HRP:

Il y avait tant de choses à faire et à voir.

L’envoyée des dunes, toujours bercée par le discours de l’Ainée des Fleurs, attendait avec patience et exaltation son tour pour rendre visite au vénéré quintette en gardant au creux d’une main celle de son aimée, de l’autre l’héritage de lignée mythique – et pourtant méconnue. Secrètement, la petite Konomi espérait rencontrer l’Ainée-même et lui offrir un cadeau de son propre cru; ayant eu vent des évènements impies s’étant déroulés en ce lieu, la Bénie se devait de donner d’elle-même pour protéger les siens, ceux qu’elle voit comme une seconde famille.

Les paroles de Tachibana Sakura ne sont pas tombées dans l’oreille d’une sourde.

En attendant, Koko ne pouvait s’empêcher de trépiner d’impatience; il fallait encore emmener Ena-chan jouer au Shimimi, aller faire un vœu, aller offrir des cadeaux aux travailleurs, et surtout aller danser sous les cerisiers!

Il s’agit d’un rituel de la plus haute importance pour les Kusaribe, sans compter le bain lunaire qui suivra les festivités. Peut-être que cette année, la divine voix d’Elune, la sublime Amara, agrémentera l’évènement d’un chant sacré?

La petite n’oublie pas qu’il faudra aussi mander les services d’Haruna pour offrir à la défunte Himawari un dernier hommage pour ses services et sa dévotion avant que son âme et son coeur ne trouve le chemin du grand jardin éternel.

«Ena-chan! Je suis revenue bientôt, d’accord?»

C’était finalement à son tour d’entrer; émerveillée par la beauté du lieu, Koko-chan se dirige à l’intérieur, le coeur léger et les pieds emflammés. Elle avait si hâte de faire la rencontre des cinq pétales, si bien qu’elle avait oublié qu’il s’agissait en réalité d’une sorte d’épreuve. En toute honnêteté, la petite ne cherche pas à obtenir un titre; la piété ne se mesure pas par le prestige, mais bien par le coeur.

La Bénie finit donc par pénétrer dans l’antre des cinq pétales, son âme pleine de fébrilité, son sourire ineffaçable et radieux.

HRP:

Au fond d’elle, Koko savait qu’il ne pouvait en être autrement. La Tisseuse de Vie l’avait encore une fois emmenée là où elle le souhaitait, sans même lui laisser l’opportunité de douter. L’Élue rencontre enfin l’impérieux Grand Chêne, celui ayant offert sa vie en entier pour permettre aux petites pousses de croître sans craindre les intenses brûlures du soleil. En vrai guide, il faut parfois freiner ceux qui essaient d’aller trop loin, et aussi s’assurer que tout le monde ait sa place et son dû.

«Oui! Je suis honneur, madame Sakura!» l’ainée se rendra bien compte que les paroles de la petite sont imparfaites, comme si la langue commune ne lui était pas natale. Au moins, pour une fois, elle avait réussi à prononcer un nom sans difficulté; nul doute car il s’agit d’un mot commun.

L’enfant avait ainsi accepté de répondre à la future question; avant de le faire, elle prit le temps de se présenter en détaillant avec une certaine excitation les lieux. La vie ne semblait pas forcément être invitée ici, pourtant la mort non plus. «Je suis Konomi Kusaribe! On m’appelle Koko!» Son prénom signifie "l’Aimée", un diminutif assez évident pour Konomuhana, l’Aimée des fleurs, déesse révérée par le culte. Fleur bleue à souhait! Le surnom Koko, lui, vient de tous les amis qu’elle a rencontré dans sa vie ainsi que des Soeurs de son hameau sacré.

Finalement, la question.

Souriant fièrement, le souvenir de nombreux trépassés filant dans la lueur de ses yeux, Konomi fait non de la tête. «Ma famille protège de la mort depuis longtemps, toutes guérisseuses. Nous avons une sagesse qui dit "ceux qui veulent s’enfuir de la mort restaient sans bouger dans la vie".» Ironique venant d’une lignée ayant pour but de sauver des vies.

