« Oyé oyé damoiselles et damoiseaux ! Bienvenue à l'Échoppe du Souvenir de Kokoro Kenta, Chuunin de Sakyuu et incontestablement le meilleur scientifique, médecin, artisan, danseur, chanteur, baby-sitter, amant et père que vous aurez l'occasion de rencontrer ! Vous avez un proche défunt récemment ? Alors vous êtes au bon endroit ! Poteries à son effigie, petite statuette des circonstances de sa mort, cible à l'image de son assassin, tout est à vendre, prix à débattre ! »

C'est du génie non ? Je sais, je sais. J'avais eu cette idée un peu plus tôt dans la soirée. Les badauds adorent les souvenirs, ils adorent leurs proches, alors pourquoi ne pas mêler les deux pour ouvrir cette boutique pour immortaliser la mort d'un proche ? Oui, c'est un peu ironique dis comme ça, ça ferais un bon slogan tiens, il faudra que j'y pense la prochaine fois.

Ma boutique était un peu modeste, elle reposait sur une simple planche en bois sur deux tréteaux qui ne demandaient qu'à finir leur jour le plus rapidement possible. Il me manquait encore une enseigne et des danseuses pour égayer le tout. J'étais fier de mon petit stand, la concrétisation de toute une vie, le lancement de mon projet ! Enfin, quand je dis toute une vie, je parle de ma vie depuis hier soir, c'est-à-dire seulement quelques heures quoi. Mais quand même, ça n'en reste pas moins un rêve qui se concrétise. L'aboutissement de nombreuses minutes de réflexion. Tous les objets étaient faits-mains évidemment, c'est pour ça que certains avaient une drôle d'allure. Surtout l'espèce de tête de mort faite avec de la boue trouvée sur le chemin, elle ressemblait un peu à un de mes voisins que j'ai l'habitude de croiser. J'ai pris son exemple, car il va pas tarder à mourir, je le sens.

Bizarrement, mon échoppe ne faisait pas tant fureur que ce que j'avais imaginé. Les gens passaient devant en m'adressant quelques regards noirs, là ou d'autres se frappaient fort le front de me voir encore avec une idée farfelue. J'étais plutôt connu par ici, pas seulement pour faire partie de l'armée et pour être censé protéger le village, mais plutôt pour mes démonstrations de génie en public. Oui, je les comprends, difficile de comprendre l'art et de prendre de plein fouet la naissance d'un homme à l'intellect aussi développé.

« Approchez ! Il est temps de passer au premier concours pour gagner cette magnifique représentation de la noyade d'un chat ! N'ayez pas peur, il ne mord pas ahah, parce qu'il est mort vous avez compris la vanne ahah..... »

Quel humour débordant. Je ne cesse de m'étonner moi-même. Bon, seul bémol à tout ça et sûrement le pourquoi du dysfonctionnement de ma boutique, c'était l'heure tardive à laquelle j'avais décidé de sortir. Il faisait nuit, les seuls badauds qui passaient actuellement profitais de leur soirée en famille ou allais se pinter toute la nuit dans les bars longeant la rue. Tant pis, il y allait bien avoir un ou deux poivrots qui m'achèteront quelques babioles en repensant à un proche, l'alcool amplifiant leur chagrin. Plus qu'à attendre alors.

La fraîcheur de la nuit, ça fait quand même bien plaisir quand on a l'habitude de passer ses journées à crever de chaud et à transpirer à grosse goutte. Tiens, une idée venait de me venir en tête pour développer mon échoppe. Pourquoi pas commencer à vendre ma transpiration, celle d'un membre de l'armée de retour de mission, éprouvé par le combat et l'adrénaline. Je suis sûr que ça pourrait faire fureur ! Et alors que j'étais plongé dans mes pensées, comme la plupart du temps, un homme essoufflé et au bord de la crise de foie venait s'époumoner devant mon stand. Il parlait de tique et de sable. Tiens, je crois bien que j'avais trouvé le premier poivrot de la soirée.

« Blablabla, Cher Monsieur vous avez l'air de mourir de soif, pourquoi pas garder votre salive pour me dire plutôt ce que vous recherchez ? Vous avez l'air au bord du gouffre. Vous êtes-vous pinté la gueule pour oublier la perte d'un proche ? Si c'est le cas, vous êtes tombé au bon endroit ! Pourquoi perdre son temps et son argent dans l'alcool, qui ne vous fera rien oublier ? Acheter donc le souvenir de votre chagrin, une réplique de votre dulcinée qui vous a quittée, ou alors le tableau de votre chère grand-mère disparue ! Si c'est un animal, je peux aussi l'empailler si vous me ramenez le corps de la bête ! Si c'est une humain aussi d'ailleurs hmm»

Il n'était pas rare de croiser ce genre de spécimen par ici, c'était d'ailleurs pour ça que mon stand se trouvait à cet endroit précis. Bon, aussi car c'était le seul endroit que les marchands m'avaient autorisé à prendre. J'avais dû jouer un peu des coudes et mettre quelques coups de pression pour qu'on me laisse installer mon rêve.

L'illuminé à la crépine desséchée tirait presque la langue tant la soif devait le gagner. Pourtant, il avait l'air d'avoir tant qu'assez bu. C'est fou de se dire que certaines personnes sont prêtes à noyer tous leurs problèmes et leur vie entière dans une boisson. Quel genre de drame pouvait-il avoir vécu pour passer ses nuits à essayer de l'oublier ? Je n'aimais pas vraiment l'alcool, enfin plutôt que celui-ci n'avait que très peu d'effet sur moi. Mes idées devaient tellement être au-delà du monde commun qu'elles ne s'embrumaient pas avec la liqueur divine mais s'amplifiaient à m'en faire perdre pied. Heureusement pour moi, ma relation intime et très fusionnelle avec mes chaussures m'empêchait souvent de virer de bord et chuter dans la boue.

« Bon. Installez-vous donc ici, je vais vous servir un verre ! Car figurez-vous que l'Échoppe du Souvenir fait aussi cave ! C'est une bonne idée n'est-ce pas ? Alors, alors, alors... »

Je venais fouiller avec précaution une de mes petites caisses en bois, après avoir tendu un petit rondin de bois servant de tabouret à mon interlocuteur.

« Bingo, il me reste du vin, préparé spécialement par le meilleur sommelier du coin. Ce qui fait sa rareté, et aussi pourquoi il trouve sa place dans mon échoppe, c'est que le vieux bougre est mort d'une indigestion. Il paraîtrait que quelques gouttes de son sang sont versées dans cette bouteille ! Je vous sers ? »