Affublé d'une longue cape noire qui lorgnait le sol, ma silhouette gravissait la volée de marche qui me séparait du palier amenant au bâtiment : Le Sanctuaire de l'eau, bien plus petit qu'un temple, était dédié à la déité Susanoo, le dieu des tempêtes et de la mer. Situé au bord de la mer du nord, il était l'unique sanctuaire avec une telle disposition géographique. Beaucoup de moine ne comprennaient pas pourquoi le dieu Susanoo ne possède qu'un simple sanctuaire... À cette pensée, je ricanais gentiment sous mon capuchon. Lui, au moins, avait un lieu de culte public.

"Le bras est plus honorable que la morve..."

Chargé d'un petit paquetage, je m'arrêtais sur la pierre lentement, mais sûrement polie par le courant marin : Le réceptionneur n'était pas encore là, j'allais donc devoir l'attendre. Soupirant, un peu frustré par l'attente qui allait devoir m'être infligé, je m'asseyais contre le pavé de l'entrée en me refusant à prendre refuge entre les murs. Si Suusanoo avait été pardonner, je ne pouvais pas vraiment lui faire ce cadeau : Quelle divinité volait ainsi son père ? Fuyait les siens ? "Quelle divinité découpe son fils ?" La religion oubliait certaines informations, mais en prenant connaissance de la cosmogonie, j'avais éprouvé un lent enfer devant l'incertitude du dieu des tempêtes et son épopée, ignorant du monde et pourtant si chanceux de trouver une branche de l'arbre divin... D'autres, caché par peur, avaient pris plus de temps pour se réconcilier juste avec eux-mêmes. Ces dieux qui se trahissaient entre parent, cela me donnait la chair de poule... Et je répugnais devant ce sentiment si humain. Mon père avait déserté par pure tristesse, désespoir, laissant dans la tourmente ses deux enfants...
Entrer dans ce lieu privatisé pour Suusanoo, c'était un peu comme oublier ou pardonner les mauvaises actions de mon père... C'était tiré par les cheveux, mais c'était ainsi que je voyais les choses. Laissant le silence, ponctué par la mer et son léger chant, guider mon attente, je dégrafais le petit sac que m'avait confié les autorités de Jujou no Sato pour admirer l'objet de ma mission :

Un contenant en verre, avec quelques pilules, que l'on pouvait voir se multiplier dans plusieurs autres flacons. Des médicaments produits par les services du village sous les arbres pour soigner, ceux-ci étaient vendus, ou donné ? À d'autres villages, comme signe de bonne foi ou de rapprochement politique... Je n'en savais rien et cela ne m'intéressait guère. Tout cela était éphémère. J'avais été missionné seul pour apporter mon paquetage jusqu'à un point de rendez-vous, là-bas un autre prendrait la main pour réceptionner et apporter chez lui... Le destinataire était le village de Sakyuu, plus loin dans le nord.

Avec un nouveau frisson, tout différent, je me souvenais de cette fameuse nuit où, dans la province des Oasis, j'avais communié avec mon dieu dans un rituel impie, mauvais, publiquement condamné...  Un sentiment d'être vivant quand je prenais des vies, un sentiment d'être plus qu'un homme quand j'avais ce pouvoir. L'image de ma grand-mère et de ma mère se superposé avec ces souvenirs et j'éprouvais une certaine honte, encore mal considérée dans mon esprit.
Tuer provoquait de la douleur dans des familles, pourtant cela m'avait fait un certain bien ? Les pauvres vivaient dans une chaleur torride, dans la pauvreté et le manque de ressource alimentaire : Totalement dépendant aux autres régions. Ainsi, mettre fin à leur existence, à une échelle de petit village, représentait un certain cadeau : La fin d'une misère. La voie de la mort était la voie de la béatitude, pour autant je recherchais une autre finalité pour cette chair vouée à disparaitre, rongée par le vice et la vermine. Dépasser l'homme, transformer ce corps si imparfait pour quelque chose de plus complet, travaillé... Le hasard de la nature pouvait être réglé, résolu, comme une mauvaise équation. La science de Jujou faisait des miracles, j'avais vu quelques travaux de mes parents quand j'étais enfant et les petites boules que je tenais dans ma paume annulée bien des tracas dans la machinerie humaine, mais je voulais plus : Les connaissances médicales et technique pouvaient amener à une fusion, une chimère.

Un être ultime ?
Sans doute.

