La nuit était déjà tombée sur le village des Montagnes Bleues en cette soirée hivernale, mais nul n’avait encore terminé ses occupations. S’il n’était pas sorti de chez lui de la journée, Nobuya se sentait épuisé. Après les visites de certains invités au sein de son manoir, il réalisait à quel point sa famille méritait mieux que ce cadre pour travailler. Il avait ainsi passé toute la journée à effectuer le travail des servants dont ils ne possédaient pas encore les moyens d’engager.

Après des décennies de travail acharné, le vieil homme se retrouvait pour la première fois depuis sa tendre enfance à avoir du temps pour lui. La nouvelle génération de Watari avait bien grandi et ne nécessitait plus son attention constante pour se développer.  La trésorerie familiale, bien loin d’être suffisante pour combler ses ambitions, restait convenable pour subvenir aux besoins vitaux de chacun. Loin de lui l’envie de se reposer ou de se laisser divertir par une quelconque occupation triviale, il avait dévoué sa vie à son clan et comptait bien continuer.

Il avait donc décidé de convier formellement le reste de sa famille pour un véritable dîner. A cette fin, la grande salle du manoir avait été méticuleusement préparée. Une grande table décorée et légèrement éclairée par des bougies éparses trônait au cœur de la pièce et des mets raffinés n’attendaient plus que le début du repas. Quatre sièges encerclaient la table, laissant quantité d’espace entre eux.

Nobuya ne s’intéressait guère au confort de ce luxe, mais il agissait sous une volonté d’imposer une nouvelle symbolique pour sa famille. Tout cet apparat ne servait qu’un seul objectif, imprégner dans la tête et dans le cœur de ses convives que l’heure du changement était arrivée. Si l’invitation expliquait clairement que le dîner allait être lieu d’échanges et de discussions sur l’organisation pour l’avenir du clan, Nobuya espérait également que chacun pût réaliser qu’il ne s’agissait là que d’une fraction du confort auquel ils se devaient d’aspirer. S’ils n’avaient jamais connu une telle vie, le vieux Watari n’y voyait là qu’une pâle imitation d’un repas modeste de son enfance.

Lorsque chacun fut arrivé, il prit place sur un des deux sièges se trouvant en bout de table. Après s’être servi un verre de vin, il leva ce dernier en l’air et se leva avant faire une déclaration.

— Merci à tous d’être venu. Je souhaite tout d’abord initier ce repas par des remerciements. Malgré l’ampleur de la tâche qui vous incombait depuis votre naissance, vous avez chacun su garder la tête haute et relever les défis se présentant à vous avec détermination. Pour cela, vous avez toute ma fierté et ma reconnaissance. Je lève donc ce verre en votre honneur. Puissiez-vous préserver cette détermination pour la longue route qui nous attend !

Portant le breuvage à ses lèvres, Nobuya finit par se rasseoir.

— Je n’ai cependant pas requis votre présence que pour vous remercier par ce dîner. Nous avons encore grand à faire, mais nous savons tous que l’époque où je me devais de vous indiquer où aller est révolue depuis un moment. C’est pourquoi je souhaiterais que vous évoquiez à chacun où vos pas vous ont menés dernièrement et vos intentions pour l’avenir prochain. Rappelez-vous que votre puissance personnelle n’est rien face à celle des Watari réunis.

Faiblement éclairé par une bougie à proximité, le visage ridé du vieil homme restait impassible malgré la fierté qu’il éprouvait face aux trois jeunes. En les guidant vers une ambition démesurée, il n’eût comme objectif que de les pousser vers le prestige et le succès. Chacun avait pris une direction qui lui était propre et qu’il n’avait aucunement pu deviner. Malgré toute la rigueur qu’il avait su imposer, il les avait laissés libres de définir par eux même la route qu’ils souhaitaient emprunter. Surveillant toujours celle-ci pour s’assurer de la continuité de leur détermination, il n’avait jusqu’alors pas eu à intervenir pour les recadrer. Les discours de chacun en ce début de soirée démontraient toute l’efficacité de ses enseignements et la réussite de cette liberté accordée. La reconquête de ce monde n’en était encore qu’à ses prémices pour le clan Watari, mais tout indiquait qu’elle se dirigeait dans la bonne voie.

