L’attente, bien que sage, de Sasaki Koji fut un échec. En effet, la créature dépassa toutes ses prévisions et chargea en direction des flammes. Ces dernières n’éveillaient finalement aucune peur dans le cœur de la bête. Rapidement, elle se couvrit d’un pelage étrange aux propriétés réfléchissantes et franchit sans peine la barrière élémentaire. Ne pouvant se permettre une observation prolongée, le Souhei fit le choix d’user à nouveau de ses dons en Ninjutsu. Pourquoi ? Il ne le savait pas vraiment. Disons que son instinct lui dictait ceci : s’il était impossible de la brûler, peut-être qu’une cuisson à point était envisageable.

Face aux pouvoirs inconnus de ce Yokai, le trentenaire fit donc le pari de la témérité. Les conditions n’étant pas réunies pour établir une stratégie efficace, il devait faire preuve de courage. Peu importait les blessures, le Chuunin devait réunir davantage d’informations. C’est pour cela qu’il ne bougea pas à l’approche du monstre, bien que tout son corps tremblait. Au lieu de cela, il enchaîna plusieurs Mudras afin de souffler un brasier ardent. Ce feu, provenant du plus profond de son être, devait se déployer devant lui. L’espoir animait ce geste. C’était sûrement l’unique façon que connaissait le moine pour blesser une créature au poil semblable à du cristal.

Malheureusement, cette action ne put avoir lieu car la réalité ne tarda pas à briser son optimisme plus que naïf. Le sol se mit à craqueler avec fracas, faisant chavirer le manieur de feu. Là encore, son intuition s’imposa et sans attendre la moindre confirmation, il se jeta en arrière. Toutefois, ce saut n’était pas très assuré du fait de la fragilité de la terre.

Ce ne fut pas la seule surprise : la créature avait réussi à propulser divers éclats de roche. Bien qu’il en esquiva plusieurs grâce à son saut un peu gauche, le Souhei fut la victime de trois projectiles. Le premier se logea dans sa cuisse gauche, bien au chaud dans sa chair. Le deuxième vint lacérer sa joue droite. Quant au dernier, il arracha un pan de peau au niveau de ses côtes. Pris dans son élan, Koji dut ralentir sa course par des roulades arrière. À la fin de celles-ci, il s’étala sur le sol, face contre terre. Il tentait d’étouffer la moindre douleur comme il l’avait appris durant son entraînement avec Hisashi. Pour ce faire, il se mordait la lèvre inférieure, quitte à la faire un peu saigner.

Étrangement, le Yokai fit le choix de prendre un peu de distance lui aussi. Sasaki était conscient de ses lacunes et de son manque cruel de données. Toutefois, quand il entendit de nouveau les saillis de l’ancien Kisan, une idée émergea du néant. Insister autant, et avec une telle lourdeur ne pouvait pas être dénué de sens. Alors, convaincu de tenir une piste, Koji se remémora les dires du vieil homme : « Mais si tu peux ne pas faire trop de bruit, tout le monde s’en portera très bien ! ». Était-ce là, la clef de cet affrontement ? Le bruit ? Ceci expliquerait pourquoi la bête visait en priorité le Souhei, l’ancien haut gradé étant plutôt silencieux.

Voulant aller au bout de cette réflexion, l’homme aux pupilles ambrés créa un double de lui-même. Sa mission était simple, courir afin d’atteindre un point très particulier. Il devait se trouver entre la créature et l’ancien Kisan. Ainsi, s’il devait mourir, la prochaine cible logique serait le beau parleur. Cette stimulation, autant visuelle que sonore, était sûrement le meilleur moyen pour récolter plus d’informations sur ce monstre. De plus, du fait de sa position allongé, le Chuunin pouvait se faire discret, tout en étant en capacité d'agir avec rapidité. Cette prise de recul était peut-être le seul espoir de victoire.

Docile et rapide, le double avala les quelques mètres qui le séparaient de son but. Sur le chemin, comme pour assurer l'efficacité de la diversion, il génèra une dizaine de projectiles enflammés, tous en direction du Yokai.