Quelques pas, en contrebas, je restais stoïque les yeux posés sur le verre remplis. Ma conception du jashinisme était-elle la bonne ? Mon dieu aimait-il ma vision progressiste ? Je n'avais que peu discuté avec les miens, durant les réunions et les rituels. En fait, je restais la plupart du temps silencieux, assez peu confiant en moi depuis toutes années de formation. Juunin, ce n'était qu'un grade, au fond je n'étais qu'un enfant abandonné, trop grand pour pouvoir appeler à l'aide et qui prenait ses décisions seuls, pour ne pas trop en faire... Dans un petit soupir, je me relevais pour faire face au nouveau venu. Si j'avais choisi le temple de l'eau, c'était pour le peu de monde qui allait dans ces lieux. À cette heure-ci, c'était sans nul doute mon client.

Enfin, il fallait qu'il prouve qu'il était la bonne personne, je n'allais pas donner ces précieux médicaments à n'importe qui.

"Un enfant ?" Les sourcils froncés, je cherchais la bonne blague dans cette venue : Un garçon adolescent, plutôt petit comparé à moi... Pourquoi Jujou demandait un jonin alors que Sakyuu apportait un garçon qui s'apparentait à un genin ?

"Ou bien un chuunin ?". ⁣

Il était vrai que j'étais devenu un chef d'équipe durant mon adolescence, enfin pour ma première fois... Une légère rancœur vint étreindre mon cœur, pour mon père et sa lâcheté qui avait handicapé ses deux fils. Les mettant sous la méfiance du village.
Les cheveux blancs du garçon étaient assez originaux, en tout cas bien plus que le roux intense des miens. Il présenta son bandeau alors que je me levais, autant pour détendre mes muscles que pour montrer que j'étais plus grand que lui... Une fierté mal placée ? Sans doute, un peu. Je ne pouvais pas encore améliorer ce facteur-là, il me fallait donc profiter du peu d'opportunité que j'avais de regarder les gens "de haut". De ma main gauche, je vins donner un peu de mou à ma cape de voyage pour présenter moi aussi le signe distinctif de ma structure : Autour de mon cou régnait le trait vertical coupé par les hachures bombées sur une plaque de métal. J'avais placé mon bandeau un peu caché, au cas où... On n'était jamais trop prudent.

Ma marque de Jashin était sur mon épaule, toujours sous des couches de vêtements.

Farfouillant de mon autre main dans mes affaires, je vins récupérer le sac contenant les médicaments attendus par le garçon : Sans un mot, je présentais la toile remplie à celui-ci. Le laissant récupérer le tout et examiner pour vérifier la véracité et l'authenticité de ma livraison, je regardais autour de nous : La mer battait contre la roche, alors que la structure derrière nous était comme un défi à l'étendue enragée qui voulait, sans doute, envahir la salle pour tout détruire. La tempête appelait à la tempête, sans doute... C'était le lot de beaucoup de divinités apparenté à ces éléments-là : La mort, pour Jashin, n'en était qu'un cas de plus. Regardant de plus prés le costume du bon petit ninja de l'adolescent, je découvris une combinaison de couleur classique : Noir, blanc... Son écharpe, par contre, changeait un peu le tout. Ils s'habillaient tous comme ça dans son pays ? "Qu'importe..." Je devais me détacher de toutes ces fantaisies, piètre détail dans un schéma plus grand.

- C'est bon ? Attendant patiemment la confirmation du garçon, sans montrer le moindre signe d'impatience, je regardais les falaises derrières lui. Si dans ma tête, bien des choses se passait, mon visage n'exprimait que de la neutralité la plus totale : C'était une mission officielle.

En fait, je me demandais même si je pouvais passer à Seizan no Sato pour pouvoir acheter du métal... Ma marionnette, Tsurai, méritait des petites améliorations et le temple dans les profondeurs des mines du village présentait un intérêt grandissant pour moi : Il était rare d'avoir un vrai endroit pour pouvoir prier Jashin et le reste de la création autour de lui. "J'espère ne pas être surveillé là-bas." Bien que Jujou n'était pas connu pour son caractère hostile, tout était possible...

- Dis-moi, quel est le chemin le plus rapide pour rejoindre Seizan ? Si on avait envoyé le petit pour me rejoindre, c'était qu'il connaissait assez bien le coin... Peut-être pouvait-il m'aider ? Voir me guider ?

- Hmmm. Le regard tranquille, j'observais le garçon me dire que tout était en ordre... Ajoutant même des remerciements, étrange pour une mission. Merci à toi. Un ultime signe de politesse avant de revenir à mes occupations premières : Comment aller à Seizan ?

