Par Kagutsuchi. Quittant les quartiers qui lui avait été attribué, ce début de soirée s'annonçait des plus mouvementés alors que la soirée semblait assez animée dans les quartiers marchands du centre ville. Yuiga avait depuis puis intégré les rangs du village de Seizan, non pas par curiosité mais parce qu'on lui avait confié ce genre de mission de reconnaissance. Une intégration qui bien que complète, semblait toujours si peu discrète, l'accoutrement de celle qui avait grandit parmi les nobles trahissait sa nature de ninja de la capitale; toujours parées de bijoux. Un uniforme noir aux coutures d'or, une tiare se terminant en une plume dorée dans sa chevelure d'ébène coupée court et toujours un naginata dans le dos, reconnaissable comme étant la Douteuse invitée du village.
Poussant les portes d'une taverne, elle vint s'installer au bar alors que le tavernier vint à elle avec un sourire au lèvre et pipe à tabac au bec. C'était un endroit pour fumeur, et l'odeur qui dégageait de cet endroit en témoignait tant bien que mal avec la fumée qui se dégageait.
─ Une envie ma petite dame ? C'est rare de voir une jolie dame seule au bar., dit le tavernier en essuyant un verre qu'il vint déposer sous le nez de Yuiga.
─ Un vin de Teito, si vous avez ça ce serait aimable, assiégée, elle vint simplement jeter un bref coup d'oeil tout autour d'elle dans cette taverne assez sympathique et conviviale où de nombreux soldats des montagnes se retrouvaient pour discuter.
Entre samurai et ninja, on ne savait plus faire la différence. Si avant c'était le maniement du sabre qui différenciait les deux, désormais c'est plutôt le code d'honneur interne à chacun qui s'en chargeait. Pourtant, elle ne se voilait pas la face. Son regard suivait les conversations des gens, cherchant à entendre le moindre mot clé qui la mettrait sur une piste, le moindre mot incriminant pour les individus qu'elle abhorre mais qu'elle s'efforce de ne pas détester au grand jour, il était certain que pour mieux connaître son ennemi, il fallait devenir son plus proche allié.
Du moins c'était sa façon de faire.
Son attention balayait tout autour d'elle à l'attente de celui qui osera prendre place à ses cotés, ne serais-ce que pour commander un verre ou juste lui faire la conversation, comme elle avait pu le connaître à Teito. Sa main ornée d'une parure vermeil déposée sur le cristal du verre contenant ce vin digestif, où flottent des glaçons se frappant entre eux dans un bruit significatif, Yuiga n'attendait personne mais son comportement semblait dire tout le contraire. La reconnaissance et le renseignement, sous couvert d'un faux rencard qu'elle semble attendre avec impatience.
C y a l a n a
L'alcool montait aux joues des soldats aussi bien qu'à celles du petit peuple. En dépit de toute la bonhomie qui était de mise au sein du troquet, il ne fallut rien de plus qu'une malheureuse bousculade à l'entrée pour échauffer les esprits. Forts de leurs fiertés, les guerriers n'avaient besoin que de quelques coups pour devenir imbus, aveuglés par leurs exploits qui n'avaient rien d'exceptionnel au sein d'un organisme tel qu'un village caché.
Le retour au réel était inévitable. Les deux clients, qui s'apprêtaient à quitter la taverne, ne purent que lever le nez pour déposer leurs yeux rougis sur le visage haut-perché de celui qui les avait emboutis par mégarde. L'instinct de survie, l'un des derniers réflexes instinctifs que ces garçons n'avaient pas encore noyé dans la boisson, leur commanda de s'écarter de quelques pas, libérant la voie au plus grand prédateur.
Un prédateur à la mine souriante, mais aux épaules terriblement larges et épaisses.
« Ne vous en faites pas, les gars. Ça arrive, glissa Kazumasa, en déposant ses larges paluches sur les épaules de ses confrères égarés. »
En dépit de son sourire, on décelait sans mal la pointe de déception qui transpirait du regard du colosse barbu. De voir des confrères aussi mal supporter l'alcool, puis d'avoir aussi vite peur pour leur peau, ne l'enchantait en aucune mesure. Les standards des Tenma étaient particulièrement élevés lorsqu'il s'agissait de tenue de bouteille et d'impétuosité, après tout.
Libérant les malheureux de sa grippe paternelle, le chūnin s'approcha du comptoir où l'attendait le tenancier, qui se retenait d'ailleurs de rire. En s'installant, Kazumasa déballa sa propre boîte à tabac ainsi que sa pipe, qu'il se prépara en lançant un long regard éloquent au tavernier. Un coup d'oeil qui traduisait toute la lassitude qu'il ressentait, accompagné d'un sourire résigné.