«Des fois, la mort va se tromper. Mes Soeurs l’arrêtent avant qu’il soit trop tard. C’est quand ça arrive que ceux qu’on aide se rendent conscience de l’importance de la vie. Vivre pour toujours, ça ne sert à rien quand ceux qu’on aime seront partis. Savoir qu’un jour on ne restera pas donne envie de faire des choses belles, de donner nous aux autres.» En son sens, l’immortalité est donc de l’égoïsme autant que de la couardise et on ne peut vivre pleinement sans accepter la mort.

«On peut supplier à la vie de nous être revenue, comme on peut tout faire pour la voir partir. Vivre pour toujours ne veut pas dire être heureux pour toujours, être en santé pour toujours,» la petite pense un instant aux arcanes secrètes de sa famille et surtout de la vénérée Aspect, qui, sans vouloir vivre éternellement, donne une impression de jeunesse et beauté éternelle aux Kusaribe, sachant qu’elle n’a pris de ride depuis ses trente ans. Elle en est à sa quatre-vingt-douzième année.

«Ce qui vit pour toujours de nous, même si ce n’est pas toi ou moi, c’est ce qu’on aura donné au prochain. Je vis à travers la mort par ceux qui vivent après moi, qui sont aimés par ceux que j’ai aimé, et qui vont aimer ceux qui aimeront ensuite. La mort n’est pas un ennemi à battre, encore moins tout seul.» La mort te rappelle d’aimer la vie, et te donne l’opportunité de le faire. Tout autant, la mort offre, comme Elune, la grande Tisseuse de Vie, Déesse de la Création, des cadeaux aux vivants.

«J’aimerais donner ça, s’il vous plait.»

Par générosité, Koko-chan avait apporté un petit quelque chose de chez elle. Douce ironie, l’image de ses propos se présente particulièrement bien maintenant. Comme cadeau, la Bénie offre à son ainée un encensoir fait de verre rose ainsi qu’un mouleur d’encens.

Faisant doucement tinter le verre, l’enfant remplit le contenant d’une poudre ivoire; des cendres de pin blanc, la mort. Elle en ajoute de plus en plus et l’écrase à l’aide d’un outil de métal, puis y ajoute de l’encens au creux du moule en forme de fleur. L’encens vient d’un bois encore vivant; une fois allumé, Konomi referme l’encensoir délicatement.

La fumée s’élève. Pour elle, l’exemple est là; la mort permet à la vie de ne pas s’éparpiller, de générer du plaisir et de la joie jusqu’à ce qu’elle soit au bout de sa course. Ensuite, elle deviendra cendre pour la prochaine fois. «Si l’encens s’éteint trop vite, je vais le rallumer.»

C’est le travail des Kusaribe depuis des temps immémoriaux. Un savoir acquis au travers multiples générations, et celle choisie pour le partager avec le monde est une jeune fille de quinze ans qui ne trouve pas toujours les mots.

Le message reste, pourtant, bien compris. Elle est un messager comme tous les autres.

La jeunesse échappe à la vieillesse, sans que celle-ci ne réalise toutes les subtilités de ce qui se trouve sous ses yeux. Bien sûr, Konomi n’est qu’une enfant, pourtant son existence s’embrique dans celles d’une infinité d’âmes. Certaines frivoles, d’autres plus zélées, toutes inoubliables. Sakura n’est pas certaine de reconnaître les racines de la petite pousse, mais l’important se fait seul; son respect est là, même en silence, et c’est tout ce qui compte.

Pas que Koko puisse s’en rendre compte, trop occupée à s’appliquer.

Elle n’est pas médecin. Elle n’est pas ninja. Elle n’est pas moniale. C’est une sorcière, parfois une délicate amazone, une fleur au milieu du désert. Rien ne sert de chercher les mots ou de se questionner; Konomi est ce que l’on voit d’elle. Certains voient une petite attardée incapable de vivre dans le vrai monde, d’autres voient un potentiel messie qui inévitablement le changera.

