L'artisanat était un petit monde, dans lequel les uns et les autres progressaient sans se marcher sur les pieds : Que je sois un petit forgeron, qui utilisait ses maigres compétences pour enrichir ses marionnettes, ne comptait pas, c'était l'ambition et le pragmatisme qui faisait un nom dans le domaine.
Durant mes quelques séjours hors des murs de Jujou No Sato, j'avais eu l'occasion d'échanger avec bon nombre de collègues producteur de lama, d'armure, ou de bibelots communs ou exotiques... Je ne me rappelais tous les noms, ils étaient nombreux, mais au sein de Seizan, il y avait une vraie ambiance, quelque chose d'unique qui faisait que les artisans locaux étaient... mémorables. Parmi ceux-là, j'avais retenu le visage et le nom d'un homme, et peut-être qu'il se rappelait de moi.

Enfin, c'était sûr : Il m'avait contacté.

Pourquoi moi ? Perdu dans ma forêt, alors qu'il aurait pu proposer à des camarades au sein de sa localité ? Je n'en savais trop rien, mais c'était comme ça, et j'avais répondu, curieux de la situation et de cet objet qui lui donnait ce type d'ambition, d'aller à la capitale pour enquêter. C'était un long voyage pour moi, mais respirer hors de la foison d'arbre qui barrait ma route, c'était toujours une chance. Alors, avec ma grande cape sombre et quelques ressources alimentaires, j'avais fait les milliers de pas qui séparaient les deux bouts de monde. Tournant dans ma tête la courte description physique de l'objet et les circonstances de son obtention : un achat, comme si quelqu'un avait eu la gloire de la découverte, mais ne s'était pas embarrassé du caractère curieux, pour adopter celui monétaire. Ce qui m'avait interloqué, c'est donc le physique : un croc, quelque chose de gros et de féroce, qu'on pouvait facilement trouver dans la gueule d'un Yokai... Et c'était ça le plus passionnant. Bien entendu, je ne courrai pas après le risque :

Être un jashiniste dans ce monde impie l'était déjà assez.

Le frisson de l'enquête, par contre, cela rendait mes journées moins mornes. L'atelier où je concevais mes créations étaient constamment dans les ténèbres et pour la lumière de mon esprit et de ma foi, c'était un antre sans fond. Pas de question de chaleur, puisque j'étais maintenant pourvu d'une généreuse amélioration qui me permettait de ne plus souffrir de cette fin d'hiver qui rendait les routes à Kuma No Kuni aussi froid que le cœur des Dieux. Quand les allures de printemps furent amenée près du désert, je n'avais pas non plus eu du mal à m'acclimater : Seulement, je devais encore boire. Ma gourde avait suffi, un temps, mais ses limites matérielles demandées à ce que je la remplisse tous les deux jours, ou tous les jours maintenant que j'étais dans le désert. Je ne ressentais plus la chaleur extrême, mais mon corps subissait encore quelques efforts dans cet enfer sableux. Ainsi, j'avais dû prévoir de passer d'oasis en oasis, je n'étais pas bien solide et les exercices trop longs me remplissaient d'aigreur... J'avais honte de ce manque de force, ou d'endurance, mais je devais faire avec pour arriver à la finalité de mon voyage.
Après une inconvenante rencontre dans les oasis, j'avais repris la route pour sortir de l'étendue sableuse : la province des vents chauds, Neppu No Kuni, qui tirait son nom de son voisinage avec la partie désertique de l'Onogoro... Un drôle de climat qui faisait tâche avec la verdure sympathique de la suite de mon histoire. Encapé en noir, je marchais seul dans les quelques grains qui ponctuaient l'air ambiant. Des mèches rousses sortaient du noir de mon vêtement, mais je baissais la tête pour ne pas respirer les minéraux dispersés autour de moi... J'en avais un peu assez, en vérité, de cette partie du monde, moi qui étais habitué à la forêt et aux marais. Toussant un peu, mon entreprise malheureusement ratée, je relevais la tête pour voir une forme devant moi...

