Allongé sur une large branche, Mugetsu admirait le bleu du ciel dégagé de la province des Sources Chaudes en sirotant par moment quelques gouttes du liquide brûlant conservé dans sa précieuse gourde. Le soleil venait de passer son zénith tandis qu'il ne pensait à rien en particulier, ni perdu dans une introspection profonde sur ses états d'âmes ni dans un moment d'imagination productif.

Non, en réalité, le ronin attendait tout simplement que les quelques hommes armés qu'il aperçut il y a des heures de cela passent enfin à l'action. Il avait toujours été ainsi, enfin depuis sa renaissance, un homme qui savait reconnaitre une opportunité lorsqu'il en voyait une. Le sabreur ignorait quel plan sordide les malotrus avaient en tête mais même le plus sot des ahuris pouvait se douter que la présence d'un village non loin y était liée.

Certains diront que Mugetsu n'était sans doute pas meilleur que ces probables bandits, qu'il lui était tout à fait possible de les arrêter avant leur passage à l'acte. Certes, mais pour quelles raisons devrait-il choisir de prévenir plutôt que de guérir ? Il ne revendiquait point le statut de héros du peuple et après tout un médecin était beaucoup mieux payé qu'un héros anonyme, non ?

Alors, lorsqu'il entendit les bruits si caractéristiques qui précédaient une mort violente, il attendit. Lorsqu'il vit des nuages de fumée s'élever dans le ciel tels des phares menant au port des damnés, il attendit. Ce ne fut que lorsqu'il aperçut et entendit les croassements effrénés accompagnant une volée de charognards qu'il décida enfin de quitter son perchoir et de se fondre dans la masse d'oiseaux d'ébène.

Tandis que son escorte se contenta d'encercler de leurs plumes noires l'enceinte du village, Mugetsu y pénétra sans grande difficulté malgré les regards hostiles d'habitants vivants en périphérie. Empruntant la voie principale de celui-ci, l'homme au kimono fleuri assistait à l'exposition de l'artiste le plus prolifique en ce bas-monde.

De l'écarlate du sang tâchant la terre au noir du feu festoyant des toits d'humbles habitations, la mort savait peindre le plus cruel des paysages en y insufflant une certaine touche d'esthétisme morbide qui ne manquait pas d'attirer l'œil scrutateur de Mugetsu. Non pas qu'il se réjouissait d'admirer une telle œuvre non, mais il mentirait en disant que la mort d'autrui ne représentait pas pour lui la douce promesse d'un lit chaud et d'un repas copieux. Telle était la vie de mercenaire, n'est-ce pas ?

–Yare yare...

Souffla-t-il en laissant s'écouler quelques gouttes de saké au sol en guise de respect pour les vies perdues.

Alors qu'il s'approchait du centre du village, le ronin fut vite entouré par les derniers combattants encore aptes, méfiants avec raison de tout inconnu de surcroît armé. Le noyant sous une cacophonie d'insultes par les plus agressifs et d'ordres chaotiques par les moins téméraires, Mugetsu se contenta de lever immédiatement les mains en guise de signe de paix, son visage insensibles aux cris omniprésents.  Il était habitué et attendait toujours ces réactions dans ce genre de situation, après tout qui ne serait pas sur ses gardes après avoir assisté à la mort brutal de ses amis et voisins.

C'est à ce moment qu'une femme d'âge moyen entra dans son champ de vision en hurlant à ses concitoyens de garder le silence. Malgré sa petite stature, elle obtint ce qu'elle voulut de la foule, bien entendu avec des rouspétances ci et là. Les épaules tendues par le stress, les yeux rouges de cendres et de larmes et les mains tâchées de sang, il était clair qu'elle vivait des moments intenses pour quiconque. Et pourtant, la femme qui était vraisemblablement une figure d'autorité gardait la tête haute et l'esprit clair, signes d'une grande force d'esprit.

Gardant ses distances du ronin armé et toujours entouré d'une multitude d'armes de qualité médiocre, elle fut la première à prendre la parole.

– Tu choisis mal le moment pour visiter notre village étranger, si seulement il s'agit de la première fois. Que viens-tu faire ici ?

La cheffe du village dévisageait le ronin errant d'un air méfiant. Tous les étrangers n'avaient sûrement pas droit à ce traitement, Mugetsu en avait bien conscience, il était suspect et en avait conscience. Ainsi, il se contenta d'un sourire timide qui se voulait compatissant malgré son indifférence.

