Les pieds traînant, le garçon mal coiffé comme toujours longeait les couloirs de l'orphelinat en direction de la petite salle conçue pour accueillir les visiteurs et discuter tranquillement à plusieurs. La vieille peau l'avait engueulé l'autre jour parce qu'il était rentré bien après la nuit tombée. Qu'est ce que ça pouvait leur faire qu'il se balade en ville ? Il n'était pas en mission ni de garde, pourquoi est-ce qu'il fallait encore que quelqu'un soit sur son dos.

Il tapa du pied dans un balle qui traînait là, sans doute oubliée à la fin de la pause d'avant le repas de midi. Pourquoi là... C'était si ennuyeux que de devoir aller écouter le sermon de l'autre vieux qui faisait le beau maintenant qu'il était adulte. Comme si Shiro était devenu une sorte de modèle à suivre. Pfff...

Les bras ballants, balle toujours au pied, il arriva enfin à la salle de réception où son "grand frère" allait bientôt arriver. Ce délire de famille aussi là... C'était un orphelinat, ils étaient tous sans famille. Fallait arrêter de faire semblant. Et c'était lui, le menteur, qui pensait ça ! Pfff...

Il se posa sur la chaise où lui avait dit d'attendre Ayame-neesan lui avait dit d'attendre. D'ailleurs, il n'y avait bien qu'elle qui trouvait grâce à ses yeux et être considérée comme une grande sœur. C'était la seule avec qui jusque là il avait eu suffisamment confiance, qu'il avait trouvé suffisamment gentille pour daigner tolérer qu'elle se prétende être de sa famille. Les autres, c'était au mieux ses amis, au pire des ennuis.

Bien installé, il commença à se basculer d'avant en arrière pour passer le temps. Bon. Elle lui avait dit de venir là maintenant, mais il faisait quoi Shiro là ?.. Il avait pas toute la journée lui. Tout ça parce que ça lui arrivait de rentrer un peu plus tard que le couvre-feu prévu pour les enfants ou parce qu'il avait été surpris une fois ou deux à écouter des conversations qui ne le regardaient pas, ou encore parce qu'il avait menti sur quelques détails insignifiants, qu'il avait fait croire quelques bêtises aux plus jeunes... Des détails quoi. Pourquoi est-ce qu'on lui prenait la tête avec ça en vrai ? Ils avaient pas mieux à faire les vieux là ?

En pleine réflexion, il ne perçut par le moment où il alla un tout petit peu trop loin et commença à partir en arrière. Sans le moindre appuis pour se réceptionner, perdu dans ses pensées, il ne put que chuter lamentablement alors que la porte de la piécette s'ouvrait à nouveau.

« Aïeuh putain ! »

Les bras encerclant sa tête qui avait un peu cogné le sol, l'orphelin grommela pendant quelques longues secondes avant de se rassoir au sol, en tailleur, jetant un regard agacé à Shiro qui venait d'arriver.

« C'est pas trop tôt, ça fait deux heures que Ayame-nee m'a dit d't'attendre ici, qu't'allais bientôt arriver ! »

Plutôt cinq minutes en vérité, mais bon, chacun avait sa perception du temps, non ? D'un air boudeur, comme si de rien n'était, il se releva et attrapa la chaise pour la redresser avant de s'assoir à nouveau dessus.

Le gamin qui faisait plus treize ans d'apparence que les quinze années qu'il avait vécu toisa longuement son supérieur hiérarchique de l'armée et "grand frère" au sein de l'orphelinat. Ce dernier avait grandit là aussi. Et il lui arrivait d'y repasser de temps en temps. La vieille peau l'avait encore réprimandé, le tannant sur le fait qu'il n'était pas un shinobi quand il s'agissait de respecter les mêmes règles que les autres enfants de l'orphelinat. Comme s'il en avait quelque chose à faire de ces règles faites pour la sécurité des gosses. Il avait plus huit ans, il pouvait très bien se débrouiller comme un adulte. D'ailleurs, il était à l'armée. Ça devrait suffire comme argument pour dire qu'il était désormais responsable ! Mais non !

Il se releva alors que son nouveau prêtre de messe allait lancer son sermon après s'être présenté, raccommodant sa tenue et prenant un air digne un peu trop prononcé pour être naturel. Il avait à peine écouté ce que Shiro venait de dire. Il avait vaguement capté l'idée de ce qu'il venait de lui sortir, et ce serait bien suffisant pour sa réponse.

« Bonjour, Shiro. Je m'appelle Shodai-sama. Je suis la réincarnation de l'Empereur, j'espère que tu comprends la chance que t'as d'être en ma présence et que tu ne vas pas faire comme ces ad... ces servantes qui osent m'interdire de me déplacer comme je l'entends pour préparer mon futur retour sur le trône. Mes préparations ne seront pas limitées à... ce qu'elles veulent. »

Joignant ses mains dans son dos et prenant un air sûr de lui, il fixa son supérieur.

