Aventure 14 : La chair est cendre, l’âme est flamme

Une caisse en bois sur la tête l’isolant du monde extérieur. Yoichi, aussi connu sous le nom de Prédicateur, ne disait plus un mot depuis son départ du Sanctuaire du Feu. Il avait conscience d’avoir sauvé bon nombre de ses camarades en prenant la décision de suivre “gentiment” les Torches qui étaient venu libérer leur compatriotes et le cueillir au passage. Il ne s’attendait pas véritablement à une telle organisation de leur part. Le combat a été rapide, trop rapide. Les carbonistes ne résistèrent pas longtemps à l’assaut mené à la porte principale et ses meilleures hommes étaient piégés dans les souterrains du sanctuaire pour empêcher l’invasion simultanée de leur captif. Une stratégie payante qui démontre encore l’intelligence de ces êtres enflammés que beaucoup pensent fou. Si seulement les humains pouvaient comprendre si facilement les dessins des dieux…

Yoichi, lui, avait compris bien des choses. Dans un premier temps il avait compris que les Torches avaient conservé une sorte d’humanité, alors qu’on les traitaient de démon. Les souvenirs de leur vie humaine étaient encore présents et ils pouvaient s’exprimer librement quand ils atteignaient un certain stade de “conscience”. Le “réveil” d’une Torche et sa combustion est un phénomène douloureux, appelé “Folie des Flammes”. Tant que l’être n’est pas capable de maîtriser sa combustion il est dévoré par la folie et la douleur de son état. Ce n’est qu’après avoir pris conscience de son corps et de ses capacités qu’il est possible de voir le caractère divin de ses créatures uniques.

Le Prédicateur a toujours été fasciné par ses êtres incandescents. Il avait vécu la Révélation quand Lissa, sa bien aimée, femme fragile et douce lui avait brûlé la moitié du visage d’un simple geste alors qu’il était un Jonin au sein de l’armée Impériale. Elle l’avait vaincu. Bien qu’il n’avait pas eu le temps de réagir, de se protéger et quand bien même il en aurait eu les capacités, il a rapidement compris que la défaite était inéluctable. Alors avec le temps il avait mis en place ce culte, fasciné par la puissance des Torches qu’il a affirmés d’essence divine. Était-ce le cas ? Il était perplexe et n’en savait rien. Ses fidèles en étaient persuadés et c’était suffisant. Il n’en serait pas arrivé là sans un peu de Religion. On se bat pour ses idéaux, ses croyances, mais pas pour des quêtes nobles de puissance ou de connaissance. Lui qui n’était que admiration face à cette force de la nature, il ne pouvait pas laisser le monde penser que cela n’était que folie. Il fallait donc la justifier et la diviniser.

Ils avaient voyagé plusieurs jours et assez rapidement. Il ne comprend pas réellement comment mais il sentait le vent lui fouetter le corps à chaque départ. Le corps de la Torche qui le prenait sur l’épaule, comme un simple sac de riz, était chaud mais ne lui provoquait aucune brûlure. Il sentait par endroit la morsure glacée du métal déclenchant automatiquement un frisson sur son épiderme à cause du choc thermique. Quand on lui enlevait sa “boîte”, ses yeux mettaient un temps indéfini à s’habituer à la lumière aveuglante du désert. On lui donnait une gourde, faite de la peau d’un animal qu’il ne reconnaissait pas, et on lui offrait un morceau de viande préalablement grillé. Sa collation ne durait qu’une dizaine de minutes tout au plus. Il peinait à manger avec les cordes qui lui entravaient les poignets. Maigre précaution pour démontrer qu’il était prisonnier, aucun doute que même les mains libres il ne faisait pas le poids contre cette petite escouade de Torches. C’est dans ces moments de pause qu’il a pu entendre quelques paroles, un langage qui lui était inconnu mais qui permettait au Torches de communiquer entre elles. Un véritable dialecte, c’était fascinant.

Il avait amassé bien des connaissances au fil des années, des informations qu’il n’avait pas révélé qu'à ses plus fidèles servant au sein de la Garde la flamme Blanche. Il avait compris que les Torches c’était “organisé”. Elles avaient reproduit un semblant de civilisation et c’était même attribué des noms différents de celui qu’elles portaient durant leur vie humaine. Prénom avec une consonance étrange, tout comme leur dialecte et qui renforçait encore cet aspect “divin” qu’il leur avait naturellement attribué. Ainsi les Torches avaient une hiérarchie et bien qu’il n’en connaisse pas bien tous les échelons cela ressemblait à des grades militaires comme il en était question au sein de l’armée de Onogoro. Elle devait donc avoir un “camp” un lieu de rassemblement et bien entendu un meneur. Yoichi avait hâte de rencontrer le chef des Torches et d’apprendre leurs secrets, notamment le mystère de leur naissance.

Il ne sait pas combien de temps exactement à durée le voyage, plus de deux jours, peut-être quatre. Il faut dire que les pauses ne se faisaient pas toujours à des heures exacts et que le nombre de repas n’était pas véritablement suffisant. Sans doute les Torches avaient-elles oublié comment fonctionnait un corps humain. Le fait est que la dernière halte se fit dans ce qui semblait être une caverne. L’air y était froid ce qui indiquait une montée en altitude.