Une rencontre encore, mais j'avais la mine boudeuse et je cherchais à avancer plus vite histoire de dépasser le badaud et continuer mon chemin : Je n'avais pas envie de parler, je voulais juste arriver à bon port et connaitre la finalité de cette histoire de croc !
Le pas plus rapide, je profitais de ma relative énergie pour reprendre du terrain sur la silhouette qui se révéla être une femme, une jeune femme même... "Seule ?" Fronçant les sourcils, je choisis de ne pas me préoccuper de ça... Ces derniers jours, les femelles n'avaient été que décevante, mais que je pensais à ça, je pensais à une seule rencontre en particulier. Au moins, celle-ci avait l'air entière. "Je n'aurais pas envie de la tuer, elle."

Il ne fallait pourtant jamais dire jamais.

Si le monde était large, un seul sentier traversait l'entrée du désert... Comme une invitation à un pèlerinage commun, entre les entrants et les sortants. C'était presque comique, si la chaleur et la dureté du climat ne faisait pas de cette zone un coupe-gorge pour les organismes. Soufflant pour oxygéner mon corps, je continuais à marcher : La capitale était encore loin et j'utilisais la passante devant moi comme un cap, un point sur qui me focaliser pour ne pas dévier, ou m'effondrer de fatigue.
Ainsi, la route fut dure, mais finalement un petit abri fut salvateur, autant pour moi que pour elle... Entrant en première dans le local, je la vis s'effondrer sur un banc, devant l'entrée, tout en souriant devant ma propre venue. Elle devait m'avoir remarquée depuis longtemps, je n'étais pas bien discret et peu d'éléments dans le paysage pouvait camoufler ma progression... Je ne cherchais pas, en fait, à me dissimuler. J'étais un marcheur. S'amusant de la situation, et c'était bien la seule, la femme me demanda pourquoi je la suivais : Étonné, faussement, je regardais derrière moi pour savoir si elle parlait à quelqu'un d'autres... Petite feinte, comme une autre, pour montrer toute l'innocence, ou la bêtise, de la demande.

- Je... Ne vous suis pas. Plissant les yeux, je cherchais un moment dans la procession qui aurait pu laisser penser que... Je marche, comme tout le monde. Visualisant un banc, à côté de moi, je m'asseyais en silence alors que la dame s'était allongé en prenant toute la place.

"Quelle impolie."

Non pas que je voulais m'asseoir à côté d'elle, mais ainsi s'accaparer l'espace disponible pour chacun, c'était un manque de civilité ignoble... Et c'était le jashiniste qui disait ça. Visiblement un peu ennuyé, ou vexé, je ne tardais pas à continuer ma parole :

- Le monde ne poursuit pas vos traces... J'ai ma propre destination, c'est une simple coïncidence si nos routes se croisent, ou se suivent. Un peu boudeur, je gardais ma capuche perchée sur mon crâne et quelques mèches sortaient encore et toujours du tissu noir.

Je devais sans doute me couper les cheveux, mais c'était une tache ridiculement annexe et tant qu'ils ne me cachaient pas la vue en mission, je pouvais bien m'encombrer d'un peu de poil. Seulement, mes yeux foncèrent sur celle qui avait eu l'audace de me prendre pour un suiveur, un larbin.
Jeune, aux cheveux blancs, elle paraissait lambda, mais au milieu de l'insolence, elle brillait d'un peu d'intelligence. C'était le genre de chose qu'on voyait directement : L'absence de ce regard grégaire, consommant de la merde pour remplir quelques trous dans les synapses. Enfin... Pour la plupart des gens, ce n'était pas problématique. Un paysan, il n'avait pas le temps ni l'utilité d'être malin, inventif, ou même cultivé... Ce genre de chose, la récolte du cerveau, c'était pour les bourgeois, ou les combattants. "Et encore." Le visage indifférent, je scrutai les traits sans rides, caché parfois par quelques mèches... Elle, elle devait avoir les cheveux devant les yeux.

- Qu'est-ce qui vous amène à la sortie du désert ? Un peu de conversation n'allait tuer personne, et à l'inverse de l'Akeno des Oasis, elle ne me déclenchait aucune ambition de meurtre.

