Je remerciais chaque jour nos dieux pour leurs bienfaits, cette veste renforcée avec de la fourrure en faisait partie. Certains hivers s’avéraient bien plus rude que les autres, si nous ne faisions pas attention à rester en bonne santé, la maladie pouvait nous emporter. Bien que ça paraissait évident pour le commun des mortels, j’ai malheureusement assisté à des morts inutiles et évitables avec un peu de bon sens et de précaution.  

Il était l’heure de la pause, je fis signe aux personnes m’accompagnant qu’on pouvait s’arrêter ici, l’espace semblait sécurisé. Il était toujours agréable de déguster de la viande fraîche. Une denrée qui pouvait être rare pour certains mais étant un membre d’une tribu indépendante -et de chasseurs-, pour nous ce n’était pas le cas.


Question rhétorique, je m’en étais allé en direction de la source d’eau la plus proche. Il ne m’en manquait pas, mais il était facile de repérer les bêtes et de leur tendre un piège. Aujourd’hui je comptais faire comme habituellement, lorsque ma proie était relativement proche, je parvenais à mettre fin à ses jours à l’aide de Senbon usés, certainement inutile en combat face à un humanoïde.

Chacun de mes pas était mesuré et délicat, tel un prédateur, je devais être discret si je comptais faire mouche. Après une vingtaine de minutes à observer les environs et l’écosystème m’entourant, je vis une première proie potentielle. Cette proie n’était autre qu’un lapin. Le temps d’un instant, je me remémorais ma rencontre avec le Yokaï, le fameux primate qui avait pour sûr changé ma vie. Néanmoins, je ne devais pas me laisser distraire, mon objectif était de ramener à mes compagnons de quoi se rassasier.

Je fis quelques pas en sa direction lorsque j’entendis au loin, une chanson. Comment ne pas être interpellé par cela ? Tout autant que je pouvais l’entendre, la bête avait , elle aussi, perçu ce chant qui était transporté jusqu’à nos oreilles. Par réflexe, ma nourriture sur patte avait décidé de prendre la fuite, ne voulant pas rater l’occasion d’un saut de la part de ce lapin, j’avais rapidement armé mon tir avant de lancer mon projectile ; ce dernier vint se loger dans la boîte crânienne du petit mammifère. Un bref soupir plus tard, je rejoignis la chasse du jour avant de me mettre à genoux devant mon butin.

Les mains réunies, je fis une courte prière et avais remercié les divinités protectrices de notre tribu et de la nature, pour ce don. Il me paraissait important de les remercier en tout instant. Je ne tuais pas pour le plaisir, je tuais pour me nourrir.

Même si ma chasse s’était montrée fructueuse, ma curiosité m’avait poussé à trouver l’origine de cette mélodie.

Camouflé par la nature même, je pus rapidement observer une personne naviguant sur une petite embarcation. Une voyageuse égarée ? Une marchande ? Peut-être. Je pris quelques instants pour analyser la situation et finalement, me montrer.


Dis-je en montrant la bête inerte.


Le partage était une valeur essentielle à mes yeux, de plus cette nourriture que je venais d’obtenir était l’œuvre des dieux et je ne pouvais me l’accaparer.


C’était aussi pour moi l’occasion de conserver avec d’autres personnes que mes clients et que ma tribu. Ce n’était pas cantonné à mon petit quotidien que je pourrai en apprendre plus sur ce monde si vaste.

Information:

Honnêtement, j’aurais dû m’attendre à la réaction de Naoko, ma sœur de la tribu Enten. Je la connaissais suffisamment pour savoir qu’elle était comme prédisposée à une certaine hostilité envers l’étranger. Je me considérais comme réfléchi mais pour le coup je n’avais pas forcément pensé à ses sentiments, une erreur de ma part que j’acceptais volontiers. Bien que dans la tribu nous étions tous frères et sœurs, il était plus facile de comprendre ceux avec qui on avait grandi. Pour ma part, dans ma génération, il y avait la prêtresse et malgré ses fonctions, je pensais en connaître beaucoup sur elle. Ce qui n’était pas entièrement le cas avec Naoko.


Je le pensais réellement, je cherchais un sens à toute chose et peut-être qu’en ce jour, les dieux m’avaient mis sur le chemin de cette jeune femme qui se dénommait Rikku.


Avais-je balancé à notre invité en changeant de ton et en passant au tutoiement; démarche que j’avais mené pour essayer de dissiper le malaise ambiant. Je ne blamais personne bien sûr, je souhaitais juste passer un agréable moment et profiter d’un repas bien mérité.

Tandis qu’un de mes compagnons était en train de s’afferer à la préparation du lapin que la nature venait de nous offrir, j’observais notre invitée du jour prendre place autour du feu, posée contre un arbre. Ce feu modeste nous apportait chaleur et réconfort; autour se trouvait de quoi s’assoir à même la nature et les nombreux sacs du groupe de marchands. Le mien paraissait d’ailleurs bien rempli, j’avais cette fois-ci décidé d’acheter bien plus de matériel qu’à mon habitude, en espérant que mon entreprise soit fructueuse.

Rukka avait adressé une requête à Jun, bien qu'elle ne m'était pas mienne, j'avais souhaité répondre en premier pour ne pas laisser de blanc et ne pas la gêner plus.


En attendant, je m’étais levé de ma place et m’étais dirigé vers Rikku. La main droite tendue, je l’invitais à me donner son thé afin d'entamer la préparation. L’eau bouillante se faisait déjà entendre malgré le bruit constant du crépitement.

Pendant que je m’attelais à la préparation du Thé et cherchais de quoi le servir dignement. Je souhaitais à mon tour en apprendre plus sur cette dame dont nous ne connaissions rien pour l’instant.


