Les nouvelles ont très vite voyagé, chose qui surprend encore une fois l’enfant. Se sentant si petite dans un temple si imposant et dans une unité militaire si vaste, Konomi avait l’impression d’être un grain de sable dans le désert. Un grain de sable humecté par le savoir d’une oasis secrète, certes, mais un grain de sable malgré tout.

En voyant la lettre, elle ne pouvait contenir sa joie; ainsi, elle s’assure d’être prête pour le soir qu’on lui propose, préparant même d’avance son plus bel habit. Une jolie pièce, un kimono rose qui lui a été remis en cadeau pour les nombreux actes de bonté qu’elle a su faire au peuple marchand, sans demandé réciprocité. On lui avait offert de bon coeur, et Konomi y tenait. C’est l’occasion de le porter, sachant qu’elle ne sort jamais manger ainsi; de plus, elle est conviée au Cerf Doré, un endroit qui lui est normalement inaccessible.

Les amis de Kirei semblent particulièrement importants, ainsi elle ne voulait pas décevoir une nouvelle amie. Elle s’appelle Shizuka, Koko n’oublie pas; une fervante d’Inari, une déesse de la nature qui sert la vie et qui offre la bénédiction de la nourriture. Elune l’aime beaucoup.

Puis, nul doute pour l’adolescente que Shizuka a beaucoup à lui apprendre; Kirei avait référé à elle en tant que Senpai, donc en tant qu’enseignante ou maître. Un mot que la petite a eu à découvrir très vite après sa rencontre avec son ami prêtre, car elle ne voulait pas passer pour une inculte et une ignarde.

«…Excusez-moi…»

Se présentant au grand restaurant avec une petite bourse, elle explique avec une relative difficulté qui elle cherche, demandant timidement à l’un de ceux responsable des tables de la guider à sa nouvelle rencontre. Arrivée, elle remercie timidement le monsieur avant de se présenter en saluant respectueusement la dame – qu’elle trouve d’ailleurs sublime –.

«Koko, oui!»

C’est ainsi qu’elle se présente, à la fois pour montrer qu’elle est approchable et pour se voiler quelque peu la face de son nom un peu particulier. Un diminutif du nom de la déesse Konomuhana, l’Aimée des fleurs. Le visage pétillant, elle s’installe devant la femme qui prend le temps de se présenter, posant doucement son sac à côté d’elle. Il est petit et semble bien rempli.

«J’apprécie beaucoup l’invitation, je ne sors pas souvent! C’est très beau...» Son regard se perd autour et son nez se régale des odeurs du luxe qui les entoure. Une sortie unique pour elle, qui se doit d’être gravée dans sa mémoire. Si sa vie au Hameau lui a apprise à être frugale, personne ne pourrait rester inséduit en franchissant les portes de cet endroit.

Elle se voit vite questionnée, ce qui ne la dérange pas particulièrement. Koko ne pouvait pas savoir les raisons de cette invitation, mais elle se doutait que l’impression laissée sur son nouvel ami devait avoir été assez bonne pour attirer l’attention ainsi.

«Oui! Ma famille fait ça depuis des générations!» Les secrets du clan doivent rester cachés, certes, mais pas le prestige qui leur est dû. Ensuite, elle cherche ses mots : sans être toute nouvelle au temple, l’Élue n’est pas très ancienne non plus. Cela fait peut-être un an qu’elle officie :«Une année, je crois… moins qu’une année.» À comprendre que le temps de Koko est incertain; toujours occupée, elle ne le voit pas souvent passer.

«Je suis une petite fille et je fais des petites choses, c’est normal de ne pas m’avoir vu!» Une Totei, quelqu’un qui n’est pas totalement initié et qui s’occupe en quelque sorte de la basse besogne du temple. Elle n’est pas surprise d’être inconnue, même que ça lui convient puisque ça lui apporte une certaine tranquillité. «J’aime être tranquille, la vie sait toujours comment me trouver quand il faut!»

«Merci! Je vais faire attention, je ne veux pas être trop chère...» Jamais Konomi n’oserait prendre beaucoup; la frugalité fait partie d’elle depuis bien trop longtemps pour ça. Autant en observant le menu l’envie de se laisser tenter la prend, autant elle compte se tenir à un plat et le terminer; d’abord pour éviter de gaspiller, puis pour éviter de se goinfrer inutilement. Tout autant, cette nourriture ne lui appartient pas vraiment, ainsi l’idée de laisser des restes à jeter ou ramener chez elle lui déplaît; on lui a offert, il lui faut donc respecter ce fait. Néanmoins, elle reste souriante et particulièrement appréciative tant du compliment que de l’offre de sa nouvelle amie. Son sourire fond assez tôt.

