Takeo n'avait jamais craint son avenir, jusqu'à ce que celui-ci ne se présente à lui, sous une forme bien différente que celle prévue initialement. Toute sa vie il avait cru qu'il serait un marionnettiste comme son père, ou qu'il serait musicien comme ceux qui accompagnaient sa mère et sa voix envoûtante. Sa voie était toute tracée mais, en un claquement de doigts, une nouvelle option s'offrit à lui. En vérité l'hésitation qu'il ressentait n'était pas liée à cette voie, pas exactement en tout cas, mais plutôt aux conséquences que son choix pourrait avoir.
Chaque Ogata était un artiste, un marionnettiste, un chanteur, un conteur, un musicien et il en avait toujours été depuis...depuis aussi qu'ils s'en souvenaient. Éclairer la vie de leurs compatriotes était leur choix autant que leur mission, et personne ne se souvenir d'un Ogata ayant déjà refusé cette noble voie. Takeo avait peur, encore aujourd'hui, qu'on le regarde différemment, que sa fratrie finisse par le mettre de côté en raison de cette surprenante décision, et c'était pour cela qu'il avait autant hésité.

Il avait peur des conséquences, peur de ce que l'avenir lui réservait et, surtout, peur de mourir seul et loin des siens, comme cela avait été le cas pour son oncle. Comment s'était-il ressenti durant ses derniers instants ? Avait-il appelé son frère ou sa mère ? Avait-il été rongé par les regrets ? Voilà le jeune de questions qui trottaient dans la tête du jeune Ogata alors que, dans un coin des coulisses, vêtu de son kimono aux tons bleu océan, il était concentré à accorder son shamisen avec une précision née de la passion et de l'expérience.
Il n'était pas aussi doué que son père dans le maniement des marionnettes, et il n'aurait jamais la voix de sa mère mais installer de l'ambiance avec la musique appropriée ? Laisser ses mains créer une mélodie, note après note, pour émouvoir et soulever les cœurs ? Cela oui, il savait le faire et en était sacrément fier. Lorsqu'il avait cet instrument entre ses mains son visage se voulait plus paisible, plus concentré, pour satisfait de lui, et c'était ce que cette femme à la chevelure émeraude resta là, à observer, son épaule droite collée au mur le plus proche. Elle reste là, ainsi, à observer cet enfant jusqu'à enfin sortit de l'ombre.



Takeo sortit de sa torpeur, levant son regard perçant vers la femme la plus belle du monde. Hayama, chanteuse de son état et, accessoirement celle à qui le jeune Ogata devait la vie. Elle n'était jamais plus belle que de ces délicats kimonos préparés pour des spectacles, comme celui d'aujourd'hui. Mais, si Takeo était toujours ravi de la voir, il n'en  restait pas moins un adolescent, et ne put s'empêcher de rougir face au surnom donné par sa génitrice.



Il était et resterait toujours son bébé. Le dernier de la portée, l'enfant chéri des Ogata. Takeo supposait d'ailleurs que c'était grâce à cela que son choix de carrière avait été aussi bien accepté par le reste de sa famille. A chaque sortie ses deux sœurs, Natsumi et Tomoko lui demandaient d'être prudent, de faire attention à lui et de leur revenir en un seul morceau. Elles étaient ainsi, toujours soudées contre vents et marées.
Hayama s'approcha de son fils, un doux sourire venant éclairer son magnifique visage alors que ses yeux verts – ceux dont Takeo avaient hérité – se posèrent sur cet enfant qui n'en était plus vraiment pas. Sa main vint se poser sur la joue de son fils, délicatement.



Takeo referma sa main autour de celle posée sur sa joue, souriant à celle à qui il devait tout, avant de lui confirmer qu'il savait ce qu'il faisait.



Les deux échangèrent un regard et, quand Takeo se redressa, lui et sa mère posèrent leurs fronts l'un contre l'autre, fermant les yeux pendant un moment de douceur qui sembla durer une éternité. Puis ils retournèrent chacun à leur activité. Ce spectacle allait conter l'histoire d'un héros des temps jadis, et de la façon dont il gagnait le cœur de sa promise en pourfendant un puissant et terrible yokai. Une histoire romantique, romancée et belle que Takeo ne se lassait pas d'entendre ou de jouer.
Ainsi, une heure plus tard, Hayama se présenta dans un sublime kimono blanc tandis que son mari, lui, arriva sur scène avec ses marionnettes dansant entre ses mains. Enfin, leur fils à la chevelure verdâtre, armé de son shamisen, vint s'asseoir dans le coin droit de la scène alors que le rideau s'ouvrait, juste à côté de cette chanteuse à la voix envoûtante.
Enfin, le spectacle pouvait commencer. Enfin, Takeo pouvait montrer ce qu'il savait faire de mieux.