« Un umeshu ? dit le tenancier, brisant enfin le silence qui planait entre les deux hommes.
- Comme d'habitude, répondit le colosse qui s'affairait alors à allumer sa pipe. »
Le Tenma ne se rendit compte de la présence à ses côtés qu'après avoir donné vie aux premières braises dans la chambre. Il détailla la demoiselle silencieusement, sans arrière-pensée. Il fallait dire qu'elle tranchait nettement avec la clientèle des lieux ; voire même avec la montagnarde de base,
à plus grande échelle. Les prunelles bleues du guerrier s'attardèrent quelques instants sur le verre de vin qui trônait face à elle, avant qu'il ne se reconcentre sur son tabac.
« J'espère que l'odeur du rustique tabac seizanjin ne vous incommodera pas, toute citadine que vous êtes. »
Ainsi, Kazumasa assumait les origines de sa voisine, imaginant qu'elle partageait l'origine de son vin. Tirant un grand coup sur sa pipe, il lui lança un coup d'oeil en coin avant d'expirer la fumée. Il ne s'en départit que lorsqu'on lui servit son grand verre d'umeshu, dont l'arôme doux et sucré lui fit frétiller les narines.
Le géant s'offrit une gorgée, savourant silencieusement sa propre boisson. Il laissait à la femme parée d'or le soin de choisir si elle voulait lui faire la discussion. Intrusif n'était pas un adjectif qui allait à Kazumasa, quoi que puisse en dire une certaine Karā Saki ; il était là pour lever le pied, pas pour jouer le rôle du lourdaud de service en s'imposant à la donzelle esseulée.
Balayant la taverne du regard, ce fut son ouïe qui trahissait l'entrée d'un nouveau personnage. Sans même le voir, elle l'entendait prendre place à ses cotés sans forcément une volonté de l'aborder, prenant commande avec une aisance qui signifiait qu'il était habitué et certainement un rejeton des montagnes bleues. D'un visage blasé, Yuiga observait finalement devant elle, trahissant son envie d'entendre pour mieux assimiler plutôt que de simplement boire, même si dans un mouvement vif, elle vint se redresser sur son siège en décourbant son dos. Il était plutôt plausible qu'elle souhaite se présenter sous une forme plus classe, bien que son accoutrement trahissait sa partie faussement noble. Pourtant, ce fut la voix rauque du nouvel arrivant qui la tira de sa torpeur, la faisant presque sursauter troublant son habitude à ne pas réellement être intégrée en ces lieux; même si quelques individus l'avaient déjà abordés auparavant, cela restait rare de par sa réputation des plus douteuse.
─ Cela devrait convenir comme odeur, elle est toujours préférable qu'une quelconque autre.
La chasseuse était à même de faire des sous-entendus qu'elle seule pouvait comprendre et assimiler, mais ses mots furent rapidement avortés alors que, apposant ses lèvres de nouveau dans le liquide carmin qu'était le vin, Yuiga prenait une gorgée. L'ambre de ses pupilles daigna finalement se poser contre l'océan qu'était le regard du colosse s'étant installé à ses cotés, nul doute qu'il était un Seizanjin pur sang, sa remarque avait d'autant plus confirmé son profil aux yeux de la Teitojine.
─ Il faut admettre que Seizan est bien différente de la capitale, plus... traditionnelle et champêtre peut-être. La montagne environnante doit offrir cet aspect qui n'est pas des plus désagréables.
Peut-être que c'est ici que vous auriez dû vous installez au lieu d'aller chercher des ennuis aux Jashinistes. Songe-t-elle intérieurement, s'adressant directement à ses aieux qui n'avaient même pas prit le soin de songer à Seizan comme demeure de fin de vie. Trahissant ses pensées vraisemblablement agacée, elle laisse s'échapper un soupir bref durant un instant assez court pour qu'elle puisse rattraper cet écart envers son interlocuteur. Comme elle l'avait déjà remarquée, il semblait d'une certaine prestance et n'avait pas non plus l'air d'être n'importe qui au sein de cette institution qu'était le village, plissant son regard, elle s'efforce de sourire alors qu'elle relève doucement son verre comme pour occuper sa main pendant qu'elle cherchait une façon de s'introduire à cet étrange personnage.
