«Woah!» C’est avec les yeux remplis d’étoiles que la jeune guérisseuse s’enlignait vers les échoppes particulièrement achalandées du marché de la cité impériale, oubliant très rapidement la raison de sa venue. Les quelques jours – trois ou quatre, Koko n’a pas vu le temps passer – lui ont à peine servi à se préparer mentalement pour la tâche et ont encore moins fait rentrer l’essentiel. Pour l’adolescente, il s’agirait presque d’un voyage de plaisance, même si elle se tenait accompagnée de ses aînés qui, tous à leur façon avaient une certaine autorité sur elle.

Ils avaient fait tout ce chemin sans encombre, mais il fallait maintenant se mettre à opérer. Les mentions de vol se sont faites de plus en plus fréquentes depuis les dernières semaines, si bien qu’un informateur de l’Épine a jugé nécessaire de partager ce qu’il savait de cette situation. Sans savoir exactement qui ont été victimes de ces vols, il a pu affirmer dans son rapport que les biens – de la boisson et des verres – avaient été retrouvés et que tout s’était déroulé au grand marché. Malheureusement, L’informateur n’avait aucune idée de l’endroit où le saké et les verres ont été retrouvés, et encore moins de quels magasins ils venaient originellement.

À partir de là, une fois sur place, l’équipe devait figurer la suite et la marche à suivre pour elle-même. «Je veux aller voir!», la gamine tonnait et ne voulait pas lâcher le morceau; rien ne lui faisait plus plaisir que visiter la cité qui l’avait accueillie le temps de sa formation. Ou plutôt, rien ne lui ferait plus envie que d’aller dilapider le peu d’oseille qu’elle possède.

Par chance (pour Konomi, pas tant pour ses coéquipiers), certains marchands aux allures de filous, de fouines, faisaient des grands signes aux deux plus jeunes demoiselles pour qu’elles viennent jeter un œil à la marchandise. Koko-chan ira sans se faire prier; Haruna pourrait ainsi l’accompagner si elle le désire. Peut-être pourrait-elle en apprendre plus en posant avec subtilité quelques questions sur les évènements récents et répétitifs du grand marché?

Le Jonin pourrait bien se joindre à la "séance de magasinage", ou il pourrait trouver d’autres échoppes plus adaptées à visiter, surtout au vu de son âge. Dans tous les cas, une chose était certaine : il avait l’opportunité d’un moment de paix loin de l’excentrique prêtresse qui avait très certainement voulu en apprendre plus sur ses nouveaux amis, tout le long de leur périple.

Une chose est sûre; si les biens ont été retrouvés si rapidement, c’est qu’ils ne devaient pas se trouver très loin. Encore dans la capitale? Quelque part dans les provinces environnantes?

«Pardon, dame Tsukimori.» Des explications seront vite rendues à la septuagénaire qui, à défaut d’être patiente, se montre particulièrement intéressée; son expérience lui crie qu’il y a plus à cette histoire qu’une simple série de fauches et de larcins.

Il s’incline, tentant du mieux qu’il peut de répondre à ses interrogations. Il commence par avouer qu’il n’est pas témoin, que «comme je n’ai rien vu, mes informations sont malheureusement incomplètes et plutôt incertaines; j’ai par contre entendu bien des choses.» Il révèle en premier lieu que le voleur au chapeau de paille et à la veste courte s’était soudainement retrouvé avec du poil «dans le bas du dos; il portait un gros chapeau fait de paille et une veste un peu courte. Je n’ai pas entendu parler de fourrure ou de couleur marquante, donc je suppose qu’ils étaient courts et d’une relative couleur peau. Pas de mention d’odeur, pas de bruit significatif.»

Pas de bruit…

«Je n’ai pas eu la chance d’approcher de témoins, et les victimes non plus. Elles sont nombreuses, pourtant. J’ai préféré faire profil bas auprès de la population; je vis quand même ici, je ne voulais pas paraître trop fouineur.» Ce n’est pas, quant à lui, son travail; il aurait fait l’enquête lui-même, si ça avait été le cas. L’homme ne peut se permettre de faire trop de vagues s’il veut continuer à écouter les ouïe-dires de la population.