«Oui… j’ai entendu parler du Winnigo..»

Une pointe d’inquiétude qui sort avant que les lèvres ne soient subtilement mordues; sa langue glisse toujours autant, qu’importe ses efforts. La petite reprend en disant que «je donne beaucoup quand je vais voir le marché, les personnes là-bas sont très gentilles!», dans l’effort de repartir sur une bonne note et de ne pas laisser la conversation aller vers le négatif.

Kirei l’aura bien remarqué quand il a accompagné l’Élue lors de sa petite marche, mais Koko n’ose d’ordinaire pas trop en parler. Cette fois, elle trouvait que le sujet était venu tout seul, alors un aveu ne ferait pas de mal. Sans trop pouvoir l’expliquer – ses paroles ne le permettant pas –, Koko donne sans ménagement à la population, et d’une manière ou d’une autre, ce bénévolat lui est toujours rendu; «C’est eux qui m’ont donné ça!»

Elle lève les bras pour exhiber un peu mieux les manches de son vêtement et faire comprendre à Shizuka qu’il s’agit du cadeau. La population n’est d’ordinaire pas si généreuse; Koko doit donc être particulièrement aimée du peuple pour arriver ici avec ce genre de chose. On pourrait peut-être se dire qu’un quelconque talent de manipulateur ce cache derrière tout ça, ou qu’il s’agit d’un mensonge, mais… Non.

Ses rêves et ses buts sont simples, mais nombreux; «Je cherche à trouver des Dragons!» Pas très clair; mais assez simple – à comprendre, peut-être pas à accomplir –. «J’ai parlé avec Kirei, je veux m’entraîner plus! Je passe beaucoup de temps à préparer des bonbons pour les gens et à aider l’hôpital, il faut que je pratique...» À comprendre que la petite n’est pas vraiment paresseuse; elle fait en réalité beaucoup de choses et se retrouve souvent occupée. «Je ne bats pas vraiment, j’ai un autre travail!» Konomi n’a pas trop l’habitude de combattre, elle sert par d’autres méthodes.

Quand quelqu’un vient prendre la commande à leur table, Konomi feuillette le parchemin pour trouver de quoi manger. «Le t…te-…» Puis elle finit par pointer sur le menu; un teppanyaki à la viande de sanglier. «Ça, s’il vous plaît…»

«Merci…» Une voix faible qui laisse s’entendre le sourire qui l’accompagne; la petite pose ses mains sur ses joues rosies pour les calmer. De tous les mots qui peuvent se former, de toutes les idées qui peuvent passer dans la tête de l’humanité, elle est exquise. Un tel compliment l’amène à flotter un instant parmi les étoiles, sa joie brillant comme mille soleils, pour finalement redescendre au milieu des fleurs. Le bonheur, lui, ne s’estompe pas.

Autrement, la jeune fille eut vite à réaliser que les dragons ne sont pas monnaie courante et qu’ils ne sont probablement pas connus de tous. Peu savent ce qu’il faut faire lorsqu’ils se retrouvent devant un aspect du dragon, mais pour elle la réponse est évidente, naturelle. «Les Dragons c’est le symbole de ma famille. Quand j’en trouverai, je deviendrai amie et on protégera Toge ensemble!» Une vision certes enfantine, mais un songe qui pourrait percer le voile de la réalité à tout instant. Quelque chose qui s’imagine et qui se fait, malgré l’étrangeté des propos qui mettent cette idée de l’avant.

«Les Dragons c’est une légende de chez moi. Les autres filles de mon Hameau attendent que je les trouve; les autres filles ne sortent plus.» Autant sa façon de s’exprimer est primaire et bancale, autant il est possible de voir une intelligence vivace, une sagesse qui se cultive depuis déjà plusieurs vies. On ne dirait pas, mais le savoir d’une centaine d’âmes est accroché aux mains d’une petite fille.

Konomi vient d’une famille très spéciale, et elle est sa seule représentante arpentant des terres inconnues. «Mon Hameau est juste des filles; on vit cachées, juste ceux qui ont vraiment besoin d’aide arrivent à nous trouver. Je suis la seule à sortir.» Un oiseau particulièrement rare, que le monde des hommes ne saurait ni connaître ni apprivoiser.