Si le petit n'était pas une source vraiment sûre, il était déjà plus compétent dans le cheminement que moi qui n'avait jamais été dans le coin... La recherche de ce fameux temple commençait avec la bonne direction pour aller dans les montagnes. Responsable, le ninja aux cheveux blanc sortit une carte et la posa sur la pierre froide... ne craignant nullement l'humidité du lieu, je vins regarder les divers chemins qu'il me présentait : Si pour arriver jusqu'à Tsume No Kuni, un seul embranchement était de rigueur, à part si on voulait se faire une belle randonnée dans les vallées, un carrefour donnait plusieurs voies pour atteindre la province des montagnes géantes. Une main sous le menton, je réfléchissais à ce que je voulais faire : En me rapprochant de l'endroit, la sécurité allait augmenter donc cet aspect-là passait au second plan. Je ne devais pas réfléchir en termes d'obstacle, mais en termes de vitesse réelle... Le postier de Sakyuu montra le chemin qu'il avait déjà utilisé, c'était clairement le plus logique de foncer vers le sud sans jamais dévier de sa direction, mais quelque chose m'embêtait...

- Tu dirais qu'il y a combien de jours de marche pour atteindre cette destination ? Je désignais ainsi, en premier lieu, le carrefour à la province des griffes, puis directement Seizan visible sur la représentation avec diverses maisons assez mal dessinée... D'après mes connaissances, ce village était perché sur les montagnes, ainsi la montrer dans un genre de plaine était inexacte. Et pour rentrer chez toi, il y a combien de jours ? Loin de moi la curiosité, développer la vitesse devait se mesurer sur des chemins courts, comme le sprint, et les chemins longs.

Des membres mécaniques iraient plus vite ? Ce qui faisait la propulsion, c'étaient les muscles, il fallait alors un équivalent... Ou bien, j'améliorais ces bouts de chairs, tout simplement. Esquiver la phase d'entrainement longue et douloureuse pour aller directement au but ! Soupirant devant ce choix cornélien, je me rendais bien vite compte de l'état larvaire de mes connaissances et de mes compétences. Je savais faire des marionnettes, mais transformer mon propre corps par la biologie ou l'ingénierie n'était pas encore à ma portée.
Gardant le silence devant les réponses du jeune homme, je m'intéressais plutôt à ce qu'il savait du village : Apparemment, il avait été là-bas. Il pouvait donc m'aiguiller sur quelques informations, sans apprendre mon vrai objectif :

- Tu es allé à Seizan pour quelle raison ? Il semblerait que les tunnels sous la structure soient considérables... Le temple se cachait là-bas. J'aimerais les visiter. Un pieu mensonge, prononcer simplement alors que mon regard percé la carte, puis l'horizon devant moi. Pas mal de route et j'étais déjà lassé de ce monde si vaste qui me faisait perdre tant de temps. Seulement, je pouvais encore m'intéresser au foyer du jeune homme, pionnier dans le marionnettiste : Sakyuu est connu pour ses marionnettes et ses compétences dans la construction, es-tu de ces combattants qui utilisent des marionnettes ? Un air un peu excité sur le visage, je prenais enfin pleinement conscience de l'intérêt probable que pouvait représenter ce petit...

L'inspiration venait de partout.

Le garçon me semblait un peu faible d'esprit. Qui répétait les mots ? Nonobstant sa réaction, je l'écoutais patiemment, les yeux posés sur lui comme un rapace sur sa proie. Je ne faisais pas exprès, j'avais juste l'air toujours un peu trop concentré, et pourtant si stoïque...
Il m'expliqua alors qu'il était rapide, et si au départ, je prenais ça pour de la vantardise, la mention d'une invocation féline me laissait penser qu'il ne mentait pas. Il avait de bonnes capacités alors ? Qu'importe, car il expliqua ensuite son point de vue sur un temps dit "normal" et je notais dans mon esprit cette référence pour de prochains tests...

Un jour, peut-être.

Très vite, il répondit à ma question sur son passif avec Seizan : Rien, juste une mission qui lui avait donné l'opportunité de connaitre les hauteurs fantastiques du sommet des montagnes géantes. Je hochais la tête, validant sa réponse, alors qu'il me retourna la question sur le pourquoi du comment je voulais aller dans les tunnels. Il ne connaissait pas leurs existences, ce qui laissait la porte ouverte à des mensonges et de l'enrobage de vérité.