Tapis dans la poussière, Koji observait avec attention le sommet de la Montagne du souvenir. Son corps ne faisait plus qu’un avec la pierre et seul son regard se détournait du sol rocailleux. Immobile, le moine laissait ses pupilles vagabonder. Ces dernières se fixaient tantôt sur la bête, tantôt sur l’ancien Kisan. Avides d’informations, elles guettaient le moindre indice, la moindre faille. Les expériences passées guidaient ce voyage quasiment invisible. Il fallait absolument percer tous les secrets de ce Yokai si belliqueux.

Par chance, l’offensive du double éphémère fit surgir un faible halo du néant. Aussi maigre soit-il, cet éclat inattendu réjouit le cœur du trentenaire. En effet, le revêtement cristallin de l’ours n’était pas éternel. Quelques assauts répétés sur un périmètre circonscrit étaient en capacité de détruire ce bouclier naturel. À présent, il suffisait de produire de tels chocs pour affaiblir l’être bestial. Néanmoins, malgré cette bonne nouvelle, le Souhei doutait de ses capacités. Conscient de ses limites, et du fossé qui le séparait de son adversaire, il questionnait encore et encore ses chances de survie.

Toutefois, la suite des événements balaya ses réflexions tortueuses. Ceci se déroula en deux étapes. Tout d’abord, la réussite de la déviation confirma une hypothèse fondamentale : les sens de la créature pouvaient être dupés. Cet avantage était sûrement la clef de la victoire songea l’homme aux pupilles ambrés. Ainsi, l’espoir se remit à luire à l’horizon, devenant un phare rassurant. Toutefois, les ténèbres ne tardèrent pas à répondre. Une deuxième secousse eut lieu. Bien plus imposante que la précédente, elle trouvait ses origines dans un hurlement dévastateur. Celui-ci provoqua des frissons incontrôlables chez l’apprenti combattant. Ce vif rappel de la nature l’intima à fuir. Sans vraiment le réaliser l’homme perdit la voie de l’espérance. C’était comme s’il était enfermé dans une cage, une sorte de perception tronquée de la réalité. Il n’était plus qu’une proie menacée par la mort elle-même. La peur hantait toute son âme.  

C’est alors que le vieil homme, d’un seul geste, chassa cette ombre si menaçante. Ce n’était pas réellement sa puissance qui sortit le trentenaire de sa léthargie, mais plutôt son excessive confiance. Désormais, tout semblait si simple. Du moins, c’est ce que le Souhei pensait. Se croyant à l’abri de la bête, il se permit même de lâcher un long soupir. Son cauchemar était fini. L’ancien Kisan allait le sauver.


Malheureusement, cette conclusion était plus qu’hâtive. Les réelles motivations de l’ancêtre étaient toutes autres. Au départ, les mots « Kuma », « Mission », « Nous » n’eurent aucun sens aux oreilles de l’ancien père de famille. Ce n’était qu’en repensant aux dernières minutes, aux anciens propos du vieillard, qu’il comprit. Tout ceci n’était qu’une vaste mascarade. Une sorte d’épreuve fomentée par l’ancien haut dignitaire. Sidéré par une telle cruauté, Sasaki resta silencieux. Bien sûr, par moments, ses lèvres tentaient de répondre aux injonctions de l’autre homme. Cependant, aucun son intelligible ne put être prononcé. Le choc était trop grand.


Ce n’est que lorsque le vieillard proposa un nouveau bizutage que l’ego du Souhei se réveilla. Malgré l’absence de libre choix, Koji décida de prendre part à la bataille. Fuir, demander des explications ou refuser de jouer ce misérable jeu n’étaient pas envisageables. Trop fier pour rester observateur et trop faible pour disparaître, le moine décida d’embrasser de nouveau le combat. En ce jour fatidique, il assumera son rôle de pantin jusqu’au bout. Après tout, obéir à la Déesse ou à un être surpuissant, quelle était la différence ?



Après cet ultime échange, Sasaki Koji mima la posture de son adversaire. Ceci devait lui permettre de gagner quelques secondes. Temps nécessaire pour choisir l’offensive parfaite, se disait-il. Dans son esprit, les nombreuses images de ses entraînements avec Hisashi se succédèrent. C’était comme s’il explorait sa mémoire en quête d’une approche particulière. Malheureusement, il se souvenait davantage de ses chutes que de ses coups. Le Taijutsu n’a jamais été une voie facile pour le Souhei. Enfin, on pouvait dire cela de tous les arts guerriers. Ses seuls dons naturels étaient liés à sa capacité de se nouer d’amitié avec les lapins.