Une pause qui est particulièrement la bienvenue; sans elle, Koko se serait encore une fois égarée et aurait raconté toute sa vie. Pour l’instant, Shizuka se retrouve épargnée du déluge. Elle en aura au moins appris un peu plus sur la nature de l’être devant elle. Quand la discussion reprend, une moue se dessine : «je comprends, je suis en sympathie…»

Un mot étrangement choisi, mais qui veut tout dire; leurs sentiments sont très proches. La différence reste très grande; au bout d’un moment de silence, quelques mots glissent sur la table, de la même façon que les yeux de l’enfant s’étaient posés sur le bois verni de la table. «Je protègerai tout le monde. Je suis ici pour ça.»

Les Kusaribe ont des croyances bien à elles; le monde n’est pas prêt à les accepter, ni même à les comprendre. Elles vivent dans un monde d’homme, où il ne faut pas choquer et où il est plutôt difficile pour les femmes de se trouver une place de choix dans la société.

«C’est normal, on vit en secret...» La voix se fait basse, comme pour préserver l’anonymité et rester discret. «On a des croyances un peu spéciales, on connaît beaucoup de choses… les autres filles veulent rester à l’écart du monde, les Kusaribe vivent comme ça depuis longtemps. C’est la paix. Je suis à l’extérieur parce qu’on m’a demandé de sortir; plusieurs filles vont au grand temple de la création, et puis elles rentrent. Je suis restée à l’extérieur pour apprendre et devenir meilleure.»

On dirait presque une société mystère, quelque chose qui s’est perdu dans le temps et qui ne cherche pas à être retrouvé. Ce n’est pas quelque chose dont elle pourrait discuter ouvertement ici, mais il semblerait que Shizuka ait déjà la chance d’en découvrir un peu. «Les monsieurs ne comprennent pas tout le temps, même s’ils veulent tout savoir. Qu’ils croient tout, tout savoir.» Konomi n’est peut-être pas si bête et si naïve qu’elle le laisse croire.

Souriante, elle répond que «je ne suis pas toute seule. J’aime le monde, je suis ici pour l’aider et mettre du bonheur dessus.» Elle ne peut quand même pas se mentir; l’Élue s’ennuie de sa maison et a hâte d’y retourner et de rendre à ses nombreuses sœurs une petite visite une fois l’hiver passé, mais elle se plait beaucoup à Toge. «J’attends encore de me faire plus d’amis, mais tout le monde est très proche déjà. Ils sont très gentils, et ils sont très forts!»

La nourriture arrive et Konomi ne se fait pas prier, plongeant dans l’assiette qui lui a été remise après avoir humé l’odeur silencieusement. «D’habitude, je mange ce que les marchands donnent comme cadeau, ça fait différent!» Elle se met promptement à savourer sa nourriture, après avoir souhaité à son amie un «bon appétit!»

Même quand elle mange, on peut voir la joie sur son visage; sa première expérience de la gastronomie lui plait particulièrement, et ça s’entend. Même si c’est différent, c’est «très très bon!»

Les mots ne sont pas toujours compris, et leur sens peut parfois porter à confusion. Incertaine de la raison derrière ces paroles, Konomi se contente de hocher la tête pour faire semblant d’avoir compris. Ses origines sont stables, mais sa sororité était, jusqu’à quelques dizaines d’années, nomadique. Si la petite avait compris comme il le fallait, elle aurait admise que la vérité est bien différente; c’est parce qu’elle ne connaît pas beaucoup de choses qu’elle se trouve à l’extérieur du Hameau. Les autres Filles, plus savantes, ont choisi de ne plus faire partie du monde des hommes, pour une quelconque raison.

«Oui!» Jamais Koko ne refuserait une offre ainsi, surtout qu’une de ce genre ne se présente pas tous les jours. C’est pour elle une promesse d’aventure, quelque chose qu’elle attend depuis son intronisation en tant que membre de l’armée impériale; sans équipe fixe, elle dispense généreusement la bénédiction de la déesse sur tous ceux qui se retrouvent à ses côtés. Pourtant, l’idée d’avoir une équipe stable, qu’elle peut apprendre à connaître et qui serait prête à l’épauler lui ferait particulièrement plaisir.

Pour l’instant cependant, elle savoure le repas; elle ne viendra pas ici tous les jours, c’est un fait très bien établi, ce qui rend le moment très important. «Les vendeurs donnent beaucoup! Je pourrai partager la prochaine fois si tu veux!» Autrement, l’enfant se souvient de ce que son ami lui avait proposé l’autre jour;

«Kirei veut inviter toi et Haruna à venir manger chez moi aussi bientôt.»