- Il y a pas mal de choses dans ces tunnels, des choses connus comme des minerais qui servent aux forgerons du village, mais également des choses inconnues... On ne connait l'étendue exacte de ces boyaux, ainsi, il y a pas mal de choses qui peuvent s'y nicher. Je ne donnais pas d'autres informations, si l'edenisme et le carbonisme étaient des sectes reconnus et acceptés, l'une plus que l'autre. Le Jashinisme restait assez minoritaire, car illégale : Le temple noir construit dans les abysses de la montagne n'était un temple que par le nom, je m'attendais plutôt à un autel dissimulé. J'aimerais bien demander un guide pour aller aux extrémités connus, c'est tout.   Désamorcer pour ne pas éveiller les soupçons, c'était le mieux dans ma situation.

Pour ce faire, j'avais également demandé si le jeune homme était un marionnettiste, chose dont on pouvait s'attendre d'un originaire de Sakyuu, mais il me déçut un peu... Curieux de mes propres questions, il m'interrogea sur mon soudain intérêt et un petit ricanement précéda ma réponse :

- Je suis un marionnettiste et je pensais rencontrer un collègue, histoire de parler de nos travaux, nos projets, mais surtout comparer nos armes... Dénudant mon bras droit, je lui montrais le symbole qui tenait lieu de cachette pour Tsurai, ma seule marionnette à ce jour. J'étais sélectif et assez perfectionniste, je ne partais qu'avec les outils qui me semblaient les plus rodés. Sur le début de mon avant-bras résidait une forme géométrique : Un rond, zébré sur sa diagonale de quelques traits fins. Le chakra et l'encre se mélangeaient dans un processus génial et utile... Transporter le Piquant n'était pas dans mon intérêt. Ma marionnette peut sortir de cette rune, cela m'évite de la transporter et cela me permet d'avoir l'avantage de la surprise. Aucune vantardise, c'était un fait exact et sincère.

Un vrai méchant ne montrait pas ses talents cachés, mais j'étais en vérité un gentil, juste un peu proche des limites... mon projet n'était pas de tuer mon prochain, juste ceux qui démontraient d'une grande souffrance.

Cet enfant n'avait rien à craindre de moi, le Jashinisme n'était pas aussi sombre que voulait le montrer les autorités impériales. Surtout qu'il semblait avoir quelques capacités.

- Donc du chakra en quantité, et un tigre pour te soutenir... Chacun avait son partenaire, même si Shinjin n'avait pas autant de griffe que le félin, il avait un peu du chien. Les invocations, c'est un art qu'on pourrait rattacher à Jujou. C'était drôle de voir naitre des talents hors des foyers principaux : Moi hors de Sakyuu, lui loin de Jujou. Loin de sourire, j'appréciais le moment. Justement, le ninja des sables demanda comment était mon village natal : Eh bien... Il est boisé, fortement boisé même, c'est pratique pour construire des marionnettes. La vie est douce, on voit rarement le ciel vu toutes les branches, mais en retour on a des fruits et de l'ombre même l'été. Pour moi, cela ne changeait pas grand-chose, vu que je passais beaucoup trop de temps dans mon atelier. Sans doute qu'on n'a pas ce genre de velléité dans le désert.

Si près de la mer, il était vantard de parler de chaleur. Les embruns frappaient fort sur la roche alors que l'hiver révélait tout son éclat pour refroidir et geler les abords humides du monde.

- Enfin, ce n'est pas la saison pour s'inquiéter des fortes températures. Il faut repartir vers nos objectifs, chacun, mais l'escalier laisse assez de temps pour continuer notre discussion. Le visage toujours si peu doux, je désignais la pierre taillée qui dressait des marches.

L'indifférence du départ laissait sa place à quelques curiosités vis-à-vis de cet être qui, si physiquement indélicat comme moi, avait quelques tours dans son sac. Fermant le clapet de mon propre contenant, j'invitais le garçon à débuter sa descente alors que j'envoyais un dernier regard à Susanoo, sans doute dissimulée sous la structure.

- A bientôt, monsieur le voleur. Un murmure, pour un adorateur du dieu du mal, c'était fort de café.

Tournant le dos au jeune ninja, j'observais dans ces derniers instants le temple qui allait disparaitre de mon horizon et de ma vie : je n'allais pas retourner au pied de ces pierres sans une bonne raison, qui n'allait sans doute jamais venir puisque ce n'était pas tous les jours qu'on voulait aller prier Susanoo. Revenant enfin à mes moutons, je découvris un signe surprenant de la part du garçon : La main devant son torse, il faisait une partie du mudra de l'oiseau, mais les doigts centraux de la forme, au lieu d'être plié pour s'accrocher à une autre main, restait tendu comme pour symboliser autre chose.

Et je savais parfaitement quoi.

