D’autres avaient eu cette mission d’observer, suivre, noter les habitudes, bonnes comme mauvaises. Ils n’avaient aucune idée de pourquoi ils faisaient cela, mais les ombres n’étaient que de furtifs pions qui tentaient d’émerger de la masse informe des milliers qu’ils étaient. Accomplir une mission sacrée confiée par plus haut placé qu’eux était un des rares moyens de progresser dans la hiérarchie séculaire du culte immortel.

Arrivé en ville depuis peu, l’un des informels affublés à cette tâche ingrate me faisait son rapport, ce jeune homme nonchalant, presque insouciant, voire inconstant était en ville. J’avais suivi quelques affaires ici et là et « lui » avait su piquer ma curiosité. Je n’en avais touché mot à personne en particulier, personne n’étant particulièrement intéressé par le protagoniste en question, mais j’étais curieux de savoir si Il avait des projets pour lui.

Déambulant nonchalamment dans les rues du petit village, je n’étais personne, une âme parmi les autres, effacée, absente, inutile. Je suivais le pas, le sens de la marche pour finalement, dans l’ignorance la plus totale me heurter à « lui », individu désinvolte dont le destin pouvait basculer. Au moment de l’impact, je chuchotais quelques mots avant de poursuivre ma route, laissant un passage un simple papier au fond de sa poche.



Une rue plus loin, me détournant de ma route, je reprenais mon masque clérical habituel, spécialiste du balai et retournais observer ma cible qui ne semblait nullement avoir fait cas de ce premier contact éphémère.

Il fallu attendre de longues minutes pour que l’individu ne se pose enfin, jetant son dévolu sur un restaurant aussi quelconque que ce village et ses habitants. Alors attablé seul devant la tasse de thé que l’on venait de lui servir avant qu’il ne passe réellement commande, je m’installais devant lui, le regardant de cette attitude froide et hautain qui me caractérisait.

Sans un mot, je plantais mon regard dans le sien, attendant une première réaction.

Depuis combien de temps était-il observé ? Cette question frappa son esprit avec violence tandis que pour la première fois, ses yeux croisaient ceux de l’homme pâle. Son regard, son attitude, ce vide… . Les poils de son corps se hérissèrent à l’union alors qu’il entrevoyait le gouffre entre eux. Sa mémoire travailla à toute allure pour essayer de remonter à une raison, une action expliquant une-t-elle attitude et cette dernière n’eut pas à travailler longtemps avant que la réalité ne s’impose à lui. Le portefeuille !

Instinctivement, la main de l’errant se porta à la poche de sa veste tapotant nerveusement le petit renflement créé par l’objet qui lui paraissait bien plus lourd qu’une fraction de seconde plutôt. Une erreur monstrueuse et maintenant il allait devoir faire avec. Retirant pour la seconde fois l’objet de sa poche, il sentit cette fois un petit bout de papier frotter le dos de sa main.

Le sourire crispé qui lui échappa contrastait grandement avec les idées, plus obscures les unes que les autres, qui traversaient son esprit. Dans une situation aussi tendue, le nombre d’options qui s’offraient à lui était particulièrement limité. Au bluff, il irait au bluff confronter cet étranger en espérant que la salle comble de monde suffirait à limiter l’ampleur du danger.

Sa main se leva avec un calme glacial. Les yeux plongés dans ceux l’inconnu il dévoila sa paume vide en signe de paix avant de simplement l’invité à le rejoindre comme s’il contrôlait déjà l’échange avenir. Comment le prendrait-il ? Allait-il en effet répondre à cette invitation ou au contraire verrait-il ce geste comme une forme d’arrogance ou pire encore comme une forme d’insulte à son encontre ?

J’étais là.

Assis.

Silencieux.

Observateur.

Scrutateur.

Dans cette scène étrange, chacun jouait son rôle, moi celui de l’étranger mystérieux, voire même inquiétant alors que mon interlocuteur avait celui de l’homme perdu dépassé par une situation qu’il ne comprenait guère et qu’il ne pouvait comprendre dans les circonstances actuelles. Pour autant, l’énergumène avait pour lui une certaine jugeote et trouva rapidement sa poche ainsi que la petite missive que je lui avais laissée.

Ses yeux posés sur le papier se figèrent de longues secondes. Sur ce dernier, un symbole, celui de Jashin ainsi que quelques mots. « Il est l’heure de faire un choix. Il est l’heure de faire un sacrifice ». L’interprétation de tels mots était multiple mais seul le lecteur pouvait interpréter les mots selon sa propre volonté. Le résultat dépendrait de son propre choix.

Malgré la situation, ce Maigo tentait de cacher les apparences. Malheureusement, cacher les apparences, c’est ce que je faisais de mieux depuis des années et dans ce genre de tentative maladroite il était difficile de me berner. Malgré l’invitation puérile qui m’était offerte, je gardais silence, restais assis sur ma chaise, le dos droit, le regard toujours fixement accroché à celui de mon interlocuteur.

Face à la provocation, une seule réponse était envisageable et c’est avec un calme olympien que je poursuivais la discussion que nous venions d’entamer.



Les mots était une chose, la détermination en était une autre. Dans un geste similaire au sien, je montrais la paume de ma main de laquelle apparu une flamme qui virevolta quelques secondes, nous inondant de sa chaleur avant de disparaitre aussi soudainement qu’elle était arrivée.



Ce n’était pas une question. C’était une affirmation. Mon interlocuteur était désormais libre d’agir. Qu’allait-il décider ?