Lorsque chacun eut terminé sa réponse, Nobuya reprit une gorgée de vin, se laissant quelques instants de réflexion. Il était désormais bien plus complexe pour lui de guider ces petits-neveux que par le passé. Ceux-ci étaient désormais matures, intelligents et perspicaces. Malgré son âge avancé, Nobuya ne possédait pas autant d’expérience ou de sagesse qu’il le souhaitait. Il avait cependant pour lui une capacité de prise de recul sur le passage succinct du temps et de son effet sur la témérité de la jeunesse.

— Je me réjouis d’entendre tout cela, commença le Jonin, vous avez tous su saisir les occasions se présentant à vous. Je n’ai rien à redire sur vos actes passés, vous faites honneur au clan Watari par ceux-ci. Concernant le culte, je suis également d’avis que son importance va croitre avec le temps et qu’il nous sera amplement bénéfique si nous savons en tirer profit. Il serait notamment intéressant de découvrir l’identité de ses membres les plus influents pour des raisons dont vous pouvez vous douter. Il est surtout crucial que le clan et le village dont nous dépendons ne se retrouvent pas dans le sillage de destruction qu’il sème. Pour la médecine, l’idée ne me déplait pas, surtout si cela vous permet de développer vos relations avec le reste de Seizan, mais je vous laisse juge de l’importance à accorder à ce projet. Nos collègues restent remplaçables après tout. La volonté d’aider à développer le village est capitale cependant, quelle qu’en soit la forme, le plus déterminé des arbres ne peut pousser dans une forêt morte.

Le sujet des Yokais est également important. Les connaissances à leur sujet sont encore bien maigres, mais elles suffisent déjà à laisser entrevoir des applications pratiques notables. Que ce soit l’étude, la chasse, la capture ou leur commerce, nombreuses sont les voies profitables pouvant aggrandir notre influence et notre puissance. Nous sommes visiblement tous d’accord à ce sujet et je suis personnellement prêt à t’apporter toute l’aide dont tu aurais besoin Hanami pour avancer dans ce domaine.

Le point le plus important à mes yeux actuellement reste le dernier point que vous avez évoqué, les galeries souterraines. L’ensemble du village dépend de ces tunnels pour la plupart encore inconnus. Le développement et la sécurité de Seizan, la forge, le contrôle du marché noir, nombreux sont ces éléments capitaux à nécessiter une meilleure connaissance, et un plus grand contrôle, de ces lieux. A ce sujet, j’apprécierais grandement que tu me fasses visiter les lieux que tu as découvert Elin. Je vais quérir les cartes les plus récentes que je peux obtenir de la part du village et je cartographierai ce que je pourrais avec ton aide.

Le vieil homme plongea alors une main dans une poche de laquelle il sortit trois clés métalliques identiques. Il les fit alors glisser sur la table une par une à destination des trois Watari.

 — Je tiens finalement à vous confier l’accès à mon cabinet. Je me doute que certains d’entre vous ont déjà réussi à pénétrer à l’intérieur durant toutes ses années, mais vous pourrez désormais le faire avec ma bénédiction. Dans le premier tiroir de mon bureau, vous pourrez y trouver un carnet dont je prends le soin de remplir depuis que j’ai rejoins les rangs de l’armée. J’y répertorie toutes les informations sur les différents individus que je rencontre. Relations, capacités, particularités, secrets, tout ce qui peut nous servir y mérite sa place. Vous êtes libres de le consulter, mais surtout d’y aggrémenter toute information que vous jugerez pertinente.