Le culte était interdit, illégal, et être rapproché à lui pouvait être puni de mort... Ainsi, les membres cachaient leur affiliation, même entre eux, pour éviter les problèmes : Quid de présenter cette marque caractéristique à la mauvaise personne ? Il y avait donc une série de gestes pour se présenter, si on doutait de la religion d'un interlocuteur. Des signes anodins, pour le peu averti, mais qui voulaient tout dire pour nous... Le visage neutre, je regardais ces doigts orientés dans une position qui faisait surgir en moi des souvenirs de cette nuit obscure, il y a des années. Prenant une grande inspiration, je fis le même signe pour montrer qu'on avait un point commun certains ! "Un piége ?"
Le problème avec ce type de code, c'était qu'une fois éventé, ils étaient inutilisables et les autorités ne se plaisaient guère à crier sur les toits qu'ils avaient attrapés un jashiniste et qu'ils avaient fait avouer tout ce qu'il savait... Ainsi, montrer qu'on était dans l'illégalité, même devant un compagnon, pouvait devenir un vrai drame.

Qu'est-ce qui me disait qu'il n'était pas un infiltré ? La chasse aux cultistes était lancé depuis cet événement... Depuis qu'ils avaient été déclarés criminels et puni de mort.

- Je vois qu'on a des choses à se dire alors. Le regard un peu plus acéré que d'habitude, je m'approchais un peu. Qu'est-ce qui t'a mis la puce à l'oreille ? Regardant autour de moi, je cherchais des témoins. Et ta marque ?

La mienne était disposée sur l'épaule, c'était peu commode, mais étant donné que je passais une grande partie de mes journées enfermées, ou enveloppé dans cette cape sombre qui dissimulait mes traits, ma silhouette, et peut-être une marionnette ? Eh bien, personne ne l'avait vu depuis que je l'avais gravé avec un kunaï, il y a bien des années... À cette époque, je venais de perdre ma mère et tout s'était enchainé vite, très vite, sans doute trop vite pour le garçon que j'étais ? Qu'importe, Jashin et ses leçons m'avaient donné un cap et je n'avais tiré qu'une force flamboyante de tout cela. Quel était l'histoire de ce jeune garçon ? Interdit, je ne me risquais pas à lui demander, puisque maintenant que nous étions liés par le secret, plus en savoir de lui pouvait me faire risquer quelques pépins.

- Tu comprendras que maintenant, je ne risque pas de te donner mon nom... Tu pourrais sans doute le trouver en cherchant les archives de cette mission, ou bien en te renseignant sur les marionnettistes roux présent à Jujou... Mais tu ne le feras pas, je me trompe ? Comme je ne risque pas de me renseigner sur les occurrences de ton physique et tes capacités au sein de Sakyuu. Interdit, je recherchais une réaction chez le garçon. Dans mon village, il y a des techniques d'interrogation poussées... Cela me réconforte de voir un frère, mais je ne veux pas te mettre en danger si l'on me capture. C'était un grand risque qu'avait pris ce jeune homme, pour autant je ne pouvais lui en vouloir : La religion était importante dans nos vies et connaitre ainsi qu'on n'était pas seul, c'était un sentiment exquis qui me tira un faible sourire malgré le danger qui courrait.

De mon bras gauche, je découvrais la manche de ma cape pour révéler un angle du triangle cérémoniel, représentant mon affiliation. Je n'en montrais pas plus, c'était déjà très risqué de le mettre au jour. À cet instant, je repensais à une parole de mon interlocuteur :

- Au final, tu as eu de la chance de connaitre l'ombre, toi.   Passant devant le ninja aux cheveux blanc, je commençais à descendre, tout en posant une question qui me trottait dans la tête maintenant que je savais que lui et moi avions un référentiel commun au sujet de la cosmogonie. Que penses-tu du dieu Susanoo alors ?

- Tu ne sais pas ce qu'est notre marque ? Un air surpris, quelque peu choqué, j'observais le garçon devant moi. Un instant, je m'imaginais piégé alors que des ninjas sortaient des pierres pour m'attraper... Seulement, il connaissait un des codes de reconnaissance.

Les autorités n'étaient pas si idiotes, s'ils avaient réussi à tirer ce genre de connaissances, ils pouvaient aussi reconnaitre la trace caractéristique de la scarification jashiniste. Lors de leur initiation au culte, on demandait aux fidèles de s’entailler le bras avec la marque de Jashin, un triangle au centre d’un cercle, cette marque à jamais sur la peau des fidèles leur permettait de se reconnaître entre eux. C'était aussi le passe-droit pour entrer dans les sanctuaires et sans doute dans la cathédrale noire... Avant de tuer, on offrait d'abord notre chair à notre dieu et à son apôtre, où qu'il soit. Les ombres étaient encore à ce stade et même si j'avais participé à cette nuit sainte, il y a des années, je restais dans le bas de la hiérarchie puisque je n'avais jamais fait l'effort de m'élever... La dévotion ne se transmettait pas par un titre, mais par des actes. Soupirant, je relaxais mes muscles tendues en me disant qu'il devait être tout jeune dans le culte... "Mais quand même. " Est-ce que je devais le renseigner ? Au risque de révéler des informations précieuses sur l'organisation de la communauté de Jashin qui pouvaient être utilisé contre eux...

