, poursuivant en adoptant le même ton, celui d'une voix neutre à la fois ferme mais calme ; reflétant un refus de tirer des conclusions hâtives.



Quant au vieux maître du Sakyuukage, il s'était fort heureusement retenu dans l'exercice de ses capacités ; un moindre mal, bien qu'il était difficile de cautionner un tel comportement visant à provoquer les soldats, afin de tester leur force ou de s'amuser.



Concentré et attentif de bout en bout au récit du Souhei d'Inari, Byakuren compatissait sincèrement au sort des parents de ce Kenryoku, et comprenait les sentiments que celui-ci avait pu dès lors ressentir, jusqu'au point de prendre la décision de déserter. Il ne pouvait en revanche accepter la manière dont il s'y était prise, prenant des otages civils sans vergogne, et agissant dès lors en véritable criminel. Un sort tragique, dont le prince prenait acte avec une certaine solennité, partiellement contrebalancée par les découvertes que cet homme avait a priori réalisées dans le nid des vers géants.