Aucune blessure apparente et une facilité physique et intellectuel qui ne démontrait pas le besoin de la sauver de l'existence misérable... Mais cela pouvait venir. Les cicatrices du cœur, de l'âme, cela tardait à être démontrée, mais cela apparaissait parfois.
Bien des gens traversaient le désert : les soldats en mission qui allaient et revenaient comme cela, ou bien des marchands... Mais peu de civils se permettaient une telle procession. Les hommes étaient désespérément attachés à la terre, à un foyer, à une vie confortable qui disparaissait devant la rudesse de la nature. Je ne pouvais leur en vouloir : Dans mon local, j'étais bien, et je m'accommodais de cette part d'humanité qui, dans son ensemble, me dégoutait pas mal. Comme les autres, je choisissais ce que je voulais...

- Au fait, je m'appelle Seki Shinjin. Comme la grande brûlée, je lui donnais un faux nom... Enfin, un vrai, mais celui de mon frère, au cas où. "Au cas où, seulement."

Le repos était nécessaire et le silence ne créait que le stress chez les viandes à pattes, il fallait donc remplir le tout avec des paroles, parfois creuses... Qu'importe, tant que je n'apparaissais pas comme un tueur sanguinaire, au détour de la route.

Les apparences étaient trompeuses.

"Inspirée ?"

Plissant les yeux, lorgnant sur l'entreprise de la femme, je guettais les mouvements de sa main pour détecter les courbes et les formes qu'elle créait sur le papier lié aux autres, dans un carnet. Qu'est-ce qu'elle faisait au juste ? Elle dessinait ? Mais qui ? "Moi ?" Gardant ma langue dans ma poche, j'écoutais ce qu'elle avait à raconter : Bien peu de choses, en définitive.
Fille de paysan, elle avait choisi de partir sur les routes pour... Inventer ? Si la notion d'invention couvrait pas mal de chose, vu ce qu'elle faisait actuellement, je penchais vers le dessin... Une artiste donc, un travail qui payait nettement moins que le travail manuel de ses parents, si on n'avait pas de mécène.

-Une peintre alors ? Clignant des yeux, je la vis continuer ses manœuvres en m'expliquant son but... Ou ses buts. Je vais vers la capitale, j'ai des choses à faire là-bas. Une part de mystère qui allait avec ses gestes, tout en me donnant son nom. Elle avait retenu le mien, ce qui était déja pas mal.

Mishima Rei, je notais dans mon esprit cette suite de lettre avant d'observer qu'elle posait le tout pour me tendre la main... Les yeux, tranquillement, descendaient le long de son cou jusqu'à la courbure de son poignet, sans jamais que je n'ai à faire le moindre geste. Remontant, je vis son sourire et je décidais, sans l'ombre d'un doute, de ne pas lui rendre la pareille tout de suite... La main dans le vide, je la défiais de reposer son signe amical. Juste pour voir.

Je n'étais pas de ceux qui serraient la main, j'étais de ceux qu'on ne voyait pas... Ou qui ne s'embarrassait pas d'un signe quelconque de sociabilité.

Je n'étais pas sociable, ou très peu. Quelques secondes et j'avançais la mienne, non sans toujours garder les yeux de la belle dans les miens... Sans doute qu'elle savait, comme moi, que tout cela avait un sens. "Le copinage, très peu pour moi." Une fois la chose faites, je lâchais le tout en reposant mes doigts sur le bois sec, chaud, un peu dégradé par les milliers de fessiers qui s'étaient postés là, en quête d'un peu de réconfort bienvenue. Je pus revenir sur le carnet qui comptait quelques mentions textuelles et des croquis rapides... C'était loin du travail de préparation d'une peinture, ou quoi que ce soit de purement artistique. Cela se rapprochait de l'ingénierie disponible dans mon local, ou bien dans les feuillets de confrères.

Je m'étais trompé, férocement...

- Et qu'est-ce que vous avez percé, comme secret, récemment ? Non pas que cela m'intéressait, mais le thème de ses recherches et de ses trouvailles pouvaient me donner la catégorie de femme dont j'avais affaire...

