Début de la scène ici.

Bien que sa présence réelle ne faisait pas de doute, l’inconnue semblait à des lieux de son corps, comme dans un état de profond flottement. L’érudite croisa son regard sans éclat. Si les yeux sont le miroir de l’âme, ceux de la jeune fille en était un au tain résolument voilé. Un tel regard pouvait être l’apanage de bien des expériences, mais toutes convergeaient vers une souffrance certaine… Surtout à cet âge, alors que la jeunesse et l’insouciance devraient encore servir de bouclier contre les maux du monde. La matriarche se surprit à se demander si son propre regard avait ainsi perdu toute lumière, à cette époque-là. Jusqu’à maintenant, elle ne s’était pas vraiment demandé de quoi elle avait pu avoir l’air – elle n’en avait que faire alors et n’en était pas davantage préoccupée aujourd’hui. Mais, tomber sur cette apparition, ce regard, alors même qu’elle venait à nouveau de rêver de l’ancienne Kisan… C’était comme si son passé lui intimait de lui faire face.

Gin observa la jeune fille se laisse porter par le Ginshaden et la rejoint dans les vagues de cette contemplation. Ondoyant sous la lune, la mer de sable appelait au mouvement, à cette énergie continue qui repousse l’inertie et l’apathie. Là est l’appel de la lune, qui elle-même ne cesse jamais sa course céleste. Oui, Gin en avait l’intime conviction, elle avait bien fait de poursuivre ce mouvement et de venir confronter ses spectres à Toge.

L’inconnue interpella le Dieu Sélène et évoqua une malédiction alors que ses yeux débordaient de ce trop plein d’émotions… Lesquelles se mêlaient-elles à son coeur affligé, était-ce de la tristesse, du désarroi, de la confusion, de la colère, de l’angoisse? Peut-être de tout à la fois, mais à vrai dire la moine n’avait ni la prétention ni l’intention de les déchiffrer. Les méandres intérieurs de chaque être leur était si intimes qu’eux et elles seul.e.s en connaissaient la carte – ou avaient à tout le moins la capacité de la trouver.

Hiver, clair de lune
Les os de mon corps aussi
Sont transparents

C’est l’écho de ce vieux poème que offrit la moine au questionnement de l’inconnue. Un écho qui lui était cher… Si la lumière du soleil faisait scintiller la brillante enveloppe des choses, n’était-ce pas le propre de celle de la lune et de son Seigneur que de révéler leur essence? Telles étaient les voies de Tsukiyomi, transcendant toute apparence et toute imposture. Bien entendu, cette lumière est éminemment plus difficile à percevoir, si bien que les non-initié.e.s ne peuvent la distinguer de l’obscurité. Toutefois, lorsque esprit parvient enfin à saisir son éclat... alors les choses se mettent en mouvement, tel que Ginshaden sous la lune.

Votre vérité. C’est ce que Tsukiyomi-sama vous invite à rencontrer.

Ce basculement, Gin l’avait elle-même vécu au terme des longues années passées à arpenter le continent, loin du Village Caché de l’Épine. Mais le mouvement était parfois plus douloureux que l’atonie – chaque pas dans cette ville le lui rappelait.

Qu’allez-vous en faire?