À la Frontière des Pins Noirs

Trois jours de marche séparent Seichiro de la première cité, sa ville natale. Si certains Shinobi parvenaient à combler la distance plus rapidement, ce n’était pas le cas pour ce spécialiste de la médecine et des illusions qui, pendant ce long voyage, n’avait que ses propres pensés comme compagnons. Prisonnier de son propre monde intérieur, Seichiro revoit ses dernières rencontres avec les rejetons d’Izanami et, en particulier, sa rencontre avec le Wendigo qui aura coûté la vie à son cousin.

Si la perte d’un membre de son clan n’était pas récente, ses souvenirs étaient ravivés par le fait que le Jônin de la cité de l’Épine était sur le chemin du retour, suivant les funérailles de Kamon. Des funérailles qui avaient eu lieu au coeur du domaine clanique des Dojis qui se trouvaient à même Teito, la première cité.

Il n’était pas prudent de voyager de nuit, pas lorsque les températures hivernales de la province des pins noirs pouvaient rapidement descendre sous zéro et surtout pas sachant que les routes étaient infestés de Yokai, Brigands, Rônin et autres aberrations en tout genre. Ayant décidé de s’arrêter pour la nuit au coeur d’un village au nom insignifiant, le Jônin vétu de ses habits cérémoniaux blanc et bleu, frappé du sigle de son clan, arpantait les dédales de cette ville dont il n’avait même pas envie de se rappeller le nom.

À la recherche d’un gîte, ses pas le guidaient jusqu’au confin d’un établissement qu’il avait d’ores et déjà visité, tant il parcourait le chemin séparant Toge de Teito souvent. Portant fièrement autour de son bras gauche son bandeau marqué des trois pins, le blanc de son tissue révélait facilement la position qu’il détenait au coeur de l’armée impériale.

Posant son regard écarlate sur la tenancière, une femme passé la trentaine qui avait eu la brillante idée d’ouvrir une partie de son échoppe à l’extérieur, donnant directement dans la rue. Bien entendu, au vue de la saison, peu de clients osaient s’installer à l’extérieur et ce fut aussi le cas pour le Jônin qui cherchait le confort et la chaleur d’un endroit pour y passer la nuit. Trouvant une place relativement calme, ses iris valsaient sur la multitude de tête dans l’établissement pour finalement se poser sur ce qui semblait être le début d’une altercation.

À la Frontière des Pins Noirs

Au loin dans la taverne, un homme musclé aux corps meurtri par la guerre venait provoquer un autre homme musclé au corps meurtri par des années dans la criminalité. L’Honneur bafoué d’un ancien soldat s’emportait face aux commentaires salaces d’un homme biaisé par sa lignée ayant vu le jour dans la rue et qui finira sans doute à la même place. Au fond d’un caniveau.

Étrangement, c’était d’ailleurs une situation qui semblait vouloir se recréer, de l’autre côté complètement de l’établissement. Un homme musclé au corps meurtri et enrubanné, un vulgaire déserteur et itinérant venait lâcher un commentaire salace à l’endroit d’un noble militaire à l’égo sans doute aussi grand que les montagnes de la cité fuit par le Gouka.

Si en temps normal, Seichiro aurait simplement hausser les épaules et laisser couler ce merde verbale dont il était la cible, les temps étaient loin d’être normaux. Sur le chemin du retour des funérailles de son cousin, ses trois dernières rencontres avec des Yokai avaient laissé leurs griffes autant dans sa psyché que sur le corps de son cousin mort, réduit en poussière par un Wendigo. Il était déjà à fleur de peau, en train de guérir des meurtrissures laissées par le genjutsu des corbeaux qu’il devait guérir du vide laissé par un homme à l’avenir aussi radieux que Kamon.

Ainsi, se retournant, il posait son regard écarlate sur son interlocuteur, il le toisait comme le faisait si bien les nobles devant la pauvreté, devant un déchet. Il observait ce corps musclé et enrubanné, ses pieds nus laissé à l’air libre et menacé par les engelures à cause des températures hivernales. Il posait son attention sur ce verre d’eau, gratuit et ne pouvait que sourire. Un rictus réprobateur, criant : ‘’Je suis meilleur que toi’’. Cet être narcissique qu’était le Jônin de l’épine n’allait quand même pas laisser passer une telle opportunité.

Cependant, au-delà de son état émotif actuel, Seichiro était un homme réfléchi. Un stratège qui n’agissait pas par impulsivité. Ainsi, toujours en contrôle sur ses réactions, il répliquait d’une voix amusée.



Déclarait-il en se levant, portant sa dextre dans son dos et, tirant une petite besace pleine de ryôs, il l’envoyait sur la table de son interlocuteur.



Rajoutait le médecin en se rasseyant à sa place comme si de rien était.

À la Frontière des Pins Noirs

Si Seichiro était du genre à manipuler son discours, à ne pas laisser transparaître quoi que ce soit et à entretenir l’image du Doji parfait, il fallait dire que les derniers événements venaient mettre en péril ce fragment de lui-même. Une partie de soi qu’il ne saurait mettre de l’avant tant l’inconfort mentale dans lequel il se trouvait était bien trop envahissant, bien trop criant. Il n’était pas impulsif, mais il était tout de même humain. Difficile d’entretenir la mascarade face à tant de souffrance ; car rappelons-le, présentement, Seichiro souffrait. Il souffrait de son incapacité à faire face au Wendigo. Il souffrait de la mort de son cousin. Il souffrait de la disparition de son élève et surtout, il souffrait de son incompétence à ne pouvoir avoir un quelconque impact sur ce qui se tramait dans sa vie.