Plusieurs possibilités s’offraient à moi, mon interlocutrice pouvait être chanceuse, être forte ou peut-être même suicidaire.

D’un sourire, je remerciais mon interlocutrice de m’avoir donné de quoi préparer le thé. La tension était palpable, nous étions à la limite du malaise et pourtant j’avais l’impression d’être le seul à le ressentir. C’était plutôt normal en réalité, j’étais le spectateur d’une joute verbale à peine dissimulée. Mon idée était en effet de calmer le jeu, il n’était pas nécessaire de s’adresser de la sorte à autrui. Le comportement de Naoko n’avait pas aidé en effet , mais je ne pouvais lui reprocher, peut-être pourrions-nous tout de même en discuter après coup ?

Pendant la discussion, Naoko avait finalisé les soins réalisés sur l’animal. Ce geste, j’étais sûr qu’il allait être remarqué par nos divinités. Il était important d’aider lorsque nécessaire. Bien sûr, ça ne nous empêchait pas de chasser et de tuer pour pourvoir à nos besoins, cela n’était en rien incompatible avec ce genre de bonne action.

Je pus donc apprendre que Rikku n’était pas une voyageuse, qu’elle était même de cette forêt. C’était intéressant, voire bon à savoir. Pendant que celle-ci nous apprenait ce qu’elle faisait avant notre rencontre, je pus terminer la préparation d’une première tasse de thé. Cette dernière était naturellement destinée à l’invitée, même si c’était sa préparation ; c’était une règle, je comptais bien l’accueillir. Au fond de moi, j’avais aussi envie de la voir déguster son thé en première. Bien que je voyais sa venue comme un message divin, je n’étais pas non plus crédule. Dissimuler du poison dans des herbes et feuilles séchées était assez facile.


En tant que marchand itinérant, j’étais au fait du danger ; ma profession m’imposait de me déplacer dans le pays et j’étais en proie à la mort. Les Yokaï, les démons, les humains, les dangers étaient réels.


Était-ce réellement ce qu’avait voulu dire Naoko ?


Rikku avait exprimé sa pieuté au travers d’offrande au temple de la nature. Nous avions donc face à nous une autre croyante ? C’était intéressant et cela avait attisé ma curiosité. Curiosité qui pourrait certainement trahir mes traditions.


Bien sûr, il fallait rester modeste. Je ne connaissais pas tous les résidents de ce pays, mais les chefs de clans, les anciens, les prêtres et autres fonctions importantes, je connaissais leurs noms.

Naoko ne semblait plus vouloir être partie intégrante de cette conversation. De plus en plus, je pouvais ressentir au travers de ses actes sa réticence vis-à-vis des étrangers. Je ne les comprenais pas et je ne comprenais pas non plus de façon générale mes frères qui s’entêtaient dans la même voie. Lorsque je réfléchissais à l’avenir des Enten, je ne voyais pas comment ils pouvaient nous imaginer prospérer. Le monde évoluait à une vitesse ahurissante, souhaitaient-ils que l’on reste derrière, qu’on soit à la traîne et qu’on se fasse absorber par ce même monde qu’on redoute ? Plus je passais de temps à l’extérieur, moins je comprenais le fait qu’ils soient obtus de la sorte. Je voyais en le mélange, quelque chose de magnifique et à encourager, mais malheureusement, j’étais bien le seul.

Malgré moi, j’avais certainement lancé à ce moment-là un regard désapprobateur à Naoko. C’était probablement la seule expression qui caractérisait mes sentiments à ce moment précis. Peu importe, la conversation pouvait continuer. J’espérais pouvoir discuter avec ma sœur de la tribu Enten dans le futur, afin que l’on puisse mieux se comprendre.

J’avais détourné le regard et observais maintenant notre invitée du jour. Dans le but de faire connaissance, je lui avais posé certaines questions. Je pensais bien connaître les environs , mais cette dernière évoqua Shun, son grand-frère qui serait à la tête de la famille. Le prénom, je l’avais déjà entendu honnêtement , mais ce n’était peut-être pas dans le coin. Cela me laissait interrogatif et m’amenait à la conclusion que je n’avais pas encore fait le tour des clients potentiels du pays. D’un côté, j’étais satisfait, j’allais certainement pouvoir acquérir de nouveaux clients.

Le bassin des lotus ? Non, ça ne me disait rien. Si on l’écoutait, ce n’était pas vraiment une communauté, mais plus une entreprise familiale ? Je voyais à nouveau une opportunité d’affaire au travers de cette conversation. L’idée me vint d’exporter les mêmes substances que sa famille fournissait aux apothicaires.

Lorsque Rikku me complimenta sur le thé, je ne pus m’empêcher de sourire. Bien qu’en effet, je n’étais pas mauvais dans la préparation, c’était assurément son mélange qui était de qualité.  


Dis-je en observant brièvement les alentours. En ce monde, nous n’étions jamais en sécurité, ça ne coûtait rien de laisser son regard traîner afin de desceller de potentielles menaces.


Le lotus représentait pour moi une fleur sacrée et pure. Les écrits divins relataient souvent de cette plante en vantant les vertus de cette dernière.

Nos compagnons de route qui s’étaient attelés à la préparation du lapin venaient à peine de terminer. La cuisson de ce dernier débuta sous nos yeux, alors que nous dégustions notre thé. Cette nourriture était une grâce des dieux et je ne comptais pas me l’approprier, c’était aussi pour cette raison que j’avais convié Rikku à me rejoindre. Je restais convaincu que sa voix avait été portée par nos divinités et que le sens de cette rencontre restait encore à trouver.


Peut-être qu’un chant de la sorte aurait pu calmer les hardeurs de ma sœur Naoko.