─ Mon nom est Yuiga. Munashisa Yuiga, vous avez visé juste sur mes origines, il semblerait que j'ai encore du mal à m'intégrer avec brio en ce village. Mais j'en apprécie ses coutumes et ses habitants, j'imagine que c'est un bon début.
Sur un brin d'humour, la douteuse semblait se présenter tout en notifiant son attrait pour le village qui l'accueillait. Si simplement elle pouvait se créer un réseau en ces montagnes, ça ne pouvait que profiter à ses objectifs ici, espérant simplement que le barbu ne soit pas l'une des vermines qu'elle chassait, auquel cas elle serait plutôt désolée de l'apprendre. Ironiquement. Mais en attendant ce genre de révélation, il fallait savoir prendre connaissance de ses coéquipiers, car pour l'heure il fallait agir pour le village afin de lui offrir une bonne image d'elle même.
Le colosse opinait doucement du chef, à l'entente des mots de Yuiga. Comme encouragé par son consentement, il tira un grand coup sur sa pipe, couvrant le foyer de son majeur et de son index. Une magistrale langue de fumée s'échappa de ses lèvres dès lors qu'il expira. De sa main libre, il balaya la volute, en reposant le regard sur la jeune femme. Dans son regard de saphir, on lisait clairement sa curiosité. Une curiosité sérieuse, toutefois, qui si elle se soustrayait à la méfiance ne manquait pas d'évoquer l'aspect inquisiteur de la démarche de Kazumasa.
« On est bien, perchés là-haut. C'est un dresseur de destriers habitué au plancher des vaches qui vous le dit, ça doit être vrai. »
Évidemment, le Tenma ne se doutait pas de la toute relative ignorance de son interlocutrice. Il avait, presque toute sa vie, été reconnu — ou au moins, identifié comme un membre de sa lignée, par la présence de l'emblème équin cousu dans l'encolure de son ruunpe. Loin d'être imbu, il était simplement habitué à son rayonnement ; pour preuve, le troquet qu'il avait choisi de fréquenter, au beau milieu d'une populace qui ne partageait pas forcément son illustre héritage.
Il échangea un coup d'oeil entendu avec le tavernier, qui fit glisser jusqu'à lui un grand cendrier. Le géant y déposa sa pipe, s'accoudant au bois vieillissant du comptoir pour mieux observer celle qui s'avérait bien venir de la capitale. S'il avait visé juste, le géant n'en était rendu que plus curieux. Comme l'oxygène qu'il expirait attisait les braises du foyer, les bribes d'informations disséminées par Yuiga faisaient croître les questions qu'il se posait à son sujet.
« Tenma Kazumasa, enchanté, se présenta-t-il enfin. Ne vous en faites pas, vous êtes très bien comme vous êtes. Seizan est une cité militaire, loin des intrigues de cour et autres stratagèmes perfides... du moins, je tends à le croire. »
Un grand sourire accompagna ses mots rassurants. Nouvelle gorgée d'umeshu, ponctuée d'un grand soupir de contentement, puis d'un « le mec qui a inventé ça... » marmonné dans sa barbe.
« Ce que je veux dire, c'est que vous vous intégrerez très bien en restant vous-même. Mon clan y est bien parvenu, même s'il est vrai que l'aspect très terre-à-terre qu'on aime attribuer à Seizan était plus que partagé par nos aïeux, concéda-t-il. »
Une intégration qui suivait une certaine nécessité, moteur des efforts du clan Tenma d'abandonner Daichi no Kuni pour s'établir sur le plateau aux abords des Portes de la Terre. Une nécessité qui soulevait, donc, une énième question probablement malvenue : quelle était celle de Munashisa Yuiga, pour l'éloigner ainsi du confort de la capitale, pour l'amener jusqu'aux sommets les plus escarpés d'Onogoro ?
C'était surestimer le bonhomme que de croire qu'il chercherait à formuler sa question de manière détournée.
« D'ailleurs, qu'est-ce qui vous amène ici, Munashisa Yuiga ? Je ne peux pas m'empêcher de constater qu'il s'agit là d'un changement plutôt drastique de milieu de vie. J'espère que ce n'est pas trop personnel, auquel cas, je m'en excuse, ajouta-t-il. »
Kazumasa n'était pas bien subtil, mais il n'était pas non-plus désagréable. Du moins, pas en temps normal ; le fauve n'avait pas limé ses crocs, même s'il les montrait rarement. Au contraire, il avait le soucis d'être bon. Aussi, il n'insisterait point, s'il venait à percevoir la gêne de son interlocutrice à laquelle il espérait, avec l'immaculée sincérité qui le caractérisait, ne pas tenir la patte.