J’ouvre les yeux. Je me retrouve sur une passerelle en bois dont les pieds de cette dernière sont profondément ancrés dans l’eau vaseuse de la mer. Derrière moi, un pilotis abandonné. Comment me suis-je retrouvé ici ? Une sorte de voile noir s’était déposé sur ma vue et ma personne s’est senti attiré par un vide abyssal. Je repris conscience à cet endroit précis. Pourquoi ? Que m’est-il arrivé ? Je fronce les sourcils observant l’horizon aquatique : tant de secrets baignent dans ce genre d’endroit. Ma curiosité est à son paroxysme face à cette étendue d’eau. Je me mets accroupie. L’eau est à présent à quelques centimètres de moi. Mon doigt vient titiller la surface : la solution aqueuse est si froide. Le bout de mon doigt humidifié, je me relève et inspire à grand coup avant de rebrousser chemin.

Sur la passerelle en bois dont les planches craquent à chaque fois que mes pieds s’appuient dessus, des souvenirs réapparaissent sous forme de flash. Tantôt je me souviens d’une femme dont le corps fut mutiler avec des mixtures chimiques dont le résultat ne fut autre que l’épiderme qui se détachait de son corps en lambeaux sous des hurlements de douleur. Tantôt un enfant tout juste naît et dont la solidité de son corps dû être évaluée en le lançant contre différentes surfaces - son sang giclant de part et d’autre du laboratoire sous le regard glaçant et curieux des scientifiques. Ces images furent un éléctrochoc. Je secoue ma tête à droite, puis à gauche. Mes mains vinrent saisir ma tête et mes doigts s’enfoncèrent dans mes cheveux. Mes pupilles se dilatent, mes dents se serrent. Je me penche en avant, l’envie de vomir mais rien ne sort… Je tousse à m’époumonner…

Le dégoût me pousse à courir dans ce fameux pilotis abandonné. Je défonce la porte qui - de toute façon - était en fin de vie tandis que je m’isole dans une petite pièce, dans un coin. Je m’adosse et me laisse glisser jusqu’à être assis par terre. La tête toujours entre mes mains, je regarde dans le vide, tétanisé.

“Et alors Ishii ? Me dis pas que tu as la frousse, tocard !”

Je secoue une nouvelle fois ma tête dans tous les sens. Cette voix, je la connais que trop bien.

“Arrêtes ! Arrêtes ! Va t’en !” Dis-je tout en continuant de secouer la tête. J’essaie de me sortir cette voix. Cette voix beaucoup trop familière ! Mais elle continue de me parler. Elle continue en écho dans ma tête… Je me lève subitement et colle le front contre le mur en bois.

“Lâche-moi… Tu ne m’auras pas !” Fis-je tout en grognant de colère et de haine…
“Nous verrons bien Ishii… Nous verrons bien… Tôt ou tard…”

Cette sensation de lourdeur dans mon esprit commence à partir. Mes mains relâchent tranquillement leur étreinte tandis qu’un filet de bave coule le long de ma bouche. Je l’essuie d’un revers de manche… Restant le front collé à cette paroi en bois, je commence à souffler de soulagement… Mon souffle est court mais contrôlé… Il était temps de partir…

Je pousse ce qu’il reste de la porte en bois. Les maux de tête commencent à se manifester après ce phénomène que je viens de vivre. Cette voix qui retentit dans ma tête n’est autre que l’une de mes personnalités. Vivant malgré cela des moments tantôt paisibles, tantôt sordides, je m’adapte aux situations tant bien que mal. Ces-derniers jours, je sens la présence de ce moi maléfique qui ne demande qu’à jaillir et faire de nombreuses choses qui pourraient porter préjudices à moi-même mais aussi aux autres personnalités ancrés dans ma tête… Nous sommes nombreux… Ou du moins, bien trop pour une seule et même personne. Il fallait vivre avec, et faire en sorte que chacun puisse y trouver son compte. Mais cela est comme dans une société : il y a parfois des pommes gâtées dans le panier…

Mes pas sont lent, mon regard vide. En pleine concentration pour ne pas finir à lui laisser la place et lui octroyer ce qu’il veut : entrer dans ces maisons et détruire les civils jusqu’à pouvoir baigner dans le sang de ces derniers. Les efforts demandés pour rester maître de moi-même étaient conséquents et sans commune mesure. A mesure que je m’enfonce dans la fourmilière humaine, la soif et la faim m’étreint rendant la tâche encore plus ardue.

Essoufflé mais non par l’effort, j’ouvre une porte grinçante et avance de quelques pas sous le regard curieux des personnes déjà présentes. Je me dirige vers le comptoir, tire un tabouret et me mets assis sur celui-ci tout en posant les coudes sur l’épaisseur du bois. Mes mains empêchaient ma tête de tomber et mes dents commencent à claquer. Le froid ? Non. Une sorte de mécanisme physiologique de défense… Étrange n’est-ce pas ?

