Harassé et pressé de rentrer à son refuge, Mû quittait les lieux de sa mission avec un peu d’empressement. Malgré la fatigue qui aurait pu lui scier les pattes, il marchait à un bon rythme pour pouvoir retrouver les murs du village et plus particulièrement sa demeure où il se sentait un peu mieux. Sa route croisa celle d’une drôle d’énergumène. Quelque peu familière, elle l’apostropha sans vergogne, comme s’ils étaient de vieilles connaissances. Pour quelqu’un d’aussi renfermé que le Malade, son comportement le dérangeait. Malheureusement pour lui, il prenait tous deux la même direction, à savoir le village. Bien qu’il soit un peu ennuyé par une compagnie aussi remarquée et bruyante, il répondit très brièvement à la question qu’elle lui avait posé.

- Bonjour. Je me rendais au village justement.

Pour couronner son malheur, elle comptait s’arrêter à l’auberge des frères Shijuu. Lui-même avait beau être pressé, il savait qu’il serait plus sage d’y faire une halte pour reprendre un peu de forces. Sa précédente mission l’avait épuisé et il serait stupide de pousser son corps jusqu’à ses limites. Sa condition étant particulière, il ne pouvait se permettre des écarts. Bien qu’il serait vu comme un mauvais client qui ne mangerait et ne boirait rien, il comptait quand même faire une halte. Son accompagnatrice du moment le fit douter. Elle commençait à lui expliquer quel genre de châtiment elle réservait aux brigands. Sa description dépeignait un personnage dont le sadisme semblait extrêmement exacerbé. Mû ne se considérait pas comme un enfant de cœur mais il ne se porterait pas sur de la violence gratuite ou de la prolonger par simple plaisir. Il réservait cette dernière extrémité pour interroger et obtenir des renseignements rapidement. Bien qu’il n’ait jamais eu l’occasion de procéder ainsi. Ce serait néanmoins sa méthode.

Se disant qu’il aurait mieux fait de mentir et de prendre la route dans l’autre sens, leurs pas les mena devant l’auberge où un autre spectacle se jouait. Derrière son masque, le Malade vit cet étrange homme se faire jeter avant de procéder à un habile tour de passe-passe pour transformer des feuilles en argent. La manipulation le surprit, naturellement, et il en vint à s’interroger sur le pouvoir ou l’origine de cet homme. Il n’était pas le plus instruit d’Onogoro mais il avait quelques connaissances à son actif. Aucune ne concernait directement cette supercherie qui ne dura pas bien longtemps. Le piégé poursuivit le malandrin qui était plus occupé à narguer son assaillant qu’à la fuite. C’est ainsi qu’il termina sa course en bousculant la psychopathe. Cette dernière ne tarda d’ailleurs pas à réagir. Ce fut même automatique, comme un bouton pressoir que le fuyard aurait enclenché en la touchant. Mû était déjà fatigué psychologiquement et il se voyait déjà embourbé dans un sac de nœud dont il ne saurait se démêler.

Il n’était néanmoins pas le genre à s’interposer directement pour défendre la veuve et l’orphelin. D’un côté, cet homme avait commis un acte de duperie pour voler de manière intelligente. Cela restait un méfait qu’il était censé punir en tant que soldat de Jujou. L’idée lui déplaisait grandement et il préférait attendre de voir ce que dirait l’accusé. Il sentait cependant qu’il risquait d’avoir plus de travail avec l’autre énergumène qui s’emportait au quart de tour. Lui qui avait rêvé de son foyer douillet était promis à un imbroglio épuisant.

Tout s’accélère et se précipite. Déjà, Mû se rendit compte qu’il s’était peut-être trompé sur la nature de son accompagnant. Lui qui l’imaginait petite fille s’était fait appeler « gamin » par le malandrin. Apparemment le sujet était soumis à débat. Mais ce dernier n’avait que peu d’importance par rapport à ce qui se déroulait. A peine le malin s’était cogné dans le jeune Jujoujin de genre indéterminé, il l’éconduit et se dirigea derrière le Malade pour se faire passer pour la victime. Une attitude que le Genin détestait. Il se retrouvait au centre de l’attention, dans un conflit parfaitement bénin où il n’avait pas lieu d’être. Un soupir s’étouffa sous l’épaisseur du masque à la figure de tête de mort. C’était ce genre de moment où il se devait de se rappeler que Jujou lui offrait un toit et des moyens pour parfaire ses connaissances scientifiques. Il y avait ce genre de désavantage par contre. Il avait troqué la quiétude et l’insalubrité de la jungle pour le confort et les problèmes qu’impliquaient la vie d’un shinobi.

