Cela faisait déjà quelques temps que j’avais quitté mon petit village près des montagnes de Seizan, mais je ne pouvais m’empêcher d’avoir un pincement au cœur. Ma décision était prise et mûrement réfléchie, j’avais besoin de devenir plus fort et découvrir le sens qui se cachait derrière la puissance. Et ce n’était pas au village, où mon Suiton était vu comme un aveu de faiblesse, que j’allais pouvoir continuer à progresser. Toutefois je ne pouvais m’empêcher de penser qu’en quitant le village je me privais d’explications précieuses sur mon passé. Le kunai et la lettre qui lui était attachée pesait lourd dans la poche de ma veste, et les secrets qu’il renfermait tentaient de m’entraîner vers mon passé. Mais en continuant mon chemin, j’avais décidé que je mettrais la lumière sur ce maudit passé d’une autre manière. Je n’avais pas d’autres choix, autrement je serais resté à me morfondre au village. Est-ce que la voie que j’étais en train de prendre était forcément meilleure ? Je n’en étais pas si sûr…mais c’était la voie sur laquelle j'avais décidé de m'engager et je comptais bien m’y tenir.

Je n’arrivais pas à laisser complètement ces pensées derrière moi, et elles me taraudaient bien plus que que je désirais l'admettre. J’étais persuadé que ce kunai qui m’était parvenu avait pour expéditrice nulle autre personne que ma mère. Je ne l’avais pas vu, et je ne l’avais pas entendu, mais je savais que ma mère était une maîtresse dans l’art de se déplacer sans faire de bruit ni même remuer l’air. Une ombre parmi les ombres. Alors comment en étais-je persuadé ? Une sensation familière, tout simplement…Si l’on pouvait dire. Enfin bon, je n’étais pas là pour ressasser le passé indéfiniment. Si je m’étais éloigné de Seizan, j’étais encore dans les contrées du Sud tout en continuant mon chemin vers la frontière est. La prochaine ville sur mon chemin n’était nulle autre que Kuma no Kuni, le pays de l’ours. Drôle de nom quand on y pensait. Il y avait-il une statue d’ours dans toutes les villes de ce pays ? C’est avec cette pensée un peu loufoque que je me dirigeai naturellement vers un village de pêcheur. Des quelques brides des passants et des quelques panneaux que je pouvais lire, je me trouvais donc enfin à Kaigara.

Si je m’étais aventuré jusqu’ici, il y avait bien une raison. Lorsque j’étais plus jeune, j’avais entendu des histoires faisant mentions de Yokai marins se trouvant aux alentours de ce Pays. Peut-être allais-je pouvoir obtenir des informations ici que je ne pouvais avoir autre part ? Par ailleurs, j’avais besoin de sous, et le meilleur moyen d’en récolter était de travailler. Et quoi de mieux qu’un utilisateur du suiton pour travailler dans un port de pêche ? En marchant pour m’enfoncer un peu plus dans la ville, je laissai mon regard traîner vers le port, la mer et les bateaux présents. Je ne pus m’empêcher de noter la présence de femmes aux côtés des hommes pêcheurs se tenant au-dessus des légères vagues. Rien d’anormal dans un premier temps, jusqu’à ce que je remarque leur accoutrement ; des tenues de plongées ? Un sourcil surpris s’éleva sur mon front. C’était bien rare de voir des femmes participer à la récolte marine en compagnie des pêcheurs, chose qui était en général purement masculin, allez savoir pourquoi. Glissant mes mains dans mes poches toujours avec cet air un peu surpris, je me dirigeai vers une échoppe. Comme à mon habitude, je me penchai légèrement pour rentrer dans celle-ci et observai pendant une seconde mon entourage. Quelques villageois, rien détonnant de d’habitude. Si ce n’était cet individu à l’accoutrement bien étrange dénotant clairement avec le paysage. Intrigué, je pris la seule place de libre à ses côtés et m’adressai au gérant qui avait dardé son regard professionnel sur ma personne.

-Je vais vous prendre…le plat du jour, et un verre d’eau s’il-vous-plaît.

Puis tournant légèrement la tête vers celui qui avait clairement la dégaine d’un étranger solitaire pour entamer la conversation.

-Je me suis installé ici, il n’y avait pas beaucoup d’autres places ailleurs. J’espère que ça ne vous dérange pas… ?

Ce n’était qu’une formule de politesse en réalité, je ne m’attendais pas réellement à une réponse positive ou négative. Continuant à l’observer du coin de l’œil tout en tâchant de rester discret, quelque chose dans sa posture me rendait curieux.