« Mais dis moi plutôt, cette... Honoka c'est ça ? Elle te plait pas vrai ? J't'ai vu l'autre jour avec elle. »

Bon, ça ne collait pas forcément avec sa couverture précédente, mais il se doutait que cet argumentaire ne parviendrait pas à désamorcer totalement le sujet principal pour lequel Shiro avait été envoyé pour parler avec lui. Ajoutez à ça une petite diversion sur l'étrangère qu'il avait remarqué il y a quelques temps et avec qui il savait que Shiro avait passé quelques moments et le tour était joué.

Enfin, ça c'était la théorie. Il sentait que ça ne serait pas aussi facile. Il se rassit alors en tailleur, un peu penché en avant comme il l'avait vu parfois faire certains adultes qui cherchaient à être discrets pour mieux conserver leurs secrets.

« Allez, tu peux m'le dire à moi. C'est ta copine et tu veux pas que la v... Que Makiko le sache, c'est ça ? »

Avec le temps, il était passé maître dans l'art d'éviter les conversations ennuyeuses et de rediriger le sujet. Ou du moins le pensait-il et estimait-il qu'il n'avait pas à rougir des plus grands rhétoriciens que ce monde ait pu porté. Assez fier de son coup, il prit un air compréhensif.

« Sois rassuré, j'emporterai ton secret dans la tombe. Comme ceux de tous les autres. Après tout, je n'ai qu'une parole, moi, premier Empereur de ce monde ! »

L'attitude respectueuse de Shiro dans un premier temps manqua de déstabiliser le garnement qui s'était attendu à une protestation. Protestation qu'il se serait empressé d'utiliser pour prétexter ne pas avoir de temps à lui accorder et fuir immédiatement l'échange. Pas de bol, il était malin le bougre. Ou totalement débile s'il l'avait vraiment cru. C'était pile ou face, et malheureusement, c'était plus le premier cas qui avait des chances d'être porteur de réalité.

« Une amie... Je vois... »

Bon, il n'admettait pas son forfait, dommage. Il n'avouerait pas vouloir la courtiser plus que ça, insister n'y ferait rien. Mais à peine eut-il le temps de chercher comment rebondir que le malandrin revenait à la charge sans la moindre patience. Et il remettait la conversation première sur la table. Putain ! Quelle peste ce vieux là...

Le gamin aux cheveux ébouriffés tiqua de la langue alors que la mention de sa supposée frustration était faite. Nanani nanana, les règles c'est pour ton bien. Blahblahblah... Qui s'en fou ? Tout le monde évidemment. Le sermont promettait d'être long, il fallait trouver une meilleure pirouette pour s'en sortir. Les fables ne marcheraient pas sur son "grand frère", il était obligé de l'admettre. Est-ce que ça avait vraiment marché un jour sur un adulte de toute façon ? Pas sûr. Vraiment pas sûr.

Allez, l'approche bienveillante maintenant. Il le prenait pour un débile ou quoi ? Respectant alors un silence des momies les plus mortes qu'il soit, Shodai attendit simplement de voir si Shiro avait enfin fini de raconter sa vie, mais non, toujours pas. Et maintenant il lui reprochait ses actes, comme si un jour ça avait emmerdé qui que ce soit qu'il passe une nuit presque entière dehors à se balader de toit en toit et à écouter aux portes ! S'ils se mêlaient de leurs affaires, personne l'aurait sû et tout le monde aurait très bien dormi !

Mais alors que le sermont lui semblait fini, Shiro revint à la charge une dernière fois. Et... oh le bataaaaaard... Il revient au Shodai-sama après lui avoir fait la morale comme à un gamin ! Vexé d'être ainsi traité, le rebelle aux yeux pâles fronça les sourcils, surtout à la mention d'un manque de maturité de sa part. Lui qui avait régulièrement des missions qu'il réussissait à chaque fois, bon d'accord trouver six plants de grande bardane c'était pas extrêmement dur mais quand même, on lui disait qu'il n'était pas assez adulte ?

« L'Empereur n'a de comptes à rendre à personne, je n'embarque personne de force quand je sors la nuit alors je vois pas pourquoi ça poserait problème. Les p'tits me voient même pas faire de toute façon donc c'est pas comme si ça les entraînait à faire pareil alors qu'ils sont trop p'tits ! »

Reniflant un peu d'agacement, il se frotta le coin de la bouche d'une main à moitié fermée. Et pourquoi il devait se justifier en plus là ?!

« J'travaille et j'ai d'l'argent de mes missions, j'vois pas en quoi j'suis pas mature. Et puis pourquoi ça irait pas comme équilibre, que moi j'fais c'que j'veux tant que ça embête pas les autres hein ? »

Toisant l'adulte, désormais sur une posture bien plus défensive, Shodai ne comptait pas rendre les armes si facilement. Il n'avait pas forcément beaucoup d'arguments, mais jamais personne n'avait été blessé de ses sorties nocturnes. Ni de sa flegme habituelle. Et c'est pas parce qu'il avait menti deux ou trois fois sur des détails que ça avait vraiment gêné qui que ce soit. Non vraiment, il ne voyait pas.