La jeune tête se mit à réagir fortement et vivement aux propos du fuyard. Rien qu’à ces mots, Mû sentait déjà que la difficulté allait augmenter d’un cran. Ils avaient un voleur et un marchand mécontent prêt à tout pour se faire justice. Ajoutant à cela une forte tête un peu trop directe, c’était au trentenaire de tenter de rectifier le tir. Leur opposant le prendrait sûrement pour le responsable et ça lui retomberait dessus. A l’avenir, Mû s’arrangerait pour prendre les sentiers les plus cachés pour retourner au village.

Alors que le fuyard s’était présenté sous le nom de Tarou, l’aubergiste en colère formulait une demande vindicative à laquelle il venait d’ajouter un couteau. Mû eut un rapide regard vers la lame, s’apitoyant déjà des conséquences de cette rencontre. Il aurait aimé être à bien d’autres endroits, même les plus inconfortables, plutôt qu’ici. Il n’avait pas l’occasion de réagir qu’un nouvel élément s’ajoutait à l’équation. La tête brulée se mit à faire des siennes avec son langage un peu trop franc du collier. Mû se voyait déjà tabassé au sol à cause de l’affrontement. Une goutte se fraya un chemin sous son accoutrement visant à le protéger. Une bien faible protection face aux actes auxquels il était confronté.

Levant calmement ses deux mains, Mû modéra son rythme pour inciter le reste de l’assistance à prendre un peu de recul et se calmer. Il remarqua que son acolyte avait lui aussi une lame prête à l’usage. Il avait tenté la voie de la diplomatie en sortant un peu de monnaie mais le trentenaire craignait que ce ne soit pas suffisant. Un tel caractère insolent face à un homme en colère, peu de chances que ça se calme aussi facilement. En soi, même le mouvement de paix qu’il tentait avait peu de chances de fonctionner mais il n’allait pas en venir à des actes plus drastiques pour l’instant. Restant serein dans sa voix, il revint sur un élément qui était loin de lui avoir échappé :

- Shinobis de Jujou. Calmez-vous et nous vous aiderons à gérer ce différent. Qu’entendez-vous par monstre ? demanda un Mû assez curieux.

Le furibond fait immédiatement référence à des Yokais pouvant prendre forme humaine et parler leur langue. L’information ne surprend guères le trentenaire masqué, surtout depuis sa mission où ils ont essuyé une attaque de Sarugamis. Le souvenir de cet échange avec le primate n’était pas prêt de s’effacer de sa mémoire. Occultant les vociférations de l’autre Jujoujin, Mû essayait de faire le tri dans tout ce qui se déroulait. Mais du mouvement derrière lui, ainsi que le départ de son acolyte shinobi lui indiquèrent que le malandrin avait profité de cette discussion pour se sauver. Jetant un coup d’œil derrière lui, le Malade aperçut quelques mètres derrière eux la silhouette d’un raton-laveur habillé et toujours porteur de sa bouteille de sake. Ni une ni deux, Mû était décidé à rejoindre son compagnon dans cette course. Ce dernier s’était montré bien véhément à l’égard du mendiant et il craignait qu’il mette en application ses menaces. Mais il fallait aussi gérer l’aubergiste en colère. Mû lui jette alors un regard noir et s’exprime d’une voix froide.

- Nous allons-nous en charger à présent. Mais nous avons besoin du champ libre pour agir. Si vous êtes dans nos jambes en pleine intervention, la perte d’une bouteille d’alcool sera le cadet de vos soucis. On ne sait jamais comment ce genre d’affrontement peut finir.

