- J'ai connu Nagisa... Ou plutôt Natsuki. Le visage du vieillard devant moi s'éclaira d'une lueur mauvaise, celui du père qui comprenait qu'on savait la vérité sur son enfant... Une révélation désagréable, sans doute plus pour lui que d'avoir raté son passage au jashinisme.

Après mon entrevue dans les ateliers de kugutsu, j'avais filé vers le quartier résidentiel alors que le soleil commençait à décliner dans l'après-midi. L'atmosphère chaude se révélait plus calme et agréable dans ces moments-là, quand le gardien du désert n'était pas à son paroxysme. Les yeux fixés devant moi, nonobstant tous les passants, je cherchais la propriété de la famille de ma douce amie, désormais loin dans les bras de mon Dieu... Si j'éprouvais de la reconnaissance pour son tumulte enfin fini, je ne pouvais m'empêcher d'avoir un pincement au cœur d'ainsi perdre pour cette vie une personne tant chère. J'avais donc entrepris un curieux voyage : Les gens se massaient à Jujou No Sato, mon foyer, mais moi je partais à l'autre bout du monde pour trouver le père vieillissant de la femme de mon cœur, pour le tuer et venger celle-ci.  

Je ne tuais pas pour Jashin aujourd'hui, je le faisais pour moi... Pour calmer un feu qui brûlait si fort en moi, faisant couler toute la glace dont j'étais habituellement fait.

Trouvant la maison, une belle résidence accueillant tout un clan dans les jours de fêtes, je ne pus m'empêcher d'observer tout le vide de la bâtisse... On fuyait les rangs de la famille maintenant que le membre "héritier" s'était révélé un espion monstrueux pour un culte démoniaque. Frappant à la porte, un serviteur vint m'ouvrir, l'air surpris et presque hagard : Les derniers jours avaient dû être compliqués d'être ainsi affilié aux ténèbres, même par association. Je donnais le prénom de mon frère, associé au nom qui nous unissait, et je demandais à rencontrer le patriarche, chef d'un clan à la dérive. "Et il le mérite."
Traversant salles et anti-chambres, j'arrivais à une petite pièce, correspondant à une chambre, où je trouvais un vieil homme, une ruine du corps alors que son âme résidait encore dans les fondations. Ne se tournant pas vers moi, emprunt d'une dignité inconvenante, je m'avançais pour être à portée... C'était le moment, tous mes espoirs arrivaient à cet instant où je pouvais le frapper, mais pas si vite. Il fallait lui dire pourquoi j'étais là... La vengeance n'était pas complète si la victime ne savait pas le motif. Un lourd silence s'était immiscé, avant que je ne me présente. Le serviteur quitta les lieux, non sans me jeter un regard curieux, mais ses tâches l'attendaient sans doute.

Un nom, un statut, il emporterait cette information dans la tombe de toute façon : Je lui révélais ainsi ma vraie identité et d'où je partais. Ce n'était pas plus instructif, il ne connaissait pas les liens que j'avais avec sa fille, devenu un homme pour continuer l'héritage. Malgré tout, avec ma voix, il se tourna pour mieux observer celui qui l'importunait. La fenêtre devant lui révélait tout un horizon de Sakyuu no Sato, plutôt radieux si on s'en tenait à l'esthétisme : Je ne regardais que lui, détaillant ses traits qui ressemblaient à Natsuki, mais sans avoir la beauté de la fureur. Il était fatigué, déliquescent... La mort l'attendait à chaque coin de porte et sans le savoir, il se tenait devant sa fin. Je n'allais pas partir de la propriété sans avoir sa vie évacuée sur le sol.
Vint alors le déclic, je parlais de ma connaissance de Nagisa, corrigeant aussitôt en utilisant le vrai prénom de la dame. Il n'avait pas dû l'entendre depuis un moment, mais il réagit aussitôt avec cette nouvelle lumière sur son visage :

- Je vois. Tu connaissais la fille. Il dissociait les deux : La mort du fils avait imposé à la fille de devenir quelqu'un d'autre. C'était plutôt juste : On pouvait connaitre Nagisa, le  juunin, sans comprendre l'existence de Natsuki derrière.
- Oui, je l'ai connue. Un pas, et ses yeux se baissèrent sur mes chaussures, se relevant aussitôt avec un autre éclat à son regard. Un éclat mouillé ? Non, un courroux ancestral... La fierté et l'égo du chef qui n'appréciait pas un geste déplacé.
- Que veux-tu, mon garçon ? Me donner tes condoléances ?
- Vous n'avez perdu qu'un nouveau fils, ce que vous regrettez aujourd'hui c'est de ne plus avoir d'enfants de secours pour prendre sa place. Un froncement de sourcil, rapide et indigeste. Il comprenait qu'au-delà du jeu des identités, j'avais aussi le motif du changement.
- Tu ne me connais pas, tu ne sais pas ce que je ressens. Une voix hargneuse, comme un crachat à mon visage.
- Je m'en contrefiche. Le froid comme réponse, mais je savais que bientôt la lame dans ma main allait fondre pour se chauffer dans son sang. Vous êtes finis, le temps de votre existence et de votre clan est passé. Un nouveau pas, et la peur arriva sur le visage ridé du patriarche. Il commençait à comprendre.
- Non... Non ! Un début de cri, mais ma main vint cueillir ses lèvres pour étouffer le son. Mon nez, si prés du sien, je scrutais ses iris de la façon la plus prédatrice possible. Je sentais sur ma peau son souffle chaud, haletant, qui transmettait l'information suivante :

Il était mort de peur.