Las de se rappeler tant d’échecs, le trentenaire se mit à courir en direction du vieil homme. Cette charge pouvait paraître sommaire, mais elle devait être suffisamment convaincante pour provoquer une réaction. Pour la rendre plus « dangereuse », le moine arma son poing droit et tenta de viser le visage de son opposant. Cette grossière diversion n’avait pour but que de dissimuler le prochain coup : un fauchage en règle grâce à son tibia gauche. Ce qui suivit cet assaut n’était que le témoignage de l’extrême prudence du trentenaire. En effet, de façon instinctive, il sauta en arrière pour rétablir une distance de sécurité entre lui et l’ancien Kisan. L’image de son poing chargé de chakra résonnait encore dans la tête de Koji. Il ne voulait pas finir comme les pics de roche.

Les propos de l’ancien Kisan étaient beaucoup trop évasifs pour en conclure quoi que ce soit. C’était comme s’il s’évertuait à demeurer mystérieux, ou que du moins, la vérité n’était pas à la portée du Souhei. Mais n’était-ce pas intentionnel ? Pollué par le comportement erratique du vieil homme et ses provocations inutiles, il était difficile pour le trentenaire d’y voir clair. Le pire étant, qu’au fil des échanges, sa méfiance semblait s’amplifier. D’un simple vieillard un peu trop bruyant, l’inconnu s’était mu en un manipulateur bien étrange. Si bien que sa volonté prît des traits célestes : Koji ne pouvait que s'y soumettre sans jamais connaître le sens de cet asservissement.

Malgré cela, le moine ne put se résoudre à abandonner. Tel un insecte se débattant dans un lac, il s’évertua à retrouver la berge. Ici, il était question de comprendre le sous-texte des invectives adverses. Il s’attarda donc sur le choix des mots, sur les hésitations, sur les fluctuations de sa voix et perçut un potentiel indice. Peut-être que cet entretien n’était qu’une vaste mascarade, une manière détournée de transmettre quelque chose. Tout ceci serait alors l’ultime dépossession de l’ancien haut dignitaire. Mais qu’est-ce que serait cette chose ? L’ancien, répondrait-il à cette question ? Non, bien sûr. Il était évident qu’il esquiverait une telle interpellation. Alors quoi faire ? Continuer à jouer le rôle attendu, se murmura le Chuunin.

Feignant d’avoir compris le conseil de l’ancêtre, Koji se remit en mouvement. Rapidement, il contourna sa cible sur la gauche et lui communiqua ses pensées profondes.



Continuant sa course, le Souhei ne tarda pas à atteindre le promontoire rocheux. Celui-là même qui servait jadis de futon à l’ancien Kisan. De là, il profita de son élan pour se lancer dans les airs. Tandis que son corps s’adaptait à la hauteur et à la vitesse, le trentenaire s’empressa de se déchausser le pied droit. Un projectile était toujours intéressant lorsqu’il fallait rompre la garde de l’opposant. Puis, comme appuyer l’envoie de sa chausse malodorante, le prêtre invectiva son interlocuteur.



À peine ses mots prononcés, le Togejin se dissimula dans le sillage de la chaussure lancée. Sûr de son plan, il assuma sa part de fourberie et débuta l’envoi de mauvais signaux. Ainsi, plus il s’approchait du vieil homme, plus il montrait des signes communs de fatigue : souffle haletant et raideurs dans les muscles étaient mis en avant. Toutefois, étaient-ils tous factices ? Pas totalement malheureusement. Le combat commençait à s'étirer et le prêtre n'allait pas pouvoir maintenir un tel effort bien longtemps. Et tandis qu’il préparait son bras à un « ultime » assaut, le Souhei imaginait déjà la suite de ses actions. Bientôt, son bras s’arma comme prévu. Koji voulait utiliser la gravité à son avantage et frapper d’un coup sec la clavicule de l’ancien Kisan. Après ceci, il désirait asséner plusieurs coups de poings et de pieds. Mais ceux-ci seraient marqués par une faiblesse inattendue, et un rythme discontinu. Il fallait bien ouvrir la voie à un véritable coup. Pour cela, il comptait sur ses frappes faiblardes et asynchrones pour dévoiler une faille dans la garde adverse. Ne sachant pas si cette occasion se présenterait rapidement, le Chuunin sauta sur la première occasion pour frapper le genou ennemi avec sa propre jambe. Cette fois-ci, il n’était pas question de reculer. Après cela, sans vraiment prendre le temps d'évaluer la portée de ses actes, l'apprenti enchaîna plusieurs coups avec une irrégularité certaine. Incapable d'attaquer à un tel rythme sans sacrifice, il préférait adopter la stratégie du chaos. Tant tôt ses bras manifestaient une agressivité chimérique, puis c'était au tour de ses pieds d'agir sans volonté, et entre ses frappes fantômes quelques assauts étaient imprégnés d'un chakra vengeur. C'était à la fois une danse guerrière et un appel à la rage, plus le corps de Koji bougeait, plus il perdait la notion de prudence et de mesure. Bientôt, il ne sera plus maître de lui, guidé par l'obsession stérile du combat. Cependant, avait-il encore le choix ? L'ancien Kisan lui permettrait il de rompre cette vaine escalade ? Le Souhei, pourra-t-il jouir à nouveau de son libre-arbitre ?