S’estimant assez clair et suffisamment ferme, le trentenaire prit la suite du gamin turbulent et de la créature au larcin. Il espérait que le tavernier n’allait pas se sentir pousser des ailes et se rameuter avec eux. Mû ne tenait pas à agresser ce Yokai. Aucun d’eux d’ailleurs. Les propos de l’autre shinobi ne le rassuraient pas et il devrait déjà gérer ça. S’il fallait en plus s’occuper d’un civil un peu trop revêche, la situation n’en serait que plus épineuse. Bien que le caractère opiniâtre de Mû risquait de faire surface s’il n’avait pas été écouté par le teigneux. Cet évènement était déjà assez houleux, il ne tenait pas à en rajouter.

Alors qu’il prenait la suite du Jujoujin, il le vit réaliser des mudras. Mû ne s’était pas attendu à ce qu’il lance l’assaut aussi rapidement. Il n’eut pas le temps de l’en dissuader que de la foudre apparut. Fort heureusement, elle ne toucha pas le petit animal en fuite. C’était un soulagement de courte durée après ce qu’avait dit le bambin à l’aubergiste. Le trentenaire craignait un nouvel assaut plus précis de la part du Genin. Il allait devoir se préparer à en faire de même ? Pestant intérieurement, il réalisa à son tour des mudras pour malaxer son chakra et faire appel à sa nature Fûton. Lorsqu’il le diffusa autour de lui, différents courants d’air se formèrent. Ils s’élancèrent devant lui pour rattraper le fuyard avant de brusquement faire demi-tour. Leur intensité ne permettrait pas de blesser la créature, juste de la ralentir et de l’inciter à s’arrêter. Mû put alors en profiter pour revenir au niveau du jeune. A peine essoufflé mais très en alerte sur la suite, le trentenaire accorda un regard alternativement sur son compagnon et sur le Yokai.

- Personne ne sera tué, déclara-t-il d’une voix aussi ferme et cinglante qu’avec l’aubergiste. Nous ne voulons pas te faire de mal, dit-il à l’attention du Yokai. Simplement avoir des réponses à certaines questions.

Ce n’était pas parce que son acolyte avait exprimé le même besoin que Mû lui faisait confiance pour autant. Le Malade restait attentif maintenant au moindre fait et geste de celui à ses côtés. Il ne comptait pas se refaire surprendre par un assaut surprise Raïton. Tant qu’il serait là, aucun mal ne sera fait au petit animal.

Un peu trop emporté par l’émotion et gagné par la lassitude de la situation, Mû s’était très brièvement arrêté lorsque le forcené s’était mis à craindre pour sa vie. Un regard en arrière, le trentenaire haussa épaules et mains en guise de réponse, bredouillant vaguement quelque chose du style « On va s’en assurer » avant de reprendre sa course. Avec ses éclats de voix et ses intentions belliqueuses, l’aubergiste l’avait un peu forcé à se mêler de cette histoire. C’était un moyen détourné de lui rendre la monnaie de sa pièce. Quelque peu amusé de cet air soudainement effaré, Mû avait poursuivi sa course avec plus de sérieux pour ne pas laisser l’autre forcené du moment en tête à tête avec la créature fautive.

Finalement, l’utilisation combinée du Ninjutsu élémentaire des deux Jujoujins fut suffisante pour inciter le Yokai à s’arrêter. Il s’était installé au sol, restant extrêmement méfiant voir apeuré. Mû ne pouvait que le comprendre après ce qu’il avait dû entendre. Tout comme il comprenait que sa première inquiétude était de s’assurer que le jeune Jujoujin reste à bonne distance. Sans un mot, le Malade effectua un léger mouvement de tête à l’attention de leur interlocuteur à fourrure. Si Mû avait dû se montrer vigilant avec le tavernier, il devait maintenant le rester pour empêcher un brusque accès de folie de l’énergumène qui l’accompagnait. Le trentenaire réfléchissait à la fois à la suite des évènements mais s’empressait dans un même temps de ce qu’il pourrait faire une fois débarrassé de ce bourbier.