Il se retirera après avoir informé Gin que «c’est sans doute dans une forêt environnante, ou peut-être dans les hautes herbes, que ça a été retrouvé – nous sommes près de Yusou, après tout –. Je ne sais pas exactement où. Si vous souhaitez retrouver l’équipe envoyée, sachez qu’elle compte monsieur Seichiro. Peut-être est-il venu voir une partie de sa famille du même coup? Les évènements récents sont fort regrettables...»

L’oiseau s’envole, prêt à accomplir son devoir; s’il est d’une quelconque façon rappelé par sa maîtresse il la rejoindra dans les rues. Autrement, après son vol, il patientera à l’extérieur de la capitale pour éviter un chahut inutile.

Konomi lui aurait bien proposé quelques petits fruits séchés, mais elle choisit de s’abstenir; peut-être qu’Haruna n’apprécierait pas, ou que l’oiseau ne se montrerait pas favorable… La jeune fille se souviendra de demander plus tard la permission quand ils ressortiront.

En tout cas, les deux (bien vite trois) se retrouvent devant une échoppe assez mal tenue. La demande d’Haruna est reçue plus ou moins favorablement; l’un des hommes glisse que «je vais aller voir au fond s’il ne reste pas quelques boîtes, en espérant qu’on ne se soit pas encore fait chourer d’autres trucs… Tu t’occupes d’elles en attendant, Mizuki.» Visiblement, l’humeur n’y est pas pour le plus grand – et gras – des deux hommes. L’autre en revanche s’approche des deux jeunes filles avec les yeux remplis de malice et d’avarice. Sans aucun doute, ce qu’il voulait, c’était de l’argent.

Koko se laisse attraper et tient les mains de sa nouvelle amie contre elle, lui chuchotant quelques mots en voyant le vendeur s’avancer. «Je ferai attention...» Deux sens qui se valent autant l’un que l’autre; l’Élue ne fait pas confiance à ce mâle et ne compte pas acheter pour trop cher, ne voulant pas abuser d’une telle bonté. Elle reste souriante, quoiqu’un peu sur ses gardes. Elle remarquera aussi Seichiro, sans se douter qu’il s’agit d’une imitation; pas que Konomi soit particulièrement bête, mais elle n’aurait pas pensé à ce genre de geste ici, en plein dans la capitale.

«Des fois, lui, il parle trop… m’enfin.» D’une moue un peu fausse, le rapace les salue et leur explique brièvement la situation. «Nous ne sommes pas très chanceux en ce moment, mes jolies demoiselles; nous avons vraiment besoin de vendre, quitte à réduire un peu nos prix. On s’est récemment fait voler, il y a un vieux monsieur qui traine autour parfois et qui s’en fait plein les poches à voler quand nous autres, honorables marchands, avons le dos tourné pour faire plaisir aux clients...»

Mizuki en fait beaucoup, sans doute pour faire culpabiliser les deux filles et les pousser à acheter pour lui venir en aide, d’une certaine façon. Konomi s’abstient de commentaire, se contentant de regarder Haruna en penchant un peu la tête sur le côté. Elle n’est pas sure de croire à cette histoire, mais peut-être que ça vaudrait le coup de poser des questions au monsieur. Comme Seichiro a fait clair qu'elle était cheffe pour aujourd'hui, Haruna peut choisir la manière de procéder, Koko voulant coopérer au mieux pour que son exercice se passe bien.

De son côté, Gin se fait offrir une place au comptoir, le temps de poser ses questions. «Bonjour et bienvenue à vous. Prenez-donc une minute pour vous asseoir, j’ai deux ou trois personnes à servir et je suis à vous tout de suite après.»

L’attention du tavernier lui revient très rapidement, après que quelques clients – qu’il semble connaître, leur apportant leurs choppes et leurs bouteilles avec promptitude et peu de questions – soient partis s’installer un peu plus loin. «Je vous avoue, j’ai moi-même subi quelques disparitions de bouteilles et de coupes derrière mon comptoir… Mais cette description ne me dit rien.» Tiens…

Il élabore : «un vieil homme à la barbe blanche est passé; ce n’est pas un habitué. Les deux fois, il portait une sorte de toge pâle, très ample, et… je ne sais pas comment dire. Un chapeau? Un turban? Je ne l’ai pas vu faire, à dire vrai personne ne l’a vu; seulement, c’est bizarre qu’une fois que je remarque une bouteille en moins, il ne soit soudainement plus là...»

