« Et la branche, elle était grosse comme ça, je te jure ! »

Le Cavalier illustrait de ses mains une taille exagérée, comme si c’était un récit de vieux pêcheur. Hattan avait souvent des gestuelles un peu trop accentuées, c’était le prix de compenser pour un visage qui n’était au final qu’un grillage métallique.

« Et tu sais, au sol au dirait que même les arbres sont hostiles ! »

Comme s’il réalisait que ça n’était pas extrêmement logique, il relevait un doigt pour mieux expliquer.

« Tu vois, je suis sur ma patrouille habituelle, je me faufile rapide comme le vent, je suis une anguille tu vois ? Et soudain ? BAM ! Cette gigantesque, cette titanesque branche, plus colossale qu’un Wendigo, mais tout aussi sinistre tu vois ? »

Il hocha du casque pour le confirmer.

« Mais je suis un fier Cavalier, je ne vais pas reculer devant ce… ce végétal adversaire ! Alors d’un valeureux coup de bras je l’écarte de mon chemin ! Elle n’avait aucune chance ! »

Petit rire nerveux.

« Mais bon, je n’avais pas prévu que cette traîtresse reviendrait pour me frapper dans le dos l’instant d’après. Ou qu’IE en profiterait pour se cabrer. Il ne l’avait fait que deux fois ce matin, quand j’y repense… »

C’était particulièrement douloureux et le heaume se tut. Son infirmière était davantage une tortionnaire. Pas exactement la délicatesse qu’on attendait d’une guérisseuse. En temps normal, c’est le genre de coupure qu’il aurait juste laissé cicatriser, mais après tout ce temps dans cette jungle, il savait plus que tous que la moindre blessure pouvait rapidement s’infecter. La quête ne lui permettrait pas de mourir d’une fièvre tropicale.  

Un hennissement survint dans un coin de la pièce, alors qu’une tête trop connue dépassait le pas de la porte, comme pour espionner. Mais Hattan savait très bien qu’Ie voulait surtout se moquer.

« Tu n’y vas pas de main morte toi – Aie. »

Il secoua une tête métallique.

« Je sais ce que tu vas dire, comment ça se fait que je suis ici constamment. Je suis un homme qui brave tous les dangers, vois-tu. »

Le cavalier inclina la tête.

« Être un héros, c’est se lever le matin en sachant qu’une branche va te lacérer le dos au passage, et y aller quand même, le cœur léger. »

Il secoua la tête encore.

« Et toi, ça semble de vraiment appuyer sur tes aiguilles. Hargh. Tu as un nom, ou bien c’est juste Doc ? Ou je t’en invente un. »

Ie hennit encore, comme s’il soupirait.

Et c’était peut-être le cas, au fond.

« Moi c’est Hattan, ton sympathique cavalier du voisinage. Si tu dois continuer à me poignarder, autant au moins savoir le nom de ta victime, et moi le bourreau ? »

« Oh, oh, ne dites pas cela. »

Le Heaume avait relevé la tête vers elle. Même sans yeux ou chair pour l’exprimer, il semblait la fixer avec une attention qui détonnait son humeur (et humour) léger. Après un instant de silence, Hattan secoua la tête.

« La quête ne me permettrait de mentir sur ce genre de chose. Je portais une armure, alors c’est l’effet de fouet qui a fait ces blessures, pas le tranchant du bois lui-même. »

Un autre instant de silence, sur un ton qui semblait carrément glacial vis-à-vis le moment d’avant. Mais ça ne dura pas alors qu’il haussa les épaules, reprenant sa bonhomie.

« Mais je suppose qu’il faudra me croire sur parole. À moins que tu ne veuilles interroger le témoin principal. »

Ie semblait ignorer la pique, son nez reniflant des éprouvettes sur le comptoir près de la porte. Ça devait sentir les herbes médicinales, mais l’intérêt du destrier était purement… Gastronomique.

« Enfin quelqu’un qui voit la vraie nature d’Ie. Toi et moi on va bien s’entendre. »

Il avait dit ça si naturellement, comme si ça valait de soi. Hattan était naturellement optimiste sur la plupart des choses.