Bien que le contact avec le Yokai ne le dérangeât pas. Au contraire. Peut-être serait-il d’ailleurs une source de réponses inespérées. Fallait-il encore le mettre un peu plus à l’aise. Il ne risquait pas d’être d’une grande utilité s’il restait aussi facilement déconcentré par la peur. Mû gardait une démarche posée maintenant qu’ils étaient tous à peu près à proximité. Ryodari prit place au sol, défendant la noblesse de ses intentions. Derrière son masque, le Malade lui accorda un regard avant d’en revenir au raton face à eux. Difficile à croire, toujours.

Le Yokai souhaitait s’éloigner un peu avant de répondre. Mû observa les alentours, à la manière de la créature qui venait de le faire. Y avait-il un élément qui leur aurait échappé ? L’idée s’étant maintenant immiscé dans l’esprit du trentenaire, elle risquait de le tarauder un moment. S’il était prêt à accepter qu’ils s’éloignent un peu, cette inquiétude ne le rassurait pas. D’ailleurs, il pouvait tout aussi bien s’agir d’un piège. Alors que l’énergique Ryodari réclamait de partager l’alcool dérobé, Mû se mit à son tour à parler.

- Nous ne sommes pas particulièrement exposés à un danger, à moins que tu ne sois au courant de quelque chose, dit-il en fixant calmement le Yokai. Sinon, je serais curieux de savoir ce qui peut t’amener à t’approcher autant des Hommes alors que leur haine est plus qu’évidente. C’est le goût du larcin ou le besoin ?

Bien que Mû se devait d’être alerte aux environs et aux mouvements imprévisibles du raton, il devait aussi se méfier des exactions de l’autre Jujoujin, jusque-là assez instable. L’exercice n’était pas des plus évidents mais le Malade devait se faire violence pour y arriver. Les sautes d’humeur de l’énergumène s’étaient montrées quelque peu désastreuses jusqu’à maintenant et ils ne pouvaient se permettre de perdre la piste de la créature qui avait accepté de leur parler. Le trentenaire laissa les deux petits se chamailler sur des sujets sans importance pendant qu’il balayait les alentours de son regard qui transperçait le masque.

Fort heureusement, le jeune acolyte de Mû se concentra sur quelques questions plus sérieuses que ses interventions précédentes. Après avoir déclamé une tirade larmoyante sur son passé, dont le Malade se garda bien de faire un commentaire. Cette discussion n’était pas un concours du plus malheureux, car le trentenaire pourrait concourir aussi. Si ce que Ryodari était vrai, ils n’étaient pas si différents que ça finalement. Ils avaient connu la solitude, la vraie. L’instant aurait pu arracher un moment d’émotion au scientifique, mais ce dernier était bien trop intéressé par la conversation et attentif au moindre écart de langage/comportement.

Étonnamment, le jeune instable proposa son aide. Une proposition qui dut surprendre le Yokai à peu près autant que le Malade. Mû avait du mal à savoir s’il s’agissait d’une stratégie ou bien que les propos étaient emplis de sincérité. Il ignorait tout du jeune Genin, par conséquent difficile de se fier à lui. Surtout après ses écarts. Mû ne voulait pas perdre le contact avec ce Yokai, qui pourrait lui apporter des réponses. Hésitant et méfiant, il devait prendre une décision rapidement, par crainte de ne pas pouvoir converser plus longtemps avec la créature.

- Nous ne sommes pas là pour te faire du mal. Certains shinobis n’hésiteraient pas à te traquer mais nous n’en faisons pas partie. Tout comme certains Yokais se montreraient directement agressifs envers nous. Tu penses que c’est un cas similaire ou il se cache une autre raison derrière cette animosité ?

L’Homme en savait si peu sur les Yokais. Mû en savait si peu. Son dernier contact avec l’un d’eux s’était fait difficilement et n’avait suscité que des interrogations supplémentaires. Si ce raton pouvait leur apporter un peu plus, il considèrerait que cette rencontre subite ne serait pas une si grosse perte de temps et d’énergie. D’un évènement douloureux pour lui pouvait se dégager une opportunité intéressante. Toujours alerte, Mû accorda un regard à la petite créature qu’il gratifia d’un léger mouvement de tête.

- Si c’est d’aide ou de protection dont tu as besoin, nous sommes là pour ça.