Le marchandeur se laisse aller aux questions de la cheffe d’équipe. Sortant de sous le comptoir fait de planches un petit caisson, il laisse aux deux filles observer quelques bouteilles de fin saké. Elles doivent valoir leur pesant d’or, mais Haruna remarquera bien vite que la caisse n’est pas pleine, qu’il y a quelques emplacements vides. «C’est surtout ça qu’il nous manque. On en avait plein, maintenant je garde le plus fin de mes produits ici à l’avant, et jamais sans surveillance.» Il voulait clairement montrer patte blanche.

On peut comprendre qu’au fond de leur échoppe se trouve d’autre boisson, mais que les deux gaillards vendent bien plus que cela. «On est plusieurs. Je ne sais pas combien on est exactement, mais les auberges et les tavernes font beaucoup plus attention à ce qu’ils ont en stock ces temps-ci.»

Il se rend cependant compte, avec une certaine rapidité, que les deux jeunes filles ne sont pas forcément là pour acheter et se dit qu’elles ne le feront pas s’il ne trouve pas moyen de pousser un peu ses ventes. La caisse de boisson est rapidement rangée, le tintement des bouteilles un peu plus fort que ce qu’il aurait été convenable; «Mais ça, c’est pas pour les jeunes filles… Écoute; aussi respectable que je sois, il faut quand même que je paie pour ma nourriture. On m’a déjà rapporté de mes bouteilles; vides. On les a trouvées dans le bois. Si tu acceptes d’acheter deux ou trois babioles, je te dirai où on les a trouvé.»

Rien de bien cher, sans doute; une bonne poignée de Mon dépensée permettra à la jeune femme de s’acheter une petite piste. Elle est bien tombée, mais son initiative était risquée; Haruna a peut-être dévoilé la raison de son intérêt trop rapidement, ce qui dans un autre contexte aurait pu jouer contre elle. Mizuki se met à rire, mais… sans grande méchanceté. «Alors? On est d’accord?»

De son côté, Konomi reste silencieuse en observant le monsieur; elle voyait venir la magouille, mais pas à ce point. Si elle avait su plus tôt, elle aurait prévenue son amie de ne pas en dire trop, de ne pas se révéler de cette façon.

Si un voleur rôdait près du magasin, maintenant il saurait qui il doit surveiller, et qui il doit éviter. Le mieux qu’elle puisse faire, pour l’instant, c’est donner son avis. «Je suis d’accord!» Ainsi, elle encourage sa cheffe du jour à acheter une paire de bracelets travaillés à la main, qu’elle pointe du doigt. Elle tape alors son poignet doucement avec la paume de son autre main : «On pourrait chacun en porter un!»

Le spectacle doit faire mal à la copie du Jonin; si cette fois ils ne s’en tirent pas trop mal, ça aurait pu être problématique. D’un autre côté, c’était une information peu cher payée, avec un petit souvenir de voyage en plus. Un souvenir pour rappeler qu’il ne faut pas toujours trop en dire aux gens.

D’un côté, le clone aura eu raison. D’un autre côté, la délicatesse d’Haruna n’aura pas servie à rien.

Si la vieille dame était contente de l’entretient qu’elle venait d’avoir et remerciait cordialement l’aubergiste, son état sera vite bouleversé. Arrêtant avec politesse une petite coursière dans la rue achalandée, elle se fit prestement lancer dessus ce que la fillette transportait. Elle n’avait même pas osée s’approcher.

L’enfant avait instinctivement abandonnée cette marchandise en voyant la moniale, et s’était empressée de tourner le coin d’une ruelle vide pour s’enfuir. Est-ce que suspect est un assez grand mot? Seichiro aura juste assez de temps pour apercevoir la fin de la scène alors qu’il tournait le coin de la porte pour sortir lui aussi de l’établissement.

Si l’idée leur vient de poursuivre la voleuse, les deux adultes se retrouveront devant une ruelle vide, à l’apparence sans issue simple. De la poussière se trouvait soulevée dans l’air, comme si la petite s’était envolée.

Ils entendront alors quelques pas vifs se diriger vers eux; des civils essouflés qui semblaient être à la poursuite de la prépubère potentiellement alcoolique.