« Haha, des querelles familiales ? Explique-moi tout ! Ma propre situation clanique est bien plus ennuyeuse. On est bien trop protocolaire chez les Rohan pour se détester ouvertement. Et la quête proscrit les pensées assassines. C’est un cercle vicieux, surtout quand il s’agit de décider qui va faire la lessive. »

Le cavalier semblait s’intéresser à son environnement.

« Il y a beaucoup plus de trucs dans cette salle que les autres où j’ai été dans le passé, t’es une genre de scientifique ? T’as ton rire de savant fou sur demande ? »

Il leva un doigt comme s’il avait fait une découverte monumentale, mais plutôt sortit un petit sac d’une poche dans son armure.

« Avec ton gros cerveau tu vas peut-être pouvoir m’aider d’ailleurs. Ils m’ont donné ce truc avec ma paie ce mois-ci. C’est un genre de drogue je pense ? Mais je ne sais pas trop ce que c’est censé faire. »

Hattan allait pas avaler n’importe quoi ! Son plan actuel était de la donner à Ie pour qu’il soit un cobaye – et soit enfin utile – mais si elle pouvait le renseigner ce serait pas mal non plus.

« Et du coup, t’es une disciple de la Kage ? Ils disent que c’est la meilleure doc du continent. Mais je n’en saurais pas grand-chose. »

Il était étranger de la plupart des sujets intellectuels même si, parfois, il pouvait surprendre. Son éducation avait différé de celle de la plupart des gens. On pouvait compter sur les Rohans pour être imprévisibles.

Ou juste bizarres.

Hattan haussa des épaules. La famille n’était jamais une fin. Peut-être que Meian était simplement prête pour le prochain chapitre, qui sait ?

« Peut-être que la science est ton divin, alors, non ? »

Même croire en rien, c’était un point de départ. La doc semblait bien renfermée sur elle-même, et ça attristait le soldat. La quête n’aurait pas voulu autant d’amertume. Heureusement qu’elle lui faisait un câlin désormais, ça prouvait au moins qu’elle avait un battement de cœur et donc, l’organe associé.

« Alors ce sont des fleurs, dans ces fioles, alors ? Belle collection. Je ne t’imaginais pas entretenir ce genre de passion, Meian. »

Il n’y connaissait rien, alors le sens des mots de la femme lui échappait. D’ailleurs, il dirigea son casque vers elle en écoutant ses explications au sujet de la pilule qu’il lui montrait, hochant lentement de la tête.

« Le cerveau…prunelle…décharge ? Ha… »

Paradoxe ? Conséquence. Un peu perdu, il se contenta d’hocher de la tête plusieurs fois pour ne pas l’interrompre dans sa lancée. De toute évidence, elle était dans son élément quand il s’agissait des trucs intellectuels, tout le contraire d’Hattan. Heureusement peut-être, il comprit la dernière phrase.

« Ah, donc voir la nuit, comme si j’avais une torche, mais sans torche ? Haaaaaaa »

Il hocha de la tête plusieurs fois, bon enfant.

« Trop cool ! Merci Docteur Meian. Mais c’est quoi un éphémère ? C’est la saveur ? Au dirait le nom d’une de tes fleurs »

Dubitatif, le cavalier rangea prudemment le médicament à l’éphémère. Ça pourrait être très utile lors d’une patrouille de nuit, à bien y songer. Au sujet de la Kage, il soupira.

« Deux ans, et je ne l’ai jamais rencontrée… Quel genre de personne est-elle selon toi, Docteur? »

Une question honnête. Si Hattan voulait se rapprocher de la justice, il devait se rapprocher de l’action et de la gloire, et avoir une bonne relation avec le leader de son village serait une excellente première étape.

La médecin semblait avoir fini son ouvrage et Hattan se releva, éprouvant la flexibilité perdue en jouant un peu des épaules. C’était encore douloureux, mais ce n’était pas trop mal sinon.

« Je me sens bien mieux, Meian ! Merci ! »

Tout en commençant à enfiler son gilet par-dessus sa peau lézardée de cicatrices, il sembla songeur. La quête exigeait de repayer ses dettes.

