Kiseki n'arrive pas à dormir. Il se lève donc et se rend dans le salon, s'agenouillant par terre. La pièce est uniquement éclairée par la bougie qu'il a allumé et à la lumière de celle-ci, il joint les mains avant d'adresser une prière à la déesse Amaterasu. Il prie pour ceux qui sont morts, ceux qu'il n'a pas pu sauver... Et pour celui qu'il a sacrifié. Silencieusement, il demande pardon.

Le médecin est conscient qu'il a sauvé plein de vies ce jour-là mais en même temps, il en a abandonné d'autres et a désobéi aux ordres de Naoko, sa soeur de coeur. Aurait-il dû les suivre et laisser mourir tous les civils ou du moins, la plupart d'entre eux, afin de protéger son défunt collègue et abattre le criminel -criminel qui d'ailleurs n'était pas si mauvais au fond- ? Les villageois avaient fait preuve de reconnaissance et au final, le petit blond n'avait pas reçu de vraie sanction pour son comportement...

Tobu n'a pas eu de réaction particulière vis à vis des événements qui lui auront été rapportés. Comme toujours, il s'est montré passif. C'est décevant. Mais c'est loin d'inquiéter l'ancien prêtre autant que le comportement de Naoko. S'il a promis de l'aider, s'il a assuré vouloir rejoindre les Hai, il est maintenant en proie au doute. Elle a préféré sacrifier un village entier. S'il n'avait pas désobéi à ses ordres, les habitants seraient tous morts. Pourtant, n'est-ce pas le peuple, ces personnes dénuées de chakra qui n'ont aucun moyen de se protéger, qu'ils sont censés défendre ? Le problème avec le Sakyuukage actuel n'est-il pas justement qu'il laisse mourir les innocents sans rien faire ?

Un soupir s'échappe des lèvres de Kiseki. Il a promis à la Jonin de la soutenir, il a promis de lui obéir sans condition. Il a dit qu'il l'aiderait à devenir Kage. Les promesses sont sacrées. Devrait-il revenir sur sa parole ou devrait-il continuer à suivre Naoko quitte à se laisser glisser jusque dans les ténèbres les plus profondes ? Il n'en a aucune idée... Et le pire, c'est que s'il trahit la jeune femme, il trahit également son frère de coeur.

Des mots raisonnaient dans le crâne du chunin. Des paroles que son frère ne cessait de lui répéter pendant sa période samouraï. “Un véritable commandant ne se mesure pas à la taille de son armée, mais à la grandeur de sa compassion envers ses concitoyens.”

Shiro souffla du nez tout en faisant tourbillonner d’un geste las l’eau contenue dans son verre. Après avoir vécu ce qu’il s’est passé dans le village de Shounin, cette phrase n’avais maintenant plus aucun sens. C’était donc ça l’avenir de Sakyuu ? Une Jonin qui préfère se lancer à corps perdu contre un ennemi, laissant dans son sciage une tonne de cadavre de civil ? C’était pour ça que Shiro avait signé ? Pourtant, on parlait de Naoko, la jonin qu’il pouvait suivre jusqu’en enfer pour protéger son village, une des personnes pour qui il donnerait sans hésiter sa propre vie.

Shiro resserra l’emprise sur son verre en terre cuite. Il avait l’impression de ne plus la connaître. Tapis dans l’ombre, l’épéiste remettait ses actions en questions. Était-il tout seul ? Venait-il de perdre confiance en la seule personne en qui il croyait ? Soudain, un bruit attira son attention.

Il leva la tête et vit son rayon de soleil arriver dans un coin de la pièce. Vu ce qu’il s’était passé, il était normal qu’il n’arrive pas, lui non plus, à trouver le sommeil. Shiro garda le silence, tapis dans l’ombre, son verre à la main. Il observa son frère réaliser une prière à sa déesse. Il n’imaginait pas ce qu’il avait pû subir lorsque l’épéiste était en train d’affronter le clown.

La mission était un dilemme difficile, et il comprenait parfaitement les tourments de Kiseki. En tant que shinobi, ils étaient formés pour obéir aux ordres de leurs supérieurs, mais parfois, ces ordres pouvaient entrer en conflit avec leurs valeurs personnelles ou toute logique. Kiseki a fait le choix de suivre son cœur et il avait le support total de Shiro pour ça.

À plusieurs reprises, Shiro essaya de faire sortir un son de sa gorge, mais sans succès. Son ami était en pleine communion avec sa déesse et il savait que c’était impoli de l’interrompre.

Shiro se leva silencieusement et alla s'agenouiller près de Kiseki. Il posa doucement une main réconfortante sur l'épaule de son ami et dit doucement :



Il se racla légèrement la gorge.



Il s’assit dos au mur, gardant ses yeux fatigués sur la petite tête blonde.