La voix grave du gérant retentit dans mon esprit et me sort de la méditation que j’essayais de mettre en place. Le sursaut lui indique qu’il n’était peut-être pas venu au bon moment. Mais cela ne l'empêche pas de me demander si je souhaite boire quelque chose, ce à quoi j'acquiesce d’un simple mouvement de la tête. Interloqué mais sans plus, il me montre ce qu’il a à boire et je lui indique du menton ce qui m’intéresse - sans dire un mot. Il me sert le verre qu’il me dépose devant moi. Le bruit de cette dernière qui claque sur le bois du comptoir m’irrite particulièrement. Je garde mon calme et ma main tremblante vient saisir la hanse pour que je puisse apporter le breuvage à mes lèvres.

Le goût m’écoeure. Je ne sais même pas ce que c’est. J’avais juste soif. Mes avant-bras se posent devant moi et accueillent ma tête qui se repose sur eux. Ma jambe droite bouge frénétiquement de haut en bas, signe d’un éventuel stresse ou d’une hyperactivité. Je grogne quasi silencieusement dans ma barbe pour que ce moi “vilain” finisse par me laisser tranquille, mais il continue de mettre cette légère pression capable de me rendre fou. Une situation bien compliquée.

S’il parvient à prendre possession de moi, je ne donne pas cher de la peau des civils présents ici… En espérant qu’en cas de coup dur, une personne puisse être capable de m’arrêter…

C’est alors qu’une bouteille tombe à terre. Le son du fracas de cette dernière contre le sol me déconcentre l’espace d’un instant. Mon buste se redresse. Je regarde devant moi. Un miroir. Mes pupilles se dilatent. Mon œil droit perd de sa brillance. J’ai perdu la bataille. Un sourire se dessine sur mon visage, il est heureux. Heureux d’être parvenu à prendre possession de moi. Je me retourne et contemple l’ensemble des personnes sur place. L’une d’elle attire mon attention. Je me lève en faisant tomber mon tabouret et sans aucune discrétion, ma main se dirige vers l’homme dans le but de pénétrer son corps. Mais…

Spoiler:

Ma course dans le but d’embrocher mon adversaire fut stoppée par une simple phrase froide et remplie de charisme. Je m’arrête net, à quelques centimètres tandis que je déride mon visage. Beaucoup plus calme qu’avant mais pour autant pas moins malicieux. Je prends le tabouret à ses côtés et je m’installe de façon brouillon. Mon coude se posa sur le comptoir et la paume de ma main accueille mon visage, une émotion frustrante se dessine sur ce-dernier.

“Je me doutais que tu allais le voir venir.” Dis-je ne cachant pas ma tristesse de ne pas avoir pu exécuter cet innocent. “Quelque chose émane de toi et te rend différent de ces autres ivrognes !”

C’est en partie vrai. Alors que je vois les gens boire jusqu’à plus soif et manger à en vomir sous une abondance de nourritures et de boissons, lui semble avoir la tête sur les épaules et jouit d’une certaine nonchalance. Cette nonchalance montre une certaine maîtrise et je ne peux que le mettre en valeur.

“J’ai bien choisi ma cible moi encore.” Je lève les yeux au ciel. “Mais bon, ça me donne l’occasion de te rencontrer et d’en savoir plus à ton sujet. Qui sait ? Peut-être a-t-on des choses à se dire ?”

Comment cet inconnu pourrait se montrer bienveillant envers quelqu’un comme moi qui a voulu l’embrocher ? Je n’ai aucun savoir-vivre et je m’en fous de ce que peuvent penser les autres. Je suis simplement moi-même. D’ailleurs, le gérant vint resservir à boire à cet inconnu mais en tant que personnalité que l’on peut qualifier de “méchante”, je saisis le verre que je bois cul sec. Le goût m’écoeure à nouveau mais au moins je me suis hydraté de cette substance aqueuse et pas moin dégueulasse.

“Bon. La prochaine tournée sera pour moi si tu veux. Je ne veux pas t’importuner.” Je me tourne vers lui et tente d’avoir une posture à la hauteur du charisme de l’inconnu. “On est peut-être parti du mauvais pied. Je m’appelle Shirô Ishii ! Et toi ?”

La démarche est sincère. Peut-être manipulatrice ? Peu importe. Je lui tends la main en guise de salut. La pulsion me fait perdre toute politesse. Derrière moi, un serveur ramasse la chaise que j’ai fait tomber il y a peu. Je l’entends marmonner quelques insultes qui me font sourire. Ne pas être aimé fait parti de mes habitudes et moins on m’aime, plus je savoure ce moment… Et en ce moment ? Je prends un pied monstrueux !

“Allez, fais pas le timide. Serrons-nous la main comme de vrais hommes !”