Yoichi déglutit. Il a l’habitude de charmer les foules mais son talent sera-t-il tout aussi efficace sur ce peuple enflammé ?

Il avait fallu trouver un endroit pour la rencontre et naturellement cela devait être un terrain neutre, facilement défendable et qui ne mettrait pas en péril toute la Legio (litt. Légion). De par leur prédisposition, les Torches ont préférés un lieu en hauteur, difficilement accessible pour les humains. Un ensemble de grottes naturelles tout aussi mystérieuses que étroites. Cela aurait sans doute son petit effet sur son invité. Il ne fallait omettre aucun détail quand il était question de négociation et de domination.

Arrivée un jour en avance sur l’escorte du Prédicateur. L’Imperatrix avait fait mettre en scène un faux campement. Elle avait d’ailleurs elle-même employée ses flammes pour faire fondre la roche et modeler un sobre trône dont la roche noire faisait forte impression. L’escorte tournerait encore un moment autour du campement improvisé pour arriver à la date prévue.  Ils devaient être prudents. On ne pouvait kidnapper le chef d’un groupe de fanatique sans encourir le courroux de toute sa suite. D’autant plus que cette dernière martyrise les Torches depuis plusieurs décennies et quand bien même Minerva se sait bien plus puissante elle aimerait que cette négociation se passe pour le mieux. Il est impératif que les Carbonistes se joignent à eux pour que son plan puisse être mis à exécution. Rien de plus simple, après tout, son peuple n’est-il pas le porte-parole de Kagutsuchi ?

Douce ironie quand on prend conscience que ce qui est vu comme “divin” doit se retrouver enfermer dans des cages de barreaux noir ou pire enfermer dans des cocons-prisons. De colère son corps s’enflamme, surprenant les Torches autour d’elle. Bien que son éloquence soit grande, elle n’en demeure pas moins une farouche combattante. Sa politique se veut bien plus dure que celle de l’ancien Imperator envers ce Culte-tyran visant à les asservir. Elle compte bien remédier à tout cela et pour ce faire elle a besoin de cette rencontre avec le Prédicateur. Minerva s’apaise quelque peu, les flammes s’éteignent mais les braises rougeoient toujours sous sa peau. L’heure est proche.

On lui amène l’homme, un caisse en bois sur la tête. On le force à s’agenouiller devant elle. D’un signe, elle demande à ce qu’on lui enlève le dispositif et elle contemple, cherche à comprendre l’histoire qui se cache derrière ses traits. Humain séduisant, bandeau sur l'œil, elle jurerait y voir une brûlure en dessous, sans doute l’homme a-t-il fait la rencontre cuisante d’un des siens. Peut-être que cela explique sa tyrannie face à son peuple. Difficile à dire.



Sa voix résonne à travers l’écho de la grotte. L’homme semble frissonner avant de lever les yeux sur elle, un sourire plaqué sur ses lèvres. Minerva se retient de se lever pour le gifler. Lui effacer cette arrogance manifeste qu’il lui présente pour lui rappeler le cuisant contact du feu.



Cette simple présentation pouvait surprendre mais elle jugeait que c’était là la meilleure façon de s’adresser à un religieux.

Il manque de tomber plusieurs fois mais la poigne de sa Torche gardienne le relève et le maintient à la verticale. Il comprend avec l’écho qu’il est dans une grotte et de plus le froid qui lui parcourt l’échine n’est pas dû qu'à la peur. Il en déduit qu’il se trouve dans une grotte en altitude et à plus ou moins quatre jours de marche du Sanctuaire du feu. C’est assez peu d’information finalement, mais assez pour qu’il arrive à se situer géographiquement de manière approximative. À son sens, il n’est pas très loin de la frontière avec Seizan. Bêtement, l’impression de savoir quelque chose lui donne un peu de courage.

On le force à se mettre à genoux. Le contact avec la froideur de la pierre lui fait se redresser les poils de ses bras. Il ne sait pas ce qu’on attend de lui et il se demande s’il n’est pas ici pour être l’exemple de quelques représailles. On lui ôta la caisse de bois qui cachait sa tête. Naturellement il fait quelques gestes des épaules afin de détendre ses muscles endolories, il cligne péniblement des yeux, le regard rivé au sol et il ne relève la tête que quand il entend qu’on l'appelle par son titre. Il ne s’attendait certainement pas à cela.

Une femme au visage enflammé, une armure noire recouvrant son humble personne assise sur un trône noir comme la suie. Il comprend facilement que le dit trône à été fondu pour convenir à l’assise de sa précieuse occupante. Ainsi les Torches était dirigé par une splendide créature.

Elle se présente, Minerva, Imperatrix et porte-parole de Kagutsuchi. Yoichi sourit de félicité. S’il ne comprend pas le titre que Minerva c’est octroyé, il comprend qu’elle rentre dans son jeu en se déclarant elle-même comme une servante de son Dieu. Un terrain d’entente. Il est bien mince ce fil qui les relie, mais il est présent. La tout de suite et maintenant Minerva souhaite apparaître devant lui comme la quintessence de ce que le Carbonisme représente à ses yeux. Ainsi donc il avait raison de leur octroyer une essence divine car les Torches en acceptent le lourd fardeau.