Respirant un grand coup, j'essayais de moduler la méfiance que je présentais. Elle était lambda, je n'avais pas à être dans un tel état de friction pour cacher, camoufler et feindre les choses. Être jashiniste me forçait à être toujours sur le qui-vive, ce qui pouvait vraiment empoisonner les choses... À Jujou, je pouvais m'isoler dans ma maison ou mon atelier, en minimisant à outrance mes interactions, mais le voyage me demandait bien des efforts vu que ces actions étaient, par définition, une ouverture au monde et aux... Gens. Dans une violence personnelle, je déchirais le voile des apparences pour donner un peu de moi.

- je suis moi-même un... inventeur et un chercheur. Aller au-delà de l'humain, c'était une forme de quête...

Non ?

- Une artiste géniale... hmm hmm. Devant l'attitude pompeuse, je gardais le regard indifférent. Mes yeux restaient posés sur les schémas et les dessins qui se présentaient dans le petit carnet... Je n'étais décidément pas un homme à archive, préférant garder peu de traces pour plus de "discrétion."

Cela manquait cruellement à mon interlocutrice qui n'avait encore rien trouvé des secrets du monde, mais se trouvait déjà bien faites pour en pister les bouts de ficelles... Autodidacte, elle avait vu et maitrisé quelques arts et se penchait, selon elle, sur de nouveaux qui n'allaient pas tarder à faire partie de sa petite liste de techniques perfectionnés. Les outils, les armes... Elle voulait, maintenant, comprendre le corps humain. Chose peu inédite, mais qui sonnait joliment à mon oreille.

- Et pourtant, il y a bien des limites au corps humain... Un murmure, alors qu'elle continuait à expliquer des choses, notamment sa vision de la vie et des arts qui caractérisaient le tout. Des formules mathématiques, un genre de schéma générique de toutes choses qui pouvait aider à mieux comprendre, comme un mot magique.

Elle parlait beaucoup, énormément même, et surtout d'elle... Présentant sa grandeur dans des petites phrases et des gros mots. "Il suffit de simplement... Si c'était aussi simpliste." Pour autant, je l'écoutais : On ne gagnait rien au mépris, ni à la peur. Il fallait cueillir les informations où l'on pouvait, sinon on stagnait ou pire... On régressait.

- Une formule précise, dites-m'en plus ? Sa thèse pouvait être passionnante, même si j'avais quelques réserves sur le tout explicable... Le chakra, ou le pouvoir des kamis, ce n'était pas si scientifique que ça. Le sujet de la religion était aussi bien loin de la compréhension humaine, la ferveur qui donnait des ailes, comme des œillères. Mais, au passage, quelles sont ces fameuses techniques des artisans du désert ?

C'est vrai, qu'est-ce que c'était ?

Vu la spontanéité de la belle, je me devais de prendre goutte à goutte toute cette connaissance qu'elle débitait comme si c'était une cascade... Relevant les yeux, je les posais dans les siens, attendant sa réponse. Finalement, je laissais entendre que j'étais aussi un inventeur, mais je n'allais pas jusqu'à me mettre de la pommade dans le dos comme elle le faisait si bien : J'étais intelligent, je le savais bien, mais pas du même genre... Peut-être plus sombre ? Plus secret ? Ou bien juste plus méchant ? Chercheur de mort ? pas vraiment... Mes outils, ma quête, ne visaient qu'une seule chose : Dépasser l'humain en prenant ce qu'il y avait de meilleur dans tout ce que je connaissais. Autant les marionnettes, que les autres animaux.

- Il y a une formule pour ce destin manifeste qui nous a réunis ? Aucun sourire, alors que cela pouvait paraitre comme une boutade. J'étais réellement intéressé par sa conception de la chose.

Seulement, elle voulut tout de suite savoir ce que je faisais de mes dix doigts et je retroussais ma manche pour découvrir le signe du fuinjutsu qui me permettait d'apporter mes armes dans cette réalité, ou juste cette géographie... Chez moi, à Jujou, un coffre fermé à double tour contenait deux marionnettes et je sortais spontanément la plus complète des deux du symbole. Des lignes qui se croisaient au cœur d'un cercle, rien de bien passionnant, mais qui s'activaient avec le mudra du rat, celui du fuinjutsu.  
Tsurai, le scorpion plein de secret, apparut dans un nuage en prenant un peu de place dans la pièce où nous faisions la réunion improvisée.

