Entre les premières pierres de la Montagne et les premiers cerisiers de l’Épine se trouve une auberge prostrée à l’orée d’un petit bois. Ce havre de paix appartient à la famille Sasakibe et a vu passer nombre de visiteurs au fil des années; s’arrêtent à l’auberge ceux qui ont besoin de repos durant leur pélerinage vers la cité de l’Empereur, ou même leur retour. Bien souvent, ce sont des civils.

Comme ce soir.

Au comptoir où Hanako s’occupait normalement de rendre aux visiteurs et aux voyageurs un peu de courage avec de la boisson, il y avait un homme en misère, suppliant la tavernière d’accélérer. Appliquée à bander la chair exhibée qu’elle venait de désinfecter du mieux qu’elle pouvait, Hanako ne faisait que pester en attendant que son mari ne parte de l’auberge pour aller chercher de l’aide.

Il lui faudrait des jours pour rejoindre un réel village de Daichi ou de Tsume, et la vieille femme ne savait pas si leur visiteur tiendrait jusque là. Il est entré dans l’auberge en criant à l’aide, une main en moins. Pourtant, elle n’a pas été coupée, il ne s’agit pas d’un accident. "Un monstre m’a mangé la main", c’est tout ce qu’elle sait. L’homme a fui la forêt à cheval après s’être fait un garrot avec un cordage de sa marchandise. Il n’eut d’autre choix que de l’abandonner là.

***

Nous observons. La Jalousie me pose une question; «As-tu encore faim?»

Les questions sont dans sa nature, c’est comme ça qu’elle se nourrit. Ce n’était pas mon banquet le plus somptueux, je ne le cacherai pas : «un peu… et toi, as-tu toujours froid?». Pour une fois, j’ai fait l’effort de lui laisser quelques vêtements à porter, comme preuve de bonne foi. Dans le feu, un os vidé complètement de sa moelle tombe; c’est la meilleure partie, je n’allais pas gaspiller! Mon nouvel ami s’est rassasié, lui aussi. Je lui ai offert de quoi à ce qu’il ait plus que la peau sur les os, mais comme d’habitude, on refuse ma générosité.

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Il la désirait totalement, entièrement, je n’ai fait que lui offrir ce qu’il voulait. Il connaissait le prix qui venait avec sa demande. «… Non. Bon, tes goûts vestimentaires ne sont pas les meilleurs, ça fait un peu pouilleux sur les bords, mais c’est suffisant.» J’observe un moment ce qu’il reste de ce pauvre type.

Une carcasse écorchée, entourée d’ossements et de restes de viandes trempant dans la gerbe. J’ai beau être finalement au chaud, je frissonne; la Famine ne sait pas manger proprement. «Malheureusement, j’ai affaire ailleurs; je te laisse… nettoyer ça. Tu as oublié un morceau, tiens.» Du bout de mon menton, je pointe un petit quelque chose qui traine dans le sang et le vomi. Il s’agit d’une main.

D’habitude, on dit que je suis la mauvaise fréquentation, mais ce type est de loin le plus répugnant. Moi au moins quand je marchande pour de nouveaux vêtements, je ne laisse pas trainer ceux qui ne me servent plus.

Dans les flammes, je jette ma dernière nuisette; une trentaine d’années, rousse, anciennement engrossée par un homme qui ne fait la différence entre l’amour et le désir qu’une fois s’étant vidé. «Si je trouve autre chose pour toi, je te le dirai.» Je déteste travailler avec lui, mais parfois on doit faire ce qu’on a à faire.

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Un peu moins d’une semaine plus tard, un couple d’apothicaires découvre en forêt trois corps  ensanglantés, partiellement dépecés et à la chair manquante; un quatrième corps est découvert, celui-ci sans peau. Des ossements jonchent le sol, signe qu’il y a bien plus de victimes que ce qu’il ne laisse paraître.

C’est à croire qu’ils se seraient entretués puis entredévorés.