Sans savoir exactement quand, Koko-chan en fait mention pour que ça se sache et que ça reste gardé en mémoire. En même temps, elle détaille avec une certaine attention le repas de son amie, pour se faire une bonne idée de ce qu’elle aime. Shizuka avait demandé le plat du jour – ce qui était assez amusant selon l’enfant, puisqu’il est déjà le début du soir – et semblait donc plutôt à l’aise avec la surprise, et aussi confiante que son palais soit résilient et à même d’apprécier ce qui lui serait présenté.

Les marchands les plus communs lui offrent souvent du pain frais et quelques légumes et baies du jardin, alors que les plus raffinés – ou ceux qui travaillent plus avec la nourriture – cèdent souvent d’excellentes pièces de viande séchée ou quelques fromages. C’est plus rare, mais ça arrive. «On me donne beaucoup, je ne peux pas toujours tout finir. Souvent j’amène à l’hopital pour partager, mais je ne peux pas être certaine que ça soit mangé… Les blessés ne peuvent pas toujours.» Pour tout dire, Konomi est assez impliquée auprès du bas-peuple et des blessés, même si on ne la remarque pas souvent. Ça explique qu’au temple, elle ne soit pas très connue.

L’air béat suffit comme réponse, mais Koko se permet quand même de dire «Oui!» en tapant doucement des mains. Pas question de laisser l’aventure lui passer sous le nez, puis elle est déjà convaincue que les membres de sa nouvelle escouade sauront mettre à profit ses compétences. Deux d’entre eux semblent déjà l’apprécier, et la petite se donne déjà comme défi d’approcher l’autre nouvelle recrue et d’en faire aussi son ami. «Je vais travailler fort!»

Après avoir bien entâmé son repas, la petite se voit posée une question qui, après un assez long silence. C’est qu’elle n’y avait pas forcément songé; les gens ne viennent pas vraiment la visiter, et les coutumes liées à ce genre d’invitation lui sont somme toute inconnues. «Je ne sais pas...» Dans tous les cas, «non!», ça ne la dérange pas. «Ça va être plus facile de cuisiner si on mange chez moi. On peut demander d’amener du manger chez Kirei, si c’est mieux…?»

Sa proposition est tout autant interrogative; est-ce que c’est plus sensé? Rien n’empêchera Koko-chan d’emmener des choses ailleurs, mais si elle est invitée ça fait du sens qu’elle se déplace. De plus en plus sens, en fait.

Elle finit par réaliser que, peut-être, Kirei l’a en fait invitée à inviter des gens. Un concept confusionnant que Konomi ne peut laisser dans son esprit, se devant de poser la question quitte à montrer son ignorance. Jouant avec ses doigts un peu nerveusement et regardant sa nourriture, elle demande tout bas «… est-ce que Kirei nous invite, ou est-ce que Kirei m’invite à vous inviter…»

Sa contenance revient rapidement, contente des conseils qu’on vient de lui offrir. Kirei lui avait fait quelques remarques similaires, mais les entendre de Shizuka leur donne un poids différent. «Je vais faire attention!»

Si Koko ne voit pas comment on peut trop gâter quelqu’un, sa position dans l’armée lui a déjà montré que certaines personnes ne sont pas toujours les plus bienveillantes. Encore là, Toge ne peut pas être si mauvais, même si quelques mauvaises pommes s’y cachent.

Très reconnaissante qu’on lui apprenne ainsi à bien observer l’état des pommes pour ne pas avoir de mauvaises surprises, l’Élue se voit forcée d’admettre qu’elle n’est pas des plus habile, que «je ne comprends pas toujours ce que les gens veulent, mais j’apprends. On a déjà essayé de me voler des bonbons, c’est pour ça que je ne vends plus…»

Peu à l’aise avec l’argent, l’apothicaire a regretté d’avoir essayé de mettre son nom sur le marché. Si la première femme qui est venue acheter ses services s’était montrée particulièrement honnête et bienveillante, Koko a vite eu le déplaisir de constater que les hommes veulent toujours, et toujours plus.

«D’où je viens, l’argent n’existe pas vraiment. C’est difficile de compter et de comprendre les prix, pour moi… et les monsieurs essaie souvent d’acheter. J’ai arrêté de vendre, au cas.»

Leur rencontre se passait particulièrement bien et la petite sentait que les intentions de la dame étaient foncièrement bonnes; si les intentions des autres lui restent encore floues et incertaines, Koko ne peut ignorer les conseils de son ainée, qui semble parler elle aussi d’expérience et qui, d’une certaine façon, partage les mêmes mots que les Soeurs de la Lune.