La marionnette:

Inactive, les pattes de la chose n'étaient pas assez puissantes pour porter tout le poids et l'insecte abstrait paraissait comme endormis, tapis entre les petits piques qui le faisaient, d'habitude, se maintenir comme en lévitation. Sa queue, reposée, flaccide, au sol... La marionnette était au tapis, en attente de mes ordres.

- Ceci est une arme d'ingénieur qui répond à mes ordres par des fils de chakra, c'est une marionnette. Ce faisant, je reliais les articulations du Piquant à mes doigts par le ninjutsu précis du Kugutsu : Seule ma main droite suffisait à la voir monter, arrivant à une position quasi-active, prête aux déplacements et à l'action. Mon autre main servait à l'activation des artifices et à la modulation de la queue, celle-ci restait encore et toujours au sol, comme un petit chien soumis. Je ne vous conseille pas d'approcher de trop près, elle est truffée de divers secrets qui sont utilisés en combat :  Poison, bombe incendiaire, ...

Il y avait une deuxième raison : L'art de la manipulation de ce type d'artefact ne devait pas entrer dans des mains tierces, connaitre la disposition de mes armes cachées, c'était totalement saboter mes diverses tactiques. J'étais faible au corps-à-corps, mais j'étais fort en sournoiserie et connaitre Tsurai, c'était pouvoir attendre mes principaux leviers mortels. Amusé, un peu, je reliais mon index à la queue du Piquant pour présenter les articulations qui me permettait d'amener l'excroissance devant la bête, non sans un peu racler le plafond de toute cette hauteur gagnée. Avec cette configuration, je pouvais presque donner l'ordre à mon arme de piquer la demoiselle devant moi... Le poison, distillé dans la pointe acéré, pouvait ainsi considérablement l'affaiblir, pour me laisser le temps d'en finir avec elle.

"Je pourrais." Un bref instant, je laissais mon doigt en suspens, avant de relâcher l'arme et de faire reculer Tsurai près de moi, au cas où les yeux indiscrets de Rei ne soient trop perçants à mon goût.

- Ce n'est pas la seule, j'ai essayé d'autres styles. Un autre mudra du Rat, et voilà que ma deuxième création apparaissait dans un plus petit nuage... C'était naturel, Mujaki visait la vitesse et donc sa masse devait être plus faible que le gros scorpion qui devait me défendre.

Deuxiéme marionnette:

La blondinette, enfant éternelle, attendait, éteinte comme son grand frère, que je lui donne des choses à faire... Je laissais ainsi la créature humanoïde dans cette position : Elle était inachevée, je la laissais ainsi bien plus disponible puisque rien n'était vraiment caché en elle... Et surtout que c'était bien plus terrifiant. J'avais appris, récemment, à concevoir de vraies marionnettes sur la base des humains, il ne me fallait jusqu'un cobaye pour essayer.

- Je suis donc capable de créer ce type de choses, ainsi que les outils à mettre dedans... Nulle vantardise, juste des faits présentés ainsi...

Mon projet final était tout autre, visant plutôt mon propre organisme à développer, transformer, mais je me gardais bien de lui révéler... Certains secrets devaient rester dans l'ombre, en attente de la lumière qui allait les valoriser.

Ma lumière.

Chaotique, vague, l'explication de la belle concernant cette formule universelle me parut totalement idiot... Mais sans doute que je n'avais pas toutes les pistes qu'elle avait eu pour concevoir sa théorie foireuse.

Le visage las, je laissais ainsi le discours couleur : Il me fallait des preuves, des exemples, de quoi représenter la valeur scientifique de son projet, mais rien n'apparu sous mes yeux. Les mathématiques ne pouvaient être discutables, les sciences naturelles et physiques étaient démontrable par la répétition pour prouver une règle... Pour l'instant, cela ne tenait que de la science humaine : Du vent, un peu frais sur mon visage. Cela faisait du bien, après la courte chaleur du désert.
Je préférais les preuves : Ainsi, mes marionnettes furent comme l'accomplissement de mon art. On parlait, on parlait, mais rien n'était plus flagrant que la vue, le toucher, même l'odeur du bois et du métal mêlé dans mes conceptions. Je vis l'excitation dans ses yeux, l'envie de savoir ce que je cachais dans les profondeurs de mes petites choses... Comprendre, c'était savoir et donc maitriser, et c'était dans cette manœuvre que j'avais fait reculer ma plus belle œuvre, pour ne laisser que l'imperfection. Évidemment, elle pouvait s'inspirer de ce croquis humain pour améliorer et perfectionner, de son côté, mais qu'importe : L'art du marionnettiste était monnaie courante dans cette partie du monde, notamment Sakyuu No Sato et un homme là-bas devait bien voir mes conceptions comme des choses bâclées.