Pendant ce temps, pendant que son être se fragmentait et que son monde intérieur était dégueulasse, tout simplement, un homme venait le provoquer dans tout ce qu’il lui restait ; sa famille et sa dignité. Celle d’un être certes né dans une caste financièrement chanceuse, mais qui n’avait oublié les sacrifices de ses ancêtres pour y parvenir. Si le clan Doji était aujourd’hui Noble, c’était parce que quelqu’un quelque part peut décider de s’élever à ce rang et ça, personne ne pourrait venir ternir cette réalité sans en payer le prix. Car au final, si le Jônin n’avait pas combattu cinquante clans pour en ramener les étendards à l’empereur, il avait acquis son rang à la sueur de son travail. Maître illusionniste, il avait étudié autant les arts de la manipulation du chakra que celle de la médecine. S’il y avait bien une chose qu’il n’était pas ; c’était un idiot. S’il y avait une chose qu’il était, c’était un être narcissique qui ne perdrait jamais la face. Pourtant, son interlocuteur était en train de traîner qui il était dans la boue.

Cependant avant qu’il n’ait la moindre chance de lui faire payer l’affront d’avoir posé son cul sur la table où s’apprêtait à manger Seichiro, la bataille au loin entre les deux mastodontes évoluent en véritable échange de coup. En un véritable chaos. Sans perdre une seule seconde, l’homme aux pieds dénudés se dirigea vers les hommes problématiques avant d’en saisir un de sa grosse paume. Saignant abondamment, il finit par demander de l’aide à Seichiro ce qui, franchement, refroidi les ardeurs de celui qui s’apprêtait à plonger son interlocuteur dans un vision révélant ses pires traumas.

Soupirant à l’idée d’accepter d’aider l’être qu’il n’appréciait pas tant, il y avait cependant quelque chose de plus fort que la colère qui s’animait chez le Jônin ; son narcissisme. Difficile pour lui de laisser passer l'occasion d’être bien vue, de pousser les gens à l’apprécier et personne n’appréciait quelqu’un qu’un médecin qui vous venait en aide.

Ainsi, alors qu’il avançait pas à pas vers son patient, Seichiro joignait les mains ensemble et réalisait une série de mudra relativement simple. Une suite de signes incantatoires qui lui permet de transformer son chakra en une masse énergétique verdâtre ; en une énergie de vie. Recouvrant ses mains, il posait ses derniers sur la tête du blessé, un sourir en coin et son regard écarlate poser sur ce qu’il faisait. Ignorant carrément la plèbe qui l’avait interpellé.

Jusqu’au moment où il décida de prononcer ses premiers mots un tant soit peu positifs à l’égard du nudiste des pieds.



Ce qu’il avait horreur de piler ainsi sur son égo, mais il préférait arborer une image positive pour la population de cette province qu’il avait promis de protéger, même si ça voulait dire faire payer à l’homme son affront… plus tard.

À la Frontière des Pins Noirs

Concentrant encore et toujours son énergie curative, le médecin de l’épine concentrait le travail au niveau du sourcil de son patient. Un homme visiblement en état d'ébriété et qui puait l’alcool et l’urine à plein nez. Le regard écarlate du Jonin était centré sur la tâche à accomplir, car aussi simplement était-ce à regarder aussi complexe était-ce à réaliser. Reconnecter les micro-vaisseau sanguin explosé n’était pas simple, surtout dans un endroit aussi vasculaire que l’arcade sourcilière.

Ce n’était cependant pas son premier rodéo et c’était sans trop de difficulté que Seichiro parvint à refermer complètement la plaie, ce qui correspondait à peu près au même moment où ce dernier se débattait afin d’aller se taper un round 2 avec cet adversaire qui n’avait pourtant pas eu la chance de passer sous les soins du Jônin.

Malheureusement pour lui, son round deux il l’avait eue avec Ryuuza, mais ce n’était pas sans arrâcher au passage les quelques bandages du va-nu-pieds. Telle quelque chose d’anormal au niveau du torse, la marque maudite captait rapidement le regard de Seichiro, alors que son interlocuteur se reculait légèrement pour finalement se jeter sur l’ivrogne, coupant désormais tout contact avec ce don des Oni.

C’était là définitivement la présence d’un sceau, aucune marque de naissance n’avait cette nature, mais avant que Seichiro n’ait la chance de véritablement analyser la situation, la suite des événements s’enchaînant d’ores et déjà. Finalement, l’ivrogne inconscient au sol fut accompagné de quelques mots que marquait le jônin dans un coin de sa tête.



Avant qu’il n’ait la chance d’en dire plus, il fut interrompu par le discours et les présentations de Ryuuza qui prit par la suite la fuite. Devait-il l’intercepter ? Devait-il investiguer ce qu’il trouvait quelque peu anormal ? Oui, sans doute, s’il avait fait partie de l’unité du pin blanc, mais à la fin de l’hiver ce n’était pas le cas.