« Je suis sûr que vous êtes très occupée avec toutes ces… orties… Mais vous feriez-vous l’honneur de me laisser t’offrir une tasse de thé ? En reconnaissance de ton si bon travail ? »

Il y eut des gloussements dans l’arrière-plan mais Hattan suppose que quelqu’un venait de dire une bonne blague. L’humeur, ça faisait toujours du bien.

« Peut-être que vous pourriez m’expliquer un peu plus de toute cette science d’éphémère ! »

Enjoué, il enfilait son armure en sifflotant, de bonne humeur.

« Hmm, je vois… »

Un effet temporaire, donc. Ça, il pouvait comprendre. Meian parlait plus vite qu’il ne pouvait traduire mentalement.

« Un couteau ? »

Ça il connaissait, mais de quel tiroir elle parlait ? Confus, Hattan replaçait sa cuirasse en hochant de la tête, ce qui semblait moins énerver la docteure que de trop poser de questions. Le cavalier savait s’adapter après tout.  Mais il était reconnaissant des explications, l’analogie de la torche avait remplis sa mission.

Elle avait accepté son offre, sans gaité de cœur peut-être, mais elle avait accepté et Hattan hochait de la tête à nouveau, saluant les autres membres de l’équipe médicale avant de sortir, Meian à sa suite. Il y avait un petit comptoir de thé près de l’hôpital, sans nul doute destiné à satisfaire les besoins du personnel de l’établissement. Le thé là n’y serait pas excellent, mais il serait chaud et bien intentionné.

Tout comme Meian, non ? Ie se mettait à leur suite, pas du tout affecté par la compatibilité – ou l’absence de – d’un cheval dans les couloirs d’une clinique scientifique.

« Et Meian du Clan Chuo, cela fait-il longtemps que votre famille est implantée à Jujou ? »

Hattan sembla songeur.

« Malgré vos conflits, il y a un certain confort à pouvoir vivre à proximité de sa famille, même s’il semble évident que nous n’êtes pas de cet avis. Croyez-vous que les choses changeront un jour ? »

Ils passaient les double-portes et retournaient dans les rayons chauds et rassurant du soleil. Hattan tapota le flanc de son « stupide » cheval, haussant les épaules devant le regard dubitatif que l’animal avait envers la médecin. Un instant de plus et ils étaient devant le comptoir, le soldat faisant signe à la préposée.

« Deux tasses de thé au matcha, madame. »

Un parfum particulièrement prisé en hiver. Pendant qu’ils attendaient, le cavalier se tournait vers la docteure, en silence pendant quelques instants.

« Vous ai-je offensé d’une quelconque manière, Meian ? Si c’est le cas je tiens à m’en excuser. »

Il se posa la main derrière le casque. Mais s’il n’avait pas d’yeux pour la regarder, son heaume semblait la fixer avec attention.

« J’ai confiance en vous, mais moins envers tous ces gens qui étaient dans la salle, avec vous. Surtout avec la manière dont vous semblez les considérer. Votre opinion, elle a une grande valeur à mes yeux, Meian. »

La préposée déposait deux tasses fumantes sur le comptoir et Hattan la remerciait en s’inclinant, posant quelques ryos, bien plus que nécessaire. Ceci fait il offrait l’une des tasses à la femme.

« Ces gens, votre famille, aurait-elle pris votre côté ou le mien lorsque vous m’avez accusé de mentir ? »

Il hocha de la tête lentement alors qu’ils prenaient place à une table près du brasier où la préposée faisait chauffer de l’eau constamment. La chaleur du feu et la vapeur de l’eau créait une température agréable, même dans le froid mordant de l’hiver.

« Le fait est que, vous et moi avons des aspirations différentes. La vôtre est… Intellectuelle. La mienne est… Mesurée à la force de mes actes. »

Hattan respira le parfum du thé.

« Et pour accomplir ces actes, j’ai besoin de la confiance de mes pairs, de mes supérieurs. La quête m’offre les opportunités, mais c’est à moi d’être prêt à les saisir. Peu importe le prix qu’il peut m’en coûter. Cela vous semble-t-il justifié, Meian ? »


Si elle était aussi brillante qu’elle le paraissait, le tableau devait commencer à paraître plus clair.