On était tous l'idiot de quelqu'un, au final...

Pour l'instant, elle valorisait mon travail, mais j'avais perçu la frustration de ne pas avoir pu plus en voir... transgresser mon conseil, c'était un peu gros dans une première rencontre. Hochant la tête, j'accueillais le compliment avec tact et modestie. Je savais bien que j'étais au-dessus de la moyenne, mais le confirmer oralement était toujours agréable. "Pauvre égo d'humain."
Devant sa réponse, cherchant à automatiser les marionnettes, je coupais les fils pour mettre ma main sous mon menton, histoire de réfléchir : Permettre aux armes d'agir seule pouvait être utile, même très utile, mais cela pouvait devenir dangereux si mal utilisé... Mais elle n'en était pas restée là, elle aussi, elle voulait briller : Elle faisait des prothèses, c'était sa nouvelle conquête dans le champ presque illimité de la science et du progrès humain. Je croisais les bras, conscient qu'on avait le même objectif... Enfin...

- Permettre à un homme de marcher de nouveau, ou de pouvoir mobiliser deux bras, c'est une grande chose... Surtout contre les yokai qui laissent tant de souffrances sur leur passage, mais truffer ceux-ci d'artifices, pour se battre, semble bien plus passionnant. Une lame secrète, un lanceur de kunaï, même un disperseur de poison... J'en rêvais, pour être honnête, et si j'avais appris à créer des marionnettes, humaines, c'était véritablement la transformation de mon propre cœur qui me donnait la foi de continuer les recherches, et les progrès. La fidélité par rapport au membre est peut-être dispensable, vous ne pensez pas ? La taille de nos bras est un frein pour la préhension, nous pourrions grandir avec de plus longues jambes, ou bien mieux attraper les choses avec un plus grand nombre de doigts... Une idée, comme ça, lançait dans les airs... Mais elle semblait vouloir se limiter à l'imitation de la chair.

Une intelligence bridée.

Durant la conversation, je saisis des pas approcher... Le sable était un sol qui laissait passer peu de bruits, mais son aplatissement ne laissait aucun droit à l'erreur. Des gens approchaient. Je ramenais dans le fuinjutsu les deux marionnettes, d'abord l'humaine pour ensuite enfermer le scorpion. Pile au moment où la porte s'ouvrit pour laisser passer trois hommes, en presque haillons, qui furent surpris de nous voir là... De sous ma capuche, je leur rendais leur regard, mais je saisis bien vite qu'ils observaient plutôt la mine contente de Rei. Elle était bien plus amicale que moi, en apparence. "Et pas que..." Renfrognée, je continuais à les regarder alors qu'ils s'asseyaient sur les places disponibles :  Un à côté de moi, un à côté de la chercheuse et l'autre se plaqua au mur, vu le manque de siège... Enfin...
Il y avait de la place, mais d'ainsi se serrer à des inconnus, ce n'était pas bien raisonnable... Nous pouvions être des tueurs, des bandits, mais eux aussi, en y réfléchissant.

- Vous... Vous êtes madame Mishima ? Le regard humide, celui qui était allé se placer proche de la demoiselle regardait comme fasciné celle-ci. Vous avez... Vous avez sauvé mon frère, il avait perdu un bras à cause d'un vers des sables ! Il ne pouvait plus travailler ! La célébrité faisait son chemin, et si je ne connaissais pas la dame en arrivant, eux la connaissaient bel et bien !

La lumiére était une chose dont je me passais bien et mes créations ne visaient pas vraiment le même but... Sauver un blessé, je pouvais le faire, mais en terminant ses souffrances. Elle, elle construisait pour la vie. C'était un peu mon anti-thèse, si mon point de vue n'était pas la vérité choisie par Jashin pour se révéler au monde. Elle était dans l'erreur, mais une erreur qui lui apportait les louanges.