«D’accord!»

Il est rare que les gens posent des questions à la jeune Kusaribe, mais elle aime bien quand on le fait; la dernière personne ayant eu le courage de le faire, hormis sa douce et charmante Ena-chan, était Kirei. Elune semblait l’intriguer particulièrement, tant il était incapable d’identifier à quel panthéon elle appartient. Bien entendu, l’homme n’a jamais su trouver les réponses à tout ce qui l’intriguait, il n’a même pas pu s’en approcher – après tout, le travail des hommes en ce monde est spécifique et ne demande pas tout ce savoir –. Et même s’il avait réussit à le faire, il n’aurait su décoder le langage de la déesse… jusqu’à même son nom. Elune, traduit basiquement, ne s’écrit pas comme "Tsuki" ou la Lune. Dans la langue commune, on dirait "Sōzō no Megami", ou Déesse de la Création. Les Kusaribe gardent jalousement leurs secrets.

Enfin.

Encore une fois, la réponse de l’enfant se fait négative. «Non… C’est de trouver le bonheur même dans la mort. Elle accepte aussi dans le paradis ceux qui ne croient pas, tant qu’ils sont bon de coeur. Ceux qui font du bien ont le droit au bonheur après la mort, et rejoint le paradis sur la terre pour avoir rendue la terre meilleure : Konomuhana donne en cadeau la terre aux gens qui acceptent de la respecter.» Simplement, ceux qui respectent la nature et la vie qui en découle voient le droit de rester dans le monde qu’ils ont choisi d’aimer, même si on ne peut plus les voir.

C’est pour ça que si on lui demande, Konomi n’est jamais seule; elle répondra que derrière elle se trouve une infinité de femmes qui marchent à ses côtés et qui la guident. «Le jardin de Konomuhana, le paradis, se trouve nulle part et partout en même temps. Les Filles de mon Hameau ont une légende sur ça aussi : "les voeux des plus joyeuses font éclore des fleurs dans son jardin, pour faire plaisir à ceux qui sont devenus des étoiles dans le monde des rêves".»

L’Élue révèle alors à Sakura le pendentif qu’elle porte à son cou, en forme d’étoile, fait d’or et d’argent. «C’est un trésor de mon Hameau, les Soeurs me l’ont donné.»

C’est un peu plus compliqué que ça; une nuit, le collier aurait appelé de lui-même Konomi à lui. Elle s’est retrouvée dans la chambre de l’Aspect – dont l’une des tâches était de garder ce trésor caché jusqu’au jour où il choisirait sa porteuse – l’objet en main. L’objet lui-même n’avait pas de voix, mais à ce jour Koko maintient qu’elle entend battre le coeur d’Elune et de toutes les Kusaribe au creux de sa main quand elle le tient.

«Personne n’a peur de la mort; on a peur de ne pas avoir assez vécu, de n’avoir rien donné. Ceux qui aiment Konomuhana veulent donner, partager, rendre la vie des prochains meilleure. C’est fondé sur le respect et l’amour de la vie. Avoir peur de mourir, c’est avoir peur de ne pas mériter Konomuhana, de ne pas avoir assez aidé, donc de ne pas avoir bougé. J’ai vu la mort souvent; les plus belles sont celles qui regrettent de ne plus être là pour assister à la vie.»

Et quand la Bénie empêche l’heure de la mort de sonner, elle s’imagine qu’Elune, celle qui a offert à tous Konomuhana, offre à travers elle le cadeau de vivre à nouveau pour que le rescapé puisse continuer à semer la vie.

Si Sakura aurait voulu poser plus de questions, par exemple "et si tu sauvais quelqu’un qui a donné la mort ou dont donner la mort s’agit de son travail", Koko trouverait encore une fois une réponse. Parfois, le mal et la mort sont nécessaires, et ce n’est pas à la petite de juger qui entrera au paradis ou non.