– Rien de bien particulier, gente dame. Vois-tu, je ne suis qu'un simple vagabond arpentant les routes d'Onogoro et les flammes qui dévorent vos habitations ont tout simplement attiré mon attention. J'aimerais vous apporter mon aide si ça vous convient.

Il posa lentement l'une de ses mains sur le manche de son arme de sorte à ne pas réveiller de réactions brusques de la part des villageois puis, il reprit.

– Je pense pas vraiment pouvoir vous aider à panser vos blessures, mais... Je peux au moins vous débarrasser des responsables.

Mugetsu marqua une pause afin de laisser la cheffe réfléchir à sa proposition. Il pouvait déjà voir sur les visages creusés des gens le tenant en joue qu'elle n'était pas tombée dans l'oreille de sourds. Il fallait se rendre à l'évidence, peu pouvait encore tenir debout et rien ne garantissait que l'attaque précédente ne se reproduirait plus jamais.

Soutenant le regard de la matriarche, Mugetsu attendait patiemment sa réponse alors que son sixième sens discerna au milieu des simples ruraux une personne se distinguant de la masse misérable par sa quantité de chakra. Un diamant brut se cachant dans ce trou perdu peut-être ? Ou alors un autre mercenaire ? Fronçant inconsciemment les sourcils à la possibilité de voir son opportunité s'envoler sous ses yeux, l'errant sorti de sa torpeur en entendant les mots de l'autorité de la bourgade.

Bien évidemment, le village est totalement misérable. le ronin s'en doutait, il en était même sûr avant d'y mettre les pieds mais l'espoir faisait toujours rêver. Il attendait une récompense en retour de ses services, il restait un mercenaire après tout, mais il n'était pas qu'avidité et opportunisme, du moins pas en permanence. Cette fois-ci, il se contentera de ce qui lui sera offert.

Ainsi, le ronin écouta attentivement l'échange entre la matriarche et l'un des hommes lui respirant presque dans la nuque. Surpris et amusé par la mention de l'inattendu cascade, il effaça le sourire qui s'était dessiné sur son visage lorsque la cheffe le fixa du regard.

– L'Est hein... très bien, je serai de retour d'ici...

L'errant leva ses iris sombres en direction du ciel dégagé de la province des Sources Chaudes, sa main droite venant frotter l'écharpe ornant son cou entre le pouce et le majeur. L'astre solaire venait à peine de quitter son apogée, ce qui signifiait que la journée avait entamé sa seconde moitié. Il n'avait pas vraiment d'idée du temps qu'il lui faudrait pour arriver à cette fameuse grotte, mais elle ne pouvait être bien loin.

– ...Le coucher du soleil, je dirais.

Pendant un court moment, Mugetsu n'eut qu'un regard noir en réponse. N'était-ce pas naturel quand l'on y pensait ? Le village venait de subir une violente attaque et voilà qu'il se pavanait comme s'il avait une quelconque importance en ces lieux souillés du sang de leurs propres habitants

– Le crépuscule, l'aube, la nuit. Je m'en contrefiche mercenaire, personne ici n'a le temps de t'attendre. Va maintenant, nous devons enterrer les nôtres... Laissez-le passer.

Le ronin ne répliqua que d'un hochement de tête avant de se retourner et de se mettre en route, n'oubliant pas ssur son chemin d'offrir un sourire poli mais empli d'arrogance aux villageois le surveillant de près jusqu'à présent.

Tandis que les fleurs ornant son kimono se faisait de plus en plus lointaines, une nouvelle fois s'éleva et capta l'attention du ronin. Lui laissant un sourire au coin des lèvres, Mugetsu ne se retourna pas, mais lui répondit tout de même, avant de siroter à nouveau sa gourde qu'il leva et agita en guise d'au revoir.

– T'inquiètes le bonze, c'est comme si c'était déjà réglé. Je compte sur toi pour me garder une assiette chaude !

Empruntant le chemin qui l'avait initialement mené au village, il ne fallut pas bien longtemps à Mugetsu pour repérer des traces de pas s'enfonçant très vite dans la forêt. Comme le villageois l'avait dit, les brigands n'avaient fait aucun effort pour dissimuler leur escapade, sans doute sûrs de n'avoir personne à leur trousse aussi rapidement. Grave erreur. Après une dizaine de minutes à arpenter les bois, le ronin tomba enfin sur la fine rivière, coupant ceux-ci en deux.

–Yare yare daze...

Souffla-t-il avant de se mettre en direction de la cascade.