Emporté par la frénésie du combat, le trentenaire était devenu sourd à toutes critiques. En effet, son esprit les chassait aussi vite qu’il ordonnait les coups. Geste après geste, Koji s’enlisait, perdait toute connexion avec la réalité. Le rythme imposé par son instructeur de fortune, l’avait privé de toute raison. N’étant plus qu’une masse aux ordres de l’Instinct, il ne discerna aucune parole. Non pas qu’il les ignorait, mais plutôt qu’il gardait ça pour plus tard. Le maigre sourire, la notion d’abandon ou encore ce maître inconnu, n’était pas la priorité de l’apprenti. À cet instant, seul l’affrontement avait un sens. Alors, quand son nouveau mentor rentra lui aussi dans la danse, le Souhei ne put que s’enfoncer davantage dans le conflit. Coups, esquives, parades, tout était mis en œuvre pour satisfaire les attentes du vieil homme.

Soudain, l’écho d’un lourd fracas fit vibrer le sommet de la Montagne du Souvenir. Ce chant si atypique sortit le Chuunin de sa transe. Incrédule, ce dernier observait l’horizon d’un air inquiet. Que s’était-il passé ? Pourquoi l’Ancien Kisan se trouvait-il à une telle distance ? Et surtout, quelle était cette sensation ? Ce sombre frisson qui résonnait dans toute sa chair ? Le souffle court, le dévot se tourna vers le Haut-Dignitaire. Peut-être que lui, avait les réponses à toutes ses interrogations.

Malheureusement, le vieillard semblait vouloir cultiver le mystère. Et au vu de l’intense fatigue qui accablait le Togejin, celui-ci n’avait plus la force de remettre en question ce choix. Las, Koji suivit le guide en silence. Toutefois, avant de perdre de vue les hauteurs, il adressa un regard reconnaissant à l’ours. Après tout, il n’était pas une bête sauvage. Cet être aux pouvoirs surprenant incarnait même un espoir : celui d’une entente entre l’Humanité et les Yokai. Alors, d’un geste tendre, l’homme salua Kuma une dernière fois. Puis, il continua sa lente descente.

Quel lieu austère, pensa le trentenaire. Néanmoins, n’était-ce pas le « nid douillet » idéal pour un ancien membre du Temple de la Lune. Les quelques meubles présents suffisaient au besoin d’un homme, plus ne serait qu’un luxe inutile. Ainsi, même après avoir quitté ses fonctions, cet individu demeurait un religieux convaincu. Une vie de servitude ne s’oublie pas aussi facilement. Comme pour respecter l’engagement de l’autre, le Souhei prit place sans émettre la moindre parole. Assis sur la paille, il attendait patiemment les éclaircissements qui lui étaient dus.

Comme à son habitude, le dénommé Tokudan Seito demeura concis. Cependant, le jeune moine n’arrivait toujours pas à donner du sens à toutes ses épreuves. Il entendait les mots choisis par son aîné, mais n’y percevait aucune vérité. Ou du moins, il était convaincu que quelque chose lui était dissimulé. Il connaissait le danger de toutes connaissances, pourtant il désirait en savoir plus. Il désirait comprendre qu’elle était « la chose » que l’ancien n’arrivait pas à abandonner. Biens, personnes ou quêtes métaphysiques, cette ancre intriguait grandement le Chuunin.