-Vous êtes de passages dans le coin ?

Je m’étais assis près de l’étrange individu, ne lui adressant initialement la parole que pour le prévenir que j’allais prendre la place à côté de lui. Mais mes premières paroles lui étaient visiblement passées loin au-dessus de la tête. Lorsqu’il s’était rendu compte que je lui parlais, il avait tourné le regard vers moi et, avec un air visiblement agacé, fini par prendre la parole à son tour. La bouche pleine, les cheveux ébouriffés, c’était à peine si quelques miettes de son repas enrobés de salive ne s’étaient pas échappées de sa bouche pour ce poser sur le comptoir. Tout, dans son attitude à son apparence, criait « Rustique ». J’eus presque envie de soupirer face à son attitude, et me retins de justesse. La dernière chose dont j’avais besoin actuellement, c’était de créer une scène alors que je venais tout juste d’arriver.

-Je vois que la politesse semble plus vous déranger que la réduction d’espace vitale, dis-je tout de même d’un ton un peu piquant. Je vous informais simplement que j’espérais que ma prise de place ne vous dérangeait pas. Le nombre de sièges vides disponibles est assez limité.

Maigo hein. C’était donc ainsi qu’il s’appelait. Malgré sa rudesse et le piquant de sa remarque, il avait tout de même pris le temps de commencer par se présenter. Je ne savais pas si cela rattrapait son manque d’éducation évident, mais il valait mieux voir le verre à moitié plein si j’allais devoir supporter ses bruits de mastications et sa présence pendant que je mangeais de mon côté.

-Moi c’est Syl.

Mais à partir du moment où il avait posé son regard sur moi, celui-ci ne s’était jamais réellement détaché. Il avait certes recommencé à manger, mais une partie de son attention restait fixée sur moi. Au moment où mon interlocuteur reprenait son discours, mon assiette arriva à son tour. C’était rapide dites-donc, cela faisait à peine quelques secondes que j’avais commandé. L’assiette était en piteux état, cernés de fissures qui menaçaient à tout instant d’atteindre les bords de mon plat n’était pas rassurant. Toutefois l’explication de la rapidité de ma commande ne tarda pas à sauter à mes yeux : mon plat ressemblait étrangement à celui de mon voisin, à l’exception près que celui-ci n’était pas encore entamé. Je supposais que la carte devait être assez restreinte…Malgré cela, l’odeur alléchante du poisson grillé et sa couleur brunie à la perfection l’emportèrent sur le peu de méfiance que je pouvais ressentir. Je reportai mon attention sur la conversation en cours tout en commençant à manger.

Je haussai un sourcil en entendant les suspicions de mon interlocuteur, et finis même par en rire. Je ne savais pas que penser des mots de Maigo, mais on ne pouvait certainement pas lui retirer son franc parler et son honnêteté. Ce n’était pas tous les jours que quelqu’un était presque en train d’avouer qu’il y avait des gens à ses trousses. Ce qui n’allait certainement pas l’aider à échapper à ses détracteurs. Tout du moins, s’il disait bien la vérité. En pointant ma fourchette dans sa direction tout en souriant après avoir terminé une bouchée, je ne pus m’empêcher de lui dire.

-Soit t’es un génie, soit tout l’inverse. Si j’étais là pour te pourchasser, ç’aurait été bien ma vaine de tomber sur toi aussi facilement.

Tout en continuant à manger, je regardais en coin l’homme au physique un poil négligé et atypique, avant de finir par répondre. Il avait beau être un sacré bout d’homme au visage fermé, il n’en restait pas moins intéressant. Et ses suspicions à mon sujet ne faisaient que confirmer les miennes.

-Non, je ne suis pas d’ici non plus, je viens d’arriver. Et je ne suis pas à ta recherche, même si je me demande bien ce que quelqu’un pourrait bien te vouloir… ? Mais si je suis venu à côté de toi, c’est parce que tu dénotais avec l’environnement, et tu m’intriguais. Je suppose qu’on partage ça en commun…Ca en dit long sur nous, n’est-ce pas ? terminai-je avec un sourire. Alors à quoi penses-tu devoir échapper ?

Pendant ce temps, je continuais à manger mon repas. Ce met n’était pas le meilleur riz qui soit, mais il était loin d’être aussi mauvais qu’il en avait l’air de prime à bord. Il était même plutôt bon, honnêtement. Quant au poisson grillé, il apparaissait évident que l’on se trouvait dans un port de pêche, et la rapidité de la commande n’enlevait rien à son goût.