« Vous avez vu ce que les autres n’ont pas pu. Et c’est pourquoi j’aimerais proposer un arrangement. Un accord qui, peut-être, serait tout autant profitable pour vous que pour moi, car la quête le voudrait ainsi. »

Il posa des bras larges et métalliques sur la table.

« Je ne m’attend pas à ce que vous compreniez mes objectifs. Et il semble évident que je ne peux comprendre les vôtres. Ma question est, pouvez-vous voir imaginer un arrangement où nous pourrions nous assister mutuellement, en dépit de nos intérêts divergents. »

Le cavalier souffla. Ie s’était placé sur le côté du comptoir, reniflant le sol, pour y trouver ce qui y était invisible. Et Hattan, paradoxalement faisait de même.

« Gardez-moi en état et loin des oreilles qu’ont vos murs… Et je ne vous aiderai là où aucun d’entre eux ne le ferait. »

Hattan garda le silence un court instant, les mains fermées autour de sa tasse, mais au final il secoua négativement la tête.

« Vous vous méprenez, Meian. Vous êtes charmante, mais vous n’êtes pas la première personne qui échange avec moi, voyons ! »

Une tournure un peu enfantine de l’argument. Mais même dans son opposition, le cavalier semblait enjoué, sympathique, à l’inverse de sa froide interlocutrice. Il n’allongea pas sa pensée immédiatement, prenant d’abord le temps de respirer le parfum de son thé, qui lui réchauffait le cœur au plus profond de l’hiver qui voulait prendre ses droits autour d’eux.

« Mon opinion sur votre famille importe effectivement bien peu, si elle me semble encore relativement véridique. Mais elle a causé votre réaction qui fut bien plus instructive à mes yeux qu’une simple approbation. Pas seulement sur eux, mais sur vous. Vous êtes une femme décisive. Focalisée. »

Il secoua la tête dans un léger grincement métallique.

« Que mes buts passent par mes actes ne veut pas dire que je fonce aveuglément et sans réfléchir. La justice n’est pas une chose simple. Il est bien plus aisé d’en remarquer l’absence que la présence. En cela, elle nécessite de prendre parfois des risques calculés. Et c’est là que j’aimerais collaborer avec vous. Allez-vous réellement me dire que vous n’êtes pas le moindrement intriguée ? »

Et elle lui confirma alors que oui, sous l’égide d’un ultimatum à peine voilé. Hattan fit mine de réfléchir, puis posa les mains sur les côtés de son heaume. Mais au bout de quelques instants, il les retirait pour les poser sur la table, sortant une paille métallique de sa cuirasse pour la planter dans la tasse de thé fumante.

« Je suis désolé Dame Meian, mais ce heaume est le seul visage que j’ai. Moi et ma famille sommes jurés de montrer un visage uni de la justice, sans l’altération qu’est l’imperfection de l’homme. Je comprendrais votre hésitation à cet égard, pourtant c’est le chemin qui est le mien. Pour autant, vous aurez bien peu de mal à me reconnaître. Il n’y a qu’un seul cheval dans ce village…»

La monture s’ébroua en se retournant, s’intéressant cette fois aux vêtements de la femme qu’il commença à renifler de ses immenses narines.

« Je ne parle pas d’une alliance mais bien d’un simple arrangement. La vraie franchise. La quête nécessite un échange équitable. Alors ainsi est ma question, puisque vous savez déjà ce que j’aimerais obtenir de vous : quel est votre prix ? »

Ceci fait, il levait la tasse pour en prendre une gorgée via sa paille, calée entre un des interstices de son casque.

« Tout ce qui m’importe vraiment de vos objectis, Meian, c’est qu’ils soient positifs pour l’humanité. Ce que ça veut dire exactement… C’est à vous de me le dire. Ou non. »

Il secoua la tête une fois de plus.

« Mais si je me suis trompé sur vous, et que la quête s’est jouée de moi… Ce ne serait pas la première fois. »