- Si tu ne sais pas, tu le découvriras bientôt. Une forme de retraite stratégique, pour ne trahir personne : La marque arrivait au début de l'initiation, ainsi cela devait bientôt être le cas pour lui.

Ce faisant, je changeais de sujet... Assez content de n'avoir pas montré la totalité de ma marque, en définitive. J'avais ensuite demandé l'avis du garçon sur Susanoo, qui prit l'occasion pour botter en touche lui aussi :  Il ne savait rien et cela ne l'intéressait guère. "C'est noté." Gardant le silence, je continuais de descendre les marches gentiment. La pierre taillée formait de grands édifices qu'il fallait passer d'un bon pas, forçant ainsi la concentration pour ne pas trébucher à la montée ou glisser dans la descente. Les yeux à mes pieds, j'enchainais les petites et les grandes enjambées dans une danse peut-être comique de loin ? Je n'en savais rien, mais cela m'était bien égal... C'était du travail mal fait que cet escalier. Troublant le silence, le ninja des sables demanda si je connaissais d'autres jashinistes... Bien que ma première pensée était que c'était louche, je répondis tout de même :

- Pas beaucoup, c'est sans doute mieux comme ça, pour éviter les fuites ou les défaillances de loyauté, notre religion est suffisamment visée pour faire craindre les interrogatoires musclées. Comme des dominos, une pièce tombe et le reste tombe avec elle... Lâchant la pierre des yeux, je fixais mon camarade à côté de moi. C'est sans doute déjà assez de savoir qu'il y a un jashiniste à Sakyuu et un autre à Jujou, sûrement que dans nos villages respectifs il y a d'autres membres, mais on le saura le moment voulu ou si l'on fait l'effort d'essayer de les contacter. Toutefois, le gamin connaissait, lui, un autre membre et la mention d'une réunion, ou un événement, arriva sur la table. Fronçant les sourcils, je me demandais si une nouvelle messe noire dans un village était en préparation. En vérité, le peu de fois où j'ai pu croiser des frères ou des sœurs, nous n'avions pas le temps de discuter. Je connais des visages, quelques noms, malheureusement, mais je n'ai aucune informations sur un prochain rassemblement... Dans les prochains mois, sans doute qu'on sera amené à se revoir. Tu auras ta marque, à ce moment, j'espère.   Cette réunion pouvait-elle être l'initiation de ce ninja ? Bien que produite en tête-à-tête, s'il était assez important pour le jashinisme son initiation pouvait être en groupe... Qui sait ?

Déjà se pressait dans mon esprit le visage lunaire d'un homme, il y a des années, alors qu'une autre apparition, furtive, vint bouleverser mes souvenirs : C'était une femme, cette ombre que j'avais croisé ? Je le savais, mais elle ne voulait pas s'afficher ainsi, préférant les atours d'un homme pour ne pas avoir de soucis. J'en connaissais au moins deux, peut-être bien plus si je fouillais convenablement, mais ceux qui vivaient à Jujou n'ignoraient pas qu'un grand danger pesait sur les criminels : Il existait une brigade particulière appelée Brigade d’Interrogation, qui était spécialisée, comme son nom l’indiquait, dans les interrogatoires. Cette dernière usait de diverses drogues et techniques afin d’extraire les informations nécessaires à leur mission.

Si je me retrouvais entre leurs mains, le domino tombait... Avec ses conséquences.

- Comment es-tu arriver dans le giron de notre seigneur ? Une question innocente, mais qui pouvait révéler pas mal de mon interlocuteur, s'il acceptait de répondre.

"Une initiation ?"

Observant le visage du ninja des sables, je cherchais une trace de mensonge ou de fabulation... On disait que les créateurs de récits regardaient en haut à droite, signe qu'ils inventaient, alors que les hommes sincères lorgnaient le sol en quête de leurs souvenirs. Ce n'était sans doute que des fadaises et je pris bien vite le récit du garçon comme argent comptant : Connaissait-il l'identité de ce mystérieux cultiste ? Je n'en savais rien, mais peut-être qu'il avait pris en compte mon indication sur la méfiance à avoir...