Ce qu’il reste des traces d’énergie vitale s’étiolent sous les yeux de la moniale, lui offrant au moins une certitude; quoique soit cette petite fille, ses talents dans le maniement du chakra sont particulièrement développés.

Pourtant, les enfants qui développent ce genre d’affinité sont remarqués, détectés, puis entraînés. Si Gin en vient à fouiller la ruelle, elle trouvera dans un coin sombre un chapeau fait de paille. Libre à elle de le récupérer et de l’observer; à ses risques et périls. Qui sait ce qui se cache dessous.

Alors qu’elle ressort de la ruelle, Seichiro s’enquiert de la situation auprès des quelques individus qui étaient partis à la poursuite de la voleuse. On lui expliquera, après quelques bonnes bouffées d’air et un souffle régularisé, que «j’en sais rien; j’étais à mon stand en train de vendre un peu d’alcool de riz.»

Un autre mentionne que «je réarrangeais des bouteilles à l’arrière de mon comptoir, je ne l’ai vue faire que trop tard...» Tiens… Le dernier avoue, un peu honteux, que «je me suis fait ôter ma caisse des mains; je ne l’ai pas vue arriver non plus, mais elle avait une sacrée poigne.» Personne ne l’a vue arriver? Cette remarque fait penser à celle du tavernier qu’ils avaient interrogé quelques minutes plus tôt. Naturellement vient une question embêtante; en réalité, combien y a-t-il de voleurs?

Abattu, l’un des trois vendeurs va pour récupérer le peu d’alcool qui soit apte à la vente; la jeunette avait vicieusement lancée le tout vers Gin, une bouteille s’était séparée du lot. «On a beau faire attention, être plusieurs à faire rouler l’établissement en même temps, ‘faut croire que nos yeux ne sufffisent pas...»

Décourageant.

La transaction qu’espérait Mizuki ne se passe pas comme prévu, et la discussion ne pique pas vraiment son intérêt. Si l’espace d’un instant il espérait que le monsieur vêtu d’or plus que de tissu soit prêt à acheter, sa joie s’est vite retrouvée gâchée.

D’abord, des ninja. Mizuki sait très bien ce qu’est le clan des grues; des mange-tout qui vivent de leur réputation et en abusent pour faire les charognards. «Bien sûr, que je sais. Juste assez riches pour se vanter, pas assez pour que ça serve.»

L’avarice n’est pas une belle couleur; «la pédanterie non plus. Tu pourrais bien parler comme une personne normale, monsieur est juste en face de toi, et c’est à lui que tu parles.» Il y a fort à parier que le comportement de Mizuki n’est pas commun; bien d’autres seraient honorés d’offrir leur coopération. Tout bêtement, il ne peut se résoudre à faire confiance à plus rapace que lui. «Ce qu’il me faut, c’est de quoi vivre maintenant, pas une promesse d’un lendemain meilleur, encore moins venant de quelqu’un comme toi. Si toi pis ta famille vous voulez boire, tant mieux; tu vas en trouver plein des vendeurs qui font en grande quantité. Pas moi.»

… Bon.

Au moins la véritable nature du marchand était maintenant posée sur la table.

En attendant, Konomi tripatouillait nerveusement un ryo qu’elle avait sortie de sa poche pour payer les bracelets. Elle sait peu de la valeur de l’argent, si ce n’est qu’un ryo promet du riz pour au moins deux ans. Tristement, ce n’est pas elle qui saurait réparer les pots venant juste de se briser. Les mots communs ne lui viennent pas. Tirant sur la manche de son amie, Koko-chan l’appelle : «Haruna...» Puis, elle lui tendra avec gentillesse sa piecette, lui expliquant difficilement ce qu’elle souhaite en faire : «Donne-la. Il pourra manger.»

Même si Konomi ne connaît pas l’importance de cet argent, à quel point c’est beaucoup, elle a pu voir mainte fois que les problèmes des vendeurs viennent du fait qu’ils ne peuvent plus toujours flairer une aubaine. Seichiro promet sans rien tendre; Konomi sait tendre sans promettre. À Haruna de trouver un compromis.

Il lui faudrait se presser, car Mizuki finit par tourner dos aux deux jeunes filles et à leur gardien, criant en faisant signe à son collègue d’arrêter de fouiller. «Laisse faire ça, ils achètent pas!»