D’une certaine façon, l’Élue se sent rassurée, presque comme si elle était à sa place, chez elle. Un sentiment qui lui manque beaucoup, qui lui permettait avant une certaine sérénité. Ce dîner était plus que le bienvenu, et l’enfant n’aurait jamais sû à quel point il lui était nécessaire.

Autrement, elle comprend maintenant que l’extérieur est accroché au principe d’achat plutôt que de troc; un concept compliqué où on porte aux objets une valeur chiffrée alors qu’elle est normalement abstraite. C’est ce qui est difficile pour Koko; quelqu’un ayant besoin d’un médicament sera prêt à payer le prix, alors qu’un autre qui le veut paierait moins… difficile de comprendre pourquoi sa valeur n’est pas relative. Pourquoi son prix serait le même pour tout le monde?

«Je vais faire attention… je suis habituée à échanger.» Si elle finit par comprendre comment fonctionnent les ryos, nul doute qu’elle viendra à revendre en faisant attention à qui l’approche la prochaine fois. C’est à la fois une question de comprendre la monnaie, et aussi de savoir mettre un prix sur ses propres créations.

Il reste une certaine incertitude par rapport à ça; ses remèdes ne devraient pas avoir de prix comparé à une vie, et l’idée de chiffrer ainsi ses dons l’inquiète…

La nourriture s’en allait dans une seule direction, et si Konomi ne portait pas plus attention aux serveurs qui passaient, à force d’en voir passer à répétition, elle ne put s’empêcher de se retourner sur son siège et observer rapidement le regroupement de famille qui devait causer cette commotion.

Pourtant, sous ses yeux il n’y avait qu’une enfant, probablement du même age.

«… C’est qui?» Koko-chan pose la question à son amie d’une voix basse, un air quelque peu dédaigneux au visage. Pour tout dire, elle a regardé l’autre se goinfrer et n’a pas été capable de contenir un certain dégoût; on a enseigné à Konomi la frugalité depuis sa plus tendre enfance, ainsi pour elle un tel gouffre sans fond est plus un affront laissant un éhonté gaspillage qu’une marque de prestige.

Pour l’envoyée des dunes, ce comportement est douteux, et n’est absolument pas le bienvenu. Non seulement ça, mais l’inconnue se permet de juger la nourriture; quelque chose qui ne peut être compris pour la Fille de la Lune.

Konomi se dit qu’il vaut mieux mettre cette rencontre aux poubelles, qu’il est possible d’ignorer complètement la présence de la chose, mais… alors qu’elle crie qu’elle ne veut pas payer, Koko-chan comprend que ça ne sera pas possible.

Elle est énervée. Cette Aimi la Gloutonne est exactement ce qui met en colère la petite, la raison de pourquoi elle déteste l’argent. Elle se permet de tout prendre en n’offrant aucune réciprocité. Et elle juge en plus!

Le jugement de la Déesse sera sévère.

Voyant l’énervement de la cuisine et des autres dîneurs, l’Élue se voit forcée d’intervenir pour calmer la situation. Elle comprend vite que tout le monde a les yeux rivés sur la scène, ce qui lui donne assez de temps pour commencer une prière accompagnée de quelques signes. «Que ta mansuétude touche ces âmes en panique, que le calme regagne cet endroit comme la rosée accueille la fraîcheur d’un jour nouveau… Elune no Asatsuyu…», la Rosée Matinale de la Déesse.

En un long souffle, le doux brouillard blanc et scintillant se répend dans la pièce et s’insinue partout dans l’air. Si tout le monde se calme, si la jeune fille vient à comprendre qu’il lui faut être gentille et délier sa bourse, alors cette petite démonstration discrète en vaudra la chandelle. Ça devrait aussi éviter que la tension monte entre elle et les employés du cerf doré.

«… Je veux arranger ça, madame Shishika. Peux-tu m’aider à la convaincre de payer?» Au fond, même si Konomi n’apprécie pas les agissements de l’autre jeune femme, cela ne l’empêche pas de se dire que derrière ce trou béant se cache un être capable de se montrer raisonnable.