Le jashinisme avait bien des voies, et même si j'avais pour point commun avec mes frères et sœurs de croire dans la venue du Dieu du mal, je sentais bien une distance sur les autres points : La douleur, la mise à mort, la vie et ses enseignements, mais aussi sur les aspirations de la dynamique religieuse. Tuer, inlassablement, comme pour délivrer le peuple entier d'Ebisu, ou bien choisir ceux qui méritaient la libération divine... J'avais cédé à une prescription, mais je croyais plutôt dans une voie de rareté et de symbolisme plutôt que dans la quantité des âmes transmises dans un meilleur endroit.
En tout cas, mon compagnon de route avait reçu une formation lacunaire : Sans marque, il n'était que le début d'une ombre et cela m'étonnait que l'un de mes frères ait pu ainsi bâcler la formation d'un nouveau membre de notre congrégation. Sans nom, avec un juste un visage difficilement descriptible s'il n'avait pas un point particulier, je n'allais pas pouvoir reconnaitre ce planteur perfectible de jashiniste dans l'Onogoro. "Dommage."  

- Tu as donc un intérêt dans notre religion ? Il m'avait parlé de la forme, mais le fond de la chose n'était pas là...

Bien des individus arrivaient à nous par la voie du traumatisme, d'une haine ou d'un ressentiment envers la vie et ses acteurs. On ne connaissait pas la révélation de la souffrance et de la mort par une simple promenade, c'était un chemin long et intense qui pouvait se clore par son suicide, par la folie, ou par la rencontre de la bonne personne... Sans doute au bon moment. Si ce garçon était jashiniste, il avait connu une peine qui avait purifié son âme pour lui donner les vraies couleurs du cadre. Il voyait les fils, il voyait la vérité derrière les beaux atours : La misère était l'essence même, caché sous un vernis qui s'effritait avec le temps et les événements... Seul Jashin et ses enseignements pouvaient transformer cette abomination en chef-d'œuvre. "Jashin et, un jour, moi." Pour autant, la remarque sur le mystère de cet initiateur me fit pousser un petit ricanement :

- Des mystères, il y en a des tonnes autour de nous, et de ma position, j'en vois bien trop... Je ne suis qu'une ombre, comme toi, et au-dessus de nous se dresse bien des étapes avant l'illumination de la juste connaissance. Sans doute que cet homme en savait plus que moi et qu'il a décelé en toi une lueur. Avais-je moi aussi cette chose ? La question vint rapidement, si je connaissais les contours de l'histoire de mon voisin, il voulait connaitre la mienne et, mettant ma capuche sur les cheveux, j'entamais un récit rapide et concis : On n'était pas là pour larmoyer.

- La souffrance de la mort et la haine de la lâcheté, c'est la ressource qui m'a mené vers des facettes bien sombre... Mais sans lumière, pas d'ombre, alors j'ai entamé mon initiation sous l'égide d'un homme, masqué et anonyme, qui m'a fait marquer ma propre chair et appris les premiers commandements et rituels. De cette période charnière, je gardais des souvenirs confus... Les marques étranges sur le corps de ma mère me revenaient à cet instant et la curiosité me prit, comme toujours quand j'y repensais. Je ne connais pas les débuts d'autres membres, mais je ne conçois pas une autre route...  La voie de Jashin ne peut pas être perçu facilement, ou par tout le monde. Il faut... Disons... Une préparation intérieure, psychologique, pour enfin apprécier ce qu'on met sur notre route. Sans doute que notre rencontre était signée. Par notre dieu ou les autorités qui amenaient cet espion. La méfiance était de mise, toujours, mais je me relaxais petit à petit.

Une taupe ne pouvait se conduire comme ça, aussi ouvertement... Ainsi, je le croyais. Je l'avais décidé. Si sa présence ne m'apportait pas grand-chose sur le parcours de Jashin, la mienne pouvait conclure cette initiation qui manquait de sa finalité sanguine :

- Je persiste, sans marque, ton parcours vers Dieu n'est pas encore achevé... Veux-tu que je t'enseigne ce qu'il reste pour parachever ton avènement ? Sans son mentor, disparu sans laisser de trace, ce garçon n'avait personne pour cela.

- Tu n’es pas croyant ? La surprise s’afficha sur mon visage, cette réalité était impensable pour moi…

Qu’est-ce qui pouvait amener ce garçon à embrasser, même à moitié, la religion de Jashin alors qu’il ne croyait pas en ses enseignements. La curiosité était ce qui le guidait, mais la curiosité de quoi ? Le côté morbide était inhérent à nos rituels, mais ce n’était pas le pilier de la chose. Pour autant, d’autres cultistes qu’il avait rencontrés n'avaient pas paru surpris… Ma vision était donc viciée ? Trop fermée ? Fronçant pour autant les sourcils, je mettais les pièces peu à peu ensemble pour dessiner un parcours inachevée chez le ninja des sables.