Shiro se gratta l’arrière de la tête. Qui sait ce qu’il se passait dans sa caboche ? Habituellement, il gardait tout pour lui, mais cette fois-ci, ça avait besoin de sortir.



Shiro grimaça et continua de fixer Kiseki, lui prêtant la plus belle et attentionnée des oreilles.

Perdu dans ses pensées, Kiseki s'interroge sur son avenir, celui de sa famille et de son village lorsqu'une présence rassurante vient se poser à côté de lui. Il n'a pas besoin de relever la tête pour savoir de qui il s'agit. Cette chaleur et cette délicatesse ne peuvent émaner que de son frère de coeur et la voix de celui-ci vient confirmer cette hypothèse. Le blond laisse retomber sa tête sur l'épaule de Shiro. Il ne s'autoriserait pas ce geste avec n'importe qui, il se le permet uniquement parce que c'est Shiro. Le brun a des épaules solides et puissantes. Il se dit même parfois que son ami pourrait porter le poids d'un village ou d'une montagne. C'est rassurant.



L'ancien prêtre ne peut nier que ces derniers temps ont été difficiles, mais il ne veut pas se morfondre. Il ne veut pas que son ami le plus précieux porte le poids de sa douleur, de sa culpabilité et de ses peurs. Même si Shiro est fort et endurant, il ne veut pas être un poids pour lui. Il se sent déjà bien assez triste et faible... Le médecin relève la tête quand son interlocuteur lui dit qu'il n'est pas seul et propose de discuter un peu.



Le médecin se saisit d'une amulette en l'honneur de sa déesse qu'il garde précieusement sur lui.



Il marque une courte pause, resserrant son emprise sur l'amulette.



C'est cette absence de véritable regret qui ronge Kiseki. Ce n'est pas tant la mort du Genin que sa propre lenteur, sa propre impuissance qui lui a fait mal. Il a souffert parce qu'il l'a vu périr sous ses yeux, parce qu'il n'a même pas eu le temps de ne serait-ce qu'essayer de le sauver. Et, il souffre toujours parce qu'il a l'impression que son coeur se change progressivement en pierre.

Shiro resta aux côtés de Kiseki, silencieux un moment, absorbant la gravité de la situation. Puis, prenant une profonde inspiration, il posa sa main sur l'épaule de Kiseki.



Il détourna un instant le regard, semblant rassembler ses pensées, puis reprit.



Shiro marqua une pause, laissant ses paroles se poser dans l'atmosphère lourde de la pièce.



Il fixa Kiseki, ses yeux reflétant une détermination sans faille.



Sur ces mots, il laissa échapper un léger sourire, un sourire empreint d'une solidarité fraternelle.



Shiro resta à ses côtés, offrant un soutien silencieux, mais rassurant à Kiseki.

Shiro est quelqu'un de sensible, il l’a toujours été quand bien même il essaie de se faire passer pour un dur à cuire. Il sait se faire discret mais aussi s’affirmer quand il le faut. Kiseki en est persuadé, il ferait un excellent Jonin. Parfois, il se demande même comment Naoko peut être Jonin et pas lui.



Ils avaient été séparés pendant longtemps mais étrangement, c’est comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Il ne s’est jamais senti aussi proche de quelqu'un. L’ancien prêtre lâche un long soupir, orientant son regard vers le plafond. Des larmes coulent le long de ses joues. Il ne peut pas les arrêter. Les mots de son ami ont touché la corde sensible. Pendant trop longtemps, il s’était retrouvé seul, loin de sa famille. Il n’avait pas encore pu mettre de mots là dessus. Il s’était contenté d’agir comme s’ils ne s’étaient jamais quitté et pourtant, ils avaient continué de vivre pendant ce temps de séparation.



Sans prévenir, Kiseki prend Shiro dans ses bras, posant sa petite tête sur l’épaule droite de l’épéiste et remarquant par la même que ce dernier avait gagné en muscles. Les temps changent, les personnes aussi. Ceux qui n'étaient que des enfants insouciants hier sont maintenant des adultes sur qui on se repose.



Le blond lâche son frère de coeur, se redressant en s'appuyant sur son torse, juste à l'emplacement de son coeur. Puis, il essuie ses larmes du revers de la main. Il lui faut quelques instants pour reprendre ses esprits mais, il se sent soulagé. Il lâche un soupir puis adresse un sourire un peu forcé à son ami.



Il se remémore la mission non sans une certaine amertume. La jonin lui avait semblé totalement à côté de la plaque. Cela avait été dur pour le médecin de lui désobéir mais cela avait été encore plus dur pour lui de laisser Shiro affronter les conséquences de sa décision. Quoiqu’il puisse en dire et même s’il avait envoyé un clone à ses côtés, il ne l’avait pas consulté, il ne lui avait pas donné le choix.