J'étais jaloux, un peu... J'étais un foutu humain.

- La cohérence et les problématiques... Réfléchissant, un instant, sur la phrase de ma voisine d'abris, je répondis aprés quelques instants : je peux comprendre votre pensée, elle est rassurante, mais imaginez un artisan capable de frapper plus fort de son marteau avec un bras plus fort, ou bien un ouvrier qui peut mettre ses briques plus haut grâce à quelques centimètres gagnés ? Scrutant le regard de la dame, je continuais. La chair a des limites, mais l'intelligence permet de les outrepasser... En tout cas, c'est ma théorie. De mon côté, j'essaye de ne pas me limiter à cette image cohérente de l'humain : La cohérence, je me dis que c'est nous, les esprits, qui la créons de nos mains... Quitte à fomenter quelques erreurs.

Ma première marionnette était un scorpion : Je ne voulais pas nécessairement faire un humain, l'apparence allongée et agressive de Tsurai me suffisait, mais dans les profondeurs de ma conscience et de mon être, je voulais absolument prendre cette chair indigne pour la transcender et je l'avais déja fait, par deux... Repousser les bords, comme passer d'un carré à un rectangle. L'objectif était le cercle.

- Le jour où vous aurez les connaissances et l'envie, peut-être pourrions-nous faire équipe ? A l'image de ce Kokoro Kenta qui m'avait opéré, je voulais m'entourer des génies et des scientifiques de ce monde pour faire progresser l'humain... Si le sakyuujin avait une dent contre les jashinistes, peut-être que celle qui se tenait devant moi avait moins de rancœur avec les cultistes.

Qu'importe la réponse, le groupe arriva comme un rien et Rei devint un peu la coqueluche de ces messieurs... Elle fut toutefois assez humble et me présenta, je lorgnais sur les visages qui me regardaient enfin, avant de grommeler :

- Enchanté. Je ne faisais pas des membres mécaniques... Seulement la mort. Devant ma réaction, ils revinrent à la jeune femme, non sans manquer d'arguments une fois les remerciements faits... Ils étaient clairement limités, des bras plutôt que des esprits.

Ils ne comprenaient pas la lumière qu'il y avait dans cette pièce... Brisant le modeste silence, la voyageuse déplia une carte pour présenter sa destination et demandant un peu de compagnie. Les hommes se regardèrent avant d'expliquer :

- Nous allons vers le village de Higoi, pour acheter du poisson... Le village a faim, tous les mois, on part récupérer un chariot et les denrées. Si vous allez par là, nous pourrions y aller ensemble, oui...

Puis, ce fut mon tour : La demande était également à ma destination. Je clignais des yeux, avant de regarder la carte et d'énoncer :

- Je vais vers Teito, la capitale, j'ai des choses à faire... Mais nous pourrions faire route ensemble dans la plaine, au moins jusqu'à demain ou après-demain, selon la vitesse de notre marche. Je n'étais pas bien rapide, bien qu'endurant devant le climat. C'était toutefois de l'histoire ancienne, vu que le désert était derrière moi. Nous aurions des choses à échanger... Les paysans me regardaient étrangement, et c'était normal vu qu'ils étaient en dehors de la discutions. Comment vous appelez vous ? Surpris, les trois gaillards balbutièrent.
- Kaito... Celui debout se présenta en premier, avant de laisser la main à ses camarades. Takuma... Le joyeux qui avait reconnu Rei continua, laissant le dernier en queue de peloton. Ryujin.
- Et qu'est-ce que vous savez de la science ? Une question théorique, bien ténébreuse pour des gens comme eux... Un petit silence, avant que je ne reprenne. Le membre mécanique de votre frère, comment il marche ? Je prenais à part le fameux Takuma, qui semblait toujours autant ignorant, malgré la proximité qu'il avait eu avec l'objet. Vous gagneriez à mieux observer les choses...

Pour qui je me prenais ? Eh bien, un esprit plus éclairé, tout simplement. Ils avaient totalement oublié mon existence au profit de Rei, c'était ça que je pointais. Le manque de vision des petites gens...