- Effectivement la voie est longue, mais je comprends mieux pourquoi tu n’as pas la marque… Il doit te manquer une chose et ton contact l’a remarqué, sans pour autant s’en offusquer. Seulement, il y a des inconvénients dans ce statut que tu cherches à obtenir. La discrétion n’est pas un luxe et à une raison précise : Nous sommes recherchés, traqués comme déviants d’une religion qui vénère des dieux monstrueux qui démembrent leurs enfants et qui se volent entre eux… Une sacrée hypocrisie, mais qui demeure dangereuse pour celui qui choisit cette voie, qu’il soit au départ ou plus avancée sur le parcours vers l’illumination. Je ne saisis pas bien les avantages que tu tires dans tout cela, ni même ce qui guide cette curiosité dans les arcanes de notre Dieu, mais tu as tes raisons et je vais en tirer la même conclusion que ton précédent camarade : Suis ta route, tu trouveras bien assez tôt ce qu’il te faut…

Pour autant, sans totalement avoir les deux pieds dans les ténèbres de la préparation du retour de Jashin, je ne pouvais pas encore lui faire confiance. Le doute amenait des options, des perspectives, et l’une d’elle était qu’il se détourne de la lumière pour revenir sur le classicisme des Kami, ou pire : Vers le carbonisme ou cette mascarade qu’était l’edenisme. Cette curiosité pouvait l’amener sur d’autres sentiers et son âge le voulait bien : Jeune, on était hésitant, changeant. Il multipliait les contacts alors qu’il n’était pas encore totalement une ombre. C’était donc un danger comme un allié et seul le futur pouvait révéler sa place dans le jeu du chat et de la souris dans l’Onogoro.

- Seulement, et je dois te confier cette nouvelle sans encore appliquer la sentence : Connaître les visages, les noms, les premiers arcanes de notre religion comme cette fameuse marque… C’est déjà avoir un pied dedans, ainsi se détourner de notre Dieu ferait de toi un paria, ce qui n’est pas vraiment grave puisque la lumière n’est pas pour tout le monde, mais aussi un être dangereux, car en connaissance de bien des choses. Il te faudrait ainsi prendre une décision, puisque des plus zélés camarades pourraient voir en toi un trop gros danger pour notre fraternité…

C’est à cet instant que je lui proposai de finir sa formation : Autant pour la religion de Jashin que pour sa propre vie, tenant à un simple fils puisque si notre culte était secret, ses camarades pouvaient devenir rapidement de possible ennemi, dissimulé dans l’ombre des villages et des campagnes.
Un garçon aux cheveux blancs, venant de Sakyuu, cela pouvait être rapidement repéré et cette femme qui se mentait à elle-même pouvait faire honneur au culte tout en débarrassant le réseau sombre d’un grand danger. Gardant cette idée en tête, je reçus sa réponse comme un aveu du doute bien trop dangereux qui le maintenait dans un entre-deux.  

- Très bien. Ma décision était prise d’informer, si je la croisais, cette fameuse jashiniste de Sakyuu pour garder un œil sur le garçon. Interdit, je maintenais mon regard sur les pavés froids qui nous faisaient descendre dans la vallée de Kuma No Kuni : La voie marchande, populaire et traversante du continent. J’ai bien fait de ne pas te donner mon nom. Si je dois te donner un conseil, chasse de ton esprit les brumes du doute : On est perdu sur les océans ou en plein désert, pas dans son cœur.

Bien que fait de chair, j’essayais de m’approcher le plus possible de la marionnette pour éviter tout problème. Si tout était mathématique, scientifique, logique… Alors, je pouvais maîtriser, mais si les émotions rentraient en jeu, alors on perdait tout. C’était la misère de l’existence et ce doute inhérent à la pensée du garçon, je l’avais en horreur. L’incertitude n’était pas logique, n’était pas contrôlable… On ne pouvait douter d’un calcul puisqu’une seule réponse sautait aux yeux. L’œil sévère, j’entendais déjà les premières carrioles rouler sur la terre battue par des années de passage.

- Ce fut un plaisir de croiser ta route, j’espère te revoir en frère. Je gardais pour moi l’autre option, le destin de ce ninja n’était pas entre mes mains : Il était encore sauvable et une partie de moi espérait, humainement dégoûtante, que la lumière allait le toucher.