Honteux mensonge qu’il ose prononcer mais c’est dans l’espoir d’en tirer un quelconque avantage de parole. En prétendant connaître sa toute puissance, il pensait pouvoir démontrer une pseudo allégeance. Les mots ont toujours été sa meilleure arme. Espérons qu’encore une fois aujourd’hui ce soit le cas.



Il n’est pas certain que le pic soit si facilement accepté mais Yoichi était aussi un homme de cœur. Il n’avait pas apprécié que l’on fasse du mal au sien, bien qu’il ait conscience que pour Minerva il avait dû lui-même agir de cette façon. Pourtant on ne pouvait pas dire qu’il avait véritablement fait du mal à ces Torches. Il s'était contenté de les priver de les protéger des autres, certes dans une prison, mais c’était sans doute mieux que de finir en cendre non ?

Elle ne s’attendait pas à ça. L’homme était plein d’éloquence et si elle pensait pouvoir l’impressionner il était évident qu’il n’en était rien. Du moins en apparence. Elle tiqua intérieurement sur le fait qu’il prétend avoir entendu parler d’elle. Impossible. Il y avait bien des Torches avec un nom retenu prisonnière au Sanctuaire du Feu, mais de ce qu’elle savait aucune n’avait parlé. Quand bien même les auraient-ils torturés, comment avait-il fait ? La question demeure mystérieuse et elle se met naturellement sur ses gardes. Son poing se serre sur l’accoudoir de son trône de roche. L’intensité de ses flammes changent légèrement quand il vient à lui lancer un pic sur la proposition d'une invitation. Toutefois, l’homme semble avoir conscience qu’il n’a pas à faire à n’importe qui et il se ratrappe en courbettes de langue élégantes.



Elle se replace sur son trône courbant le buste vers son invité et parle un ton plus bas que précédemment.



Elle recule pour mieux s’installer et de manière nonchalante pose sa tête contre son poing, en attente d’une quelconque explication de la part de son interlocuteur.



Elle patiente quelques secondes avant de reprendre

Elle lui répond d’un ton égale au sien. Il ne ressent pas spécialement de menace dans sa voix toutefois il a conscience qu’il se trouve devant l’Imperatrix et si les Torches fonctionnent comme n’importe quelle culture il paraît évident qu’elle est sur ce trône pour une bonne raison. Force, intelligence, foi, bien des possibilités qu’il ne peut pas écarter. Il est toutefois étonné par son approche. Elle semble lui faire un reproche tout en le prétendant complètement sot. Une infantilisation qui ne lui plaît guère mais dont il s’accomodera pour le reste de la conversation. Elle semble lui “pardonner” et il lui faut marcher sur des œufs s’il veut sortir vivant de cette grotte. D’autant plus qu’elle a raison sur quelques points : il ne sait pas grand chose, rien du principe de transformation d’Humain à Torche et c’est ce qui l'intéresse au plus haut point.

Il se courbe un peu plus, son front touchant pratiquement le sol.




Il se relève pour fixer dans les yeux ce visage enflammé qui le domine.



Rentrer dans son jeu et obtenir ce secret si convoité. Si certains croient en un mal nommé Immolacre, lui croit en une bénédiction des flammes. Comment pourrait-il en être autrement ? Il a pu jauger un bon nombre de fois la force de ces créatures et il avait compris que cette force dans des bonnes mains pouvait être bénéfique. Des mains qui seront sans aucun doute les siennes. Il avait déjà mené quelques expériences afin de voir si la “malédiction” était transmissible, rien de concluant. Il avait espoir que ses Torches aux noms étranges lui donnent plus d’informations, mais elles étaient toutes restées muettes.

L’humain semble sincère. Toutefois elle note qu’il n’en demeure pas moins un vil serpent attiré par l’appât du gain. Elle comprend que Yoichi à su tirer son épingle du jeu plus d’une fois et pourquoi il a autant d’influence sur les siens. Il ne recule devant rien et ne semble touché par aucune parole. Minerva ne sait pas si réellement elle peut lui faire confiance, mais elle balaye intérieurement cette idée de sa tête. Les humains restent les humains, pour l’heure il est un outil à son projet rien de plus. Peut-être signeront-ils un accord de paix, il n’en demeure pas moins qu’ils font maintenant partie de deux espèces différentes.



Elle délaisse sa position d’aisance pour se courber une fois de plus en avant.



Elle pousse un soupir.



Elle attend sa réponse, espère qu’il accepte pour un règlement pacifique de la situation. Quand bien même ce ne serait pas le cas, elle le tuerait sur place et poursuivrait l’offensive qui est déjà en prévision.



Elle lui sourit aimablement et d’un signe de la tête fait signe à ses gardes Torches.



Elle le laisse ainsi partir, satisfaite de cet échange qui, elle le sait, ne pourra lui être que bénéfique.