D'une main galvanisée par sa réalisation existentielle, l'homme fleuri... non, la panthère noire referma ses griffes sur sa proie. Mugetsu ne faisait plus qu'un avec son épée. La lame, une simple extension de son âme, de son instinct, fendit l'horizon avant de se heurter à un obstacle d'une époque ensevelie par les sables du temps. Halté dans sa course, le ronin se heurta aux lames d'un Kinki au sourire large. Tels les derniers remparts d'une forteresse imprégnable, les sabres du colosse le protégeaient de l'assaut primal de l'errant. Cependant, c'était en vain, car Mugetsu avait transcendé sa propre condition.

Des étincelles jaillirent, dues contact prolongé entre les trois lames, véritable symbole de la lutte dantesque qui était à l'œuvre. Si aucun des belligérants ne lâchait prise, le sabre du fleuri semblait toutefois se frayer un chemin, ignorant petit à petit l'acier lui barrant le chemin. Puis, après de longues secondes, un bruit sec mis fin à la danse scintillante, suivie de près par une vive effusion d'un sang aussi vieux que ce sanctuaire.

Si Mugetsu venait de triompher face au colosse, c'était le résultat d'une courte lutte, certes, et pourtant aussi intense que la plus longue bataille sous les cieux. Néanmoins, dans l'air encore vibrant de l'écho des lames et de l'effondrement inarrêtable du sanctuaire, l'élan apporté par la Zone se retournait sur l'hôte de ce champ cognitif, lorsque ses portes se fermèrent subitement à Mugetsu. Il faisait à nouveau partie du commun des mortels, et aucun mortel ne pouvait se figer en plein air. Ainsi, alors que les répercussions physiques de son état nouvellement retrouvé commençaient à se manifester, le ronin ne put dévier de sa course. Conséquence de sa victoire, sa terrible attaque prit fin malgré lui lorsqu'il entra brutalement en contact avec l'un des derniers murs supportant le temple miteux.

Dans le silence qui suivit la chute, le ronin, face contre terre, prit une longue et douloureuse inspiration. La poussière soulevée par la destruction se déposait lentement, comme pour recouvrir l'épilogue de l'affrontement titanesque. Mugetsu, malgré la douleur irradiant dans les moindres fibres de son corps, ne ressentait plus rien, si ce n'est ses doigts toujours fermement enroulés autour de la garde de son épée.

Ce qu'il venait de vivre dépassait son entendement. Lui-même avait du mal à s'en rendre compte. L'instinct, tout abandonner pour simplement suivre son instinct. Était-ce là la clé ? Une nouvelle réalisation le heurta avec la force de sept tempêtes. La clé, oui... mais de quoi ? Certes, il avait pu accéder à un état de conscience supérieur, un pseudo-éveil de son existence. Cependant, il se sentait toujours aussi vide, peut-être même plus qu'à l'accoutumée après avoir expérimenté l'intense et réconfortante chaleur d'une raison d'être. Et celle-ci, à son grand dam, venait d'être accomplie.

Difficilement, il se retourna à temps pour observer le retour triomphant du soleil, le disque céleste dispersant les nuages de ses rayons aussi majestueux qu'aveuglants. Le ronin ferma les yeux un instant... néanmoins ce ne fut pas le confort des ténèbres de ses paupières qui l'accueillit.


Seul face à une silhouette cryptique, le ronin ne discernait de cette vision qu'un simple katana recouvert d'un fourreau peu reconnaissable. L'arme, usée à en juger par l'état de son manche, lui était tendue tandis que des mots lourds d'un sens dont Mugetsu ignorait la possible importance résonnaient dans son esprit, tel un tonnerre perçant les cieux : « T'en penses-tu digne ? ». Puis, la vision se dissipa aussitôt, plongeant l'errant dans une profonde perplexité. Il rouvrit les yeux.

Conséquence de l'extrême fatigue qui le traversait ? Contrecoup de son entrée dans cet état second qui lui permit de vaincre Kinki ? Ou... vision de son passé ? Le fleuri n'en savait rien et cette réalisation le frustrait plus qu'autre chose. Jusqu'à maintenant, il n'avait jamais été confronté à ce genre de phénomènes, alors pourquoi maintenant ? Milles et unes théories lui traversèrent l'esprit. Toutefois, le rire tonitruant provenant des ruines de ce qui était un sanctuaire oublié le sortit de ses nébuleuses pensées. Kinki était toujours vivant, pensa-t-il en soufflant du nez. Si l'alternative ne lui aurait été bénéfique en rien, la survie du colosse lui était totalement sorti de la tête.

