805, hiver, début d'après-midi



L'Ombre de Seizan était Udezuku Heizen. Un titre fort amusant, puisqu'il plaçait le Géant des Montagnes sous le linceul ténébreux des pics les plus impressionnants de tout Onogoro. Il fallait bien Kyojinyama pour abriter la large stature de Heizen.

Et il fallait bien quelqu'un de son envergure pour couvrir, de sa propre ombre, les autres géants qui lui emboîtaient le pas.

L'un d'entre eux fut, en cet après-midi frisquet, aperçu au Temple du Fer. Sa présence détonnait par le fait qu'elle s'y faisait pourtant très rare. Nul n'ignorait que le clan Tenma vouait un culte des plus purs à Susanoo lui-même, et qu'en dépit du fait qu'ils reconnaissent tous les dieux du Kamisuuhai, ils n'avaient pas pour habitude de faire la démonstration de leur dévotion aux autres divins.

Kazumasa sillonnait les allées publiques de l'édifice, s'imprégnait de l'atmosphère des lieux en filant entre bonzes et croyants sans piper mot. Sa présence, en cette occasion si rare, était purement motivée par la nature des divinités tutélaires qui dominaient les lieux de la stature de leurs hautes statues rutilantes. Le Temple du Fer était certainement, avec ceux de la Capitale où Susanoo était vénéré, le seul édifice religieux à même d'attirer le gentil géant.

Car, s'il était bon, Kazumasa était avant tout un guerrier; et qui de mieux pour conseiller les guerroyeurs que les divinités des armes, de la guerre, de la paix, de la réflexion et de la stratégie ? L'héritier des Tenma était venu quérir l'essence des kamis de Seizan. Son esprit, une lame brute, n'attendait que d'être aiguisée par leurs mains expertes.

Droit comme un i face à la statue du Guerrier, Hachiman, le colosse ne fléchit le genoux ni ne se prosterna. Il se contentait de lever les yeux pour toiser directement ceux de l'idole, comme s'il y cherchait l'éclat de sa sagesse désincarnée. Autour de lui, les gens continuaient de cheminer, non sans s'étonner de sa présence ou de son comportement aussi énigmatique que potentiellement irrévérencieux.

Au sortir du Temple du Fer, son nom ne manqua pas d'être prononcé, se faisant pain rassis pour les pécores qui se nourrissaient de ce bien maigre divertissement qu'il leur offrait. De petits commentaires qui, bien qu'à demi-voix, ne manquèrent pas d'arriver aux oreilles d'une personne bien particulière.

La présence du second géant ne manqua pas d'accentuer les remous causés par le premier. Un petit groupe de moine se mit à en discuter, sans mal, à quelques pas de Kazumasa ; ainsi, il n'eût qu'à se retourner pour vérifier leurs dires, et poser son regard de saphir sur la haute stature de l'enfant terrible de sa fratrie.

« Seikyuu, toi, ici ? s'étonna l'aîné. »

Abandonnant sa contemplation, l'héritier raffermit ses positions, croisant ses épais bras contre son large tronc. Le face à face des deux frères Tenma, de deux des colosses de Seizan, était plus que symbolique ; surtout sous le regard des Divinités de la Guerre, puisqu'ils en incarnaient deux Aspects bien distincts. Leurs approches, diamétralement opposées, étaient tant d'occasions de les dresser l'un contre l'autre... qui ne purent, cependant, jamais les diviser. Il en était ainsi, au sein du Clan du Cheval Ailé. La famille, et ses liens sacrés, ne souffraient pas de leurs divergences d'opinions.

Ce qui les opposait était plus viscéral, loin du monde superficiel des idées et des vertus.

« Est-ce la sagesse des Dieux qui t'amène en ces lieux, ou la mienne ? blagua Kazumasa, en arborant son habituel sourire. »