- Bientôt, vous serez mort, un peu de patience. Appliquant mon autre main comme une caresse, contre son visage, je continuais. J'aimais votre fille, mais elle manquait de l'amour d'un père... Pourtant, l'obéissance a été sa ligne de conduite. Chose admirable. J'ai moi-même eu un père compliqué et la seule raison pour laquelle je ne l'ai pas tué, c'était car mon village pouvait en bénéficier et que cela servait mon intérêt. Je viens rectifier le trait. Exprimant un sourire véritable, chose rare, qui se traduisait pas un rictus sur un côté de mon visage. Les pères sont toujours des sales races... Incapable d'assumer leurs choix, leurs pertes et surtout leur progéniture.

On arrivait enfin au moment tant attendu. Bloquant la respiration de sa bouche, je caressais la tempe du bout d'un doigt, doucement, comme pour le calmer, mais avec mes mots son rythme cardiaque augmentait... Le temps passait, son cerveau se mettait en route pour revoir sa vie, son destin et surtout préméditer les douleurs que j'allais infliger. Un châtiment mental plutôt convenant, car je n'avais rien à faire. Puis, je murmurai :

- Je suis jashiniste, comme Natsuki, mais si je viens pour vous... Ce n'est pas pour mon Dieu. Votre mort ne servira qu'à moi, je ne viens pas vous libérer. Loin de là. Arrêtant mon geste, je vins l'appliquer sur la cuisse du vieillard pour déclencher ma lame et voir le métal traverser sa peau si frêle. Continuant à défendre sa bouche de tout cri, je pus étouffer une évocation de la douleur. Au lieu d'enterrer votre fils et de faire votre deuil, vous avez juste continué votre route avec de nouveaux jouets... Vous avez fuis la douleur pour le clan, l'honneur et l'héritage. Mais... Tout revient un jour. L'acier fouillant toujours ses muscles, je remontais en déchirant sur mon passage tout ce qu'il y avait, jusqu'à arriver à la plissure de la hanche. Déliant mon bras de la blessure, je présentais la lame rougie devant les yeux de l'homme faible qui ne pouvait se défendre, ainsi apeuré.  Comme on dit : "ça crève les yeux que vous êtes un salopard." Un geste, actif, pour approcher le fil de l'arme près de son globe oculaire, avant de m'arrêter. Tâchons d'en garder un, pour que vous puissiez profiter du spectacle. Et je continuais mon geste, doucement, alors qu'il s'époumonait de douleur, tout en frétillant pour empêcher la lame de fouiller dans son visage.

La mise à mort durant bien cinq minutes encore et je dus trouver un objet contondant à lui mettre dans la bouche, déchirant une partie de ses joues avec la taille de l'ensemble, puisque ma main était trempée de salive et de sang... Devant moi, un corps revenu à sa nature première : Un tas de viande, sanguinolente, mais qui respirait encore. Je m'étais engagé à lui laisser la vie jusqu'au dernier moment : Aucune chance qu'il puisse partir tranquille.

- Regrettez vous ce que vous avez fait à votre fille, vieil homme ? Aucune réponse, il s'était peut-être évanoui. Une large gifle et la réponse automatique vint, un cri, de la douleur lancinante dans tout son corps ainsi écharpé. Même maintenant, il n'y a rien de moins sûr, mais au moins, vous approchez de la douleur ressentie... Un curieux sourire, je demandais. Voulez-vous la vie sauve ? Je pourrais m'arrêter là, vous allez vivre le reste de vos jours avec ces blessures...

Des paroles inintelligibles, puisque bloquée par le bout de bois. Il demandait à vivre, il suppliait en pleurant des larmes de sang qu'on puisse le garder en vie. "Pourquoi ?" Agacé qu'il ne demande pas la mort après le supplice, je lui plantais la lame dans la tempe, d'une manière rapide pour l'exécuter.
Soupirant, je regardais une dernière fois mon œuvre pour me détourner : Ce tas de viande n'était plus mon objectif, j'avais rempli ma tâche pour Natsuki. Utilisant un morceau de son vêtement encore vierge de sang, je nettoyais les lames de mes bras, mais aussi toute la salive sur ma paume droite. Un petit baquet d'eau attendait pour la toilette du chef, je l'utilisais pour finir mes préparatifs de fuite... Des vêtements attendaient dans une buanderie, ce n'était pas forcément ma taille et l'acier suffirait à corriger quelques détails. Changeant de bas et de haut, rangeant le tissus souillé dans mon sac en préparatif pour les jeter à l'extérieur du village, je prenais une nouvelle tenue bigarée, sans aucune réflexion.

La fenêtre donnait sur Sakyuu, j'allais fuir par celle-ci.