Si Shizuka accepte de l’aider, Koko se lèvera et rejoindra le serveur et le chef cuisinier. S’avançant timidement, elle glissera quelques mots aux employés, assez fort pour qu’Aimi arrive à l’entendre. «… Vous travaillez très fort. Même si la nourriture n’a pas plu autant qu’il faut, je n’aime pas qu’on manque du respect à votre travail. Je suis sûre qu’elle comprend ça… c’est juste un mauvais entendu…»

Koko essaie d’offrir à Aimi une porte de sortie, même si ses mots sont un peu maladroits. Qu’elle dise que c’est un malentendu et paie avant que les choses ne se gâtent. Normalement, elle devrait avoir les idées assez claire et ne pas être trop énervée pour en faire un cas.

Compétences utilisées:

«Non.» Hors de question.

L’impertinence est déjà plus que chanceuse que la Déesse ne l’ait pas déjà châtiée; ce genre de comportement ne mérite pas d’être encouragé, encore moins considéré. Konomi considère un instant sa camarade en se souvenant bien des quelques mots qui lui ont servis à définir l’argent. En ce moment, elle adorerait que Shizuka puisse lui donner un avis éclairé sur la question et valider – ou invalider – ce sentiment d’injustice qui grandit et qui monte.

La petite refuse quand même de croire qu’il est ainsi possible d’acheter le droit d’humilier publiquement quelqu’un. Elle ne mentira pas; si Aimi est capable de demander ce genre de faveur, c’est qu’elle sait pouvoir gagner, et qu’elle cherche à faire du trouble au magasin.

Tristement, Koko ne peut pas imaginer pourquoi elle ferait une telle chose, pourquoi elle viendrait briser le plaisir de ceux qui ont réservé bien longtemps à l’avance. D’où elle vient, quelqu’un ayant un tel besoin d’attention serait puni sévèrement. «Tout le monde mangeait bien avant que tu arrives!» À dire vrai, l’Élue est bien plus qu’offusquée. Si ça ne tenait qu’à elle, il y a longtemps qu’elle se serait dopée au bonbon stéroïde pour remettre une baffe à l’arrière du crâne de la gloutonne.

Puis ce n’est pas elle qui comprendrait l’utilité d’une compétition culinaire; la graille peut être aussi délectable que voudra, ce n’est pas une raison de se croire meilleur que les autres. L’envoyée de la Lune tourne les talons et avant de récupérer sa place à sa table pour finir le repas que la cuisine avait bien voulue lui préparer. En passant près du chef, quelques mots tonnent : «moi, je refuserais… vous ne devez rien. »

L’argent pousse les gens à faire des choses cruelles, et même à accepter la cruauté des autres. Hors de question que Konomi participe à ce genre d’activité. Si Shizuka lui demande, elle dira que «je ferais, si le monsieur peut garder quand même l’argent du repas.» Pour Konomi, Aimi essaie encore de se sauver du paiement dû, même s’il semblerait qu’elle soit capable de l’honorer.

Un jour, la Déesse punira en bonne et due forme cette sale impie. La lumière d’Elune s’abattra sur elle et délivrera ainsi son juste châtiment. Furibonde, Konomi finit de rejoindre sa table en regardant la bête s’éloigner; elle ne mérite même pas une réponse, encore moins si son seul plaisir est d’insulter ceux qui ont mis du coeur à l’ouvrage.

Pourtant, la petite sent ses jambes trembler, signe qu’elle a bien perçue le danger qu’elle encourait un instant plus tôt. Incapable de savoir exactement ce dont elle venait d’être témoin, son regard se pose sur Shizuka.

Les questions passent dans ses yeux une centaine de fois. «…»

Elle finit par se rasseoir, comme elle voulait le faire avant d’avoir été mise devant cette pression ahurissante et cette démonstration colérique d’un pouvoir lui étant mystérieux. Si elle ne savait pas ce qui s’était montré en face d’elle, la jeune fille savait encore moins quoi dire.

Le bon temps de tous les autres clients avait été compromis, et si certains revenaient vite à leurs affaires, d’autres semblaient plutôt troublés par la scène. Ne sachant quoi dire d’autre, Konomi attend que son ainée s’approche pour lui glisser quelques mots simplets; «je m’excuse…»

Le sentiment de culpabilité, d’avoir empiré les choses, ne veut pas la lacher et Koko perd son regard dans son assiette à moitié finie. Ça lui a coupé l’appétit, et elle ne savait pas si Shizuka était dans le même état ou non. «Je ne l’aime pas. Elle est gâtée. Je trouve que tu as raison et que tu as été gentille avec elle, mais qu’elle ne le mérite pas.»

Capable de reconnaître que son propre comportement ait laissé à désirer, cela reste impossible d’accepter les derniers évènements. «Tu veux finir de manger..?»