Mizuki ne se retourne pas de suite, mais répond quand même à la jeune femme. Elle a beau marquer de sérieux points, le début reste bancal pour le marchand. «Je suis là pour faire des affaires, je ne suis pas un informateur. Si la petite veut acheter elle peut, mais j’ai pas l’obligation d’aider qui que ce soit; c’est ça être un marchand, de jouer sur les sentiments pour vendre – si tu penses que ça fait de moi un escroc, alors simplement n’achète pas.»

Il s’est mis à réorganiser quelques bibelots ou boîtes de babioles, sans grande importance, se disant que le groupe finira par quitter de lui-même. Portant malgré tout une oreille à moitié distraite sur ce que la prêtresse trouve à dire, il sourit. Un sourire goguenard, peut-être un peu narquois, mais bien caché.

«C’est simple; non. Cherchez ailleurs, je ne veux pas de son argent. Il pourrait me donner une vie de rêve que ça m’intéresse plus, j’vais pas me laisser parler comme ça même pour une grosse poignée de ryos.» Les questions de la dame restent malheureusement sans réponses.

Il avait mieux à faire de son temps que de répondre à la provocation d’un ninja et amuser quelques donzelles. Comme lancer un couteau dans la nuque du clone sitôt qu’il s’est retourné, par exemple. Visiblement, le marchand possède lui aussi quelques talents; son geste était vif et mécanique, comme s’il avait été pratiqué des centaines de fois. Voyant la fumée du clone qui se dissipe, l’homme peste entre ses dents; «… je me disais bien aussi.»

Un geste qui lui aura fait particulièrement beaucoup de bien, même si ce n’était malheureusement pas quelqu’un fait de chair et d’os. «… J’ai plus la patience pour ça. Si c’est des infos que vous voulez, fouillez les bois de Yasou. C’est là qu’on m’a dit; une place près d’un gros rocher, entouré d’arbres. Juste un bon conseil; les autorités et la milice locale, ne compte pas sur eux. Ça n’aide personne, et après tout ce que j’ai entendu, je crois pas qu’ils puissent être d’une grande utilité.»

La petite finit par laisser sa pièce à son amie et observe la chamaillerie s’étaler; effrayée par la soudaine démonstration de violence et de colère, elle tire sur la manche de son amie pour l’amener à s’éloigner. De son expérience, il vaut mieux ne pas s’éterniser au risque d’en payer le prix.

Malgré cela, elle glisse son avis sur l’attitude de l’homme devant eux, alors qu’elle récupère la dague du monsieur par terre. «C’est honteux… Il vaut mieux partir, je m’excuse de vous avoir dérangé…»

Posant la dague sur la table, Konomi finit par regarder Haruna; elle n’est peut-être pas jonin, et probablement pas la mieux placée pour donner des leçons, mais elle lui partage quand même son avis. «On ne peut jamais savoir qui se trouve en face, des fois acheter la paix c’est moins dangereux… Tu as quand même bien fait, c’est difficile de savoir quoi faire quand ton équipe n’a pas le même avis. Je voulais te laisser, comme Shishisho l’a demandé…»

Dans tous les cas, l’Élue ne compte pas rester ici et va laisser le marchand et son collègue dans la misère, sans même se retourner. «Si on lui aurait montré de l’argent, il aurait peut-être dit plus vite.» Après tout, les promesses ne valent rien sans preuve.

Des cheveux minces et courts, drus comme du pelage, se trouvent au fond du couvre-chef. Pourtant, la chevelure de l’enfant n’était pas ainsi couverte, et encore moins de cette couleur. Le clone de la moniale s’en sort indemne, signe qu’il n’y a aucun piège ou aucune étrangeté à l’objet, si ce n’est sa provenance. Dans tous les cas, il vaudrait sans doute mieux le conserver pour l’instant; peut-être que quelqu’un viendra essayer de le récupérer?

Autrement, Gin se dirige vers le caisson retourné, chapardé, qui lui avait été lancé dessus. Séparé du lot, une bouteille à moitié vide… signe que la petite s’était pris quelques gorgées de courage en liquide pendant sa course poursuite, sans doute. Plus ça va, plus elle pourrait se dire que le village et ses vendeurs d’alcool ont affaire à une bête plutôt qu’un être humain; une bête capable de se jouer des hommes, de se fondre dans la masse et de déguerpir promptement une fois ses envies assouvies.