Rassemblant le peu de force qui lui restait, Mugetsu se releva après plusieurs douloureuses et infructueuses tentatives puis se dirigea vers Kinki.

– Conte-...

Une subite quinte de toux le força au silence. Sentant un goût métallique se mêler dans sa bouche, Mugetsu cracha un mélange abject de bile et de sang et continua, haletant entre chaque mot.

– Content... d'avoir été... à la hauteur...

Si son état l'empêchait de réagir à toutes les paroles du colosse, ces dernières n'étaient certainement pas ignorées. Il avait réussi à se montrer à la hauteur des espérances d'un homme dont l'existence n'avait peut-être aucun sens et cette absurde pensée suffisait à l'emplir d'une certaine fierté. Zangetsu, pensa-t-il en s'écroulant aux pieds de Kinki, un titre qui lui allait comme un gant. Alors pourquoi, pourquoi ne pouvait-il pas empêcher ses nerfs de s'animer du feu de l'agacement en repensant à sa vision d'il y a quelques instants ?


Assis en tailleur, Mugetsu s'était laissé soigner par Kinki. L'errant se demandait bien où le colosse avait pu apprendre à un être un soigneur aussi efficace mais il se garda de lui poser la question. Pour l'instant, son attention était posée sur la missive que le centenaire venait de lui tendre. Il la lut dans le silence, puis dévisagea le sabreur géant, les sourcils froncés par une confusion facilement discernable et exacerbée par les explications que ce dernier lui donna.

Si Kinki disait vrai et que le tournoi avait pour but de l'y attirer, Mugetsu se doutait que la raison de ce subterfuge était bienveillante. Et c'était dans ce genre de situation qu'il l'impliquait ? Un ricanement instinctif brisa le silence de l'errant tandis qu'il venait caresser son écharpe entre le pouce et l'index.

Mugetsu se plongea à nouveau dans les méandres de la réflexion. Le ronin avait déjà donné son accord et Kinki, malgré son excentricité, ne semblait pas être le genre d'homme à pardonner aussi aisément un pacte rompu. De plus, les informations qu'il avait partagées avec Mugetsu lui mettait déjà une cible sur le dos, quoi qu'il fasse. Hmmm... Était-ce son plan depuis le début ?

Le fleuri ricana de plus bel face à cette réalisation et se leva, le regard de nouveau posé sur Kinki, l'original.

– Yare yare... Kinki hein, un peu vieillot pour moi mais je vais juste devoir m'y faire pas vrai ?

Alors qu'il se dirige à l'endroit où leur échange initial prit place, Mugetsu continua sa tirade, sa main se portant à l'épée à sa ceinture.

– Je vais pas te le cacher vieillard, j'aurais aimé savoir plus tôt que tu voulais simplement m'utiliser comme appât...

Ses mots pouvaient sembler dur mais son ton était sans animosité et se voulait calme, presque espiègle comme s'il ne faisait que taquiner son interlocuteur. Pour lui, il ne relevait que l'évidence de la situation. Tirant sa lame de son fourreau, il se débarrassait des débris lui barrant la route.

– Pour la peine, je rajoute deux conditions à notre p'tite affaire. Après notre combat, j'ai eu une vision... étrange. Quelqu'un me tendait une épée... Si j'ignore sa cause, j'ai le sentiment que ça peut être lié à un truc important, qui sait peut-être même... mon passé.

Alors que les morceaux de bois et de pierre cèdent, l'objet de ses recherches se dévoile dans les décombres. Posée là où il l'avait laissé, Asaemon avait l'air d'avoir été épargnée par le terrible affrontement. À croire que quelque chose protégeait le sabre pourtant inutile et brisé. Mugetsu souffla du nez face à une telle possibilité puis s'abaissa pour récupérer l'héritage du vieux Hatsu. Enfin, il se tourna en direction de Kinki.

– Les dieux seuls savent tout ce dont tu es capable, je l'ai vite capté. Je ne vais pas te demander de me révéler tous tes secrets... Mais si tu connais un quelconque moyen de réveiller les souvenirs de ce corps... mes souvenirs... ou même de les consulter, j'apprécierais grandement ton aide, même si je suppose qu'une chose pareille est peu probable.

Le ronin marqua une pause et inspecta l'arme brisée une nouvelle fois, sa main serrant fermement le manche de l'arme brisée dans un élan de sentimentalité qui ne lui ressemblait pas. Un sourire amusé balaya vite ces émotions.

– Oh ! Et bien sûr, tu me dois une nouvelle gourde... Alors, marché conclu ?