Les civils sont laissés en compagnie de la vieille dame, et viennent à révéler une information singulière; «On va repartir s’occuper de nos affaires, on a déjà laissé à risque nos échoppes… c’est quand même bizarre, c’est comme si nos choses avaient disparues sitôt qu’on ne posait plus les yeux dessus, comme si elle attendait… Et puis la petite fille m’avait l’air un peu grassouillette quand j’ai commencé à la suivre, je pensais pouvoir la rattraper, puis… À croire que mes yeux me jouent des tours…»

De son côté, le jonin tente de se faire vulnérable et de voir si les problèmes ne pourraient pas plutôt venir à lui. Malheureusement, sa tentative lui prend beaucoup de temps et se révèle assez bancale; s’il peut utiliser ce genre de subterfuge pour tromper un œil déjà mal avisé et peu entraîné, il se rendra vite compte que sa transformation ne fonctionne pas comme il l’aurait voulu et qu’il serait assez aisé pour quelqu’un de remarquer la supercherie, surtout en plein jour…

Malgré tout, quelques citadins un peu zélés viendront proposer leur aide à Seichiro sous son déguisement, souhaitant porter assistance. Une occasion de s’informer?

«… Non.» Une main repousse celle d’Haruna avec relative fermeté, que le message sache bien passer. «Garde ton argent.» Des mots qui savent surprendre, surtout de la part d’un homme habitué ainsi aux affaires. «Ça t’appartient. Ce qui m’enrage, c’est l’attitude des riches face aux autres. » Lui rendant ses sous, Mizuki pose une main calleuse et usée sur celle de la jeune moniale.

Une main usée par la bataille, marquée par les lames et – sans doute – le sang.

«…Je ne supporte pas ceux qui portent leur richesse aux doigts et qui vivent de la mort des pauvres. C’est ça, un mercenaire. C’est ça, un ninja. La milice et les autorités, c’est la même affaire.» Des mots crachés qui partent de loin et qui expliquent beaucoup de choses. La main de Mizuki laisse s’en aller celle de la dame, et l’air filou s’efface pour laisser une expression plus sombre teinter son visage. «Puis, j’ai rien vu venir. Ça me fâche qu’on ait pu me piquer mes affaires sans que je m’en rende compte. J’suis habitué pourtant, j’ai passé ma vie à chasser; là j’arrive pas à expliquer ce qui s’est passé, pis voir un ninja se mettre comme ça devant moi, l’air fendant… non.»

Le statut de prêtresse des deux jeunes filles devait avoir joué en leur faveur, mais il leur était offert un constat effrayant; même quelqu’un d’entraîné n’a pu voir avec précision ce qui est arrivé à ses propres réserves. Le couteau repris et rangé, Mizuki s’éloigne et retourne s’occuper de sa marchandise.

Sur leur chemin, l’amie de Koko-chan admet ses doutes; la petite fille partage ce ressenti et vient à partager que «ça n’a pas mal fini… » Tout autant, l’Élue comprend quelque peu la réaction de l’homme, même si elle ne peut excuser son agressivité. «Les hommes sont arrogants et violents, les Filles de mon Hameau m’ont avertie quand je suis partie...» L’enfant reste donc peu surprise, quoiqu’un brin déçue : «je n’ai pas trouvé correcte ni l’un ni l’autre. Ça m’a fait peur, mais le monsieur n’avait pas l’air si mauvais…»

Autrement, l’oiseau revient à sa maîtresse et guide les deux camarades vers les lieux où le Jonin et la sage Prêtresse avaient été observés en dernier. Timidement, Konomi sortit d’un sac un morceau de pain aux fruits qu’elle avait préparé et amené avec elle pour le voyage; c’est bien maigre, mais elle tenait à l’offrir. Elle fit signe à Haruna de le prendre et de le donner à son aigle, chose que Koko ne se permettrait pas de faire seule.

Arrivées devant Gin, Konomi incline la tête en guise de salutation et laisse ses aînées parler. Elle mentionne quand même que «Shishisho n’est pas avec vous..?» À croire qu’il s’est perdu dans la foule, ou qu’il a trouvé une piste trop importante pour la laisser filer. Dans tous les cas, il risque d’être difficile à retrouver. «Shi…. Se…» Elle finit par abandonner. Un jour, les noms lui viendront et les mots cesseront d’être un mystère; pas pour l’instant.

«Vous croyez?» Si la dame avait déjà été mise devant celui ou ceux qu’elles cherchent, alors il vaudrait mieux suivre la piste qu’ils avaient déjà en gardant cette idée en tête. «Oui, je ferai attention! On restera pacifiques!»

Voyant le chapeau entre les mains de la matrone, un doigt vient à le pointer et une question s’élève : «C’est à la petite fille? On peut aller à la forêt pour lui rendre..?» C’est la solution qui ferait le plus plaisir à Koko-chan; étant certaine que rendre l’objet à son propriétaire est un signe assez grand de bonne foi, elle n’hésiterait pas à se rendre sur place pour voir ce qui pourrait être fait. C’est peut-être un peu direct, mais on ne sait jamais. «On peut aussi donner plus… du saké, peut-être?»

C’est aussi ce que la petite se disait; les hommes courent après la richesse et jalousent ceux qui l’ont, ou font l’erreur d’en exhiber un soupçon. C’est l’une des raisons pour laquelle Konomi ne connaît pas bien le langage de l’argent. Pour elle, le prix est une valeur qui devrait être abstraite, où par exemple un malade nécessitant un remède ne devrait pas avoir à payer pour survivre à son affliction. De la même façon, un riche devrait accepter de payer plus, sachant qu’il le pourrait et aiderait les autres à répandre des richesses.

Enfin, ce sont les deux sous d’une enfant de la Lune, une rareté ayant longtemps vécue cachée au sein d’une tribu… faites seulement d’amazones, de sorcières des dunes et autres définitifs farfelus. Elle était très contente de savoir que ses quelques collations ont su faire plaisir, mais pas autant que de constater que l’équipe serait seulement femme pour accomplir la tâche. Du moins pour l’instant.

Les hommes sont compliqués.

«Oui!» dit la petite en tapant joyeusement dans ses mains et souriant à pleines dents. Elle viendra certainement boire un peu de thé avec son amie quand leur mission sera finie, tant pour la boisson que pour la compagnie.

Autrement, la cadette se révèle particulièrement contente d’avoir été entendue – et surtout écoutée – par ses pairs, chose qui n’arrive que trop peu souvent; les autres membres de l’armée ont plutôt tendance à oublier son rang et elle n’a pas les attraits d’une cheffe, même si elle est amplement capable de diriger.

Pour tout dire, les gens ont tendance à ne pas l’écouter, à prendre ses avis et volontés comme des suggestions à ignorer. Un «ah..! merci!» pour la moniale avant que Koko n’essaie de cacher sa timidité en regardant ailleurs. Elle ne voit pas le Jonin, et si elle devait laisser son avis être entendu, Konomi admettrait qu’il serait sans doute difficile de faire preuve de délicatesse ou d’employer une solution pacifique en ayant avec elles Seichiro.

Puis, ne pas avoir de monsieur avec elles la rendait plus à l’aise.

Malgré tout, l’idée d’envoyer un clone chercher le membre manquant est approuvée; on ne peut pas le laisser derrière, mais en même temps «oui je suis prête! On doit continuer et aller voir!»

Les bois froids ne révèleront pas grand-chose, mais rien n’empêche le trio de supposer quelques choses selon la nature de leur cible; si c’est un homme, Konomi pense que «… il faut quand même surveiller, il se cache peut-être déjà dans le bois en attendant qu’on arrive.»

Par contre, si leur cible est animale, ou même un Yokai, il lui vient l’idée que «… les vols, c’est pour se nourrir..? La forêt est vide.» Par là, elle entend que la saison pourrait rendre l’alimentation difficile pour certaines espèces, ce qui s’expliquerait. Sans être la plus observatrice, elle a l’habitude en tant qu’apothicaire d’évaluer l’état de la flore quand elle récupère de quoi faire ses remèdes, et elle sait très bien que le froid rend le tout compliqué. «Je ne vois rien de spécial… on pourrait trouver un coin pour attendre? Se cacher et mettre le chapeau par terre pour voir?»